Il ne voulait pas entrer au journal, préférantcauser avec Madeleine avant de revoir Walter et
d’écrire son article ; et il se mit en route pour
revenir chez lui.
Il atteignait la rue Drouot quand il s’arrêta
net ; il avait oublié de prendre des nouvelles du
comte de Vaudrec, qui demeurait Chaussée-d’Antin.
Il revint donc, flânant toujours, pensant
à mille choses, dans une songerie heureuse, à des
choses douces, à des choses bonnes, à la fortune
prochaine et aussi à cette crapule de Laroche et à
cette vieille teigne de patronne. Il ne s’inquiétait
point, d’ailleurs, de la colère de Clotilde, sachant
bien qu’elle pardonnait vite.
Quand il demanda au concierge de la maison
où demeurait le comte de Vaudrec :
– Comment va M. de Vaudrec ? On m’a appris
qu’il était souffrant, ces jours derniers.
L’homme répondit :
– M. le comte est très mal, monsieur. On croit
qu’il ne passera pas la nuit, la goutte est remontée
au cœur.
Du Roy demeura tellement effaré qu’il nesavait plus ce qu’il devait faire ! Vaudrec
mourant ! Des idées confuses passaient en lui,
nombreuses, troublantes, qu’il n’osait point
s’avouer à lui-même.
Il balbutia : « Merci… je reviendrai… », sans
comprendre ce qu’il disait.
Puis il sauta dans un fiacre et se fit conduire
chez lui.
Sa femme était rentrée. Il pénétra dans sa
chambre essoufflé et lui annonça tout de suite :
– Tu ne sais pas ? Vaudrec est mourant !
Elle était assise et lisait une lettre. Elle leva les
yeux et trois fois de suite répéta :
– Hein ? Tu dis ?… tu dis ?… tu dis ?…
– Je te dis que Vaudrec est mourant d’une
attaque de goutte remontée au cœur. Puis il
ajouta : Qu’est-ce que tu comptes faire ?
Elle s’était dressée, livide, les joues secouées
d’un tremblement nerveux, puis elle se mit à
pleurer affreusement, en cachant sa figure dans
ses mains. Elle demeurait debout, secouée par des
sanglots, déchirée par le chagrin.
Mais soudain elle dompta sa douleur, et,
s’essuyant les yeux :
– J’y… j’y vais… ne t’occupe pas de moi… je
ne sais pas à quelle heure je reviendrai… ne
m’attends point…
Il répondit :
– Très bien. Va.
Ils se serrèrent la main, et elle partit si vite
qu’elle oublia de prendre ses gants.
Georges, ayant dîné seul, se mit à écrire son
article. Il le fit exactement selon les intentions du
ministre, laissant entendre aux lecteurs que
l’expédition du Maroc n’aurait pas lieu. Puis il le
porta au journal, causa quelques instants avec le
patron et repartit en fumant, le cœur léger sans
qu’il comprît pourquoi.
Sa femme n’était pas rentrée. Il se coucha et
s’endormit.
Madeleine revint vers minuit. Georges,
réveillé brusquement, s’était assis dans son lit.
Il demanda :– Eh bien ?
Il ne l’avait jamais vue si pâle et si émue. Elle
murmura :
– Il est mort.
– Ah ! Et… il ne t’a rien dit ?
– Rien. Il avait perdu connaissance quand je
suis arrivée.
Georges songeait. Des questions lui venaient
aux lèvres qu’il n’osait point faire.
– Couche-toi, dit-il.
Elle se déshabilla rapidement, puis se glissa
auprès de lui.
Il reprit :
– Avait-il des parents à son lit de mort ?
– Rien qu’un neveu.
– Ah ! Le voyait-il souvent, ce neveu ?
– Jamais. Ils ne s’étaient point rencontrés
depuis dix ans.
– Avait-il d’autres parents ?
