On ne dit rien pendant qu’on mangeait le
potage, puis Norbert de Varenne demanda :
« Avez-vous lu ce procès Gauthier ? Quelle drôle
de chose ! »
Et on discuta sur le cas d’adultère compliqué
de chantage. On n’en parlait point comme on
parle, au sein des familles, des événements
racontés dans les feuilles publiques, mais comme
on parle d’une maladie entre médecins ou de
légumes entre fruitiers. On ne s’indignait pas, on
ne s’étonnait pas des faits ; on en cherchait les
causes profondes, secrètes, avec une curiosité
professionnelle et une indifférence absolue pour
le crime lui-même. On tâchait d’expliquer
nettement les origines des actions, de déterminer
tous les phénomènes cérébraux dont était né le
drame, résultat scientifique d’un état d’esprit
particulier. Les femmes aussi se passionnaient à
cette poursuite, à ce travail. Et d’autres
événements récents furent examinés, commentés,
tournés sous toutes leurs faces, pesés à leur
valeur, avec ce coup d’œil pratique et cette
manière de voir spéciale des marchands de
nouvelles, des débitants de comédie humaine à la
ligne, comme on examine, comme on retourne et
comme on pèse, chez les commerçants, les objets
qu’on va livrer au public.
Puis il fut question d’un duel, et Jacques Rival
prit la parole. Cela lui appartenait : personne
autre ne pouvait traiter cette affaire.
Duroy n’osait point placer un mot. Il regardait
parfois sa voisine, dont la gorge ronde le
séduisait. Un diamant tenu par un fil d’or pendait
au bas de l’oreille, comme une goutte d’eau qui
aurait glissé sur la chair. De temps en temps, elle
faisait une remarque qui éveillait toujours un
sourire sur les lèvres. Elle avait un esprit drôle,
gentil, inattendu, un esprit de gamine
expérimentée qui voit les choses avec
insouciance et les juge avec un scepticisme léger
et bienveillant.
Duroy cherchait en vain quelque compliment à
lui faire, et, ne trouvant rien, il s’occupait de sa
fille, lui versait à boire, lui tenait ses plats, la
servait. L’enfant, plus sévère que sa mère,
remerciait avec une voix grave, faisait de courts
saluts de la tête : « Vous êtes bien aimable,
monsieur », et elle écoutait les grandes personnes
d’un petit air réfléchi.
Le dîner était fort bon, et chacun s’extasiait.
M. Walter mangeait comme un ogre, ne parlait
presque pas, et considérait d’un regard oblique,
glissé sous ses lunettes, les mets qu’on lui
présentait. Norbert de Varenne lui tenait tête et
laissait tomber parfois des gouttes de sauce sur
son plastron de chemise.
Forestier, souriant et sérieux, surveillait,
échangeait avec sa femme des regards
d’intelligence, à la façon de compères
accomplissant ensemble une besogne difficile et
qui marche à souhait.
Les visages devenaient rouges, les voix
s’enflaient. De moment en moment, le
domestique murmurait à l’oreille des convives :
« Corton – Château-Laroze ? »
Bel Ami
Avant 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115Suite
