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Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Conversation d’une petite fille avec sa poupée

de Sophie de Renneville

INTRODUCTION.

MONSIEUR et madame Belmont avoient une petite fille de cinq ans, appelée Mimi ; elle étoit blanche comme du lait, et douce comme un petit agneau. Mimi ne désobéissoit jamais à sa maman. Pour ne point faire de bruit, elle prenoit sa poupée, s’asseyoit dans un coin de la chambre, et causoit avec elle. Mimi faisoit la maman. Zozo, c’est ainsi qu’elle nommoit sa poupée, était sa fille.

La petite maman répondoit pour Zozo, comme on peut le croire. Si la poupée répondoit bien, elle étoit récompensé ; si elle répondoit mal, elle étoit punie.

Dans ces conversations, Mimi répétoit exactement tout ce que lui disoit sa mère, qui s’en amusoit, et prenoit quelquefois part à ce léger badinage, sans que Mimi en fût plus déconcertée. Mimi prenoit aussi un grand plaisir à faire la petite maîtresse : Zozo étoit examinée le matin, après dîner,quand madame Belmont rentroit, en revenant de la promenade, et le soir avant de se coucher.

Partie 1
PREMIÈRE CONVERSATION.

MIMI est habillée ; elle a déjeuné, et seprépare à faire la toilette de sa fille, Mimi questionne ainsi sapoupée :

Zozo, avez-vous pleuré quand on vous adébarbouillée ? – Non, maman. – Avez-vous lavé vosmains ? – Oui, maman. – Avez-vous fait votre prière ? –Oui, maman. – C’est le bon Dieu, ma fille, qui vous a donné votrepapa et votre maman ; c’est lui qui tous les jours vous donnede quoi vous nourrir et vous habiller : il faut bienl’aimer ! Avez-vous souhaité le bonjour à papa et àmaman ? – Oui, maman. – Bien, ma fille ; je suis contentede vous. Jeannette, apportez la belle robe de crêpe rose de Zozo,celle qui est garnie de fleurs ; mais comme elle estdéchirée !… C’est vous, Zozo, qui avez fait cela ? –Maman, je ne le ferai plus ! – Mademoiselle, pour votrepénitence, vous mangerez votre pain sec… Il est bien temps depleurer ! – Ma petite maman, je ne déchirerai plus marobe ; jamais, jamais !… c’est un arbre du Luxembourg quim’a accrochée. – Comment, Zozo, je ne voyais pas, vraiment !cette robe est toute tachée !… Fi ! que c’est laid d’êtremalpropre !… Mademoiselle, vous mettrez aujourd’hui votre robesale. Allez, je ne veux plus vous voir ! (elle la conduit dansun coin.) Tournez-vous du côté du mur, et restez là. Oh ! lalaide ! oui, pleurez à présent. – Ce sont les confitures quiont taché ma robe. – Vous raisonnez, je crois ! Si ce sont lesconfitures, vous n’en aurez plus. Vous pleurez, encore plusfort ! ah ! mademoiselle, vous êtes gourmande ! jesuis bien aise de le savoir ! du pain sec, c’est ce qu’il fautaux gourmands. Allons, venez lire. Si vous dites bien votre leçon,je vous pardonnerai. Voyons, dites vos lettres.

ZOZO.

a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, 1, m, n, o,p, q, r, s, t, u, v, x, y, z, etc.

MIMI.

Bien. Épelez à présent.

ZOZO.

ba, be, bi, bo, bu.

MIMI.

On ne dit pas bé, maisbe.

ZOZO.

ca, ce, ci, co, cu.

MIMI.

C’est, très mal, ça. On dit ka, ce, ci, ko,ku ; entendez-vous, mademoiselle, et souvenez-vous-en.

ZOZO.

da, de, di, do, du.

MIMI.

Toujours la même faute ! On ne dit pasdé mais de.Faites-y donc attention !

ZOZO.

fa, fe, fi, fo, fu.

MIMI.

Vous êtes incorrigible, Zozo. Ditesfe et non pas fé.

Mais en voilà assez. Comptez jusqu’àvingt.

ZOZO.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept,huit, neuf, dix, onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize,dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt.

