Bel Ami

Il but d’abord son café qu’il craignait de

laisser tomber sur le tapis ; puis, l’esprit plus
libre, il chercha un moyen de se rapprocher de la
femme de son nouveau directeur et d’entamer
une conversation.
Tout à coup il s’aperçut qu’elle tenait à la
main sa tasse vide ; et, comme elle se trouvait
loin d’une table, elle ne savait où la poser. Il
s’élança.
– Permettez, madame.
– Merci, monsieur.
Il emporta la tasse, puis il revint :
– Si vous saviez, madame, quels bons
moments m’a fait passer La Vie Française quand
j’étais là-bas dans le désert. C’est vraiment le
seul journal qu’on puisse lire hors de France,
parce qu’il est plus littéraire, plus spirituel et
moins monotone que tous les autres. On trouve
de tout là-dedans.
Elle sourit avec une indifférence aimable, et
répondit gravement :
– M. Walter a eu bien du mal pour créer ce
type de journal, qui répondait à un besoin
nouveau.
Et ils se mirent à causer. Il avait la parole
facile et banale, du charme dans la voix,
beaucoup de grâce dans le regard et une
séduction irrésistible dans la moustache. Elle
s’ébouriffait sur sa lèvre, crépue, frisée, jolie,
d’un blond teinté de roux avec une nuance plus
pâle dans les poils hérissés des bouts.
Ils parlèrent de Paris, des environs, des bords
de la Seine, des villes d’eaux, des plaisirs de
l’été, de toutes les choses courantes sur lesquelles
on peut discourir indéfiniment sans se fatiguer
l’esprit.
Puis, comme M. Norbert de Varenne
s’approchait, un verre de liqueur à la main, Duroy
s’éloigna par discrétion.
Mme de Marelle, qui venait de causer avec
Forestier, l’appela : « Eh bien ! monsieur, dit-elle
brusquement, vous voulez donc tâter du
journalisme ? »
Alors il parla de ses projets, en termes vagues,
puis recommença avec elle la conversation qu’il
venait d’avoir avec Mme Walter ; mais, comme il
possédait mieux son sujet, il s’y montra
supérieur, répétant comme de lui des choses qu’il
venait d’entendre. Et sans cesse il regardait dans
les yeux sa voisine, comme pour donner à ce
qu’il disait un sens profond.
Elle lui raconta à son tour des anecdotes, avec
un entrain facile de femme qui se sait spirituelle
et qui veut toujours être drôle ; et, devenant
familière, elle posait la main sur son bras, baissait
la voix pour dire des riens, qui prenaient ainsi un
caractère d’intimité. Il s’exaltait intérieurement à
frôler cette jeune femme qui s’occupait de lui. Il
aurait voulu tout de suite se dévouer pour elle, la
défendre, montrer ce qu’il valait, et les retards
qu’il mettait à lui répondre indiquaient la
préoccupation de sa pensée.
Mais tout à coup, sans raison, Mme de Marelle
appela : « Laurine ! » et la petite fille s’en vint.
– Assieds-toi là, mon enfant, tu aurais froid
près de la fenêtre.
Et Duroy fut pris d’une envie folle
d’embrasser la fillette, comme si quelque chose
de ce baiser eût dû retourner à la mère.
Il demanda d’un ton galant et paternel :
– Voulez-vous me permettre de vous
embrasser, mademoiselle ?
L’enfant leva les yeux sur lui d’un air surpris.

Mme de Marelle dit en riant :
– Réponds : « Je veux bien, monsieur, pour
aujourd’hui ; mais ce ne sera pas toujours comme
ça. »

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer