Contes – Tome II

La Princesse Belle-Étoile

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Il était une fois une princesse àlaquelle il ne restait plus rien de ses grandeurs passées que sondais et son cadenas&|160;; l’un était de velours, en broderies deperles, et l’autre d’or, enrichi de diamants. Elle les garda tantqu’elle put&|160;; mais l’extrême nécessité où elle se trouvaitréduite, l’obligeait de temps en temps à détacher une perle, undiamant, une émeraude, et cela se vendait secrètement pour nourrirson équipage. Elle était veuve, chargée de trois filles très jeuneset très aimables. Elle comprit que si elle les élevait dans un airde grandeur et de magnificence convenable à leur rang, elles seressentiraient davantage dans la suite de leurs disgrâces. Elleprit donc la résolution de vendre le peu qui lui restait, et des’en aller bien loin avec ses trois filles s’établir dans quelquemaison de campagne, où elles feraient une dépense convenable à leurpetite fortune. En passant dans une forêt très dangereuse, elle futvolée, de sorte qu’il ne lui resta presque plus rien. Cette pauvreprincesse, plus chagrine de ce dernier malheur que de tous ceux quil’avaient précédé, connut bien qu’il fallait gagner sa vie oumourir de faim. Elle avait aimé autrefois la bonne chère, et savaitfaire des sauces excellentes. Elle n’allait jamais sans sa petitecuisine d’or, que l’on venait voir de bien loin. Ce qu’elle avaitfait pour se divertir, elle le fit alors pour subsister. Elles’arrêta proche d’une grande ville, dans une maison fortjolie&|160;; elle y faisait des ragoûts merveilleux&|160;; l’onétait friand dans ce pays-là, de sorte que tout le monde accouraitchez elle. L’on ne parlait que de la bonne fricasseuse, à peine luidonnait-on le temps de respirer. Cependant ses trois fillesdevenaient grandes&|160;; et leur beauté n’aurait pas fait moins debruit que les sauces de la princesse, si elle ne les avait cachéesdans une chambre, d’où elles sortaient très rarement.

Un jour des plus beaux de l’année, ilentra chez elle une petite vieille, qui paraissait bienlasse&|160;; elle s’appuyait sur un bâton, son corps était toutcourbé, et son visage plein de rides.

«&|160;Je viens, dit-elle, afin que vousme fassiez un bon repas, car je veux, avant que d’aller en l’autremonde, pouvoir m’en vanter en celui-ci.&|160;»

Elle prit une chaise de paille, se mitauprès du feu et dit à la princesse de se hâter. Comme elle nepouvait pas tout faire, elle appela ses trois filles&|160;: l’aînéeavait nom Roussette, la seconde Brunette, et la dernière Blondine.Elle leur avait donné ces noms par rapport à la couleur de leurscheveux. Elles étaient vêtues en paysannes, avec des corsets et desjupes de différentes couleurs. La cadette était la plus belle et laplus douce. Leur mère commanda à l’une d’aller quérir de petitspigeons dans la volière, à l’autre de tuer des poulets, à l’autrede faire la pâtisserie. Enfin, en moins d’un moment, elles mirentdevant la vieille un couvert très propre, du linge fort blanc, dela vaisselle de terre bien vernissée, et on la servit à plusieursservices. Le vin était bon, la glace n’y manquait pas, les verresrincés à tous moments par les plus belles mains du monde&|160;;tout cela donnait de l’appétit à la vieille petite bonne femme. Sielle mangea bien, elle but encore mieux. Elle se mit en pointe devin&|160;; elle disait mille choses, où la princesse, qui nefaisait pas semblant d’y prendre garde, trouvait beaucoupd’esprit.

Le repas finit aussi gaiement qu’ilavait commencé&|160;; la vieille se leva, elle dit à laprincesse&|160;:

«&|160;Ma grande amie, si j’avais del’argent, je vous paierais, mais il y a si longtemps que je suisruinée&|160;; j’avais besoin de vous trouver pour faire si bonnechère&|160;: tout ce que je puis vous promettre, c’est de vousenvoyer de meilleures pratiques que la mienne.&|160;»

La princesse se prit à sourire, et luidit gracieusement&|160;:

«&|160;Allez, ma bonne mère, ne vousinquiétez point, je suis toujours assez payée quand je fais quelqueplaisir.

– Nous avons été ravies de vous servir,dit Blondine, et si vous vouliez souper ici, nous ferions encoremieux.

– Oh&|160;! que l’on est heureux,s’écria la vieille, lorsqu’on est né avec un cœur sibienfaisant&|160;! mais croyez-vous n’en pas recevoir larécompense&|160;? Soyez certaines, continua-t-elle, que le premiersouhait que vous ferez sans songer à moi, seraaccompli.&|160;»

En même temps elle disparut, et ellesn’eurent pas lieu de douter que ce ne fût une fée.

Cette aventure les étonna&|160;: ellesn’en avaient jamais vu&|160;: elles étaient peureuses&|160;; desorte que pendant cinq ou six mois elles en parlèrent&|160;; etsitôt qu’elles désiraient quelque chose, elles pensaient à elle.Rien ne réussissait, dont elles étaient fortement en colère contrela fée. Mais un jour que le roi allait à la chasse, il passa chezla bonne fricasseuse, pour voir si elle était aussi habile qu’ondisait&|160;; et comme il approchait du jardin avec grand bruit,les trois sœurs qui cueillaient des fraisesl’entendirent.

«&|160;Ah&|160;! dit Roussette, sij’étais assez heureuse pour épouser monseigneur l’amiral, je mevante que je ferais avec mon fuseau et ma quenouille tant de fil,et de ce fil tant de toile, qu’il n’aurait plus besoin d’en acheterpour les voiles de ses navires.

– Et moi, dit Brunette, si la fortunem’était assez favorable pour me faire épouser le frère du roi, jeme vante qu’avec mon aiguille, je lui ferais tant de dentelles,qu’il en verrait son palais rempli.

– Et moi, ajouta Blondine, je me vanteque si le roi m’épousait, j’aurais, au bout de neuf mois, deuxbeaux garçons et une belle fille&|160;; que leurs cheveuxtomberaient par anneaux, répandant de fines pierres, avec unebrillante étoile sur le front, et le cou entouré d’une riche chaîned’or.&|160;»

Un des favoris du roi, qui s’étaitavancé pour avertir l’hôtesse de sa venue, ayant entendu parlerdans le jardin, s’arrêta sans faire aucun bruit, et fut biensurpris de la conversation de ces trois belles filles. Il allapromptement la redire au roi pour le réjouir&|160;; il en rit eneffet, et commanda qu’on les fît venir devant lui.

Elles parurent aussitôt d’un air etd’une grâce merveilleux. Elles saluèrent le roi avec beaucoup derespect et de modestie&|160;; et lorsqu’il demanda s’il était vraiqu’elles venaient de s’entretenir des époux qu’elles désiraient,elles rougirent et baissèrent les yeux&|160;: il les pressa encoredavantage de l’avouer&|160;; elles en convinrent, et il s’écriaaussitôt&|160;:

«&|160;Certainement je ne sais quellepuissance agit sur moi, mais je ne sortirai pas d’ici que je n’aieépousé la belle Blondine.

– Sire, dit le frère du roi, je vousdemande permission de me marier avec cette joliebrunette.

– Accordez-moi la même grâce, ajoutal’amiral, car la rousse me plaît infiniment.&|160;»

Le roi, bien aise d’être imité par lesplus grands de son royaume, leur dit qu’il approuvait leur choix,et demanda à la mère si elle le voulait bien. Elle répondit quec’était la plus grande joie qu’elle pût jamais avoir. Le roil’embrassa, le prince et l’amiral n’en firent pas moins.

Quand le roi fut prêt à dîner, on vitdescendre par la cheminée une table de sept couverts d’or, et toutce qu’on peut imaginer de plus délicat pour faire un bon repas.Cependant le roi hésitait à manger, il craignait que l’on n’eûtaccommodé les viandes au sabbat&|160;; et cette manière de servirpar la cheminée lui était un peu suspecte.

Le buffet s’arrangea, l’on ne voyait quebassins et vases d’or, dont le travail surpassait la matière. Enmême temps un essaim de mouches à miel parut dans des ruches decristal, et commença la plus charmante musique qui se puisseimaginer. Toute la salle était pleine de frelons, de mouches, deguêpes et de moucherons, et d’autres bestiolinettes de cetteespèce, qui servaient le roi avec une adresse surnaturelle. Troisou quatre mille bibets lui apportaient à boire, sans qu’un seulosât se noyer dans le vin, ce qui est d’une modération et d’unediscipline étonnantes. La princesse et ses filles pénétraient assezque tout ce qui se passait ne pouvait s’attribuer qu’à la petitevieille&|160;: elles bénissaient l’heure où elles l’avaientconnue.

Après le repas, qui fut si long que lanuit surprit la compagnie à table, dont sa majesté ne laissa pasd’avoir un peu de honte, car il semblait que dans cet hymen,Bacchus avait pris la place de Cupidon, le roi se leva, etdit&|160;:

«&|160;Achevons la fête par où elledevait commencer.&|160;»

Il tira sa bague de son doigt, et la mitdans celui de Blondine, le prince et l’amiral l’imitèrent. Lesabeilles redoublèrent leurs chants. L’on dansa, l’on seréjouit&|160;; et tous ceux qui avaient suivi le roi vinrent saluerla reine et la princesse. Pour l’amirale, on ne lui faisait pastant de cérémonies, dont elle se désespérait, car elle étaitl’aînée de Brunette et de Blondine, et se trouvait moins bienmariée.

Le roi envoya son grand écuyer apprendreà la reine sa mère ce qui venait de se passer, et pour faire venirses plus magnifiques chariots, afin d’emmener la reine Blondineavec ses deux sœurs. La reine-mère était la plus cruelle de toutesles femmes, et la plus emportée. Quand elle sut que son filss’était marié sans sa participation, et surtout à une fille d’unenaissance si obscure, et que le prince en avait fait autant, elleentra dans une telle colère, qu’elle effraya toute la cour. Elledemanda au grand écuyer quelle raison avait pu engager le roi à unsi indigne mariage&|160;? Il lui dit que c’était l’espéranced’avoir deux garçons et une fille dans neuf mois, qui naîtraientavec de grands cheveux bouclés, des étoiles sur la tête, et chacunune chaîne d’or au cou, et que des choses si rares l’avaientcharmé. La reine-mère sourit dédaigneusement de la crédulité de sonfils&|160;; elle dit là-dessus bien des choses offensantes, quimarquaient assez sa fureur.

Les chariots étaient déjà arrivés à lapetite maisonnette. Le roi convia sa belle-mère à le suivre, et luipromit qu’elle serait regardée avec toute sorte de distinction.Mais elle pensa aussitôt que la cour est une mer toujoursagitée.

«&|160;Sire, lui dit-elle, j’ai tropd’expérience des choses du monde pour quitter le repos que je n’aiacquis qu’avec beaucoup de peine.

– Quoi&|160;! répliqua le roi,voulez-vous continuer à tenir hôtellerie&|160;?

– Non, dit-elle, vous me ferez quelquebien pour vivre.

– Souffrez au moins, ajouta-t-il, que jevous donne un équipage et des officiers.

– Je vous en rends grâce,dit-elle&|160;; quand je suis seule, je n’ai point d’ennemis qui metourmentent&|160;; mais si j’avais des domestiques, je craindraisd’en trouver en eux.&|160;»

Le roi admira l’esprit et la modérationd’une femme qui pensait et qui parlait comme unphilosophe.

Pendant qu’il pressait sa belle-mère devenir avec lui, l’amirale Rousse faisait cacher au fond de sonchariot tous les beaux bassins et les vases d’or du buffet, voulanten profiter sans rien laisser&|160;; mais la fée qui voyait tout,bien que personne ne la vît, les changea en cruches de terre.Lorsqu’elle fut arrivée, et qu’elle voulut les emporter dans soncabinet, elle ne trouva rien qui en valût la peine.

Le roi et la reine embrassèrenttendrement la sage princesse, et l’assurèrent qu’elle pourraitdisposer à sa volonté de tout ce qu’ils avaient. Ils quittèrent leséjour champêtre, et vinrent à la ville, précédés des trompettes,des hautbois, des timbales et des tambours qui se faisaiententendre bien loin. Les confidents de la reine-mère lui avaientconseillé de cacher sa mauvaise humeur, parce que le roi s’enoffenserait, et que cela pourrait avoir des suites fâcheuses&|160;:elle se contraignit donc, et ne fît paraître que de l’amitié à sesdeux belles-filles, leur donnant des pierreries et des louangesindifféremment sur tout ce qu’elles faisaient bien oumal.

La reine Blondine et la princesseBrunette étaient étroitement unies&|160;; mais à l’égard del’amirale Rousse, elle les haïssait mortellement.

«&|160;Voyez, disait-elle, la bonnefortune de mes deux sœurs&|160;: l’une est reine, l’autre princessedu sang, leurs maris les adorent&|160;; et moi, qui suis l’aînée,qui me trouve cent fois plus belle qu’elles, je n’ai qu’un amiralpour époux, dont je ne suis point chérie comme je devraisl’être.&|160;»

La jalousie qu’elle avait contre sessœurs, la rangea du parti de la reine-mère&|160;; car l’on savaitbien que la tendresse qu’elle témoignait à ses belles-fillesn’était qu’une feinte, et qu’elle trouverait avec plaisirl’occasion de leur faire du mal.

La reine et la princesse devinrentgrosses, et par malheur une grande guerre étant survenue, il fallutque le roi partît pour se mettre à la tête de son armée. La jeunereine et la princesse étant obligées de rester sous le pouvoir dela reine-mère, la prièrent de trouver bon qu’elles retournassentchez leur mère, afin de se consoler avec elle d’une si cruelleabsence. Le roi n’y put consentir. Il conjura sa femme de rester aupalais, il l’assura que sa mère en userait bien. En effet, il lapria avec la dernière instance d’aimer sa belle-fille, et d’enavoir soin. Il ajouta qu’elle ne pouvait l’obliger plussensiblement, qu’il espérait lui avoir de beaux enfants, et qu’ilen attendait les nouvelles avec beaucoup d’inquiétude. Cetteméchante reine, ravie de ce que son fils lui confiait sa femme, luipromit de ne songer qu’à sa conservation, et l’assura qu’il pouvaitpartir avec un entier repos d’esprit. Ainsi il s’en alla dans unesi forte envie de revenir bientôt, qu’il hasardait ses troupes entoutes rencontres&|160;; et son bonheur faisait non seulement quesa témérité lui réussissait toujours, mais encore qu’il avançaitfort ses affaires, la reine accoucha avant son retour. La princessesa sœur eut le même jour un beau garçon, elle mourutaussitôt.

L’amirale Rousse était fort occupée desmoyens de nuire à la jeune reine. Quand elle lui vit des enfants sijolis, et qu’elle n’en avait point, sa fureur augmenta&|160;; elleprit la résolution de parler promptement à la reine-mère, car iln’y avait pas de temps à perdre.

«&|160;Madame, lui dit-elle, je suis sitouchée de l’honneur que votre majesté m’a fait en me donnantquelque part dans ses bonnes grâces, que je me dépouille volontiersde mes propres intérêts pour ménager les vôtres&|160;; je comprendstous les déplaisirs dont vous êtes accablée depuis les indignesmariages du roi et du prince. Voilà quatre enfants qui vontéterniser la faute qu’ils ont commise&|160;: notre pauvre mère estune pauvre villageoise qui n’avait pas de pain quand elle s’estavisée de devenir fricasseuse&|160;; croyez-moi, madame, faisonsune fricassée aussi de tous ces petits marmots, et les ôtons dumonde avant qu’ils vous fassent rougir.

