À se tordre

Aussi loin derrière lui qu’il reportât ses souvenirs, il ne se rappelait pas une seule minute de veine dans sa pauvre vie. La guigne, toujours la guigne ! Et pourtant, chose étrange, jamais de cette série obstinément noire n’était résultée pour lui, l’ombre d’une jalousie ou d’une rancune.

Il aimait son prochain, et de tout son cœur le plaignait de la triste existence à laquelle il était voué.

Un beau jour, ou plutôt un fort vilain jour,il en eut assez de cette vie, par trop bête vraiment.

Tranquillement, sans phrases, sans correspondance posthume, sans attitude de mélodrame, il résolut de mourir. Non pas pour se tuer, mais très simplement pour cesser de vivre, parce que vivre sans jouir lui semblait d’une inutilité  flagrante.

Les différents genres de mort défilèrent dans son imagination, lugubres et indifférents.

Noyade, coup de pistolet, pendaison…

Il s’arrêta à ce dernier mode de suicide.

Puis, au moment de mourir, il lui vint une immense pitié pour ceux qui allaient continuer à vivre…

Une immense pitié et un vif désir de les soulager.

Alors, il s’enfonça dans la campagne, arriva dans des champs de colza, bordés de hauts peupliers.

Du plus haut de ces peupliers, il choisit la plus haute branche.

Avec l’agilité du chat sauvage – l’infortune n’avait pas abattu sa vigueur – il y grimpa, attacha une longue corde, combien longue ! Et s’y pendit.

Ses pieds touchaient presque le sol.

Et le lendemain, quand, devant le maire du village, on le décrocha, une quantité incroyable de gens purent,selon son désir suprême, se partager l’interminable corde, et ce  fut pour eux tous la source infinie de bonheurs durables.

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