To-Ho Le Tueur d’or

Chapitre 6

 

Pendant des heures et des heures, soleiltombé, nuit profonde, sans une hésitation, sans un arrêt, l’évadéde Rota-Rajia courut à toute vitesse, avec sa proie, avec saconquête.

En des élans étonnants, franchissant unprécipice, escaladant une roche, bondissant au-dessus d’un gouffre,il allait, tenant l’enfant serré, évanoui, inerte, contre sapoitrine… Ce frêle organisme avait subi de telles secousses,morales et physiques que son cerveau était plongé dans une sorte decoma.

Cependant il semblait que l’Être énorme eut lanotion de cette faiblesse : avec une incroyable dextérité, ilécartait tout ce qui aurait pu heurter, blesser celui qu’ilemportait, et quand il se suspendait par un de ses bras à labranche d’un arbre, quand il se laissait tomber de haut sur sespieds, il procédait de telle sorte que l’enfant n’éprouvât pas dechoc violent.

Tout d’abord il avait foncé sous bois, la têteen avant ; couvrant un chemin à travers les lianesenchevêtrées, en ligne droite, avec la rectitude d’une volonté bienarrêtée qui allait à un but ; rien n’indiquait cependant uncalcul. C’était l’instinct seul qui le guidait, par une de cesfacultés naturelles qu’on retrouve peut-être chez les pigeonsvoyageurs.

Son élan était si fort, sa ruée siirrésistible que le passage s’ouvrait devant lui ; dès qu’ilétait passé, les branches retombaient, se refermaient,reconstituant derrière lui une barrière impénétrable.

Parfois lorsqu’un arbre se dressait, unfoualang aux branches dures et imbrisables, au tronc colossal dontsix hommes, se tenant par la main, n’auraient pas pu embrasser lacirconférence, le fuyard, une seconde arrêté, pliait les jarrets,puis en une détente des muscles, lancé comme une pierre qui jaillitde la fronde, il atteignait un des rameaux, se soulevait, puis despieds atteignant une autre branche, se laissait pendre pour de làs’accrocher plus loin, et ainsi par un exercice de voltige devantlequel eut reculé le plus agile de nos clowns, il arrivaitau-dessus d’une clairière et là se laissait choir, pour reprendresa course vertigineuse.

Ainsi plus loin, toujours plus loin, en dessolitudes où jamais l’homme n’avait pénétré, dans des masses deverdure, de frondaison, de germinations formidables qui étaientaussi profondes que les vagues de la mer, à travers des colonnadesd’arbres si serrées, si drues que parfois il avait peine à s’yglisser ; alors il brisait ou arrachait les tiges les plusjeunes, et encore passait.

Ou bien c’étaient des fougères arborescentesqui l’enveloppaient, cherchaient à le lier, le saisissant au cou,aux jambes, aux bras. Il luttait, se raidissait, passait toujours,sous la pluie des rosées qui tombaient des faîtes, en mettant sousses pieds la boue gluante qu’il martelait de ses talons, pourtrouver un point d’appui.

C’étaient encore des mares d’eau accumulés parl’humidité végétale, étangs glauques, laiteux ; aussi dessources jaillissantes, giclant de quelque faille de roche, et quile fouettaient au passage, choc si violent qu’il avait unhan ! de résistance, soufflait un moment… l’enfant n’était-ilpas atteint ? Non, il s’était plié à temps et de sa chair, deson poil, l’avait protégé…

À la forêt traîtresse avait succédé lamontagne, plus brutale, avec ses sites abrupts, ses mamelonsdénudés, ses pointes de diamant noir, ses amoncellements de rochesécroulées à la suite de quelque soulèvement intérieur, avec, tout àcoup, une vasque creusée, ainsi un cratère éteint, dont les paroisnettes et glissantes n’offraient aucune prise à la marche ;les pieds s’adaptaient, la fuite ne s’achevait pas…

Pendant trente heures, l’Être mystérieux avaitainsi lutté contre la nature.

La nuit avait passé, puis un jour, puis unenuit encore. Le soleil se levait, irradiant sur l’immensité salueur vivace et splendide.

Ils se trouvaient alors dans un vallonsupérieur, à mi-hauteur d’une montagne, clairière bordée d’arbrescolossaux autour d’une gorge toute capitonnée de mousse et depetits arbustes.