– Ah&|160;! ma chère amirale, dit lareine en l’embrassant, que je t’aime d’être si équitable, et departager, comme tu fais, mes justes déplaisirs&|160;! J’avais déjàrésolu d’exécuter ce que tu me proposes, il n’y a que la manièrequi m’embarrasse.

– Que cela ne vous fasse point de peine,reprit la Rousse, ma doguine vient de faire deux chiens et unechienne&|160;; ils ont chacun une étoile sur le front, avec unemarque autour du cou, qui fait une espèce de chaîne. Il faut faireaccroire à la reine qu’elle est accouchée de toutes ces petitesbêtes, et prendre les deux fils, la fille et le fils de laprincesse, que l’on fera mourir.

– Ton dessein me plaît infiniment,s’écria-t-elle, j’ai déjà donné des ordres là-dessus à Feintise, sadame d’honneur, de sorte qu’il faut avoir les petitschiens.

– Les voilà, dit l’amirale, je les aiapportés.&|160;»

Aussitôt elle ouvrit une grande boursequ’elle avait toujours à son côté, elle en tira trois doguinesbêtes, que la reine et elle emmaillotèrent comme les enfants de lareine auraient dû être, et tout ornées de dentelles et de langesbrochés d’or. Elles les arrangèrent dans une corbeille couverte,puis cette méchante reine, suivie de la rousse, se rendit auprès dela reine.

«&|160;Je viens vous remercier, luidit-elle, des beaux héritiers que vous donnez à mon fils, voilà destêtes bien faites pour porter une couronne. Je ne m’étonne pas sivous promettiez à votre mari deux fils et une fille avec desétoiles sur le front, de longs cheveux, et des chaînes d’or au cou.Tenez, nourrissez-les, car il n’y a point de femme qui veuilledonner à téter à des chiens.&|160;»

La pauvre reine, qui était accablée dumal qu’elle avait souffert, pensa mourir de douleur quand elleaperçut ces trois chiennes de bêtes, et qu’elle vit cette espèce dedoguinerie qui faisait sur son lit un bruit désespéré&|160;: ellese mit à pleurer amèrement, puis joignant sesmains&|160;:

«&|160;Hélas&|160;! madame, dit-elle,n’ajoutez point des reproches à mon affliction, elle ne peutassurément être plus grande. Si les dieux avaient permis ma mortavant que j’eusse reçu l’affront de me voir mère de ces petitsmonstres, je me serais estimée trop heureuse&|160;: hélas&|160;!que ferai-je&|160;? Le roi va me haïr autant qu’il m’aaimée.&|160;»

Les soupirs et les sanglots étouffèrentsa voix, elle n’eut plus de force pour parler&|160;; et lareine-mère, continuant à lui dire des injures, eut le plaisir depasser ainsi trois heures au chevet de son lit.

Elle s’en alla ensuite&|160;; et sasœur, qui feignait de partager ses déplaisirs, lui dit qu’ellen’était pas la première à qui semblable malheur était arrivé&|160;;qu’on voyait bien que c’était là un tour de cette vieille fée quileur avait promis tant de merveilles&|160;; mais que comme ilserait peut-être dangereux pour elle de voir le roi, elle luiconseillait de s’en aller chez leur pauvre mère avec ses troisenfants de chien. La reine ne lui répondit que par ses larmes. Ilfallait avoir le cœur bien dur, pour n’être pas touché de l’état oùelles la réduisaient&|160;! Elle donna à téter à ces vilainschiens, croyant en être la mère.

La reine commanda à Feintise de prendreles enfants de la reine avec le fils de la princesse, de lesétrangler et de les enterrer si bien, qu’on n’en sût jamais rien.Comme elle était sur le point d’exécuter cet ordre, et qu’elletenait déjà le cordeau fatal, elle jeta les yeux sur eux, et lestrouva si merveilleusement beaux, et vit qu’ils marquaient tant dechoses extraordinaires par les étoiles qui brillaient à leur front,qu’elle n’osa porter ses criminelles mains sur un sang siauguste.

Elle fit amener une chaloupe au bord dela mer, elle y mit les quatre enfants dans un même berceau etquelques chaînes de pierreries, afin que si la fortune lesconduisait entre les mains d’une personne assez charitable pour lesvouloir nourrir, elle en trouvât aussitôt sa récompense.

La chaloupe poussée par un grand vents’éloigna si vite du rivage, que Feintise la perdit de vue&|160;;mais en même temps les vagues s’enflèrent, et le soleil se cacha,les nues se fondirent en eau, mille éclats de tonnerre faisaientretentir tous les environs. Elle ne douta point que la petitebarque ne fût submergée&|160;; et elle ressentit de la joie de ceque ces pauvres innocents étaient péris, car elle aurait toujoursappréhendé quelque événement extraordinaire en leurfaveur.

Le roi, sans cesse occupé de sa chèreépouse et de l’état où il l’avait laissée, ayant une trêve pour peude temps, revint en poste&|160;: il arriva douze heures aprèsqu’elle fut accouchée. Quand la reine-mère le sut, elle allaau-devant de lui avec un air composé de douleur&|160;; elle le tintlongtemps serré entre ses bras, lui mouillant le visage delarmes&|160;; il semblait que sa douleur l’empêchait de parler. Leroi, tout tremblant, n’osait demander ce qui était arrivé, car ilne doutait pas que ce ne fussent de fort grands malheurs. Enfinelle fit un effort pour lui raconter que sa femme était accouchéede trois chiens&|160;: aussitôt Feintise les présenta, et l’amiraletoute en pleurs se jetant aux pieds du roi, le supplia de ne pointfaire mourir la reine, et de se contenter de la renvoyer chez samère, qu’elle y était déjà résolue, et qu’elle recevrait cetraitement comme une grande grâce.

Le roi était si éperdu, qu’il pouvait àpeine respirer&|160;: il regardait les doguins, et remarquait avecsurprise cette étoile qu’ils avaient au milieu du front, et lacouleur différente qui faisait le tour de leur cou. Il se laissatomber sur un fauteuil, roulant dans son esprit mille pensées, etne pouvant prendre une résolution fixe&|160;; mais la reine-mère lepressa si fort, qu’il prononça l’exil de l’innocente reine.Aussitôt on la mit dans une litière avec ses trois chiens&|160;; etsans avoir aucuns égards pour elle, on la conduisit chez sa mère,où elle arriva presque morte.

Les dieux avaient regardé d’un œil depitié la barque où les trois princes étaient avec la princesse. Lafée qui les protégeait fit tomber, au lieu de pluie, du lait dansleurs petites bouches&|160;; ils ne souffrirent point de cet orageépouvantable qui s’était élevé si promptement. Enfin ils voguèrentsept jours et sept nuits&|160;; ils étaient en pleine mer aussitranquilles que sur un canal, lorsqu’ils furent rencontrés par unvaisseau corsaire. Le capitaine ayant été frappé, quoique d’assezloin, du brillant éclat des étoiles qu’ils avaient sur le front,aborda la chaloupe, persuadé qu’elle était pleine de pierreries. Ily en trouva en effet&|160;; et ce qui le toucha davantage, ce futla beauté des quatre merveilleux enfants. Le désir de les conserverl’engagea à retourner chez lui pour les donner à sa femme qui n’enavait point, et qui en souhaitait depuis longtemps.

Elle s’inquiéta fort de le voir revenirsi promptement, car il allait faire un voyage de long cours&|160;;mais elle fut transportée de joie quand il remit entre ses mains untrésor si considérable&|160;; ils admirèrent ensemble la merveilledes étoiles, la chaîne d’or qui ne pouvait s’ôter de leur cou, etleurs longs cheveux. Ce fut bien autre chose lorsque cette femmeles peigna, car il en tombait à tous moments des perles, des rubis,des diamants, des émeraudes de différentes grandeurs et toutesparfaites&|160;: elle en parla à son mari, qui ne s’en étonna pasmoins qu’elle.

«&|160;Je suis bien las, lui dit-il, dumétier de corsaire&|160;; si les cheveux de ces petits enfantscontinuent à nous donner des trésors, je ne veux plus courir lesmers, et mon bien sera aussi considérable que celui de nos plusgrands capitaines.&|160;»

La femme du corsaire, qui se nommaitCorsine, fut ravie de la résolution de son mari, elle en aimadavantage ces quatre enfants&|160;; elle nomme la princesse,Belle-Étoile&|160;; son frère aîné, Petit-Soleil, le second,Heureux, et le fils aîné de la princesse, Chéri. Il était si fortau-dessus des deux autres pour sa beauté, qu’encore qu’il n’eût niétoile, ni chaîne, Corsine l’aimait plus que les autres.

Comme elle ne pouvait les élever sans lesecours de quelque nourrice, elle pria son mari, qui aimaitbeaucoup la chasse, de lui attraper des faons tout petits&|160;; ilen trouva le moyen, car la forêt où ils demeuraient était fortspacieuse. Corsine les ayant, elle les exposa du côté duvent&|160;; les biches, qui les sentirent, accoururent pour leurdonner à téter. Corsine les cacha, et mit à la place les enfants,qui s’accommodèrent à merveille du lait de biche. Tous les joursdeux fois elles venaient quatre de compagnie jusque chez Corsine,chercher les princes et la princesse, qu’elles prenaient pour lesfaons.

C’est ainsi que se passa la tendrejeunesse des princes&|160;: le corsaire et sa femme les aimaient sipassionnément qu’ils leur donnaient tous leurs soins. Cet hommeavait été bien élevé&|160;: c’était moins par inclination que parbizarrerie de la fortune qu’il était devenu corsaire. Il avaitépousé Corsine chez une princesse où son esprit s’étaitheureusement cultivé&|160;; elle savait vivre, et quoiqu’elle setrouvât dans une espèce de désert, où ils ne subsistaient que deslarcins qu’il faisait dans ses courses, elle n’avait point encoreoublié l’usage du monde&|160;; ils avaient la dernière joie den’être plus en obligation de s’exposer à tous les périls attachésau métier de corsaire, ils devenaient assez riches sans cela. Detrois en trois jours, il tombait, comme je l’ai déjà dit, descheveux de la princesse et de ses frères, des pierreriesconsidérables, que Corsine allait vendre à la ville la plus proche,et elle en rapportait mille gentillesses pour ses quatremarmots.

Quand ils furent sortis de la premièreenfance, le corsaire s’appliqua sérieusement à cultiver le beaunaturel dont le ciel les avait doués&|160;; et comme il ne doutaitpoint qu’il n’y eût de grands mystères cachés dans leur naissanceet dans la rencontre qu’il en avait faite, il voulut reconnaîtrepar leur éducation ce présent des dieux&|160;; de sorte qu’aprèsavoir rendu sa maison plus logeable, il attira chez lui despersonnes de mérite, qui leur apprirent diverses sciences avec unefacilité qui surprenait tous ces grands maîtres.

Le corsaire et sa femme n’avaient jamaisdit l’aventure des quatre enfants. Ils passaient pour être lesleurs, quoiqu’ils marquassent, par toutes leurs actions, qu’ilssortaient d’un sang plus illustre. Ils étaient très unis entreeux&|160;; il s’y trouvait du naturel et de la politesse, mais leprince Chéri avait pour la princesse Belle-Étoile des sentimentsplus empressés et plus vifs que les deux autres&|160;; dès qu’ellesouhaitait quelque chose, il tentait jusqu’à l’impossible pour lasatisfaire&|160;; il ne la quittait presque jamais&|160;;lorsqu’elle allait à la chasse, il l’accompagnait&|160;; quand ellen’y allait point, il trouvait toujours des excuses pour se défendrede sortir. Petit-Soleil et Heureux, qui étaient frères, luiparlaient avec moins de tendresse et de respect. Elle remarquacette différence, elle en tint compte à Chéri, et elle l’aima plusque les autres.

À mesure qu’ils avançaient en âge, leurmutuelle tendresse augmentait&|160;; ils n’en eurent d’abord que duplaisir.

«&|160;Mon tendre frère, lui disaitBelle-Étoile, si mes désirs suffisaient pour vous rendre heureux,vous seriez un des plus grands rois de la terre.

– Hélas&|160;! ma sœur, répliquait-il,ne m’enviez pas le bonheur que je goûte auprès de vous&|160;; jepréférerais de passer une heure où vous êtes à toute l’élévationque vous me souhaitez.&|160;»

Quand elle disait la même chose à sesfrères, ils répondaient naturellement qu’ils en seraientravis&|160;; et pour les éprouver davantage, elleajoutait&|160;:

«&|160;Oui, je voudrais que vousremplissiez le premier trône du monde, dussé-je ne vous voirjamais.&|160;»

Ils disaient aussitôt&|160;:

«&|160;Vous avez raison, ma sœur, l’unvaudrait bien mieux que l’autre.

– Vous consentiriez donc,répliquait-elle, à ne me plus voir&|160;?

– Sans doute, disaient-ils, il noussuffirait d’apprendre quelquefois de vosnouvelles.&|160;»

Lorsqu’elle se trouvait seule, elleexaminait ces différentes manières d’aimer, et elle sentait soncœur disposé tout comme les leurs&|160;: car encore quePetit-Soleil et Heureux lui fussent chers, elle ne souhaitait pointde rester avec eux toute sa vie&|160;; et à l’égard de Chéri, ellefondait en larmes, quand elle pensait que leur père l’enverraitpeut-être écumer les mers, ou qu’il le mènerait à l’armée. C’estainsi que l’amour, masqué du nom spécieux d’un excellent naturel,s’établissait dans ces jeunes cœurs. Mais à quatorze ansBelle-Étoile commença de se reprocher l’injustice qu’elle croyaitfaire à ses frères, de ne les pas aimer également. Elle s’imaginaque les soins et les caresses de Chéri en étaient la cause. Ellelui défendit de chercher davantage les moyens de se faireaimer.

«&|160;Vous ne les avez que troptrouvés, lui disait-elle agréablement, et vous êtes parvenu à mefaire mettre une grande différence entre vous eteux.&|160;»

Quelle joie ne ressentait-il paslorsqu’elle lui parlait ainsi&|160;! Bien loin de diminuer sonempressement, elle l’augmentait&|160;: il lui faisait chaque jourune galanterie nouvelle.

Ils ignoraient encore jusqu’où allaitleur tendresse, et ils n’en connaissaient point l’espèce, lorsqu’unjour on apporta à Belle-Étoile plusieurs livres nouveaux&|160;:elle prit le premier qui tomba sous sa main&|160;; c’étaitl’histoire de deux jeunes amants, dont la passion avait commencé secroyant frère et sœur, ensuite ils avaient été reconnus par leursproches, et après des peines infinies ils s’étaient épousés. CommeChéri lisait parfaitement bien, qu’il entendait tout finement, etqu’il se faisait entendre de même, elle le pria de lire auprèsd’elle pendant qu’elle achèverait un ouvrage de lacis qu’elle avaitenvie de finir.

Il lut cette aventure, et ce ne fut passans une grande inquiétude qu’il y vit une peinture naïve de tousses sentiments. Belle-Étoile n’était pas moins surprise&|160;; ilsemblait que l’auteur avait lu tout ce qui se passait dans son âme.Plus Chéri lisait, plus il était touché&|160;; plus la princessel’écoutait, plus elle était attendrie&|160;; quelque effort qu’ellepût faire, ses yeux se remplirent de larmes, et son visage en étaitcouvert. Chéri se faisait de son côté une violence inutile&|160;;il pâlissait, il changeait de couleur et de ton de voix&|160;: ilssouffraient l’un et l’autre tout ce que l’on peutsouffrir.

