Bel Ami

                     VI

L’église était tendue de noir, et, sur le portail,
un grand écusson coiffé d’une couronne
annonçait aux passants qu’on enterrait un
gentilhomme.
La cérémonie venait de finir, les assistants
s’en allaient lentement, défilant devant le cercueil
et devant le neveu du comte de Vaudrec, qui
serrait les mains et rendait les saluts.
Quand Georges Du Roy et sa femme furent
sortis, ils se mirent à marcher côte à côte, pour
rentrer chez eux. Ils se taisaient, préoccupés.
Enfin, Georges prononça, comme parlant à
lui-même :
– Vraiment, c’est bien étonnant !
Madeleine demanda :
– Quoi donc, mon ami ?
– Que Vaudrec ne nous ait rien laissé !

 Elle rougit brusquement, comme si un voile

rose se fût étendu tout à coup sur sa peau
blanche, en montant de la gorge au visage, et elle
dit :
– Pourquoi nous aurait-il laissé quelque
chose ? Il n’y avait aucune raison pour ça !
Puis, après quelques instants de silence, elle
reprit :
– Il existe peut-être un testament chez un
notaire. Nous ne saurions rien encore.
Il réfléchit, puis murmura :
– Oui, c’est probable, car, enfin, c’était notre
meilleur ami, à tous les deux. Il dînait deux fois
par semaine à la maison, il venait à tout moment.
Il était chez lui chez nous, tout à fait chez lui. Il
t’aimait comme un père, et il n’avait pas de
famille, pas d’enfants, pas de frères ni de sœurs,
rien qu’un neveu, un neveu éloigné. Oui, il doit y
avoir un testament. Je ne tiendrais pas à grand-
chose, un souvenir, pour prouver qu’il a pensé à
nous, qu’il nous aimait, qu’il reconnaissait
l’affection que nous avions pour lui. Il nous
devait bien une marque d’amitié.
Elle dit, d’un air pensif et indifférent :
– C’est possible, en effet, qu’il y ait un
testament.
Comme ils rentraient chez eux, le domestique
présenta une lettre à Madeleine. Elle l’ouvrit,
puis la tendit à son mari.

Étude de Me Lamaneur
Notaire
17, rue des Vosges

Madame,
J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien
passer à mon étude, de deux heures à quatre
heures, mardi, mercredi ou jeudi, pour affaire qui
vous concerne.
Recevez, etc.
Lamaneur.

Georges avait rougi, à son tour :

– Ça doit être ça. C’est drôle que ce soit toi
qu’il appelle, et non moi qui suis légalement le
chef de famille.
Elle ne répondit point d’abord, puis après une
courte réflexion :
– Veux-tu que nous y allions tout à l’heure ?
– Oui, je veux bien.
Ils se mirent en route dès qu’ils eurent
déjeuné.
Lorsqu’ils entrèrent dans l’étude de maître
Lamaneur, le premier clerc se leva avec un
empressement marqué et les fit pénétrer chez son
patron.
Le notaire était un petit homme tout rond,
rond de partout. Sa tête avait l’air d’une boule
clouée sur une autre boule que portaient deux
jambes si petites, si courtes qu’elles
ressemblaient aussi presque à des boules.
Il salua, indiqua des sièges, et dit en se
tournant vers Madeleine :

 – Madame, je vous ai appelée afin de vous

donner connaissance du testament du comte de
Vaudrec qui vous concerne.
Georges ne put se tenir de murmurer :
– Je m’en étais douté.
Le notaire ajouta :
– Je vais vous communiquer cette pièce, très
courte d’ailleurs.
Il atteignit un papier dans un carton devant lui,
et lut :

Je soussigné, Paul-Émile-Cyprien-Gontran,
comte de Vaudrec, sain de corps et d’esprit,
exprime ici mes dernières volontés.
La mort pouvant nous emporter à tout
moment, je veux prendre, en prévision de son
atteinte, la précaution d’écrire mon testament qui
sera déposé chez Me Lamaneur.
N’ayant pas d’héritiers directs, je lègue toute
ma fortune, composée de valeurs de bourse pour
six cent mille francs et de biens-fonds pour cinq
cent mille francs environ, à Mme Claire-
Madeleine Du Roy, sans aucune charge ou
condition. Je la prie d’accepter ce don d’un ami
mort, comme preuve d’une affection dévouée,
profonde et respectueuse.

Le notaire ajouta :
– C’est tout. Cette pièce est datée du mois
d’août dernier et a remplacé un document de
même nature, fait il y a deux ans, au nom de
Mme Claire-Madeleine Forestier. J’ai ce premier
testament qui pourrait prouver, en cas de
contestation de la part de la famille, que la
volonté de M. le comte de Vaudrec n’a point
varié.
Madeleine, très pâle, regardait ses pieds.
Georges, nerveux, roulait entre ses doigts le bout
de sa moustache. Le notaire reprit, après un
moment de silence :
– Il est bien entendu, monsieur, que madame
ne peut accepter ce legs sans votre consentement.

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