MIMI.

Combien y a-t-il de voyelles ?

ZOZO.

Cinq : a, e, i, o, u.

MIMI.

Et de consonnes ?

ZOZO.

Dix-neuf : b, c, d, f, g, h, j, k, l, m,n, p, q, r, s, t, v, x, z.

MIMI.

Bien, ma fille, je suis contente de toi ;viens embrasser ta maman !

Si tu savois, Zozo, comme tu es gentille quandtu es sage, tu ne te ferois jamais gronder ! et puis tumangerois toujours de bonnes choses ; je te donnerois de beauxchiffons pour récompenses, tu serois caressée de tout lemonde ! Est-ce que tu n’aimes pas les bonbons et lesjoujoux ? – Pardonnez-moi, maman. – Eh bien ! Zozo, ilfaut être bien sage, et tu en auras.

Mimi et Zozo étaient fort bien ensemble,lorsque madame Belmont appela sa fille pour l’envoyer promener avecsa bonne, Mimi courut à sa maman, et par sa précipitation,renversa sa poupée, qui entraîna avec elle la boîte aux joujoux.Jeannette n’étant pas encore prête, Mimi revint auprès de Zozo,qu’elle trouva étendue par terre, le nez sur le parquet, et leschiffons éparpillés autour d’elle. Elle releva sa poupée, et luidemanda, en colère, qui avoit renversé ses chiffons ? – Cen’est pas moi, maman. – Vous mentez, Zozo ! personne n’estentré ici. Vous aurez voulu voir les fleurs d’or qui sont dans maboîte. Il ne faut jamais mentir, mademoiselle ; c’est fortmal ! vous allez avoir le fouet ! Jeannette, apportez-moiles verges. – Je ne le ferai plus, maman (elle pleure). Mimi, aprèsl’avoir fouettée : Ah ! ah ! je vous apprendrai àmentir ! fi ! rien n’est si vilain que cela ! Mimien étoit là de sa réprimande, quand madame Belmont l’appela denouveau. Après avoir rangé ses chiffons, la petite s’en alla avecJeannette. Elle voulut bien pardonner à Zozo, et l’emmena avecelle.

Quand elles furent au Luxembourg, Mimi racontaà sa bonne les grands sujets de mécontentement que Zozolui avoit donnés. Jeannette, qui avoit horreur du mensonge, luiraconta l’histoire suivante :

Le petit Menteur.

Il y avoit une fois un laboureur, nomméJacques, qui étoit resté veuf avec trois enfans, Charles, âgé desix ans, Firmin, âgé de cinq ans, et Jean, âgé de quatre ans. Cestrois petits garçons n’étoient point méchans ; mais Charlesétoit gourmand, Firmin menteur, et Jean désobéissant ; ce quidonnoit beaucoup de chagrin à leur père.

Jacques avoit dans son jardin un arbre quidonnoit des poires très-grosses et très-belles : « Je nesuis pas assez riche, dit cet homme, pour mettre d’aussi beau fruitsur ma table ; il faut que je les vende. Avec cet argent,j’achèterai une veste à Charles, des bas à Firmin, et à Jean dessouliers pour les dimanches car j’espère bien avoir 12 fr. de mespoires ! »

Jacques, voulant aller travailler, recommandaà ses enfans de se bien conduire, pendant que Marguerite, leurgrand’mère, feroit le ménage ; et surtout, de ne point toucheraux poires du bel arbre ; « car, vois-tu, mon fils,dit-il à Charles, si tu en manageois, tu n’aurois pas une belleveste neuve, ni tes frères des bas et des souliers ! »Charles promit de ne point toucher aux belles poires, et son pèrele quitta.

Ces trois petits garçons se trouvant seulsdans le jardin, parce que la mère Marguerite étoit restée dans lamaison à faire le ménage, Charles le gourmand dit à sesfrères : « Voyons donc ces belles poires que notre pèreveut vendre pour m’acheter une veste, et à vous des bas et dessouliers » ; et tous les trois allèrent auprès del’arbre. Charles, en voyant les poires, en eut envie :« J’en mangerois bien une, dit-il ; elles doivent êtrebien sucrées ! et toi, Firmin ? – Oh ! non, papa l’adéfendu ! – Bah ! une seulement ; il n’y paroîtrapas du tout ! et toi, Jean ? – Papa l’a défendu ! –Que tu es bête ! mange toujours ; il n’en saurarien ! » Et voilà Charles qui grimpe sur l’arbre, etcueille trois poires, une pour Firmin, une pour Jean, et une pourlui.