«&|160;Ah, ma sœur, s’écria-t-il en laregardant tristement, et laissant tomber son livre&|160;! ah, masœur, qu’Hippolyte fut heureux de n’être pas le frère deJulie&|160;!

– Nous n’aurons pas une semblablesatisfaction, répondit-elle. Hélas, nous est-elle moinsdue&|160;!&|160;»

En achevant ces mots, elle connutqu’elle en avait trop dit, elle demeura interdite&|160;; et siquelque chose put consoler le prince, ce fut l’état où il la vit.Depuis ce moment ils tombèrent l’un et l’autre dans une profondetristesse, sans s’expliquer davantage&|160;: ils pénétraient unepartie de ce qui se passait dans leurs âmes&|160;; ils s’étudièrentpour cacher à tout le monde un secret qu’ils auraient voulu ignorereux-mêmes, et duquel ils ne s’entretenaient point. Cependant il estsi naturel de se flatter, que la princesse ne laissait pas decompter pour beaucoup que Chéri seul n’eût point d’étoile ni dechaîne au cou&|160;; car pour les longs cheveux et le don derépandre des pierreries quand on les peignait, il les avait commeses cousins.

Les trois princes étant allés un jour àla chasse, Belle-Étoile s’enferma dans un petit cabinet, qu’elleaimait parce qu’il était sombre, et qu’elle y rêvait avec plus deliberté qu’ailleurs&|160;: elle ne faisait aucun bruit. Ce cabinetn’était séparé de la chambre de Corsine que par une cloison, etcette femme la croyait à la promenade&|160;; elle l’entendit quidisait au corsaire&|160;:

«&|160;Voilà Belle-Étoile en âge d’êtremariée&|160;: si nous savions qui elle est, nous tâcherions del’établir d’une manière convenable à son rang&|160;; ou si nouspouvions croire que ceux qui passent pour ses frères ne le sontpas, nous lui en donnerions un, car que peut-elle jamais trouverd’aussi parfait qu’eux&|160;?

– Lorsque je les rencontrai, dit lecorsaire, je ne vis rien qui pût m’instruire de leurnaissance&|160;; les pierreries qui étaient attachées sur leurberceau, faisaient connaître que ces enfants appartenaient à despersonnes riches&|160;; ce qu’il y aurait de singulier, c’estqu’ils fussent tous jumeaux&|160;: car ils paraissaient de mêmeâge, et il n’est pas ordinaire qu’on en ait quatre.

– Je soupçonne aussi, dit Corsine, queChéri n’est pas leur frère, il n’a ni étoile ni chaîne aucou.

– Il est vrai, répliqua son mari&|160;;mais les diamants tombent de ses cheveux comme de ceux des autres,et après toutes les richesses que nous avons amassées par le moyende ces chers enfants, il ne me reste plus rien à souhaiter que dedécouvrir leur origine.

– Il faut laisser agir les dieux, ditCorsine, ils nous les ont donnés, et sans doute quand il en seratemps ils développeront ce qui nous est caché.&|160;»

Belle-Étoile écoutait attentivementcette conversation. L’on ne peut exprimer la joie qu’elle eut depouvoir espérer qu’elle sortait d’un sang illustre&|160;; carencore qu’elle n’eût jamais manqué de respect pour ceux dont ellecroyait tenir le jour, elle n’avait pas laissé de ressentir de lapeine d’être fille d’un corsaire. Mais ce qui flattait davantageson imagination, c’était de penser que Chéri n’était peut-êtrepoint son frère&|160;: elle brûlait d’impatience de l’entretenir,et de leur dire à tous une aventure si extraordinaire.

Elle monta sur un cheval isabelle, dontles crins noirs étaient rattachés avec des boucles de diamants, carelle n’avait qu’à se peigner une seule fois pour en garnir tout unéquipage de chasse&|160;: sa housse de velours vert était chamarréede diamants et brodée de rubis&|160;; elle monta promptement àcheval, et fut dans la forêt chercher ses frères. Le bruit des corset des chiens lui fit assez entendre où ils étaient&|160;: elle lesjoignit au bout d’un moment. À sa vue, Chéri se détacha et vintau-devant d’elle plus vite que les autres.

Quelle agréable surprise, lui cria-t-il,Belle-Étoile&|160;! Vous venez enfin à la chasse, vous que l’on nepeut distraire pour un moment des plaisirs que vous donnent lamusique et les sciences que vous apprenez&|160;?

– J’ai tant de choses à vous dire,répliqua-t-elle, que voulant être en particulier, je suis venuevous chercher.

Hélas&|160;! ma sœur, dit-il ensoupirant, que me voulez-vous aujourd’hui&|160;? Il semble qu’il ya longtemps que vous ne me voulez plus rien.&|160;»

Elle rougit, puis baissant les yeux,elle demeura sur son cheval, triste et rêveuse, sans luirépondre.

Enfin ses deux frères arrivèrent&|160;:elle se réveilla à leur vue comme d’un profond sommeil, et sauta àterre marchant la première&|160;: ils la suivirent tous&|160;; etquand elle fut au milieu d’une petite pelouse ombragéed’arbres&|160;:

«&|160;Mettons-nous ici, leur dit-elle,et apprenez ce que je viens d’entendre.&|160;»

Elle leur raconta exactement laconversation du corsaire avec sa femme, et comme quoi ils n’étaientpoint leurs enfants. Il ne se peut rien ajouter à la surprise destrois princes&|160;: ils agitèrent entre eux ce qu’ils devaientfaire. L’un voulait partir sans rien dire&|160;; l’autre ne voulaitpoint partir du tout, et l’autre voulait partir et le dire. Lepremier soutenait que c’était le moyen le plus sûr, parce que legain qu’ils faisaient en les peignant les obligerait de lesretenir&|160;; l’autre répondait qu’il aurait été bon de lesquitter si l’on avait su un lieu fixe où aller, et de quellecondition l’on était, mais que le titre d’errants dans le monden’était pas agréable&|160;; le dernier ajoutait qu’il y aurait del’ingratitude de les abandonner sans leur agrément&|160;; qu’il yaurait de la stupidité de vouloir rester davantage avec eux aumilieu d’une forêt, où ils ne pourraient apprendre qui ils étaient,et que le meilleur parti c’était de leur parler, et de les faireconsentir à leur éloignement. Ils goûtèrent tous cet avis. Aussitôtils montèrent à cheval pour venir trouver le corsaire etCorsine.

Le cœur de Chéri était flatté par toutce que l’espérance peut offrir de plus agréable pour consoler unamant affligé&|160;: son amour lui faisait deviner une partie deschoses futures&|160;: il ne se croyait plus le frère deBelle-Étoile&|160;; sa passion contrainte prenant un peu l’essor,lui permettait mille tendres idées qui le charmaient. Ilsjoignirent le corsaire et Corsine avec un visage mêlé de joie etd’inquiétude.

«&|160;Nous ne venons pas, ditPetit-Soleil (car il portait la parole), pour vous dénier l’amitié,la reconnaissance et le respect que nous vous devons&|160;; bienque nous soyons informés de la manière que vous nous trouvâtes surla mer, et que vous n’êtes ni notre père ni notre mère, la pitiéavec laquelle vous nous avez sauvés, la noble éducation que vousnous avez donnée, tant de soins et de bontés que vous avez eus pournous, sont des engagements si indispensables, que rien au monde nepeut nous affranchir de votre dépendance. Nous venons donc vousrenouveler nos sincères remerciements&|160;; vous supplier de nousraconter un événement si rare, et de nous conseiller, afin que nousconduisant par vos sages avis, nous n’ayons rien à nousreprocher.&|160;»

Le corsaire et Corsine furent biensurpris qu’une chose qu’ils avaient cachée avec tant de soin eûtété découverte.

«&|160;On vous a trop bien informés,dirent-ils, et nous ne pouvons vous celer que vous n’êtes point eneffet nos enfants, et que la fortune seule vous a fait tomber entrenos mains. Nous n’avons aucune lumière sur votre naissance&|160;;mais les pierreries qui étaient dans votre berceau peuvent marquerque vos parents sont ou grands seigneurs ou fort riches&|160;: aureste, que pouvons-nous vous conseiller&|160;? Si vous consultezl’amitié que nous avons pour vous, sans doute vous resterez avecnous, et vous consolerez notre vieillesse par votre aimablecompagnie&|160;; si le château que nous avons bâti en ces lieux nevous plaît pas, ou que le séjour de cette solitude vous chagrine,nous irons où vous voudrez, pourvu que ce ne soit point à lacour&|160;; une longue expérience nous en a dégoûtés, et vous endégoûterait peut-être, si vous étiez informés des agitationscontinuelles, des feintes, de l’envie, des inégalités, desvéritables maux et des faux biens que l’on y trouve&|160;: nousvous en dirions davantage, mais vous croiriez que nos conseils sontintéressés&|160;; ils le sont aussi, mes enfants&|160;: nousdésirons de vous arrêter dans cette paisible retraite, quoique voussoyez maîtres de la quitter quand vous le voudrez. Ne laissezpourtant pas de considérer que vous êtes au port, et que vous allezsur une mer orageuse&|160;; que les peines y surpassent presquetoujours les plaisirs&|160;; que le cours de la vie estlimité&|160;; qu’on la quitte souvent au milieu de sacarrière&|160;; que les grandeurs du monde sont de faux brillantsdont on se laisse éblouir par une fatalité étrange, et que le plussolide de tous les biens, c’est de savoir se borner, jouir de satranquillité, et se rendre sage.&|160;»

Le corsaire n’aurait pas fini si tôt sesremontrances, s’il n’eût été interrompu par le princeHeureux.

«&|160;Mon cher père, lui dit-il, nousavons trop d’envie de découvrir quelque chose de notre naissance,pour nous ensevelir au fond d’un désert&|160;: la morale que vousétablissez est excellente, et je voudrais que nous fussionscapables de la suivre, mais je ne sais quelle fatalité nous appelleailleurs&|160;; permettez que nous remplissions le cours de notredestinée, nous reviendrons vous revoir et vous rendre compte detoutes nos aventures.&|160;»

À ces mots le corsaire et sa femme seprirent à pleurer. Les princes s’attendrirent fort,particulièrement Belle-Étoile, qui avait un naturel admirable, etqui n’aurait jamais pensé à quitter le désert, si elle avait étésûre que Chéri fût toujours resté avec elle.

Cette résolution étant prise, ils nesongèrent plus qu’à faire leur équipage pour s’embarquer&|160;; carayant été trouvés sur la mer, ils avaient quelque espérance qu’ilsy recevraient des lumières de ce qu’ils voulaient savoir. Ilsfirent entrer dans leur petit vaisseau un cheval pour chacund’eux&|160;; et après s’être peignés jusqu’à s’en écorcher pourlaisser plus de pierreries à Corsine, ils la prièrent de leurdonner en échange les chaînes de diamants qui étaient dans leurberceau. Elle alla les quérir dans son cabinet, où elle les avaitsoigneusement gardées, et elle les attacha toutes sur l’habit deBelle-Étoile qu’elle embrassait sans cesse, lui mouillant le visagede ses larmes.

Jamais séparation n’a été sitriste&|160;: le corsaire et sa femme en pensèrent mourir&|160;:leur douleur ne provenait point d’une source intéressée&|160;; carils avaient amassé tant de trésors qu’ils n’en souhaitaient plus.Petit-Soleil, Heureux, Chéri et Belle-Étoile montèrent dans levaisseau. Le corsaire l’avait fait faire très bon et trèsmagnifique&|160;: le mât était d’ébène et de cèdre&|160;; lescordages de soie verte mêlée d’or&|160;; les voiles de drap d’or etvert, et les peintures excellentes. Quand il commença à voguer,Cléopâtre avec son Antoine, et même toute la chiourme de Vénus,auraient baissé le pavillon devant lui. La princesse était assisesous un riche pavillon, vers la poupe, ses deux frères et soncousin se tenaient près d’elle, plus brillants que les astres, etleurs étoiles jetaient de longs rayons de lumière quiéblouissaient. Ils résolurent d’aller au même endroit où lecorsaire les avait trouvés, et en effet ils s’y rendirent. Ils sepréparèrent à faire là un grand sacrifice aux dieux et aux fées,pour obtenir leur protection, et qu’ils fussent conduits dans lelieu de leur naissance. On prit une tourterelle pourl’immoler&|160;: la princesse pitoyable la trouva si belle qu’ellelui sauva la vie&|160;; et pour la garantir de pareil accident,elle la laissa aller.

«&|160;Pars, lui dit-elle, petit oiseaude Vénus&|160;; et si j’ai quelque jour besoin de toi, n’oublie pasle bien que je te fais.&|160;»

La tourterelle s’envola&|160;: lesacrifice étant fini, ils commencèrent un concert si charmant,qu’il semblait que toute la nature gardait un profond silence pourles écouter&|160;: les flots de la mer ne s’élevaient point&|160;;le vent ne soufflait pas&|160;; Zéphyre seul agitait les cheveux dela princesse, et mettait son voile un peu en désordre. Dans lemoment il sortit de l’eau une Sirène qui chantait si bien que laprincesse et ses frères l’admirèrent. Après avoir dit quelquesairs, elle se tourna vers eux, et leur cria&|160;:

«&|160;Cessez de vous inquiéter&|160;;laissez aller votre vaisseau&|160;; descendez où il s’arrêtera, etque tous ceux qui s’aiment continuent de s’aimer.&|160;»

Belle-Étoile et Chéri ressentirent unejoie extraordinaire de ce que la Sirène venait de dire. Ils nedoutèrent point que ce ne fût pour eux&|160;; et se faisant unsigne d’intelligence, leurs cœurs se parlèrent sans quePetit-Soleil et Heureux s’en aperçussent. Le navire voguait au grédes vents et de l’onde&|160;; leur navigation n’eut riend’extraordinaire&|160;; le temps était toujours beau, et la mertoujours calme. Ils ne laissèrent pas de rester trois mois entiersdans leur voyage, pendant lesquels l’amoureux prince Chéris’entretenait souvent avec la princesse.

«&|160;Que j’ai de flatteusesespérances, lui dit-il un jour, charmante Étoile&|160;! Je ne suispoint votre frère&|160;; ce cœur qui reconnaît votre pouvoir, etqui n’en reconnaîtra jamais d’autre, n’est pas né pour lescrimes&|160;: c’en serait un de vous aimer comme je fais, si vousétiez ma sœur&|160;; mais la charitable Sirène qui nous est venueconseiller, m’a confirmé ce que j’avais là-dessus dansl’esprit.

– Ah&|160;! mon frère, répliqua-t-elle,ne vous fiez point trop à une chose qui est encore si obscure quenous ne pouvons la pénétrer&|160;! Quelle serait notre destinée, sinous irritions les dieux par des sentiments qui pourraient leurdéplaire&|160;? La Sirène s’est si peu expliquée, qu’il faut avoirbien envie de deviner pour nous appliquer ce qu’elle adit.

– Vous vous en défendez, cruelle, dit leprince affligé, bien moins par le respect que vous avez pour lesdieux, que par aversion pour moi.&|160;»

Belle-Étoile ne lui répliqua rien&|160;;et levant les yeux au ciel, elle poussa un profond soupir, qu’il neput s’empêcher d’expliquer en sa faveur.

