Bel Ami

Il dit, en souriant :
– Merci, vous êtes un ange… un ange gardien.
Puis ils parlèrent de choses et d’autres.
Il resta longtemps, voulant prouver qu’il avait
plaisir à se trouver près d’elle ; et, en la quittant,
il demanda encore :
– C’est entendu, nous sommes des amis ?
– C’est entendu.
Comme il avait senti l’effet de son
compliment, tout à l’heure, il l’appuya, ajoutant :
– Et si vous devenez jamais veuve, je
m’inscris.

 Puis il se sauva bien vite pour ne point lui

laisser le loisir de se fâcher.
Une visite à Mme Walter gênait un peu Duroy,
car il n’avait point été autorisé à se présenter chez
elle, et il ne voulait pas commettre de maladresse.
Le patron lui témoignait de la bienveillance,
appréciait ses services, l’employait de préférence
aux besognes difficiles ; pourquoi ne profiterait-il
pas de cette faveur pour pénétrer dans la maison ?
Un jour donc, s’étant levé de bonne heure, il
se rendit aux halles au moment des ventes, et il se
procura, moyennant une dizaine de francs, une
vingtaine d’admirables poires. Les ayant ficelées
avec soin dans une bourriche pour faire croire
qu’elles venaient de loin, il les porta chez le
concierge de la patronne avec sa carte où il avait
écrit :

              Georges Duroy

prie humblement Mme Walter d’accepter ces
quelques fruits qu’il a reçus ce matin de
Normandie.

 Il trouva le lendemain dans sa boîte aux

lettres, au journal, une enveloppe contenant, en
retour, la carte de Mme Walter qui remerciait bien
vivement M. Georges Duroy, et restait chez elle
tous les samedis.
Le samedi suivant, il se présenta.
M. Walter habitait, boulevard Malesherbes,
une maison double lui appartenant, et dont une
partie était louée, procédé économique de gens
pratiques. Un seul concierge, gîté entre les deux
portes cochères, tirait le cordon pour le
propriétaire et pour le locataire, et donnait à
chacune des entrées un grand air d’hôtel riche et
comme il faut par sa belle tenue de suisse
d’église, ses gros mollets emmaillotés en des bas
blancs, et son vêtement de représentation à
boutons d’or et à revers écarlates.
Les salons de réception étaient au premier
étage, précédés d’une antichambre tendue de
tapisseries et enfermée par des portières. Deux
valets sommeillaient sur des sièges. Un d’eux prit
le pardessus de Duroy, et l’autre s’empara de sa

canne, ouvrit une porte, devança de quelques pas
le visiteur, puis, s’effaçant, le laissa passer en
criant son nom dans un appartement vide.
Le jeune homme, embarrassé, regardait de
tous les côtés, quand il aperçut dans une glace des
gens assis et qui semblaient fort loin. Il se trompa
d’abord de direction, le miroir ayant égaré son
œil, puis il traversa encore deux salons vides pour
arriver dans une sorte de petit boudoir tendu de
soie bleue à boutons d’or où quatre dames
causaient à mi-voix autour d’une table ronde qui
portait des tasses de thé.
Malgré l’assurance qu’il avait gagnée dans son
existence parisienne et surtout dans son métier de
reporter qui le mettait incessamment en contact
avec des personnages marquants, Duroy se
sentait un peu intimidé par la mise en scène de
l’entrée et par la traversée des salons déserts.
Il balbutia : « Madame, je me suis permis… »
en cherchant de l’œil la maîtresse de la maison.
Elle lui tendit la main, qu’il prit en s’inclinant,
et lui ayant dit : « Vous êtes fort aimable,
monsieur, de venir me voir », elle lui montra un

siège où, voulant s’asseoir, il se laissa tomber,
l’ayant cru beaucoup plus haut.
On s’était tu. Une des femmes se remit à
parler. Il s’agissait du froid qui devenait violent,
pas assez cependant pour arrêter l’épidémie de
fièvre typhoïde ni pour permettre de patiner. Et
chacune donna son avis sur cette entrée en scène
de la gelée à Paris ; puis elles exprimèrent leurs
préférences dans les saisons, avec toutes les
raisons banales qui traînent dans les esprits
comme la poussière dans les appartements.

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