Jacques, qui se doutoit que Charles legourmand feroit désobéir ses frères, n’avoit pas été auxchamps ; il s’étoit caché dans un coin du côté du belarbre ; il entendit la conversation de ses enfans, et leur vitmanger ses poires. Voulant les éprouver, il les laissa s’éloigner,et fut cette fois tout de bon à la charrue.

À l’heure du dîner, le laboureur revint à samaison :

« Je veux, dit-il à ses enfans, cueillirles poires du bel arbre, pour les aller vendre demain aumarché. » Les trois enfans se regardèrent. « Charles,continua le père, va me chercher le panier qui est dans la sallebasse. » Charles ayant apporté le panier, le laboureur monta àl’échelle, et cueillit ses belles poires. Quand il eut fini, il lescompta, et dit à ses enfans :

« Quelqu’un a mangé de mes poires ;il en manque trois. Qu’est-ce qui est venu dans le jardin ? –Personne que la mère Marguerite ; répondit Firmin. – Ce n’estpas la mère Marguerite, dit le laboureur ; elle n’avoit pointd’échelle, et l’arbre est trop haut pour qu’elle puisse cueillirles fruits. Je crois, moi, que c’est vous tous. » Aussitôt lesenfans se mirent à pleurer.

« Charles, dit Jacques à son fils aîné,parle vrai ; en as-tu mangé ? – Oui, mon papa, réponditCharles, en fondant en larmes ! – Puisque tu as été gourmand,reprit Jacques, tu n’auras point de veste ; mais comme tu asdit la vérité, tu ne seras point puni. Et toi, Firmin, as-tu aussimangé une poire ?

– Non, mon papa. – Comment ! Charles amangé tout seul trois grosses poires sans vous en donner ? –Oui, mon papa. – Qu’en dis-tu, Charles ? » Charles baissales yeux et ne répondit pas.

« Et toi, Jean ? – Papa, j’en aimangé une aussi » ; et, ce petit pleura bien fort !« Je te l’avois cependant défendu ! – Je ne serai plusjamais désobéissant, mon papa. – À la bonne heure !… Il n’y adonc que Firmin qui ait craint de me déplaire… Cependant, il fautque je sache quel est celui de vous qui a mangé deux poires :combien as-tu mangé de poires, Charles ? – Je n’en ai mangéqu’une, mon papa. – Et toi, Jean ? – Qu’une aussi, papa. – Ilm’en manque trois ! qui donc a mangé la troisième ?ah ! c’est peut-être la mère Marguerite !… Ne dites rien,je vais bien l’attraper ! Faisons l’épreuve du coq. »

Aussitôt Charles fut chercher son coq favori.Jacques le prit, s’éloigna un moment, et revint tenant le coq dansses bras. Il fit ranger sa petite famille sur une ligne, la mèreMarguerite à la tête ; et il appela chacun à son tour pourpasser la main sur le dos du coq. « Je verrai, dit-il, quelest le coupable car il ne l’aura pas plutôt touché que le coqchantera. » La mère Marguerite, Charles et Jean qui necraignoient rien, passèrent la main sur le dos du coq ; pourFirmin, il eut tant de peur de l’entendre chanter, qu’il n’y touchapas. « Voyons vos mains, demanda Jacques ? » Tousprésentèrent leurs mains. « C’est Firmin, dit-il, qui a mangéla poire ; il s’est vendu lui-même : vous voyez que samain est blanche, et que celles des autres sont noires ; parceque j’avois noirci le dos du coq : Firmin se sentant coupablen’a pas osé y toucher ! c’est ainsi qu’on prend lesmenteurs !… » Firmin, confondu, se mit à pleurer.« Je n’ai pas pitié de tes larmes, lui dit son père ; cen’est pas assez d’être gourmand et désobéissant, tu es encorementeur ! fi ! cela est affreux ! » Et aussitôtJacques dit à la mère Marguerite de donner le fouet à Firmin.