Ils étaient dans la saison où les jourssont longs et brûlants&|160;: vers le soir la princesse et sesfrères montèrent sur le tillac pour voir coucher le soleil dans lesein de l’onde&|160;; elle s’assit, les princes se placèrent auprèsd’elle&|160;; ils prirent des instruments et commencèrent leuragréable concert. Cependant le vaisseau poussé par un vent fraissemblait voguer plus légèrement, et se hâtait de doubler un petitpromontoire qui cachait une partie de la plus belle ville dumonde&|160;; mais tout d’un coup elle se découvrit, son aspectétonna notre aimable jeunesse&|160;: tous les palais en étaient demarbre, les couvertures dorées, et le reste des maisons deporcelaines fort fines&|160;; plusieurs arbres toujours vertsmêlaient l’émail de leurs feuilles aux diverses couleurs du marbre,de l’or et des porcelaines&|160;; de sorte qu’ils souhaitaient queleur vaisseau entrât dans le port&|160;; mais ils doutaient d’ypouvoir trouver place, tant il y en avait d’autres dont les mâtssemblaient composer une forêt flottante.

Leurs désirs furent accomplis, ilsabordèrent, et le rivage en un moment se trouva couvert du peuple,qui avait aperçu la magnificence du navire&|160;: celui que lesArgonautes avaient construit pour la conquête de la toison nebrillait pas tant&|160;; les étoiles et la beauté des merveilleuxenfants ravissaient ceux qui les voyaient&|160;; l’on courut direau roi cette nouvelle&|160;: comme il ne pouvait la croire, et quela grande terrasse du palais donnait jusqu’au bord de la mer, ils’y rendit promptement&|160;; il vit que les princes Petit-Soleilet Chéri, tenant la princesse entre leurs bras, la portèrent àterre, qu’ensuite l’on fit sortir leurs chevaux, dont les richesharnais répondaient bien à tout le reste. Petit-Soleil en montaitun plus noir que du jais&|160;; celui d’Heureux était gris&|160;;Chéri avait le sien blanc comme neige, et la princesse sonisabelle. Le roi les admirait tous quatre sur leurs chevaux quimarchaient si fièrement qu’ils écartaient tous ceux qui voulaients’approcher.

Les princes ayant entendu que l’ondisait «&|160;voilà le roi&|160;», levèrent les yeux, et l’ayant vud’un air plein de majesté, aussitôt ils lui firent une profonderévérence, et passèrent doucement, tenant les yeux attachés surlui. De son côté, il les regardait, et n’était pas moins charmé del’incomparable beauté de la princesse que de la bonne mine desjeunes princes. Il commanda à son écuyer de leur aller offrir saprotection, et toutes les choses dont ils pourraient avoir besoindans un pays où ils étaient apparemment étrangers. Ils reçurentl’honneur que le roi leur faisait avec beaucoup de respect et dereconnaissance, et lui dirent qu’ils n’avaient besoin que d’unemaison où ils pussent être en particulier&|160;; qu’ils seraientbien aises qu’elle fût à une ou deux lieues de la ville, parcequ’ils aimaient fort la promenade. Sur-le-champ le premier écuyerleur en fît donner une des plus magnifiques où ils logèrentcommodément avec tout leur train.

Le roi avait l’esprit si rempli desquatre enfants qu’il venait de voir, que sur-le-champ il alla dansla chambre de la reine sa mère lui dire la merveille des étoilesqui brillaient sur leurs fronts, et tout ce qu’il avait admiré eneux. Elle en fut tout interdite&|160;; elle lui demanda sans aucuneaffectation quel âge ils pouvaient avoir&|160;; il répondit quinzeou seize ans&|160;: elle ne témoigna point son inquiétude, maiselle craignait terriblement que Feintise ne l’eût trahie. Cependantle roi se promenait à grands pas, et disait&|160;:

«&|160;Qu’un père est heureux d’avoirdes fils si parfaits et une fille si belle&|160;! Pour moi,infortuné souverain, je suis père de trois chiens&|160;; voilàd’illustres successeurs, et ma couronne est bienaffermie&|160;!&|160;»

La reine-mère écoutait ces paroles avecune inquiétude mortelle. Les étoiles brillantes, et l’âge à peuprès de ces étrangers, avaient tant de rapport à celui des princeset de leur sœur, qu’elle eut de grands soupçons d’avoir été trompéepar Feintise, et qu’au lieu de tuer les enfants du roi, elle ne leseût sauvés. Comme elle se possédait beaucoup, elle ne témoigna riende ce qui se passait dans son âme&|160;; elle ne voulut pas mêmeenvoyer ce jour-là s’informer de bien des choses qu’elle avaitenvie de savoir&|160;; mais le lendemain elle commanda à sonsecrétaire d’y aller, et que sous prétexte de donner des ordresdans la maison pour leur commodité, il examinât tout, et s’ilsavaient des étoiles sur le front.

Le secrétaire partit assez matin&|160;;il arriva comme la princesse se mettait à sa toilette&|160;: en cetemps-là l’on n’achetait point son teint chez les marchands&|160;;qui était blanche restait blanche&|160;; qui était noire nedevenait point blanche&|160;; de sorte qu’il la vit décoiffée. Onla peignait&|160;; ses cheveux blonds, plus fins que des filetsd’or, descendaient par boucles jusqu’à terre&|160;; il y avaitplusieurs corbeilles autour d’elle, afin que les pierreries quitombaient de ses cheveux ne fussent pas perdues&|160;; son étoilesur le front jetait des feux qu’on avait peine à soutenir&|160;; etla chaîne d’or de son cou n’était pas moins extraordinaire que lesprécieux diamants qui roulaient du haut de sa tête. Le secrétaireavait bien de la peine à croire ce qu’il voyait&|160;; mais laprincesse ayant choisi la plus grosse perle, elle le pria de lagarder pour se souvenir d’elle&|160;; c’est la même que les roisd’Espagne estiment tant sous le nom de Peregrina, qui veutdire Pèlerine, parce qu’elle vient d’une voyageuse.

Le secrétaire, confus d’une si grandelibéralité, prit congé d’elle, et salua les trois princes, aveclesquels il demeura longtemps pour être informé d’une partie de cequ’il désirait savoir. Il retourna en rendre compte à lareine-mère, qui se confirma dans les soupçons qu’elle avait déjà.Il lui dit que Chéri n’avait point d’étoile, mais qu’il tombait despierreries de ses cheveux comme de ceux de ses frères, et qu’à songré c’était le mieux fait&|160;; qu’ils venaient de fortloin&|160;; que leur père et leur mère ne leur avaient donné qu’uncertain temps, afin de voir les pays étrangers. Cet articledéroutait un peu la reine, et elle se figurait quelquefois que cen’était point les enfants du roi.

Elle flottait ainsi entre la crainte etl’espérance, quand le roi, qui aimait fort la chasse, alla du côtéde leur maison&|160;; le grand écuyer, qui l’accompagnait, lui diten passant que c’était là qu’il avait logé Belle-Étoile et sesfrères par son ordre.

«&|160;La reine m’a conseillé, repartitle roi, de ne les pas voir&|160;; elle appréhende qu’ils viennentde quelque pays infecté de la peste, et qu’ils n’en apportent lemauvais air.

– Cette jeune étrangère, repartit lepremier écuyer, est en effet très dangereuse&|160;; mais, Sire, jecraindrais plus ses yeux que le mauvais air.

– En vérité, dit le roi, je le croiscomme vous.&|160;»

Et poussant aussitôt son cheval, ilentendit des instruments et des voix&|160;; il s’arrêta proche d’ungrand salon, dont les fenêtres étaient ouvertes&|160;; et aprèsavoir admiré la douceur de cette symphonie, il s’avança.

Le bruit des chevaux obligea les princesà regarder&|160;; dès qu’ils virent le roi, ils le saluèrentrespectueusement, et se hâtèrent de sortir, l’abordant avec unvisage gai et tant de marques de soumission qu’ils embrassaient sesgenoux&|160;; la princesse lui baisait les mains comme s’ilsl’eussent reconnu pour être leur père. Il les caressa fort, etsentait son cœur si ému qu’il n’en pouvait deviner la cause. Illeur dit qu’ils ne manquassent pas de venir au palais, qu’ilvoulait les entretenir et les présenter à sa mère. Ils leremercièrent de l’honneur qu’il leur faisait, et lui direntqu’aussitôt que leurs habits et leurs équipages seraient achevés,ils ne manqueraient pas de lui faire leur cour.

Le roi les quitta pour achever la chassequi était commencée&|160;; il leur en envoya obligeamment lamoitié, et porta l’autre à la reine sa mère.

«&|160;Quoi&|160;! lui dit-elle, est-ilpossible que vous ayez fait une si petite chasse&|160;? Vous tuezordinairement trois fois plus de gibier.

– Il est vrai, repartit le roi, maisj’en ai régalé les beaux étrangers&|160;; je sens pour eux uneinclination si parfaite, que j’en suis surpris moi-même, et si vousaviez moins peur de l’air contagieux, je les aurais déjà fait venirloger dans le palais.&|160;»

La reine-mère se fâcha beaucoup&|160;:elle l’accusait de manquer d’égards pour elle, et lui fit desreproches de s’exposer si légèrement.

Dès qu’il l’eut quittée, elle envoyadire à Feintise de lui venir parler&|160;; elle s’enferma avec elledans son cabinet, et la prit d’une main par les cheveux, luiportant un poignard sur la gorge&|160;:

«&|160;Malheureuse, dit-elle, je ne saisquel reste de bonté m’empêche de te sacrifier à mon justeressentiment&|160;: tu m’as trahie&|160;; tu n’as point tué lesquatre enfants que j’avais remis entre tes mains pour en êtredéfaite&|160;; avoue au moins ton crime, et peut-être que je te lepardonnerai.&|160;»

Feintise, demi-morte de peur, se jeta àses pieds, et lui dit comme la chose s’était passée&|160;; qu’ellecroyait impossible que les enfants fussent encore en vie, parcequ’il s’était élevé une tempête si effroyable, qu’elle avait penséêtre accablée de la grêle&|160;; mais qu’enfin elle lui demandaitdu temps, et qu’elle trouverait le moyen de la défaire d’eux l’unaprès l’autre, sans que personne au monde pût l’ensoupçonner.

La reine, qui ne voulait que leur mort,s’apaisa un peu&|160;; elle lui dit de n’y perdre pas unmoment&|160;; et en effet la vieille Feintise, qui se voyait engrand péril, ne négligea rien de ce qui dépendait d’elle&|160;:elle épia le temps que les trois princes étaient à la chasse, etportant sous son bras une guitare, elle alla s’asseoir vis-à-visdes fenêtres de la princesse, où elle chanta cesparoles&|160;:

La beauté peut tout surmonter,

Heureux qui sait en profiter&|160;!

La beauté s’efface,

L’âge de glace

Vient en ternir toutes les fleurs.

Qu’on a de douleurs

Quand on repasse

Les attraits que l’on a perdus&|160;!

On se désespère,

Et l’on prend pour plaire

Des soins superflus.

Jeunes cœurs, laissez-vous charmer&|160;;

Dans le bel âge l’on doit aimer.

La beauté s’efface,

L’âge de glace

Vient en ternir toutes les fleurs.

Qu’on a de douleurs

Quand on repasse

Les attraits que l’on a perdus&|160;!

On se désespère,

Et l’on prend pour plaire

Des soins superflus.

Belle-Étoile trouva ces paroles assezplaisantes&|160;; elle s’avança sur un balcon pour voir celle quiles chantait&|160;; aussitôt qu’elle parut, Feintise, qui s’étaithabillée fort proprement, lui fit une grande révérence&|160;; laprincesse la salua à son tour&|160;; et comme elle était gaie, ellelui demanda si les paroles qu’elle venait d’entendre avaient étéfaites pour elle.

«&|160;Oui, charmante personne, répliquaFeintise, elles sont pour moi&|160;; mais afin qu’elles ne soientjamais pour vous, je viens vous donner un avis dont vous ne devezpas manquer de profiter.

&|160;

– Et quel est-il&|160;? ditBelle-Étoile.

– Dès que vous m’aurez permis de monterdans votre chambre, ajouta-t-elle, vous le saurez.

– Vous y pouvez venir&|160;», repartitla princesse.

Aussitôt la vieille se présenta avec uncertain air de cour que l’on ne perd point quand on l’a unefois.

«&|160;Ma belle fille, dit Feintise,sans perdre un moment (car elle craignait qu’on ne vîntl’interrompre), le ciel vous a faite tout aimable&|160;; vous êtesdouée d’une étoile brillante sur votre front, et l’on raconte biend’autres merveilles de vous&|160;; mais il vous manque encore unechose qui vous est essentiellement nécessaire&|160;; si vous nel’avez, je vous plains.

– Et que me manque-t-il&|160;?répliqua-t-elle.

– L’eau qui danse, ajouta notre malignevieille&|160;: si j’en avais eu, vous ne verriez pas un cheveublanc sur ma tête, pas une ride sur mon front&|160;; j’aurais lesplus belles dents du monde, avec un air enfantin qui charmerait.Hélas&|160;! j’ai su ce secret trop tard, mes attraits étaient déjàeffacés&|160;; profitez de mes malheurs, ma chère enfant, ce seraune consolation pour moi, car je me sens pour vous des mouvementsde tendresse extraordinaires.

– Mais où prendrai-je cette eau quidanse&|160;? repartit Belle-Étoile.

– Elle est dans la forêt lumineuse, ditFeintise&|160;: vous avez trois frères, est-ce que l’un d’eux nevous aimera pas assez pour l’aller quérir&|160;? Vraiment ils neseraient guère tendres&|160;; enfin il n’y va pas de moins qued’être belle cent ans après votre mort.

– Mes frères me chérissent, dit laprincesse, il y en a un entre autres qui ne me refusera rien.Certainement si cette eau fait tout ce que vous dites, je vousdonnerai une récompense proportionnée à sonmérite.&|160;»

La perfide vieille se retira endiligence, ravie d’avoir si bien réussi&|160;; elle dit àBelle-Étoile qu’elle serait soigneuse de la venir voir.

Les princes revinrent de la chasse, l’unapporta un marcassin, l’autre un lièvre, et l’autre un cerf&|160;;tout fut mis aux pieds de leur sœur&|160;; elle regarda cet hommageavec une espèce de dédain&|160;; elle était occupée de l’avis deFeintise, elle en paraissait même inquiète, et Chéri, qui n’avaitpoint d’autre occupation que de l’étudier, ne fut pas un quartd’heure, avec elle sans le remarquer.

«&|160;Qu’avez-vous, ma chère Étoile,lui dit-il, le pays où nous sommes n’est peut-être pas à votregré&|160;? Si cela est, partons-en tout à l’heure&|160;; peut-êtreencore que notre équipage n’est pas assez grand, les meubles assezbeaux, la table assez délicate&|160;: parlez, de grâce, afin quej’aie le plaisir de vous obéir le premier, et de vous faire obéirpar les autres.

– La confiance que vous me donnez devous dire ce qui se passe dans mon esprit, répliqua-t-elle,m’engage à vous déclarer que je ne saurais plus vivre, si je n’ail’eau qui danse&|160;; elle est dans la forêt lumineuse&|160;; jen’aurai avec elle rien à craindre de la fureur des ans.

– Ne vous chagrinez point, mon aimableÉtoile, ajouta-t-il, je vais partir et je vous en apporterai, ouvous saurez par ma mort qu’il est impossible d’en avoir.

– Non, dit-elle, j’aimerais mieuxrenoncer à tous les avantages de la beauté&|160;; j’aimerais mieuxêtre affreuse que de hasarder une vie si chère&|160;; je vousconjure de ne plus penser à l’eau qui danse, et même, si j’aiquelque pouvoir sur vous, je vous le défends.&|160;»

Le prince feignit de lui obéir&|160;;mais aussitôt qu’il la vit occupée, il monta sur son cheval blanc,qui n’allait que par bonds et par courbettes&|160;; il prit del’argent et un riche habit&|160;; pour des diamants, il n’en avaitpas besoin, car ses cheveux lui en fournissaient assez, et troiscoups de peigne en faisaient tomber quelquefois pour un million. Àla vérité cela n’était pas toujours égal&|160;; l’on a même su quela disposition de leur esprit et celle de leur santé réglaientassez l’abondance des pierreries&|160;; il ne mena personne aveclui pour être plus en liberté, et afin que si l’aventure étaitpérilleuse, il pût se hasarder sans essuyer les remontrances d’undomestique zélé et craintif.

