La disparition de Charles donna à Duroy une
importance plus grande dans la rédaction de La
Vie Française. Il signa quelques articles de fond,
tout en signant aussi ses échos, car le patron
voulait que chacun gardât la responsabilité de sa
copie. Il eut quelques polémiques dont il se tira
avec esprit ; et ses relations constantes avec les
hommes d’État le préparaient peu à peu à devenir
à son tour un rédacteur politique adroit et
perspicace.
Il ne voyait qu’une tache dans tout son
horizon. Elle venait d’un petit journal frondeur
qui l’attaquait constamment, ou plutôt qui
attaquait en lui le chef des échos de La Vie
Française, le chef des échos à surprises de M.
Walter, disait le rédacteur anonyme de cette
feuille appelée : La Plume. C’étaient, chaque
jour, des perfidies, des traits mordants, des
insinuations de toute nature.
Jacques Rival dit un jour à Duroy :
– Vous êtes patient.
L’autre balbutia :
– Que voulez-vous, il n’y a pas d’attaque
directe.
Or, un après-midi, comme il entrait dans la
salle de rédaction, Boisrenard lui tendit le numéro
de La Plume :
– Tenez, il y a encore une note désagréable
pour vous.
– Ah ! à propos de quoi ?
– À propos de rien, de l’arrestation d’une
dame Aubert par un agent des mœurs.
Georges prit le journal qu’on lui tendait, et lut,
sous ce titre : Duroy s’amuse.
L’illustre reporter de La Vie Française nous
apprend aujourd’hui que la dame Aubert, dont
nous avons annoncé l’arrestation par un agent de
l’odieuse brigade des mœurs, n’existe que dans
notre imagination. Or, la personne en question
demeure 18, rue de l’Écureuil, à Montmartre.
Nous comprenons trop, d’ailleurs, quel intérêt ou
quels intérêts peuvent avoir les agents de la
banque Walter à soutenir ceux du préfet de police
qui tolère leur commerce. Quant au reporter dont
il s’agit, il ferait mieux de nous donner
quelqu’une de ces bonnes nouvelles à sensation
dont il a le secret : nouvelles de morts démenties
le lendemain, nouvelles de batailles qui n’ont pas
eu lieu, annonce de paroles graves prononcées
par des souverains qui n’ont rien dit, toutes les
informations enfin qui constituent les « Profits
Walter », ou même quelqu’une des petites
indiscrétions sur des soirées de femmes à succès,
ou sur l’excellence de certains produits qui sont
d’une grande ressource à quelques-uns de nos
confrères.
Le jeune homme demeurait interdit, plus qu’irrité, comprenant seulement qu’il y avait là-
dedans quelque chose de fort désagréable pour lui.