L’Être ralentit le pas, s’arrêta, regardaautour de lui, avisa un bouquet d’arbres qui formait comme undais : alors à la lumière blanche il contempla l’enfant, eutun rictus singulier, rapidement prépara un tas de feuilles et defougères, puis y déposa son fardeau…

Le pauvre petit George était pâle, commeexsangue : pourquoi ne bougeait-il pas ?

Lui, sans doute, se le demandait : dessons s’échappaient de sa gorge, très doux, faits de voyellesappuyées sur des consonnes fortes qui rappelaient le jota espagnoleou le ch allemand, bizarres contractions de la glotte quicependant avaient une sonorité de mélancolie, d’inquiétude. Ils’était agenouillé et sa bouche énorme touchait presque les lèvresdu petit, comme pour aspirer son souffle.

Il se redressa brusquement : il avaitsenti l’haleine lui caresser le visage. L’enfant était vivant. Maispourquoi cette immobilité ? pourquoi ce silence ?Pourquoi ces membres frêles qu’il soulevait retombaient-ils inerteset comme paralysés ?

Il s’était légèrement reculé, la tête tombantsur sa poitrine, les yeux grands ouverts, masque d’effort mental etde réflexion. Certainement un problème se posait, encore obscur,ainsi qu’en témoignait le froncement de ses sourcils etl’avancement de ses lèvres projetées en avant.

Mais, tout à coup, ses lèvres se détendirent,il releva la tête et, sur sa physionomie mobile, il y eut unépanouissement. Il avait trouvé !

Une sensation personnelle – la faim – luiavait fourni une déduction facile. L’enfant devait avoir faim, luiaussi, et c’était à cette cause qu’il fallait attribuer cet état dedépression.

Il prononça plusieurs fois unesyllabe :

« Ete ! Ete ! »

Il leva la tête, chercha des yeux et enfinaperçut à quelque distance des lianes bien connues de lui et queles indigènes appellent Akar-Loodany : ces végétauxcontiennent un liquide exquis et nourrissant, tandis que leursgraines, laiteuses et consistantes, constituent un mangerexcellent.

Seulement de la touffe verte, il était séparépar un fossé profond, une faille taillée en plein roc dans laquellel’humidité avait accumulé un cloaque boueux. Il s’agissait de lefranchir.

Encore il réfléchit : deux énormesbranches venaient en quelque sorte en devant l’une de l’autre,formant non pas un pont, mais une barre qui pouvait servir de voieaérienne.

Il fit un pas en avant, prêt à prendre sonélan : pourtant il s’arrêta, revint. Il hésitait à s’éloignerde l’enfant, sachant que ces solitudes cachent de terriblestrahisons, animaux visqueux rampant sous les ramures, fauves tapisdans les broussailles.

Tout était calme : pas un bruit, pas unmurmure.

L’enfant était bien, tranquillement couché surle lit de mousse, les branches d’arbres formant au-dessus de satête un berceau protecteur ; en ce repos profond, il respiraitrégulièrement, même une légère coloration montait à ses joues.

Tout était rassurant. L’Être eut un geste dedécision, et d’un pas résolu courut au fossé, tournant encore latête vers l’enfant qui ne bougeait pas. Il prit son élan, bondit,atteignit la première branche dont l’extrémité plia sous son poids,mais non pas assez pour qu’il ne parvint pas à saisir l’autrebranche, plus résistante, et ainsi par un geste alternatif, quilançait les bras l’un après l’autre, il parvint à l’autre bord del’abîme noire, se laissa glisser, arracha à poignées la lianenourrissante, qu’il suspendit à son cou et à ses épaules, puis avecde petits cris de joie, il reprit la voie périlleuse, suspendu à labranche qui l’avait déjà soutenu.

Mais voici que soudainement il y eut uncraquement… la branche se brisa, il fut précipité et tomba sur lapente glissante du fossé…

Qu’il allât jusqu’au fond et c’était la mortcertaine et atroce ; car la boue visqueuse et profonde lehapperait, l’envelopperait, l’enliserait… il savait cela, et de sesongles s’accrochait désespérément à la paroi où ses doigtsenfonçaient comme des chevilles de fer.