Quand l’heure du souper fut venue, etque la princesse ne vit point paraître son frère Chéri,l’inquiétude la saisit à tel point qu’elle ne pouvait ni boire nimanger&|160;: elle donna des ordres pour le faire chercher partout.Les deux princes, ne sachant rien de l’eau qui danse, lui disaientqu’elle se tourmentait trop, qu’il ne pouvait être éloigné, qu’ellesavait qu’il s’abandonnait volontiers à de profondes rêveries, etque sans doute il s’était arrêté dans la forêt. Elle prit donc unpeu de tranquillité jusqu’à minuit&|160;; mais alors elle perdittoute patience, et dit en pleurant à ses frères que c’était ellequi était cause de l’éloignement de Chéri, qu’elle lui avaittémoigné un désir extrême d’avoir l’eau qui danse de la forêtlumineuse, que sans doute il en avait pris le chemin. À cesnouvelles ils résolurent d’envoyer après lui plusieurs personnes,et elle les chargea de lui dire qu’elle le conjurait derevenir.

Cependant la méchante Feintise étaitfort intriguée pour savoir l’effet de son conseil, lorsqu’elleapprit que Chéri était déjà en campagne&|160;; elle en eut unesensible joie, ne doutant pas qu’il ne fît plus de diligence queceux qui le suivaient, et qu’il ne lui en arrivât malheur&|160;;elle courut au palais, toute fière de cette espérance&|160;; ellerendit compte à la reine-mère de ce qui s’était passé.

«&|160;J’avoue, madame, lui dit-elle,que je ne puis douter que ce ne soient les trois princes et leursœur&|160;; ils ont des étoiles sur le front, des chaînes, d’or aucou&|160;; leurs cheveux sont d’une beauté ravissante, il en tombeà tous moments des pierreries&|160;; j’en ai vu à la princesse quej’avais mises sur son berceau, dont elle se pare, quoiqu’elles nevaillent pas celles qui tombent de ses cheveux&|160;: de sortequ’il m’est pas permis de douter de leur retour, malgré les soinsque je croyais avoir pris pour l’empêcher&|160;; mais, madame, jevous en délivrerai&|160;; et comme c’est le seul moyen qui me restede réparer ma faute, je vous supplie seulement de m’accorder dutemps&|160;; voilà déjà un des princes qui est parti pour allerchercher l’eau qui danse, il périra sans doute dans cetteentreprise&|160;; ainsi je leur prépare plusieurs occasions de seperdre.

– Nous verrons, dit la reine, si lesuccès répondra à votre attente, mais comptez que cela seul peutvous dérober à ma juste fureur.&|160;»

Feintise se retira plus alarmée quejamais, cherchant dans son esprit tout ce qui pouvait les fairepérir.

Le moyen qu’elle en avait trouvé àl’égard du prince Chéri, était un des plus certains, car l’eau quidanse ne se puisait pas aisément&|160;; elle avait fait tant debruit par les malheurs qui étaient arrivés à ceux qui lacherchaient, qu’il n’y avait personne qui n’en sût le chemin. Soncheval blanc allait d’une vitesse surprenante&|160;; il le pressaitsans quartier, parce qu’il voulait revenir promptement auprès deBelle-Étoile, et lui donner la satisfaction qu’elle se promettaitde son voyage. Il ne laissa pas de marcher huit nuits de suite sansse reposer ailleurs que dans le bois, sous le premier arbre, sansmanger autre chose que les fruits qu’il trouvait sur son chemin, etsans laisser à son cheval qu’à peine le temps de brouter l’herbe.Enfin au bout de ce temps-là, il se trouva dans un pays dont l’airétait si chaud, qu’il commença de souffrir beaucoup&|160;: cen’était pas que le soleil eût plus d’ardeur&|160;; il ne savait àquoi en attribuer la cause, lorsque du haut d’une montagne ilaperçut la forêt lumineuse&|160;; tous les arbres brûlaient sans seconsumer, et jetaient des flammes en des lieux si éloignés, que lacampagne était aride et déserte&|160;: l’on entendait dans cetteforêt siffler les serpents et rugir les lions, ce qui étonnabeaucoup le prince&|160;; car il semblait qu’aucun animal, exceptéla salamandre, ne pouvait vivre dans cette espèce defournaise.

Après avoir considéré une chose siépouvantable, il descendit, rêvant à ce qu’il allait faire, et ilse dit plus d’une fois qu’il était perdu. Comme il approchait de cegrand feu, il mourait de soif&|160;; il trouva une fontaine quisortait de la montagne, et qui tombait dans un grand bassin demarbre&|160;; il mit pied à terre, s’en approcha, et se baissaitpour puiser de l’eau dans un petit vase d’or qu’il avait apporté,afin d’y mettre celle que la princesse souhaitait, quand il aperçutune tourterelle qui se noyait dans cette fontaine&|160;; ses plumesétaient toutes mouillées&|160;; elle n’avait plus de force, etcoulait au fond du bassin. Chéri en eut pitié, il la sauva&|160;;il la pendit d’abord par les pieds&|160;; elle avait tant bu,qu’elle en était enflée&|160;; ensuite il la réchauffa&|160;; ilessuya ses ailes avec un mouchoir fin, il la secourut si bien quela pauvre tourterelle se trouva au bout d’un moment plus gaiequ’elle n’avait été triste.

«&|160;Seigneur Chéri, lui dit-elled’une voix douce et tendre, vous n’avez jamais obligé petit animalplus reconnaissant que moi&|160;; ce n’est pas d’aujourd’hui quej’ai reçu des faveurs essentielles de votre famille, je suis raviede pouvoir vous être utile à mon tour. Ne croyez donc pas quej’ignore le sujet de votre voyage&|160;; vous l’avez entrepris unpeu témérairement, car l’on ne saurait nombrer les personnes quisont péries ici. L’eau qui danse est la huitième merveille du mondepour les dames&|160;; elle embellit, elle rajeunit, elleenrichit&|160;; mais si je ne vous sers de guide, vous n’y pourrezarriver, car la source sort à gros bouillons du milieu de la forêt,et s’y précipite dans un gouffre&|160;: le chemin est couvert debranches d’arbres qui tombent tout embrasées, et je ne vois guèred’autre moyen que d’y aller par-dessous terre&|160;; reposez-vousdonc ici sans inquiétude, je vais ordonner ce qu’ilfaut.&|160;»

En même temps la tourterelle s’élève enl’air, va, vient, s’abaisse, vole et revole tant et tant, que surla fin du jour elle dit au prince que tout était prêt. Il prendl’officieux oiseau, il le baise, il le caresse, le remercie, et lesuit sur son beau cheval blanc. À peine eut-il fait cent pas, qu’ilvoit deux longues files de renards, blaireaux, taupes, escargots,fourmis, et de toutes les sortes de bêtes qui se cachent dans laterre&|160;: il y en avait une si prodigieuse quantité, qu’il necomprenait point par quel pouvoir ils s’étaient ainsirassemblés.

«&|160;C’est par mon ordre, lui dit latourterelle, que vous voyez en ces lieux ce petit peuplesouterrain&|160;; il vient de travailler pour votre service, etfaire une extrême diligence&|160;; vous me ferez plaisir de les enremercier.&|160;»

Le prince les salua, et leur dit qu’ilvoudrait les tenir dans un lieu moins stérile, qu’il les régaleraitavec plaisir&|160;: chaque bestiole parut contente.

Chéri étant à l’entrée de la voûte, ylaissa son cheval&|160;; puis, demi-courbé, il chemina avec labonne tourterelle, qui le conduisit très heureusement jusqu’à lafontaine&|160;: elle faisait un si grand bruit, qu’il en seraitdevenu sourd, si elle ne lui avait pas donné deux de ses plumesblanches dont il se boucha les oreilles. Il fut étrangement surprisde voir que cette eau dansait avec la même justesse que si Favieret Pecout lui avaient montré. Il est vrai que ce n’était que devieilles danses, comme la Bocane, la Mariée et la Sarabande.Plusieurs oiseaux qui voltigeaient en l’air chantaient les airs quel’eau voulait danser. Le prince en puisa plein son vase d’or, il enbut deux traits, qui le rendirent cent fois plus beau qu’iln’était, et qui le rafraîchirent si bien, qu’il s’apercevait àpeine que de tous les endroits du monde le plus chaud c’est laforêt lumineuse.

Il en partit par le même chemin parlequel il était venu&|160;: son cheval s’était éloigné&|160;; maisfidèle à sa voix, dès qu’il l’appela il vint au grand galop. Leprince se jeta légèrement dessus, tout fier d’avoir l’eau quidanse.

«&|160;Tendre tourterelle, dit-il àcelle qu’il tenait, j’ignore encore par quel prodige vous avez tantde pouvoir en ces lieux&|160;; les effets que j’en ai ressentism’engagent à beaucoup de reconnaissance&|160;; et comme la libertéest le plus grand des biens, je vous rends la vôtre, pour égalerpar cette faveur celles que vous m’avez faites.&|160;»

En achevant ces mots, il la laissaaller. Elle s’envola d’un petit air aussi farouche que si elle eûtresté avec lui contre son gré.

«&|160;Quelle inégalité&|160;! dit-ilalors, tu tiens plus de l’homme que de la tourterelle&|160;; l’unest inconstant, l’autre ne l’est point.&|160;»

La tourterelle lui répondit du haut desairs&|160;:

«&|160;Eh&|160;! savez-vous qui jesuis&|160;?&|160;»

Chéri s’étonna que la tourterelle eûtrépondu ainsi à sa pensée, il jugea bien qu’elle était trèshabile&|160;; il fut fâché de l’avoir laissée aller&|160;:«&|160;Elle m’aurait peut-être été utile, disait-il, et j’auraisappris par elle bien des choses qui contribueraient au repos de mavie.&|160;» Cependant il convint avec lui-même qu’il ne faut jamaisregretter un bienfait accordé&|160;; il se trouvait son redevable,quand il pensait aux difficultés qu’elle lui avait aplanies pouravoir l’eau qui danse. Son vase d’or était fermé de manière quel’eau ne pouvait ni se perdre, ni s’évaporer. Il pensaitagréablement au plaisir qu’aurait Belle-Étoile en la recevant et lajoie qu’il aurait de la revoir, lorsqu’il vit venir à toute brideplusieurs cavaliers, qui ne l’eurent pas plus tôt aperçu, quepoussant de grands cris, ils se le montrèrent les uns aux autres.Il n’eut point de peur, son âme avait un caractère d’intrépiditéqui s’alarmait peu des périls. Cependant il ressentit beaucoup dechagrin que quelque chose l’arrêtât&|160;; il poussa brusquementson cheval vers eux, et resta agréablement surpris de reconnaîtreune partie de ses domestiques qui lui présentèrent de petitsbillets, ou pour mieux dire des ordres dont la princesse les avaitchargés pour lui, afin qu’il ne s’exposât point aux dangers de laforêt lumineuse&|160;: il baisa l’écriture de Belle-Étoile&|160;;il soupira plus d’une fois, et se hâtant de retourner vers elle, illa retira de la plus sensible peine que l’on puisseéprouver.

Il la trouva en arrivant assise sousquelques arbres, où elle s’abandonnait à toute son inquiétude.Quand elle le vit à ses pieds, elle ne savait quel accueil luifaire&|160;; elle voulait le gronder d’être parti contre sesordres&|160;; elle voulait le remercier du charmant présent qu’illui faisait&|160;; enfin sa tendresse fut la plus forte&|160;; elleembrassa son cher frère, et les reproches qu’elle lui fit n’eurentrien de fâcheux.

La vieille Feintise, qui ne s’endormaitpas, sut par ses espions que Chéri était de retour plus beau qu’iln’était avant son départ&|160;; et que la princesse ayant mis surson visage l’eau qui danse, était devenue si excessivement belle,qu’il n’y avait pas moyen de soutenir le moindre de ses regards,sans mourir de plus d’une demi-douzaine de morts.

Feintise fut bien étonnée et bienaffligée, car elle avait fait son compte que le prince périraitdans une si grande entreprise&|160;; mais il n’était pas temps dese rebuter&|160;: elle chercha le moment que la princesse allait àun petit temple de Diane, peu accompagnée&|160;; elle l’aborda, etlui dit d’un air plein d’amitié&|160;:

«&|160;Que j’ai de joie, madame, del’heureux effet de mes avis&|160;! Il ne faut que vous regarderpour savoir que vous avez à présent l’eau qui danse&|160;; mais sij’osais vous donner un conseil, vous songeriez à vous rendremaîtresse de la pomme qui chante. C’est tout autre choseencore&|160;; car elle embellit l’esprit à tel point, qu’il n’y arien dont on ne soit capable&|160;: veut-on persuader quelquechose&|160;? il n’y a qu’à tenir la pomme qui chante&|160;; veut-onparler en public, faire des vers, écrire en prose, divertir, fairerire ou faire pleurer&|160;? la pomme a toutes ces vertus&|160;; etelle chante si bien et si haut, qu’on l’entend de huit lieues sansen être étourdi.

– Je n’en veux point, s’écria laprincesse, vous avez pensé faire périr mon frère avec votre eau quidanse, vos conseils sont trop dangereux.

– Quoi&|160;! madame, répliqua Feintise,vous seriez fâchée d’être la plus savante et la plus spirituellepersonne du monde&|160;? En vérité vous n’y pensez pas.

– Ah&|160;! qu’aurais-je fait, continuaBelle-Étoile, si l’on m’avait rapporté le corps de mon cher frèremort ou mourant&|160;?

– Celui-là, dit la vieille, n’ira plus,les autres sont obligés de vous servir à leur tour, et l’entrepriseest moins périlleuse.

– N’importe, ajouta la princesse, je nesuis pas d’humeur à les exposer.

– En vérité, je vous plains, ditFeintise, de perdre une occasion si avantageuse, mais vous y ferezréflexion&|160;; adieu, madame.&|160;»

Elle se retira aussitôt, très inquiètedu succès de sa harangue, et Belle-Étoile demeura aux pieds de lastatue de Diane, irrésolue sur ce qu’elle devait faire&|160;; elleaimait ses frères, elle s’aimait bien aussi&|160;; elle comprenaitque rien ne pouvait lui faire un plus sensible plaisir que d’avoirla pomme qui chante.

Elle soupira longtemps, puis elle seprit à pleurer.&|160;Petit-Soleil revenait de la chasse, ilentendit du bruit dans le temple, il y entra, et vit la princessequi se couvrait le visage de son voile, parce qu’elle étaithonteuse d’avoir les yeux tout humides&|160;; il avait déjàremarqué ses larmes, et s’approchant d’elle, il la conjurainstamment de lui dire pourquoi elle pleurait. Elle s’en défendit,répliquant qu’elle en avait honte elle-même&|160;; mais plus ellelui refusait son secret, plus il avait envie de lesavoir.

Enfin elle lui dit que la même vieillequi lui avait conseillé d’envoyer à la conquête de l’eau qui danse,venait de lui dire que la pomme qui chante était encore plusmerveilleuse, parce qu’elle donnait tant d’esprit, qu’on devenaitune espèce de prodige&|160;! qu’à la vérité elle aurait donné lamoitié de sa vie pour une telle pomme, mais qu’elle craignait qu’iln’y eût trop de danger à l’aller chercher.

