Bel Ami

Il reprit :
– La première fois que je vous ai vue (vous
savez bien, à ce dîner où m’avait invité
Forestier), j’ai pensé : « Sacristi, si je pouvais
découvrir une femme comme ça. » Eh bien ! c’est
fait. Je l’ai.
Elle murmura :
– C’est gentil. Et elle le regardait tout droit,
finement, de son œil toujours souriant.
Il songeait : « Je suis trop froid. Je suis
stupide. Je devrais aller plus vite que ça. » Et il
demanda :
– Comment aviez-vous donc fait la
connaissance de Forestier ?
Elle répondit, avec une malice provocante :
– Est-ce que nous allons à Rouen pour parler
de lui ?
Il rougit :
– Je suis bête. Vous m’intimidez beaucoup.
Elle fut ravie :

– Moi ! Pas possible ? D’où vient ça ?

Il s’était assis à côté d’elle, tout près. Elle
cria :
– Oh ! un cerf !
Le train traversait la forêt de Saint-Germain ;
et elle avait vu un chevreuil effrayé franchir d’un
bond une allée.
Duroy s’étant penché pendant qu’elle regardait
par la portière ouverte posa un long baiser, un
baiser d’amant dans les cheveux de son cou.
Elle demeura quelques moments immobile ;
puis, relevant la tête :
– Vous me chatouillez, finissez.
Mais il ne s’en allait point, promenant
doucement, en une caresse énervante et
prolongée, sa moustache frisée sur la chair
blanche.
Elle se secoua :
– Finissez donc.
Il avait saisi la tête de sa main droite glissée
derrière elle, et il la tournait vers lui. Puis il se

jeta sur sa bouche comme un épervier sur une
proie.
Elle se débattait, le repoussait, tâchait de se
dégager. Elle y parvint enfin, et répéta :
– Mais finissez donc.
Il ne l’écoutait, plus, l’étreignant, la baisant
d’une lèvre avide et frémissante, essayant de la
renverser sur les coussins du wagon.
Elle se dégagea d’un grand effort, et, se levant
avec vivacité :
– Oh ! voyons, Georges, finissez. Nous ne
sommes pourtant plus des enfants, nous pouvons
bien attendre Rouen.
Il demeurait assis, très rouge, et glacé par ces
mots raisonnables ; puis, ayant repris quelque
sang-froid :
– Soit, j’attendrai, dit-il avec gaieté, mais je ne
suis plus fichu de prononcer vingt paroles jusqu’à
l’arrivée. Et songez que nous traversons Poissy.
– C’est moi qui parlerai, dit-elle.
Elle se rassit doucement auprès de lui.

Et elle parla, avec précision, de ce qu’ils

feraient à leur retour. Ils devaient conserver
l’appartement qu’elle habitait avec son premier
mari, et Duroy héritait aussi des fonctions et du
traitement de Forestier à La Vie Française.
Avant leur union, du reste, elle avait réglé,
avec une sûreté d’homme d’affaires, tous les
détails financiers du ménage.
Ils s’étaient associés sous le régime de la
séparation de biens, et tous les cas étaient prévus
qui pouvaient survenir : mort, divorce, naissance
d’un ou de plusieurs enfants. Le jeune homme
apportait quatre mille francs, disait-il, mais, sur
cette somme, il en avait emprunté quinze cents.
Le reste provenait d’économies faites dans
l’année, en prévision de l’événement. La jeune
femme apportait quarante mille francs que lui
avait laissés Forestier, disait-elle.
Elle revint à lui, citant son exemple :
– C’était un garçon très économe, très rangé,
très travailleur. Il aurait fait fortune en peu de
temps.

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