Ce même jour, comme le laboureur se reposoitaprès son travail, entouré de ses trois enfans, il fut abordé parun monsieur bien mis, qui le pria de lui donner un peu de cidrepour le rafraîchir. Jacques alla lui en chercher, et le lui donnade bonne grâce. « Je vous remercie, lui dit l’étranger :j’avois chaud ; vous m’avez rendu service, et je voudroisfaire quelque chose pour vous. À qui sont ces beaux enfans ? –C’est à moi, monsieur. – Je les trouve charmans, dit leseigneur ; car s’en étoit un. Hélas ! ils me rappellentmon fils ! il étoit de l’âge de votre aîné, lorsque le bonDieu le retira du monde. C’étoit un enfant si doux ! jamais iln’avoit désobéi ! il n’étoit ni gourmand, ni menteur ; ilne pleuroit que lorsqu’il me voyoit malade ! J’ai conservétous ses joujoux, et j’ai fait le serment de ne les donner qu’à unenfant, qui comme lui ne seroit ni gourmand, ni menteur, nidésobéissant. Je voudrais bien qu’un des vôtres méritât ces jolieschoses ; j’aime déjà ces petits à cause de vous. Sans doutevous en êtes bien content ? » Le laboureur secoua latête, et le monsieur soupira ! « Vous me faites de lapeine, dit-il à Jacques ; car je vois que vos enfans ne sontpas sages. Faisons un accommodement ; si, pendant trois mois,vos enfans ne sont ni gourmands, ni menteurs, ni désobéissans, ilsauront les joujoux de mon fils, et je leur donnerai à chacun unhabit neuf. Cet arrangement vous plaît-il ? » Lelaboureur répondit comme il le devoit à tant de bontés ; et leseigneur ajouta : « Pour donner à vos enfans le désir dese bien conduire, amenez-les à mon château, je leur ferai voir lesbelles choses que je leur destine. »

Le lendemain, Jacques ne manqua pas de menerses enfans au château du seigneur. Ils furent éblouis de la beautéet de la richesse des appartemens : l’or et l’argent ybrilloient de toutes parts ! On les fit passer dans une pièceplus belle que les autres. On y voyoit une table couverte d’ungrand voile de gaze d’or. Le seigneur leva le voile, et les enfansvirent avec surprise de beaux carrosses, des chevaux, descabriolets, des polichinels, des poupards, des ménages d’argent, etmille autres belles choses qu’ils n’avoient jamais vues de leurvie. Puis des bonbons, des confitures sèches, du sucre d’orge, ettoute sorte de friandises ; car le petit monsieur n’avoitgarde de manger tout ce qu’on lui donnoit, tant on l’accabloit debonbons, de pastilles, de diablotins, etc. etc. Il falloit voir lesyeux que faisoient Charles, Firmin, et surtout le petit Jean !Oh ! si on lui eût donné seulement un bâton de sucred’orge ! mais il n’y avoit pas moyen ! » Tout celavous appartiendra dans trois mois, leur dit le maître du château,si vous n’êtes ni gourmands, ni menteurs, ni désobéissans. »Il les fit bien régaler et les renvoya.

De retour au hameau, les trois enfanscroyoient voir encore devant leurs yeux toutes les richesses dujeune seigneur ; ils ne pouvoient penser à autre chose.Cependant leur père ne leur recommanda point d’être sages ; ilavoit promis de ne rien leur dire pendant l’espace de tempsconvenu.

Il y avoit déjà deux mois et demi de passés,et les fils de Jacques s’étoient bien conduits, quand le seigneurl’engagea à venir le voir avec ses enfans. Ceux-ci, tout joyeux, nemanquèrent pas de visiter les beaux joujoux du petit monsieur.Firmin ayant aperçu, près de lui, une boîte pleine de bonbons, selaissa tenter, et la mit dans sa poche sans que personne levît.