«&|160;Vous n’aurez pas peur pour moi,je vous en assure, lui dit son frère en souriant, car je ne metrouve aucune envie de vous rendre ce bon office&|160;; héquoi&|160;! n’avez-vous pas assez d’esprit&|160;? Venez, venez, masœur, continua-t-il, et cessez de vous affliger.&|160;»

Belle-Étoile le suivit, aussi triste dela manière dont il avait reçu sa confidence, que de l’impossibilitéqu’elle trouvait à posséder la pomme qui chante. L’on servit lesouper, ils se mirent tous quatre à table&|160;; elle ne pouvaitmanger. Chéri, l’aimable Chéri, qui n’avait d’attention que pourelle, lui servit ce qui était de meilleur, et la pressa d’engoûter&|160;: au premier morceau son cœur se grossit&|160;; leslarmes lui vinrent aux yeux&|160;; elle sortit de table enpleurant. Belle-Étoile pleurait&|160;! ô dieux, quel sujetd’inquiétude pour Chéri&|160;! Il demanda donc ce qu’elleavait&|160;: Petit-Soleil le lui dit, en raillant d’une manièreassez désobligeante pour sa sœur&|160;; elle en fut si piquéequ’elle se retira dans sa chambre et ne voulut parler à personne detout le soir.

Dès que Petit-Soleil et Heureux furentcouchés, Chéri monta sur son excellent cheval blanc, sans dire àpersonne où il allait&|160;; il laissa seulement une lettre pourBelle-Étoile, avec ordre de la lui donner à son réveil&|160;; ettant que la nuit fut longue, il marcha à l’aventure, ne sachantpoint où il prendrait la pomme qui chante.

Lorsque la princesse fut levée, on luiprésenta la lettre du prince&|160;: il est aisé de s’imaginer toutce qu’elle ressentit d’inquiétude et de tendresse dans une occasioncomme celle-là&|160;: elle courut dans la chambre de ses frèresleur en faire la lecture, ils partagèrent ses alarmes, car ilsétaient fort unis&|160;; et aussitôt ils envoyèrent presque tousleurs gens après lui, pour l’obliger de revenir sans tenter cetteaventure, qui sans doute devait être terrible.

Cependant le roi n’oubliait point lesbeaux enfants de la forêt, ses pas le guidaient toujours de leurcôté, et quand il passait proche de chez eux, et qu’il les voyait,il leur faisait des reproches de ce qu’ils ne venaient point à sonpalais&|160;; ils s’en étaient excusés, d’abord, sur ce qu’ilsfaisaient travailler à leur équipage&|160;: ils s’en excusèrent surl’absence de leur frère, et l’assurèrent qu’à son retour ilsprofiteraient soigneusement de la permission qu’il leur donnait, delui rendre leurs très humbles respects.

Le prince Chéri était trop pressé de sapassion pour manquer à faire beaucoup de diligence&|160;; il trouvaà la pointe du jour un jeune homme bien fait, qui se reposant sousdes arbres, lisait dans un livre&|160;; il l’aborda d’un air civil,et lui dit&|160;:

«&|160;Trouvez bon que je vousinterrompe pour vous demander si vous ne savez point en quel lieuest la pomme qui chante.&|160;»

Le jeune homme haussa les yeux, etsouriant gracieusement&|160;:

«&|160;En voulez-vous faire laconquête&|160;? lui dit-il.

– Oui, s’il m’est possible, repartit leprince.

– Ah&|160;! Seigneur, ajouta l’étranger,vous n’en savez donc pas tous les périls&|160;: voilà un livre quien parle, sa lecture effraye.

– N’importe, dit Chéri, le danger nesera point capable de me rebuter, enseignez-moi seulement où jepourrai la trouver.

– Le livre marque, continua cet homme,qu’elle dans un vaste désert en Libye&|160;; qu’on l’entend chanterde huit lieues, et que le dragon qui la garde a déjà dévoré cinqcent mille personnes qui ont eu la témérité d’y aller.

– Je serai la cinq cent mille etunième&|160;», répondit prince en souriant à son tour.

Et le saluant, il prit son chemin ducôté des déserts de Libye&|160;; son beau cheval qui était de racezéphyrienne, car Zéphyre était son aïeul, allait aussi vite que levent, de sorte qu’il fit une diligence incroyable.

Il avait beau écouter, il n’entendaitd’aucun côté chanter la pomme&|160;; il s’affligeait de la longueurdu chemin, de l’inutilité du voyage, lorsqu’il aperçut une pauvretourterelle qui tombait à ses pieds&|160;; elle n’était pas encoremorte, mais il ne s’en fallait guère. Comme il ne voyait personnequi pût l’avoir blessée, il crut qu’elle était peut-être à Vénus,et que s’étant échappée de son colombier, ce petit mutin d’Amour,pour essayer ses flèches, l’avait tirée. Il en eut pitié, ildescendit de cheval&|160;; il la prit, il essuya ses plumesblanches, déjà teintes de sang vermeil&|160;; et tirant de sa pocheun flacon d’or, où il portait un baume admirable pour lesblessures, il en eut à peine mis sur celle de la tourterellemalade, qu’elle ouvrit les yeux, leva la tête, déploya les ailes,s’éplucha&|160;; puis regardant le prince&|160;:

«&|160;Bonjour, beau Chéri, luidit-elle, vous êtes destiné à me sauver la vie, et je le suispeut-être à vous rendre de grands services. Vous venez pourconquérir la pomme qui chante&|160;; l’entreprise est difficile etdigne de vous, car elle est gardée par un dragon affreux, qui adouze pieds, trois têtes, six ailes, et tout le corps debronze.

– Ah&|160;! ma chère tourterelle, luidit le prince, quelle joie pour moi de te revoir, et dans un tempsoù ton secours m’est si nécessaire&|160;! Ne me le refuse pas, mabelle petite, car je mourrais de douleur, si j’avais la honte deretourner sans la pomme qui chante&|160;; et puisque j’ai eu l’eauqui danse par ton moyen, j’espère que tu en trouveras encorequelqu’un pour me faire réussir dans mon entreprise.

– Vous me touchez, repartit tendrementla tourterelle, suivez-moi, je vais voler devant vous, j’espère quetout ira bien.&|160;»

Le prince la laissa aller&|160;; aprèsavoir marché tout le jour, ils arrivèrent proche d’une montagne desable.

«&|160;Il faut creuser ici&|160;», luidit la tourterelle.

Le prince aussitôt, sans se rebuter derien, se mit à creuser, tantôt avec ses mains, tantôt avec sonépée. Au bout de quelques heures il trouva un casque, une cuirasse,et le reste de l’armure, avec l’équipage pour son cheval,entièrement de miroirs.

«&|160;Armez-vous, dit la tourterelle,et ne craignez point le dragon&|160;; quand il se verra dans tousces miroirs, il aura tant de peur, que, croyant que ce sont desmonstres comme lui, il s’enfuira.&|160;»

Chéri approuva beaucoup cet expédient,il s’arma des miroirs, et reprenant la tourterelle, ils allèrentensemble toute la nuit. Au point du jour, ils entendirent unemélodie ravissante. Le prince pria la tourterelle de lui dire ceque c’était.

«&|160;Je suis persuadée, dit-elle,qu’il n’y a que la pomme qui puisse être si agréable, car elle faitseule toutes les parties de la musique, et sans toucher aucunsinstruments, il semble qu’elle en joue d’une manièreravissante.&|160;»

Ils s’approchaient toujours&|160;; leprince pensait en lui-même qu’il voudrait bien que la pomme chantâtquelque chose qui convînt à la situation où il était&|160;; en mêmetemps il entendit ces paroles&|160;:

L’amour peut surmonter le cœur le plusrebelle&|160;:

Ne cessez point d’être amoureux,

Vous qui suivez les lois d’une beautécruelle,

Aimez, persévérez, et vous serez heureux.

«&|160;Ah&|160;! s’écria-t-il, répondantà ces vers, quelle charmante prédiction&|160;! Je puis espérerd’être un jour plus content que je ne le suis&|160;; l’on vient deme l’annoncer.&|160;»

La tourterelle ne lui dit rienlà-dessus, elle n’était pas née babillarde, et ne parlait que pourles choses indispensablement nécessaires. À mesure qu’il avançait,la beauté de la musique augmentait&|160;; et quelque empressementqu’il eût, il était quelquefois si ravi, qu’il s’arrêtait sanspouvoir penser à rien qu’à écouter&|160;: mais la vue du terribledragon, qui parut tout d’un coup avec ses douze pieds et plus decent griffes, les trois têtes et son corps de bronze, le retira decette espèce de léthargie&|160;: il avait senti le prince de fortloin, et l’attendait pour le dévorer comme tous les autres, dont ilavait fait des repas excellents&|160;; leurs os étaient rangésautour du pommier où était la belle pomme&|160;; ils s’élevaient sihaut qu’on ne pouvait la voir.

L’affreux animal s’avança enbondissant&|160;; il couvrit la terre d’une écume empoisonnée trèsdangereuse&|160;; il sortait de sa gueule infernale du feu et depetits dragonneaux, qu’il lançait comme des dards dans les yeux etles oreilles des chevaliers errants qui voulaient emporter lapomme. Mais lorsqu’il vit son effrayante figure, multipliée cent etcent fois dans tous les miroirs du prince, ce fut lui à son tourqui eut peur&|160;; il s’arrêta, et regardant fièrement le princechargé de dragons, il ne songea plus qu’à s’enfuir. Chéris’apercevant de l’heureux effet de son armure, le poursuivitjusqu’à l’entrée d’une profonde caverne, où il se précipita pourl’éviter&|160;: il en ferma bien vite l’entrée, et se dépêcha deretourner vers la pomme qui chante.

Après avoir monté par-dessus tous les osqui l’entouraient, il vit ce bel arbre avec admiration&|160;; ilétait d’ambre, les pommes de topaze&|160;; et la plus excellente detoutes, qu’il cherchait avec tant de soins et de périls, paraissaitau haut, faite d’un seul rubis, avec une couronne de diamantsdessus. Le prince, transporté de joie de pouvoir donner un trésorsi parfait et si rare à Belle-Étoile, se hâta de casser la branched’ambre&|160;; et tout fier de sa bonne fortune, il monta sur soncheval blanc, mais il ne trouva plus la tourterelle&|160;; dès queses soins lui furent inutiles, elle s’envola. Sans perdre de tempsen regrets superflus, comme il craignait que le dragon, dont ilentendait les sifflements, ne trouvât quelque route pour venir àces pommes, il retourna avec la sienne vers laprincesse.

Elle avait perdu l’usage de dormirdepuis son absence&|160;; elle se reprochait sans cesse son envied’avoir plus d’esprit que les autres&|160;; elle craignait plus lamort de Chéri que la sienne. «&|160;Ah&|160;! malheureuse&|160;!s’écriait-elle, en poussant de profonds soupirs, fallait-il quej’eusse cette vaine gloire&|160;? Ne me suffisait-il pas de penseret de parler assez bien, pour ne faire et ne dire riend’impertinent&|160;? Je serai bien punie de mon orgueil, si jeperds ce que j’aime&|160;! Hélas, continua-t-elle, peut-être queles dieux, irrités des sentiments que je ne puis me défendred’avoir pour Chéri, veulent me l’ôter par une fintragique.&|160;»

Il n’y avait rien que son cœur affligén’imaginât, quand, au milieu de la nuit, elle entendit une musiquesi merveilleuse, qu’elle ne put s’empêcher de se lever, et de semettre à sa fenêtre pour l’écouter mieux&|160;; elle ne savait ques’imaginer. Tantôt elle croyait que c’était Apollon et les Muses,tantôt Vénus, les Grâces et les Amours&|160;; la symphonies’approchait toujours, et Belle-Étoile écoutait.

Enfin le prince arriva&|160;; il faisaitun grand clair de lune&|160;; il s’arrêta sous le balcon de laprincesse qui s’était retirée, quand elle aperçut de loin uncavalier&|160;; la pomme chanta aussitôt&|160;:

Réveillez-vous, belle endormie.

La princesse, curieuse, regardapromptement qui pouvait chanter si bien, et reconnaissant son cherfrère, elle pensa se précipiter de sa fenêtre en bas pour être plustôt auprès de lui&|160;; elle parla si haut, que tout le mondes’étant éveillé, l’on vint ouvrir la porte à Chéri. Il entra avecun empressement que l’on peut assez se figurer. Il tenait dans samain la branche d’ambre, au bout de laquelle était le merveilleuxfruit&|160;; et comme il l’avait sentie souvent, son esprit étaitaugmenté à tel point, que rien dans le monde ne pouvait lui êtrecomparable.

Belle-Étoile courut au-devant de luiavec une grande précipitation.

Pensez-vous que je vous remercie, moncher frère&|160;? lui dit-elle, en pleurant de joie. Non, il n’estpoint de bien que je n’achète trop cher quand vous vous exposezpour me l’acquérir.

– Il n’est point de périls, lui dit-il,auxquels je ne veuille toujours me hasarder pour vous donner laplus petite satisfaction. Recevez, Belle-Étoile, continua-t-il,recevez ce fruit unique, personne au monde ne le mérite si bien quevous&|160;; mais, que vous donnera-t-il que vous n’ayezdéjà&|160;!&|160;»

Petit-Soleil et son frère vinrentinterrompre cette conversation&|160;; ils eurent un sensibleplaisir de revoir le prince, il leur raconta son voyage, et cetterelation les mena jusqu’au jour.

La mauvaise Feintise était revenue danssa petite maison, après avoir entretenu la reine-mère de sesprojets, elle avait trop d’inquiétude pour dormirtranquillement&|160;; elle entendit le doux chant de la pomme, querien dans la nature ne pouvait égaler. Elle ne douta point que laconquête n’en fût faite&|160;! Elle pleura, elle gémit, elles’égratigna le visage, elle s’arracha les cheveux&|160;; sa douleurétait extrême, car au lieu de faire du mal aux beaux enfants, commeelle l’avait projeté, elle leur faisait du bien, quoiqu’il n’entrâtque de la perfidie dans ses conseils.

Dès qu’il fut jour, elle apprit que leretour du prince n’était que trop vrai&|160;; elle retourna chez lareine-mère.

«&|160;Hé bien, lui dit cette princesse,Feintise, m’apportes-tu de bonnes nouvelles&|160;? Les enfantsont-ils péri&|160;?

– Non, madame, dit-elle, en se jetant àses pieds, mais que Votre Majesté ne s’impatiente point, il mereste des moyens infinis de vous en délivrer.

– Ah&|160;! malheureuse, dit la reine,tu n’es au monde que pour me trahir, tu lesépargnes.&|160;»

La vieille protesta bien lecontraire&|160;; et quand elle l’eut un peu apaisée, elle s’enrevint pour rêver à ce qu’il fallait faire.

Elle laissa passer quelques jours sansparaître, au bout desquels elle épia si bien, qu’elle trouva dansune route de la forêt la princesse qui se promenait seule,attendant le retour de ses frères.

«&|160;Le ciel vous comble de biens, luidit cette scélérate en l’abordant&|160;: charmante Étoile, j’aiappris que vous possédez la pomme qui chante&|160;: certainementquand cette bonne fortune me serait arrivée, je n’en aurais pasplus de joie&|160;; car il faut avouer que j’ai pour vous uneinclination qui m’intéresse à tous vos avantages&|160;: cependant,continua-t-elle, je ne peux m’empêcher de vous donner un nouvelavis.

– Ah&|160;! gardez vos avis, s’écria laprincesse en s’éloignant d’elle, quelques biens qu’ils m’apportent,ils ne sauraient me payer l’inquiétude qu’ils m’ontcausée.

– L’inquiétude n’est pas un si grandmal, repartit-elle en souriant, il en est de douces et detendres.

