C’était une nuit froide et sereine du
commencement de l’hiver. Les passants et les
chevaux allaient vite, piqués par une claire gelée.
Les talons sonnaient sur les trottoirs.
En le quittant, elle demanda :
– Veux-tu nous revoir après-demain ?
– Mais oui, certainement.
– À la même heure ?
– À la même heure.
– Adieu, mon chéri.
Et ils s’embrassèrent tendrement.
Puis il revint à grands pas, se demandant ce
qu’il inventerait le lendemain, afin de se tirer
d’affaire. Mais comme il ouvrit la porte de sa
chambre, il fouilla dans la poche de son gilet pour
y trouver des allumettes, et il demeura stupéfait
de rencontrer une pièce de monnaie qui roulait
sous son doigt.
Dès qu’il eut de la lumière, il saisit cette pièce
pour l’examiner. C’était un louis de vingt francs !
Il se pensa devenu fou.
Il le tourna, le retourna, cherchant par quel
miracle cet argent se trouvait là. Il n’avait
pourtant pas pu tomber du ciel dans sa poche.
Puis, tout à coup, il devina, et une colère
indignée le saisit. Sa maîtresse avait parlé, en
effet, de monnaie glissée dans la doublure et
qu’on retrouvait aux heures de pauvreté. C’était
elle qui lui avait fait cette aumône.
Quelle honte !
Il jura : « Ah ! bien, je vais la recevoir après-
demain ! Elle en passera un joli quart d’heure ! »
Et il se mit au lit, le cœur agité de fureur et
d’humiliation.
Il s’éveilla tard. Il avait faim. Il essaya de se
rendormir pour ne se lever qu’à deux heures ;
puis il se dit : « Cela ne m’avance à rien, il faut
toujours que je finisse par découvrir de l’argent. »
Puis il sortit, espérant qu’une idée lui viendrait
dans la rue.
Il ne lui en vint pas, mais en passant devant
chaque restaurant, un désir ardent de manger lui
mouillait la bouche de salive. À midi, comme il
n’avait rien imaginé, il se décida brusquement :
« Bah ! je vais déjeuner sur les vingt francs de
Clotilde. Cela ne m’empêchera pas de les lui
rendre demain. »
Il déjeuna donc dans une brasserie pour deux
francs cinquante. En entrant au journal il remit
encore trois francs à l’huissier. « Tenez, Foucart,
voici ce que vous m’avez prêté hier soir pour ma
voiture. »
Et il travailla jusqu’à sept heures. Puis il alla
dîner et prit de nouveau trois francs sur le même
argent. Les deux bocks de la soirée portèrent à
neuf francs trente centimes sa dépense du jour.
Mais comme il ne pouvait se refaire un crédit
ni se recréer des ressources en vingt-quatre
heures, il emprunta encore six francs cinquante le
lendemain sur les vingt francs qu’il devait rendre
le soir même, de sorte qu’il vint au rendez-vous
convenu avec quatre francs vingt dans sa poche.
Il était d’une humeur de chien enragé et se
promettait bien de faire nette tout de suite la
situation. Il dirait à sa maîtresse : « Tu sais, j’ai
trouvé les vingt francs que tu as mis dans ma
poche l’autre jour. Je ne te les rends pas
aujourd’hui parce que ma position n’a point
changé, et que je n’ai pas eu le temps de
m’occuper de la question d’argent. Mais je te les
remettrai la première fois que nous nous
verrons. »
Elle arriva, tendre, empressée, pleine de
craintes. Comment allait-il la recevoir ? Et elle
l’embrassa avec persistance pour éviter une
explication dans les premiers moments.
Il se disait, de son côté : « Il sera bien temps
tout à l’heure d’aborder la question. Je vais
chercher un joint. »
Il ne trouva pas de joint et ne dit rien, reculant
devant les premiers mots à prononcer sur ce sujet
délicat.
Elle ne parla point de sortir et fut charmante
de toute façon.
Ils se séparèrent vers minuit, après avoir pris
rendez-vous seulement pour le mercredi de la
semaine suivante, car Mme de Marelle avait
plusieurs dîners en ville de suite.
Le lendemain, en payant son déjeuner, comme
Duroy cherchait les quatre pièces de monnaie qui
devaient lui rester, il s’aperçut qu’elles étaient
cinq, dont une en or.
Au premier moment il crut qu’on lui avait
rendu, la veille, vingt francs par mégarde, puis il
comprit, et il sentit une palpitation de cœur sous
l’humiliation de cette aumône persévérante.
Comme il regretta de n’avoir rien dit ! S’il
avait parlé avec énergie, cela ne serait point
arrivé.
Pendant quatre jours il fit des démarches et
des efforts aussi nombreux qu’inutiles pour se
procurer cinq louis, et il mangea le second de
Clotilde.