Les trois mois expirés, le laboureur fitmettre à ses enfans leurs plus beaux habits, et se rendit auchâteau. Le seigneur les attendoit. « Venez, mes petits amis,leur dit-il, recevoir le prix de votre sagesse ; maisauparavant, il faut que je sache ce qu’est devenue une boîte quimanque ici ; et il leur montra une note exacte de tout ce quiétoit sur la table. Firmin rougit prodigieusement, et son père leregarda d’un œil courroucé.

– Ne cherchez point, monseigneur, dit-il aumaître du château, voici le voleur ! en montrant Firmin.Celui-ci nia effrontément !… Son père fouilla dans sa poche,et y trouva la boîte ; mais elle étoit vide ! – Ah !c’est trop fort, dit le seigneur, menteur et voleur !… Je vousplains, bon Jacques, d’avoir un fils qui annonce de si mauvaisesinclinations ! ne l’amenez jamais ici ; je hais lesgourmands ; mais je crains les menteurs et les voleurs !ensuite s’adressant à Charles et à Jean : Quant à vous, mespetits enfans, qui avez fait des efforts pour vous corriger, jevous donne tout ce qui est sur cette table ; vous serezhabillés de neuf, et, désormais, je prendroi soin de votre fortune.Vous, Jacques, je vous fais mon fermier : soyez toujourshonnête homme. Jacques, Charles et Jean s’en retournèrent toutjoyeux à leur maison. Firmin, chassé du château comme un mauvaissujet, n’osa plus sortir de chez son père ; car aussitôt qu’ilparoissoit dans le village, les autres enfans le montrant au doigt,disoient : Voici Firmin, le voleur du château ! et touscouroient sur lui en criant : Au voleur ! auvoleur !… Il resta longtemps enfermé, menant une vie bientriste ! mais aussi il l’avoit mérité ! pourquoi étoit-ilmenteur et voleur ?

L’histoire de Jeannette avoit duré autant quela promenade. À son retour, Mimi causa avec sa poupée ; elleparla des enfans du laboureur : As-tu entendu, Zozo, ce qu’adit ma bonne ? ce monsieur Firmin le voleur !… oh !que c’est vilain de voler, et puis encore de mentir !… si celat’arrive jamais, tu ne seras plus ma petite fille ! Mais àpropos, pourquoi donc restois-tu toujours derrière ma bonne ?cela n’est pas bien ! il falloit te prendre par la main pourte faire avancer ; et puis tu as eu de l’humeur, aprèsl’histoire, parce que tu ne voulois pas encore revenir à la maison,et Jeannette s’est fâchée ! Si tu recommences encore, tu serasen pénitence, je t’en avertis. La paix étant faite entre Mimi etZozo, on vint chercher Mimi pour l’habiller, parce que madameBelmont allait dîner en ville, et l’emmenoit avec elle.

** * * *

Partie 2
SECONDE CONVERSATION.

 

LA dame chez laquelle madame Belmont dînoit cejour-là, aimoit Mimi à la folie ; elle voulut l’avoir auprèsd’elle à table, et lui donna mille friandises. Mimi avoit beaucoupmangé quand on servit un plat de gâteaux qui lui plaisaient fort.Sa mère, qui ne la perdoit pas de vue, lui défendit par signes d’enmanger. Mimi fit semblant de ne point s’en apercevoir, et mangeades gâteaux au point d’en être incommodée. Madame Belmont se hâtade rentrer chez elle, déshabilla sa fille, et lui fit prendre duthé. On se doute bien qu’elle la gronda. Mimi, se trouvant mieux,courut prendre sa poupée. Pendant que sa mère lisoit, elle eut avecZozo la conversation suivante :

Venez ici, mademoiselle, que je vous délasse.Jeannette, faites du thé pour cette petite gourmande, qui étouffepour avoir mangé des gâteaux, malgré la défense de sa maman.Fi ! que cela est vilain ! une grande fille de votreâge ! vous devriez être honteuse !… vous aviez pourtantmangé des macaronis, du biscuit, du raisin, des amandes, despoires ! Fi ! que c’est laid d’être gourmande, etdésobéissante à sa maman ! Je suis sûre que vous avez mangévotre viande sans pain ! – Non, maman ! – Mais vous avezdemandé du poulet, et cela n’est pas bien ! une petite fillene demande jamais rien ; elle attend que sa maman lui donne.Et puis, il faut que je vous gronde ; vous avez bu sans avoirvidé votre bouche ; vous avez répondu à madame B… ayant aussila bouche pleine, et c’est mal ; on ne l’emplit pas tant, eton la vide tout à fait pour boire et pour répondre quand quelqu’unvous adresse la parole.