– Taisez-vous, ajouta Belle-Étoile, jetremble quand j’y pense.

Il est vrai, dit la vieille, que vousêtes fort à plaindre, d’être la plus belle et la plus spirituellefille de l’univers&|160;; je vous en fais mes excuses.

– Encore un coup, répliqua la princesse,je sais suffisamment l’état où l’absence de mon frère m’aréduite.

– Il faut malgré cela que je vous dise,continua Feintise, qu’il vous manque encore le petit oiseau Vertqui dit tout&|160;; vous seriez informée par lui de votrenaissance, des bons et des mauvais succès de la vie&|160;; il n’y arien de si particulier qu’il ne nous découvrit&|160;; et lorsqu’ondira dans le monde&|160;: Belle-Étoile a l’eau qui danse, et lapomme qui chante&|160;; l’on dira en même temps&|160;: elle n’a pasle petit oiseau Vert qui dit tout&|160;; et il vaudrait presqueautant qu’elle n’eût rien.&|160;»

Après avoir débité ainsi ce qu’elleavait dans l’esprit, elle se retira. La princesse, triste etrêveuse, commença à soupirer amèrement&|160;: «&|160;Cette femme araison, disait-elle&|160;; de quoi me servent les avantages que jereçois de l’eau et de la pomme, puisque j’ignore d’où je suis, quisont mes parents, et par quelle fatalité mes frères et moi avonsété exposés à la fureur des ondes&|160;? Il faut qu’il y aitquelque chose de bien extraordinaire dans notre naissance pour nousabandonner ainsi, et une protection bien évidente du ciel pour nousavoir sauvés de tant de périls&|160;: quel plaisir n’aurai-je pointde connaître mon père et ma mère, de les chérir, s’ils sont encorevivants, et d’honorer leur mémoire s’ils sont morts&|160;!&|160;»Là-dessus les larmes vinrent avec abondance couvrir ses joues,semblables aux gouttes de la rosée qui paraît le matin sur les lyset sur les roses.

Chéri, qui avait toujours plusd’impatience de la voir que les autres, s’était hâté après lachasse de revenir&|160;; il était à pied, son arc pendaitnégligemment à son côté, sa main était armée de quelques flèches,ses cheveux rattachés ensemble&|160;; il avait en cet état un airmartial qui plaisait infiniment. Dès que la princesse l’aperçut,elle entra dans une allée sombre, afin qu’il ne vît pas lesimpressions de douleur qui étaient sur son visage&|160;; mais unemaîtresse ne s’éloigne pas si vite, qu’un amant bien empressé ne lajoigne. Le prince l’aborda&|160;; il eut à peine jeté les yeux surelle, qu’il connut qu’elle avait quelque peine. Il s’en inquiète,il la prie, il la presse de lui en apprendre le sujet&|160;; elles’en défend avec opiniâtreté&|160;: enfin il tourne la pointe d’unede ses flèches contre son cœur&|160;:

«&|160;Vous ne m’aimez point,Belle-Étoile, lui dit-il, je n’ai plus qu’àmourir.&|160;»

La manière dont il lui parla la jetadans la dernière alarme&|160;; elle n’eut plus la force de luirefuser son secret&|160;: mais elle ne le lui dit qu’à conditionqu’il ne chercherait de sa vie les moyens de satisfaire le désirqu’elle avait&|160;; il lui promit tout ce qu’elle exigeait, et nemarqua point qu’il voulût entreprendre ce derniervoyage.

Aussitôt qu’elle se fut retirée dans sachambre, et les princes dans les leurs, il descendit en bas, tirason cheval de l’écurie, monta dessus, et partit sans en parler àpersonne. Cette nouvelle jeta la belle famille dans une étrangeconsternation. Le roi, qui ne pouvait les oublier, les envoya prierde venir dîner avec lui&|160;; ils répondirent que leur frèrevenait de s’absenter, qu’ils ne pouvaient avoir de joie ni de repossans lui, et qu’à son retour, ils ne manqueraient pas d’aller aupalais. La princesse était inconsolable&|160;: l’eau qui danse etla pomme qui chante n’avaient plus de charmes pour elle&|160;; sansChéri, rien ne lui était agréable.

Le prince s’en alla, errant par lemonde&|160;; il demandait à ceux qu’il rencontrait où il pourraittrouver le petit oiseau Vert qui dit tout&|160;: la plupartl’ignoraient&|160;; mais il rencontra un vénérable vieillard, quil’ayant fait entrer dans sa maison, voulut bien prendre la peine deregarder sur un globe qui faisait une partie de son étude et de sondivertissement. Il lui dit ensuite qu’il était dans un climatglacé, sur la pointe d’un rocher affreux, et il lui enseigna laroute qu’il devait tenir. Le prince, par reconnaissance, lui donnaplein un petit sac de grosses perles qui étaient tombées de sescheveux, et prenant congé de lui, il continua sonvoyage.

Enfin, au lever de l’aurore, il aperçutle rocher, fort haut et fort escarpé&|160;; et sur le sommet,l’oiseau qui parlait comme un oracle, disant des choses admirables.Il comprit qu’avec un peu d’adresse il était aisé de l’attraper,car il ne paraissait point farouche&|160;; il allait et venait,sautant légèrement d’une pointe sur l’autre. Le prince descendit decheval&|160;; et montant sans bruit, malgré l’âpreté de ce mont, ilse promettait le plaisir d’en faire un sensible à Belle-Étoile. Ilse voyait si proche de l’oiseau Vert, qu’il croyait le prendre,lorsque le rocher s’ouvrant tout d’un coup, il tomba dans unespacieuse salle, aussi immobile qu’une statue&|160;; il ne pouvaitni remuer, ni se&|160;plaindre de sa déplorable aventure. Troiscents chevaliers qui l’avaient tentée comme lui, étaient au mêmeétat&|160;; ils s’entre-regardaient, c’était la seule chose quileur était permise.

Le temps semblait si long àBelle-Étoile, que ne voyant point revenir son Chéri, elle tombadangereusement malade. Les médecins connurent bien qu’elle étaitdévorée par une profonde mélancolie&|160;; ses frères l’aimaienttendrement&|160;; ils lui parlèrent de la cause de son mal&|160;:elle leur avoua qu’elle se reprochait nuit et jour l’éloignement deChéri, qu’elle sentait bien qu’elle mourrait, si elle n’apprenaitpas de ses nouvelles&|160;: ils furent touchés de ses larmes, etpour la guérir, Petit-Soleil résolut d’aller chercherfrère.

Le prince partit, il sut en quel lieuétait le fameux oiseau&|160;; il y fut, il le vit, il s’en approchaavec les mêmes espérances&|160;; et dans ce moment le rocherl’engloutit, il tomba dans la grande salle&|160;; la première chosequi arrêta ses regards, ce fut Chéri, mais il ne put luiparler.

Belle-Étoile était un peuconvalescente&|160;; elle espérait à chaque moment de voir revenirses deux frères&|160;: mais ses espérances étant déçues, sonaffliction prit de nouvelles forces&|160;: elle ne cessait plusjour et nuit de se plaindre&|160;; elle s’accusait du désastre deses frères&|160;; et le prince Heureux n’ayant pas moins pitiéd’elle, que d’inquiétude pour les princes, prit à son tour larésolution de les aller chercher. Il le dit à Belle-Étoile&|160;;elle voulut d’abord s’y opposer&|160;: mais il répliqua qu’il étaitbien juste qu’il s’exposât pour trouver les personnes du monde quilui étaient les plus chères&|160;; là-dessus il partit après avoirfait de tendres adieux à la princesse&|160;: elle resta seule enproie à la plus vive douleur.

Quand Feintise sut que le troisièmeprince était en chemin, elle se réjouit infiniment&|160;; elle enavertit la reine-mère, et lui promit plus fortement que jamais deperdre toute cette infortunée famille&|160;: en effet, Heureux eutune aventure semblable à Chéri et à Petit-Soleil&|160;; il trouvale rocher, il vit le bel oiseau, et il tomba comme une statue dansla salle, où il reconnut les princes qu’il cherchait, sans pouvoirleur parler&|160;; ils étaient tous arrangés dans des niches decristal&|160;; ils ne dormaient jamais, ne mangeaient point, etrestaient enchantés d’une manière bien triste, car ils avaientseulement la liberté de rêver, et de déplorer leuraventure.

Belle-Étoile, inconsolable, ne voyantrevenir aucun de ses frères, se reprocha d’avoir tardé si longtempsà les suivre. Sans hésiter davantage, elle donna ordre à tous sesgens de l’attendre six mois&|160;: mais que si ses frères ou ellene revenaient pas dans ce temps, ils retournassent apprendre leurmort au corsaire et à sa femme&|160;; ensuite elle prit un habitd’homme, trouvant qu’il y avait moins à risquer pour elle, ainsitravestie dans son voyage, que si elle était allée en aventurièrecourir le monde. Feintise la vit partir dessus son beaucheval&|160;; elle se trouva alors comblée de joie, et courut aupalais régaler la reine-mère de cette bonne nouvelle.

La princesse s’était armée seulementd’un casque, dont elle ne levait presque jamais la visière, car sabeauté était si délicate et si parfaite, qu’on n’aurait pas cru,comme elle le voulait, qu’elle était un cavalier. La rigueur del’hiver se faisait ressentir, et le pays où était le petit oiseauqui dit tout, ne recevait en aucune saison les heureuses influencesdu soleil.

Belle-Étoile avait un étrange froid,mais rien ne pouvait la rebuter, lorsqu’elle vit une tourterellequi n’était guère moins blanche et guère moins froide que la neige,laquelle était étendue. Malgré toute son impatience d’arriver aurocher, elle ne voulut pas la laisser mourir, et descendant decheval, elle la prit entre ses mains, la réchauffa de son haleine,puis la mit dans son sein&|160;; la pauvre petite ne remuait plus.Belle-Étoile pensait qu’elle était morte, elle y avaitregret&|160;; elle la tira, et la regardant, elle lui dit, comme sielle eût pu l’entendre&|160;:

«&|160;Que ferai-je, bien aimabletourterelle, pour te sauver la vie&|160;?

– Belle-Étoile, répondit la bestiole, undoux baiser de votre bouche peut achever ce que vous avez sicharitablement commencé.

– Non pas un, dit la princesse, maiscent, s’il les faut.&|160;»

Elle la baisa&|160;; et la tourterelle,reprenant courage, lui dit gaiement&|160;:

«&|160;Je vous connais, malgré votredéguisement&|160;; sachez que vous entreprenez une chose qui vousserait impossible sans mon secours&|160;; faites donc ce que jevais vous conseiller. Dès que vous serez arrivée au rocher, au lieude chercher le moyen d’y monter, arrêtez-vous au pied, et commencezla plus belle chanson et la plus mélodieuse que vous sachiez.L’oiseau Vert qui dit tout, vous écoutera, et remarquera d’où vientcette voix, ensuite vous feindrez de vous endormir&|160;: jeresterai auprès de vous&|160;; quand il me verra, il descendra dela pointe du rocher pour me béqueter&|160;: c’est dans ce momentque vous le pourrez prendre.&|160;»

La princesse, ravie de cette espérance,arriva presque aussitôt au rocher&|160;; elle reconnut les chevauxde ses frères qui broutaient l’herbe&|160;: cette vue renouvelatoutes ses douleurs&|160;; elle s’assit, et pleura longtempsamèrement. Mais le petit oiseau Vert disait de si belles choses, etsi consolantes pour les malheureux, qu’il n’y avait point de cœuraffligé qu’il ne réjouît&|160;; de sorte qu’elle essuya ses larmes,et se mit à chanter si haut et si bien, que les princes au fond deleur salle enchantée eurent le plaisir de l’entendre.

Ce fut le premier moment où ilssentirent quelque espérance. Le petit oiseau Vert qui dit toutécoutait et regardait d’où venait cette voix&|160;; il aperçut laprincesse, qui avait ôté son casque pour dormir plus commodément,et la tourterelle qui voltigeait autour d’elle. À cette vue, ildescendit doucement, et vint la béqueter&|160;; mais il ne luiavait pas arraché trois plumes, qu’il était déjà pris.

«&|160;Ah&|160;! que mevoulez-vous&|160;? lui dit-il. Que vous ai-je fait pour venir de siloin me rendre si malheureux&|160;? Accordez-moi ma liberté, jevous en conjure&|160;; voyez ce que vous souhaitez en échange, iln’y a rien que je ne fasse.

– Je désire, lui dit Belle-Étoile, quetu me rendes mes trois frères, je ne sais où ils sont, mais leurschevaux qui paissent près de ce rocher me font connaître que tu lesretiens en quelque lieu.

– J’ai, sous l’aile gauche, une plumeincarnate&|160;; arrachez-la, lui dit-il, servez-vous-en pourtoucher le rocher.&|160;»

La princesse fut diligente à ce qu’illui avait commandé&|160;; en même temps elle vit des éclairs, etelle entendit un bruit de vents et de tonnerre mêlés ensemble, quilui firent une crainte extrême. Malgré sa frayeur, elle tinttoujours l’oiseau Vert, craignant qu’il ne lui échappât&|160;; elletoucha encore le rocher avec la plume incarnate, et la troisièmefois, il se fendit depuis le sommet jusqu’au pied&|160;; elle entrad’un air victorieux dans la salle où les trois princes étaient avecbeaucoup d’autres&|160;: elle courut vers Chéri, il ne lareconnaissait point avec son habit et son casque, et puisl’enchantement n’était pas encore fini, de sorte qu’il ne pouvaitni parler ni agir. La princesse, qui s’en aperçut, fit de nouvellesquestions à l’oiseau Vert, auxquelles il répondit qu’il fallaitavec la plume incarnate frotter les yeux et la bouche de tous ceuxqu’elle voudrait désenchanter&|160;: elle rendit ce bon office àplusieurs rois, à plusieurs souverains, et particulièrement à nostrois princes.

Touchés d’un si grand bienfait, ils sejetèrent tous à ses genoux, le nommant le libérateur des rois. Elles’aperçut alors que ses frères, trompés par ses habits, ne lareconnaissaient point&|160;; elle ôta promptement son casque, elleleur tendit les bras, les embrassa cent fois, et demanda aux autresprinces avec beaucoup de civilité, qui ils étaient&|160;; chacunlui dit son aventure particulière, et ils s’offrirent àl’accompagner partout où elle voudrait aller. Elle réponditqu’encore que les lois de la chevalerie pussent lui donner quelquedroit sur la liberté qu’elle venait de leur rendre, elle neprétendait point s’en prévaloir. Là-dessus elle se retira avec lesprinces, pour se rendre compte les uns aux autres de ce qui leurétait arrivé depuis leur séparation.

Le petit oiseau Vert qui dit tout lesinterrompit pour prier Belle-Étoile de lui accorder saliberté&|160;; elle chercha aussitôt la tourterelle, afin de lui endemander avis, mais elle ne la trouva plus. Elle répondit àl’oiseau qu’il lui avait coûté trop de peines et d’inquiétudes pourjouir si peu de sa conquête. Ils montèrent tous quatre à cheval, etlaissèrent les empereurs et les rois à pied, car depuis deux outrois cents ans qu’ils étaient là, leurs équipages avaientpéri.

La reine-mère, débarrassée de toutel’inquiétude que lui avait causée le retour des beaux enfants,renouvela ses instances auprès du roi pour le faire remarier, etl’importuna si fort, qu’elle lui fit choisir une princesse de sesparentes. Et comme il fallait casser le mariage de la pauvre reineBlondine, qui était toujours demeurée auprès de sa mère, à leurpetite maison de campagne, avec les trois chiens qu’elle avaitnommés Chagrin, Mouron et Douleur, à cause de tous les ennuisqu’ils lui avaient causés, la reine-mère l’envoya quérir&|160;;elle monta en carrosse, et prit les doguins, étant vêtue de noir,avec un long voile qui tombait jusqu’à ses pieds.

En cet état, elle parut plus belle quel’astre du jour, quoiqu’elle fût devenue pâle et maigre, car ellene dormait point, et ne mangeait que par complaisance. Pour samère, tout le monde en avait grande pitié&|160;; le roi en fut siattendri qu’il n’osait jeter les yeux sur elle&|160;; mais quand ilpensait qu’il courait risque de n’avoir point d’autres héritiersque des doguins, il consentait à tout.

Le jour étant pris pour la noce, lareine-mère, priée par l’amirale Rousse (qui haïssait toujours soninfortunée sœur), dit qu’elle voulait que la reine Blondine parût àla fête&|160;; tout était préparé pour la faire grande etsomptueuse&|160;; et comme le roi n’était pas fâché que lesétrangers vissent sa magnificence, il ordonna à son premier écuyerd’aller chez les beaux enfants, les convier à venir, et luicommanda qu’en cas qu’ils ne fussent pas encore venus, il laissâtde bons ordres afin qu’on les avertît à leur retour.

Le premier écuyer les alla chercher, etne les trouva point&|160;; mais sachant le plaisir que le roiaurait de les voir, il laissa un de ses gentilshommes pour lesattendre, afin de les amener sans aucun retardement. Cet heureuxjour venu, qui était celui du grand banquet, Belle-Étoile et lestrois princes arrivèrent&|160;; le gentilhomme leur appritl’histoire du roi, comme il avait autrefois épousé une pauvrefille, parfaitement belle et sage, qui avait eu le malheurd’accoucher de trois chiens&|160;; qu’il l’avait chassée pour ne laplus voir&|160;; que, cependant, il l’aimait tant, qu’il avaitpassé quinze ans sans vouloir écouter aucune proposition demariage&|160;; que la reine-mère et ses sujets l’ayant fortementpressé, il s’était résolu à épouser une princesse de la cour, etqu’il fallait promptement y venir pour assister à toute lacérémonie.

En même temps Belle-Étoile prit une robede velours, couleur de rose, toute garnie de diamantsbrillants&|160;; elle laissa tomber ses cheveux par grosses bouclessur les épaules&|160;; ils étaient renoués de rubans, l’étoilequ’elle avait sur le front jetait beaucoup de lumière, et la chaîned’or qui tournait autour de son cou, sans qu’on la pût ôter,semblait être d’un métal plus précieux que l’or même. Enfin jamaisrien de si beau ne parut aux yeux des mortels. Ses frères n’étaientpas moins bien, entre autres le prince Chéri&|160;; il avaitquelque chose qui le distinguait très avantageusement. Ilsmontèrent tous quatre dans un chariot d’ébène et d’ivoire, dont lededans était de drap d’or, avec des carreaux de même, brodés depierreries&|160;; douze chevaux blancs le traînaient&|160;: lereste de leur équipage était incomparable. Lorsque Belle-Étoile etses frères parurent, le roi ravi les vint recevoir avec toute sacour, au haut de l’escalier. La pomme qui chante se faisaitentendre d’une manière merveilleuse, l’eau qui danse, dansait, etle petit oiseau qui dit tout, parlait mieux que les oracles&|160;:ils se baissèrent tous quatre jusqu’aux genoux du roi, et luiprenant la main, ils la baisèrent avec autant de respect qued’affection. Il les embrassa, et leur dit&|160;:

«&|160;Je vous suis obligé, aimablesétrangers, d’être venus aujourd’hui&|160;; votre présence me faitun plaisir sensible.&|160;»

En achevant ces mots, il entra avec euxdans un grand salon, où les musiciens jouaient de toutes sortesd’instruments, et plusieurs tables servies splendidement nelaissaient rien à souhaiter pour la bonne chère.

La reine-mère vint, accompagnée de safuture belle-fille, de l’amirale Rousse, et de toutes les dames,entre lesquelles on amenait la pauvre reine, liée par le cou, avecune longe de cuir, et les trois chiens attachés de même. On la fitavancer jusqu’au milieu du salon, où était un chaudron plein d’oset de mauvaises viandes, que la reine-mère avait ordonnés pour leurdîner.

Quand Belle-Étoile et les princes lavirent si malheureuse, bien qu’ils ne la connussent point, leslarmes leur vinrent aux yeux, soit que la révolution des grandeursdu monde les touchât, ou qu’ils fussent émus par la force du sangqui se fait souvent ressentir. Mais que pensa la mauvaise reined’un retour si peu espéré et si contraire à ses desseins&|160;?Elle jeta un regard furieux sur Feintise, qui désirait ardemmentalors que la terre s’ouvrît pour s’y précipiter.

Le roi présenta les beaux enfants à samère, lui disant mille biens d’eux&|160;; et malgré l’inquiétudedont elle était saisie, elle ne laissa pas de leur parler avec unair riant, et de leur jeter des regards aussi favorables que sielle les eût aimés, car la dissimulation était en usage dès cetemps-là. Le festin se passa fort gaiement, quoique le roi eût uneextrême peine de voir manger sa femme avec ses doguins, comme ladernière des créatures&|160;; mais ayant résolu d’avoir de lacomplaisance pour sa mère, qui l’obligeait à se remarier, il lalaissait ordonner de tout.

Sur la fin du repas, le roi adressant laparole à Belle-Étoile&|160;:

«&|160;Je sais, lui dit-il, que vousêtes en possession de trois trésors qui sont incomparables&|160;;je vous en félicite, et je vous prie de nous raconter ce qu’il afallu faire pour les conquérir.

– Sire, dit-elle, je vous obéirai avecplaisir&|160;: l’on m’avait dit que l’eau qui danse me rendraitbelle, et que la pomme qui chante me donnerait de l’esprit&|160;;j’ai souhaité les avoir par ces deux raisons. À l’égard du petitoiseau Vert qui dit tout, j’en ai eu une autre&|160;; c’est quenous ne savons rien de notre fatale naissance&|160;: nous sommesdes enfants abandonnés de nos proches, qui n’en connaissonsaucun&|160;; j’ai espéré que ce merveilleux oiseau nouséclaircirait sur une chose qui nous occupe jour et nuit.

– À juger de votre naissance par vous,répliqua le roi, elle doit être des plus illustres&|160;; maisparlez sincèrement, qui êtes-vous&|160;?

– Sire, lui dit-elle, mes frères et moiavons différé de l’interroger jusqu’à notre retour&|160;: enarrivant nous avons reçu vos ordres pour venir à vos noces&|160;;tout ce que j’ai pu faire, ç’a été de vous apporter ces troisraretés pour vous divertir.

– J’en suis très aise, s’écria le roi,ne différons pas une chose si agréable.

Vous vous amusez à toutes les bagatellesqu’on vous propose, dit la reine-mère en colère&|160;; voilà deplaisants marmousets, avec leurs raretés&|160;: en vérité, le nomseul fait assez connaître que rien n’est plus ridicule&|160;:fi&|160;! fi&|160;! je ne veux pas que de petits étrangers,apparemment de la lie du peuple, aient l’avantage d’abuser de votrecrédulité&|160;; tout cela consiste en quelques tours de gibecièreet de gobelets&|160;; et sans vous, ils n’auraient pas eu l’honneurd’être assis à ma table.&|160;»

Belle-Étoile et ses frères entendant undiscours si désobligeant, ne savaient que devenir&|160;; leurvisage était couvert de confusion et de désespoir, d’essuyer un telaffront devant toute cette grande cour. Mais le roi ayant répondu àsa mère que son procédé l’outrait, pria les beaux enfants de nes’en point chagriner, et leur tendit la main en signe d’amitié.Belle-Étoile prit un bassin de cristal de roche, dans lequel elleversa toute l’eau qui danse&|160;; on vit aussitôt que cette eaus’agitait, sautait en cadence, allait et venait, s’élevait commeune petite mer irritée, changeait de mille couleurs, et faisaitaller le bassin de cristal le long de la table du roi&|160;; puisil s’en élança tout d’un coup quelques gouttes sur le visage dupremier écuyer, à qui les enfants avaient de l’obligation. C’étaitun homme d’un mérite rare, mais sa laideur ne l’était pas moins, etil en avait même perdu un œil. Dès que l’eau l’eut touché, ildevint si beau qu’on ne le reconnaissait plus, et son œil se trouvaguéri. Le roi, qui l’aimait chèrement, eut autant de joie de cetteaventure que la reine-mère en ressentit de déplaisir, car elle nepouvait entendre les applaudissements qu’on donnait aux princes.Après que le grand bruit fut cessé, Belle-Étoile mit sur l’eau quidanse la pomme qui chante, faite d’un seul rubis, couronnée dediamants, avec sa branche d’ambre&|160;; elle commença un concertsi mélodieux que cent musiciens se seraient fait moins entendre.Cela ravit le roi et toute sa cour, et l’on ne sortait pointd’admiration, quand Belle-Étoile tira de son manchon une petitecage d’or, d’un travail merveilleux, où était l’oiseau Vert qui dittout&|160;; il ne se nourrissait que de poudre de diamants, et nebuvait que de l’eau de perles distillées. Elle le prit biendélicatement, et le posa sur la pomme, qui se tut par respect, afinde lui donner le temps de parler&|160;: il avait ses plumes d’unesi grande délicatesse, qu’elles s’agitaient quand on fermait lesyeux et qu’on les rouvrait proche de lui&|160;; elles étaient detoutes les nuances de vert que l’on peut imaginer&|160;: ils’adressa au roi, et lui demanda ce qu’il voulaitsavoir.

«&|160;Nous souhaitons tous d’apprendre,répliqua le roi, qui sont cette belle fille et ces troiscavaliers.

– Ô roi, répondit l’oiseau Vert, avecune voix forte et intelligible, elle est ta fille, et deux de cesprinces sont tes fils&|160;; le troisième, appelé Chéri, est tonneveu.&|160;»

Là-dessus il raconta avec une éloquenceincomparable toute l’histoire, sans négliger la moindrecirconstance.

Le roi fondait en larmes, et la reineaffligée, qui avait quitté son chaudron, ses os et ses chiens,s’était approchée doucement&|160;: elle pleurait de joie et d’amourpour son mari et pour ses enfants&|160;; car pouvait-elle douter dela vérité de cette histoire, quand elle leur voyait toutes lesmarques qui pouvaient les faire reconnaître&|160;? Les troisprinces et Belle-Étoile se levèrent à la fin de leurhistoire&|160;; ils vinrent se jeter aux pieds du roi, ilsembrassaient ses genoux, ils baisaient ses mains&|160;; il leurtendait les bras, il les serrait contre son cœur&|160;; l’onn’entendait que des soupirs, hélas&|160;! des cris de joie. Le roise leva, et voyant la reine sa femme qui demeurait toujourscraintive proche de la muraille, d’un air humilié, il alla à elle,et lui faisant mille caresses, il lui présenta lui-même un fauteuilauprès du sien, et l’obligea de s’y asseoir.

Ses enfants lui baisèrent mille fois lespieds et les mains&|160;; jamais spectacle n’a été plus tendre niplus touchant&|160;: chacun pleurait en son particulier, et levaitles mains et les yeux au ciel, pour lui rendre grâce d’avoir permisque des choses si importantes et si obscures fussent connues. Leroi remercia la princesse qui avait eu le dessein de l’épouser, illui laissa une grande quantité de pierreries. Mais à l’égard de lareine-mère, de l’amirale et de Feintise, que n’aurait-il pas faitcontre elles, s’il n’avait écouté que son ressentiment&|160;? Letonnerre de sa colère commençait à gronder, lorsque la généreusereine, ses enfants et Chéri le conjurèrent de s’apaiser, et devouloir rendre contre elles un jugement plus exemplaire querigoureux&|160;: il fit enfermer la reine-mère dans une tour&|160;;mais pour l’amirale et Feintise, on les jeta ensemble dans uncachot noir et humide, où elles ne mangeaient qu’avec les troisdoguins appelés Chagrin, Mouron et Douleur, lesquels, ne voyantplus leur bonne maîtresse, mordaient celles-ci à tousmoments&|160;; elles y finirent leur vie, qui fut assez longue pourleur donner le temps de se repentir de tous leurscrimes.

Dès que la reine-mère, l’amirale Rousseet Feintise eurent été emmenées, chacune dans le lieu que le roiavait ordonné, les musiciens recommencèrent à chanter et à jouerdes instruments. La joie était sans pareille&|160;; Belle-Étoile etChéri en ressentaient plus que tout le reste du mondeensemble&|160;; ils se voyaient à la veille d’être heureux. Eneffet, le roi trouvant son neveu le plus beau et le plus spirituelde toute sa cour, lui dit qu’il ne voulait pas qu’un si grand jourse passât sans faire des noces, et qu’il lui accordait sa fille. Leprince, transporté de joie, se jeta à ses pieds, Belle-Étoile netémoigna guère moins de satisfaction.

Mais il était bien juste que la vieilleprincesse, qui vivait dans la solitude depuis tant d’années, laquittât pour partager l’allégresse publique. Cette même petite fée,qui était venue dîner chez elle et qu’elle reçut si bien, y entratout d’un coup, pour lui raconter ce qui se passait à lacour.

«&|160;Allons-y, continua-t-elle, jevous apprendrai pendant le chemin les soins que j’ai pris de votrefamille.&|160;»

La princesse reconnaissante monta dansson chariot&|160;; il était brillant d’or et d’azur, précédé pardes instruments de guerre, et suivi de six cents gardes du corps,qui paraissaient de grands seigneurs. Elle raconta à la princessetoute l’histoire de ses petits-fils, et lui dit qu’elle ne lesavait point abandonnés&|160;; que sous la forme d’une sirène, souscelle d’une tourterelle, enfin, de mille manières, elle les avaitprotégés.

«&|160;Vous voyez, ajouta la fée, qu’unbienfait n’est jamais perdu.&|160;»

La bonne princesse voulait à tousmoments baiser ses mains pour lui marquer sa reconnaissance&|160;;elle ne trouvait point de termes qui ne fussent au-dessous de sajoie. Enfin elles arrivèrent. Le roi les reçut avec milletémoignages d’amitié. La reine Blondine et les beaux enfantss’empressèrent, comme on le peut croire, à témoigner de l’amitié àcette illustre dame&|160;; et lorsqu’ils surent ce que la fée avaitfait en leur faveur, et qu’elle était la gracieuse tourterelle quiles avait guidés, il ne se peut rien ajouter à tout ce qu’ils luidirent. Pour achever de combler le roi de satisfaction, elle luiapprit que sa belle-mère, qu’il avait toujours prise pour unepauvre paysanne, était née princesse souveraine. C’était peut-êtrela seule chose qui manquait au bonheur de ce monarque. La fêtes’acheva par le mariage de Belle-Étoile avec le prince Chéri. L’onenvoya quérir le corsaire et sa femme, pour les récompenser encorede la noble éducation qu’ils avaient donnée aux beaux enfants.Enfin, après de longues peines, tout le monde futsatisfait.

L’amour, n’en déplaise aux censeurs,

Est l’origine de la gloire&|160;;

Il fait animer les grands cœurs

À braver le péril, à chercher lavictoire.

C’est lui, qui, dans tout l’univers,

A du prince Chéri conservé lamémoire&|160;;

Et qui lui fit tenter tous les exploitsdivers

Que l’on remarque en son histoire.

Du moment qu’au beau sexe on veut faire sacour,

Il faut se préparer à servir sescaprices&|160;;

Mais un cœur ne craint pas les plus grandsprécipices,

S’il a, pour l’animer, et la gloire etl’amour.

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