Mais la matière n’était pas assez compacte… ilsentait qu’elle fuyait sous ses doigts… il enfonça ses talons commedeux coins dans la terre détrempée… et encore il eut cettesensation horrible que tout cédait sous son poids…

Et au même instant, un cri terrible retentit,aigu, terrifiant…

La voix de l’enfant qui, de sa gorgecontractée, appelait au secours !…

Que se passait-il ? Ceci.

L’engourdissement dans lequel George étaitplongé, longtemps entretenu par la brutalité de la course, parcette agitation continuelle et secouante, peu à peu, en cettesédation d’immobilité, se dissipait. La fraîcheur qui tombait de lavoûte arborescente pénétrait ses membres délicats et en dénouait laraideur.

C’était une sensation de presque bien-être,avec cependant une légère excitation de fièvre qui enlevait encoreaux idées toute leur netteté.

Il ouvrit les yeux, et vit, aux lueursradieuses de l’aurore, tamisées par les arbres, l’étrange etmagnifique spectacle de la forêt immense, avec des arbrescolossaux, avec ses ramures liées inextricablement dont la voûteétait plus haute que celles des plus vastes cathédrales.

Il crut qu’il rêvait et ferma les yeux, pourles rouvrir encore.

Et ce fut alors qu’il poussa un cri sinistre,désespéré, fait de toutes ses terreurs du cauchemar.

Un singe monstrueux venait de bondir de laprofondeur des taillis, un véritable singe, celui-là, le Maouass,orang-outang, gorille, énorme, contrefait, au ventre ballonné, auxmembres noueux, aux jambes courtes et cagneuses, pliant sous lepoids de son torse colossal… Sa face était grimaçante. Près du nez,affreusement camard, les yeux clignotaient stupides etméchants…

Du haut de son observatoire aérien, le singeavait vu l’enfant étendu et un instinct mauvais, bestial, était néen lui de s’emparer de cette proie inconnue, dont jamais il n’avaitvu l’analogue, puisque jamais un être humain n’avait pénétré dansles mystérieuses profondeurs des forêts centrales de Sumatra.

Était-ce un appétit carnivore qui leguidait ? Non, puisque des singes même les plus féroces, iln’en est pas qui se nourrissent de chair. Il obéissait à l’instinctde la brutalité, au désir de la destruction.

Et se laissant tomber de branche en branche,le Maouass accourait vers l’enfant.

Que le malheureux Georges tombât entre sespattes énormes, c’était l’étranglement, le déchirement des membres,le brisement des os sur les rochers, en un jeu furieux etabominable de la brute déchaînée.

George avait-il deviné tout cela ? Iln’avait aperçu l’animal qu’au moment où celui-ci allait toucherterre… et dans son imagination d’enfant, la vision s’était affirméefantastique, démoniaque…

Il avait crié de toutes ses forces, à pleinspoumons, sans savoir, sans comprendre où il était, sans avoir mêmela notion d’un secours possible… et un mot avait jailli de seslèvres, ce mot que tous les petits prononcent et qui parfoisrevient sur les lèvres des vieillards à l’heure suprême…

« Maman ! maman ! »

Le cri avait été si aigu que le singe s’étaitarrêté un instant.

La brute, étant lâche, est prudente : ilavait cru de là-haut qu’il pouvait s’attaquer impunément à un êtrequi n’essaierait même pas de se défendre… il connaissait tous leshôtes des forêts et des montagnes, savait ceux qu’il était sûr dedompter, ceux devant lesquels il fallait fuir…

Et ce petit personnage qui soudain étaitdressé sur ses pieds, et, médusé par la surprise, horrifié, leregardait de ses yeux hagards, lui faisait presque peur.

Il se mit à quatre pattes, haussant le dos,tournant autour de l’enfant, s’arrêtant pour se gratter, puisfaisant de nouveau quelques pas pour reculer encore et encoreavancer.

« Maman ! maman ! »répétait follement le petit George.

Le singe se convainquit bientôt que cetinconnu, très faible, était à sa merci ; il bondit sur luid’un dernier élan.

Sentant la griffe sur lui, George, galvanisé,bondit en arrière et lui échappa. Mais, plus alerte, le monstre lerejoignit, lança ses ongles qui entrèrent dans le vêtement.

L’étoffe céda, resta aux griffes du singe quisecoua rageusement sa main, puis, décidé à en finir, se jetarésolument sur l’enfant qui cette fois était pris… et la bête semit à le traîner par les bras, vers la forêt, grinçant des dentsavec rage… George se débattait, hurlait, essayait d’arracher sespoignets à l’étreinte.

L’autre, exaspéré, se dressant sur ses jambes,lui lança les mains au cou… « Maman !maman !… »

Soudain, le singe reçut en plein front un coupviolent qui le fit rouler à terre.

C’était le sauveur.

L’Être de mystère qui, à la vue de l’enfant età la minute même où il se sentait couler dans l’abîme, avait faitun effort énorme, désespéré, était parvenu à bondir sur la crête dufossé.

Et maintenant il était devant l’enfant,dressant sa taille gigantesque et dardant ses mains formidablescontre l’assaillant.

Celui-ci, s’étant relevé, ne fuyait pas. Saface simiesque se convulsait et dans ses yeux clignotants passaientdes éclairs de rage, tandis que de sa gorge sortaient des crisaigus, inarticulés, comme des coups de clairon.

Il se rua sur son adversaire, d’une détente deses jarrets, car en lui il reconnaissait l’ennemi primordial, celuiqui, issu de même race, le méprisait et l’abhorrait : encoreune fois il lança son cri guttural.

Entre les deux êtres, l’un le singe, l’autrele demi-homme, la batailla s’engagea, furieuse, pour tuer : lesinge était d’une vigueur formidable ; l’autre, le colosse,n’était pas moins fort, mais ce qui le distinguait de la brute,c’était la coordination de ses mouvements et l’attention qu’ilapportait à sa défense ; tandis que le singe, en mouvementsfous, en gesticulations tout instinctives et désordonnées, lançaitdix fois ses membres à l’attaque, l’autre, plus maître de lui delui, frappait droit et visait juste.

Les coups résonnaient, sourds,terribles ; ils s’étreignirent enfin, le singe saisissant sonadversaire de ses quatre mains, l’enlaçant de ses bras et de sesjambes ; dans cette ruée bestiale, irraisonnée, le singe selivra, les mains de l’autre se refermèrent sur sa gorge, serrant,étouffant, et le vainqueur, tandis qu’il râlait, l’emporta versl’abîme de boue où il le précipita…

Le singe poussa un dernier cri, une clameurformidable, déchirante, et disparut…

Mais voici qu’à ce dernier cri qui avait étépeut-être un appel, de toutes les branches des arbres, des singesde toutes les tailles surgirent, accourant au secours de leurcompagnon.

Le demi-homme, son œuvre accomplie, étaitrevenu vers George. Il était temps, car la bande des singes étaitproche.

Il vit l’abominable danger : cette foulede singes allait les cerner tous deux… c’était la bataille atroce,inégale…

Rapidement il avait saisi l’enfant et l’avaitplacé derrière lui, contre un rocher, auquel, par un sentimentélémentaire de stratégie, il s’adossa lui-même, couvrant l’enfantde son corps ; puis, trouvant à sa portée un jeune troncd’arbre, il l’arracha d’une torsion et ainsi il se dressa, athlèteformidable, prêt à subir l’attaque.

Elle ne se fit pas attendre : les singesles premiers se ruèrent vers lui, jetant leurs longs bras en avant,comme cherchant à le harponner, tandis que d’autres, dévalisant lesarbres, s’armaient de projectiles, fruits, branches cassées, dontils le bombardaient.

Lui frappait, brisait des membres, ouvrait descrânes, mais les singes ne se décourageaient pas ; leurinstinct leur disait qu’ils arriveraient bien à le fatiguer,d’autant qu’il se passait cette chose dangereuse que le petit,affolé de terreur, s’accrochait aux jambes de son sauveur etpresque le paralysait.

Déjà les projectiles avaient atteint lelutteur qui, sur sa face brune, avait maintenant des tracessanglantes. Le terrible moulinet de son bras se ralentissait,encore quelques instants et il allait faiblir.

Alors, à son tour, il poussa un criformidable, étrangement modulé, qui certainement n’était passeulement une vocifération bestiale et dans laquelle dominaientdeux syllabes très claires :

« Tô-Hô ! Tô-Hô ! »

Et voici que dans le lointain d’autres crislui répondirent :

« Tô-Hô ! Tô-Hô ! »

Les singes, tout à leur bestiale exaspération,n’avaient rien entendu, rien compris : peut-être croyaient-ilsà un cri d’agonie désespérée. Lui, comme réconforté par uneespérance nouvelle, alors qu’il se sentait près d’être accablé parle nombre, avait tenté un effort suprême.