En sortant de table, vous avez fait dubruit ; vous avez parlé aussi haut que les grandespersonnes ; vous avez disputé avec les filles de madame B…, cequi n’est pas poli du tout ; vous leur avez arraché lesjoujoux, des mains. Et mais, vos mains, les avez-vous lavées ?je suis sûre que non ! Voyez comme votre robe est sale !et vous voulez que je vous mène dîner en ville ! ah !mademoiselle, il faut être plus raisonnable, et surtout retenir ceque dit votre maman. Vous êtes une étourdie, je le sais ;vingt fois je vous ai dit combien il est déplacé de faire telle outelle chose, et vous n’en faites qu’à votre tête.

Je vais à ce sujet vous raconter comment il ena coûté la vie aux petits d’une biche, pour avoir négligé de suivreles avis de leur mère. Écoutez bien :

La Biche blanche.

Il y avoit une fois une biche, qui avoit troispetits enfans ; elle voulut leur aller chercher à manger, maisavant de sortir elle leur dit : « Mes enfans, n’ouvrezpoint qu’on ne vous montre patte blanche, et faites-y bienattention, afin de ne point vous laisser tromper,entendez-vous ? Ses enfans le lui promirent, et la biche allaleur chercher à manger. Cependant, compère le loup étoit derrièrela porte. Aussitôt que la biche fut partie, il vint frapper encontrefaisant sa voix : Pan, pan ! « Ouvrez, je suisvotre mère ! – Montrez-nous patte blanche, lui dirent lespetits. » Compère le loup fut bien attrapé, car sa patte étoitgrise !… mais le malin, l’ayant entortillée d’un linge, revintà la porte : Pan, pan ! « Ouvrez, je suis la bichevotre maman ! – Montrez patte blanche. » Aussitôt lecompère glissa, sous la porte, sa patte enveloppée de chiffons, etles petits ouvrirent étourdiment, sans s’assurer si c’étoit bien lapatte de biche blanche. Qu’arriva-t-il ? compère le loup lescroqua tous ! Voilà ce que c’est ! Si ces petits eussentregardé de très-près, ils auroient vu que compère le loup avoitenveloppé sa patte ; ils n’auroient point été mangés, et labiche les auroit retrouvés à son retour.

Si vous faisiez aussi attention à ce que jevous dis sans cesse, ma fille, vous ne seriez pas grondée souventcomme vous l’êtes. Allons, je vous pardonne pour cette fois ;venez m’embrasser. Tiens, Zozo, vois-tu ce beau livre, ce sontles Soirées de l’Enfance ; regarde les joliesgravures. En voici une bien belle, c’est le petit Fabien qui donnetout son argent pour avoir des livres afin de s’instruire.

Voilà une jeune personne qui, voyant sa sœuren danger de périr dans un canal où elle étoit tombée, se jetteaprès elle pour la sauver. Ici, c’est un jeune homme qui vientdonner des secours à une pauvre veuve qui, après avoir essuyé biendes malheurs, alloit être dépouillée du peu qui lui restoit.

Madame Belmont venoit d’achever sa lecture,elle interrompit sa fille : Viens ici, Mimi, apporte tapoupée, et assieds-toi. Tu as conté tout à l’heure une histoire àZozo, veux-tu que je t’en conte une à mon tour ? – Oh !oui, ma petite maman, je vous en prie ! – Écoutedonc :

Histoire de la petite Filledésobéissante.

Il y avoit une fois une petite fille quis’appeloit Lili ; elle étoit bien gentille, mais elledésobéissoit toujours à sa maman ! Ce vilain défaut luiattiroit bien des chagrins ! Si sa maman cousoit, Lili prenoitses ciseaux, malgré sa défense, et se coupoit les doigts ; oubien, elle ouvroit son étui, et renversoit ses aiguilles. Tantôtc’étoit la pelote, dont elle tiroit les épingles en s’amusant,tantôt le fil qui lui servoit à jouer. Une autre fois Lilirenversoit le tabac de sa maman, en touchant à sa boîte oudéchiroit un livre qu’il falloit payer ; ses robes étoienttachées d’encre, parce qu’elle vouloit écrire, quoique sa maman lelui eût défendu. Plusieurs fois Lili s’étoit brûlée en jouant avecle feu, et cela ne l’en avoit pas corrigée.

Cette petite avoit renversé sur elle de lasauce, du bouillon, du lait, en grimpant pour regarder dans un platou dans une soupière ; elle s’étoit jetée par terre cinq à sixfois, d’où on l’avoit relevée avec une grosse bosse au front, et,cependant, Lili recommençoit toujours à toucher à tout. On ladistinguoit de ses frères et sœurs, en lui donnant le vilain nom dedésobéissante. Qui a fait cela, demandoit-on ? –C’est la désobéissante ; qui a dit cela ? c’est ladésobéissante. À cinq ans, Lili étoit encore la même. La seuledifférence qu’il y eût, c’est qu’elle commençoit à sentir que cenom-là n’étoit pas beau du tout ! Quand on l’appeloit ainsi,Lili montroit de l’humeur ; elle boudoit ses petites amies. Samaman les laissoit faire, parce que Lili n’avoit pas changé decaractère.

Un jour la maman de Lili dit à sabonne, nommée Victoire, de mener promener sa fille. Letemps étoit superbe, et les jours fort longs. Victoire alla dansles champs avec la petite Lili. Quand elles furent auprès d’unebelle pièce de blé, Lili demanda à sa bonne la permissionde cueillir des bluets : Je le veux bien, réponditVictoire ; mais vous êtes si désobéissante, vous entrerez dansle blé, vous vous perdrez, et puis, que diroi-je à votremaman ? – Oh ! non, ma bonne, je t’assure !j’iroi tout au bord, je te verroi toujours, et tu me verras aussi,je te le promets ! Songez, mademoiselle Lili, que les bléssont remplis de petites bêtes qui vous feront du mal ! etpuis, si le garde vous voit, vous serez mise en prison !dame ! c’est votre affaire ! – Oh ! tu verras, mabonne, je n’irai pas plus loin que cela ; et Lilimontroit un espace de huit à dix pas.

Ayant obtenu ce qu’elle désirait tant, lapetite Lili se mit à courir pour choisir de beaux bluets, et sabonne s’assit sur l’herbe avec son tricot. Lili vitd’abord une grande quantité de fleurs qui toutes luiplaisoient ; elle en cueillit, puis les jeta pour d’autresplus belles, et toujours en choisissant, Lili s’éloigna, et perditsa bonne de vue. Victoire, occupée à son tricot, ne s’aperçut pasd’abord que l’enfant n’étoit plus auprès d’elle, et quand ellevoulut l’appeler, Lili ne pouvoit plus l’entendre.

La petite fille se perdit si bien dans cesblés plus hauts qu’elle, qu’il lui fut impossible de retrouver sonchemin. Elle appela Victoire de toutes ses forces ; maisVictoire ne l’entendit point ! alors Lili se mit àpleurer ! il étoit bien temps ! Si elle eût étéobéissante, elle ne se seroit pas exposée à avoir du chagrin ;mais suivons-la, nous allons lui voir bien d’autres sujetsd’alarmes.

Cependant Victoire tourna tout autour de lapièce de blé pour trouver Lili ; elle l’appela de toutes sesforces, mais cette pièce étoit si grande, que sa voix se perdoitdans les airs. N’ayant trouvé personne qui pût lui donner desnouvelles de Lili, la pauvre bonne, bien affligée, retourna à lamaison pour dire à sa maîtresse que sa petite fille étoitperdue ! Quand la maman sut comment la chose s’étoit passée,elle dit à la bonne :Je ne m’étonne pas que Lili sesoit perdue comme vous le dites, elle est si désobéissante !…on va la mettre en prison, j’en suis sûre ; mais elle n’auraque ce qu’elle mérite !…