Rassemblant toutes ses forces, il s’étaitaccroché à un quartier de roche qu’il était parvenu à ébranler, etl’ayant arraché, il avait roulé devant lui et planté en terre,comme un rempart.

Sous cet abri provisoire qui au moins dérobaitaux coups une partie de son corps, il luttait encore, lançant sonarme sur les assaillants trop audacieux.

Mais les singes avaient pour eux le nombre,l’entêtement, l’instinct du mal.

Ils s’efforçaient de le surprendre, grimpantsur les troncs d’arbres, sautant de là sur la roche qui le couvraitpar derrière, se pendant au lianes et cherchant à le déchirer deleurs ongles ; encore un instant, et toute la horde allait luitomber sur les épaules, l’écraser sous son poids. Ses forcess’épuisaient.

« Tô-Hô ! Tô-Hô ! »

Tout à coup, une ruée formidable se mit àtravers la forêt, une poussée éperdue crevant les broussailles etles taillis : Tô-Hô ! Tô-Hô ! et un groupe d’êtresénormes, à la fois humains et simiesques, brandissant des bâtons oudans leurs poings des pierres aux angles aigus, se jetèrent sur lessinges…

Stupéfiant et grotesque tableaud’épouvante ! Les singes furent pris d’une indescriptiblepanique. Sur leurs masques difformes, la terreur étirait lesmuscles en des contractions convulsives, et c’était unbondissement, une dégringolade, une étonnante mêlée pour lafuite…

Ils se poussaient, se culbutaient, hideux etridicules, avec des glapissements d’une cacophonie déchirante,tandis que les arrivants les poursuivaient, assommant ceux qu’ilspouvaient atteindre, cinglant les autres à coups de pierres.

Parmi ceux-ci, il y avait des femelles, deforte taille : l’une d’elles, perçant les rangs, s’étaitélancée vers le blessé, d’un effort de ses muscles elle avaitrenversé la pierre derrière laquelle il s’abritait, et elle l’avaitsaisi dans ses bras, l’embrassant, cherchant à étancher le sang quicoulait sur son visage et se coagulait sur son torse velu, et ellemurmurait doucement les deux syllabes : « Tô-Hô !Tô-Hô ! » C’était évidemment son nom, à lui-même, qu’ilavait jeté comme un appel à travers la forêt : c’était celuique répétait sa compagne en lui prodiguant des signesd’affection.

Mais tout à coup elle vit l’enfant qui,effaré, se croyant toujours en plein cauchemar, s’accrochaitdésespérément à celui qu’il savait être son ami, son défenseur. Lafemelle, d’un geste instinctif et comme terrifié, voulut lerepousser : le petit se mit à gémir.

Tô-Hô entendit et, écartant ses grosses lèvresen un bon sourire, il prononça quelques syllabes à l’adresse de sacompagne. Celle-ci eut comme un haussement d’épaules, unfrémissement d’incrédulité et de révolte. Mais Tô-Hô posa sa largemain sur la tête de l’enfant, disant encore quelque chose, d’unaccent plaintif, dans lequel il y avait des larmes contenues, et lafemelle soudain eut un air navré, avec même, sous les paupières, degrosses larmes qui perlaient.

Alors elle prit l’enfant dans ses bras et leregarda longuement.

Elle eut un geste de décision, coucha l’enfantsur une de ses épaules et tendit à Tô-Hô son bras.

Il s’y appuya.

Les autres, mâles et femelles, semblaient enproie à la joie la plus vive, sans doute d’être arrivés à temps etd’avoir dispersé les singes, leurs éternels ennemis. Les plusjeunes se livraient à des danses folles, rythmant des pas qu’ilsaccompagnaient de cris singuliers qui ressemblaient à un chantbarbare.

Et sur un nouveau cri de Tô-Hô, tous segroupèrent autour de lui et de sa compagne qui portait l’enfant,George lui avait jeté ses deux bras autour du cou et s’endormaitépuisé…

La troupe s’enfonça dans la forêt.

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