Pendant que Victoire rendoit compte à lamaman, Lili se tourmentoit pour sortir de la pièce de blé. Ellealloit à droite, elle alloit à gauche, et ne voyoit point commentelle pourroit en sortir ; elle avoit jeté les belles fleursdont sa robe étoit remplie, et pleuroit à chaudeslarmes !…

En marchant au hasard, Lili rencontra un nidd’oiseaux, et le heurta avec son pied, ce qui lui fit d’autant plusde peur que, dans le moment même, le père et la mère s’envolèrent,et lui touchèrent le nez avec leurs ailes ; Lili fit un cri siperçant, qu’elle fit lever une douzaine d’alouettes qui couvoientleurs œufs tout auprès. Un peu plus loin, la petite mit le pied surun gros crapeau, ce qui l’effraya si fort, qu’elle fut sur le pointde se trouver mal.

Indépendamment de ces frayeurs passagères,Lili étoit tourmentée d’une manière cruelle : les cousins luipiquoient les bras, la figure et la poitrine ; car, pour êtreplus leste, Lili avoit ôté son chapeau, son schall et sesgants ; les araignées grimpoient à ses jambes, et luifaisoient des ampoules grosses comme le petit doigt. La pauvrepetite étoit martyrisée, et pour comble de malheur, la nuitapprochoit ! Mais, que devint-elle en apercevant une grossecouleuvre qui leva sa tête en sifflant, parce que Lili venoit demarcher sur le bout de sa queue ! À cette vue, la malheureuseenfant se croyant morte, perdit tout à fait connoissance, et tombapar terre. La couleuvre ne lui fit cependant aucun mal ;d’ailleurs, ce reptile est sans venin.

Cet accident arriva à Lili au bord de la piècede blé, dont la petite se croyoit encore bien loin ! Le garde,qui par hasard se trouvoit là, ayant entendu du bruit, et nesachant ce que ce pouvoit être, imagina qu’un animal sorti du boisvoisin s’étoit caché dans cet endroit ; il dirigea son fusilde ce côté, et déjà couchoit en joue la malheureuse enfant, quandheureusement il aperçut les pieds et les jupons de la petite Lili.Il jeta son fusil à terre, et s’approcha d’elle.

L’ayant fait revenir, le garde lui demanda sonnom ? « Je m’appelle Lili, monsieur, répondit lapetite tout effrayée ! – Et votre papa, comment lenomme-t-on ? – M. de Rosambur. Or, ceM. de Rosambur habitoit la ville, et il étoit connu detout le monde. » Le garde fit encore plusieurs questions àLili, auxquelles elle répondit de son mieux.

Pendant que Lili et le garde causoientensemble, ils furent aperçus par Victoire, qui revenoit chercher lapetite. La bonne avoit sa leçon faite ; elle fit unsigne au garde, et se cacha de Lili. Celui-ci dit à Lili del’attendre un moment ; il alla trouver Victoire, qui lui dictala conduite qu’il avoit à suivre avec la désobéissante Lili.

Le garde étant de retour auprès de la petitefille, lui dit :

« Mademoiselle, vous allez aller coucheren prison ! Vous y resterez deux jours, parce que vous avezété trouvée dans le blé, et votre papa paiera le dégât que vous yavez fait. Si vous êtes prise une seconde fois, vous aurez huitjours de prison au pain et à l’eau, c’est la règle. » Lilivoulut demander grâce ; déjà elle joignoit ses deux petitesmains, et mettoit un genou en terre : « Évitez-vous cettepeine, mademoiselle, lui dit le garde, toutes vos prières seroientinutiles : je suis les ordres de mes supérieurs. Nous autres,nous ne sommes pas désobéissans !… Venez, venez, lui dit-il,avec une voix de tonnerre qui fit trembler la pauvre Lili de tousses membres ; vous n’en mourrez pas !… » Lili voulutrésister ; mais le garde la prit sous son bras, et l’emportacomme une mouche ! La nuit étoit alors tout à fait noire.

Le garde marcha longtemps ; ensuite ils’arrêta au détour d’une rue fort étroite, et posa la petite àterre : « J’ai pitié de vous, lui dit-il, car vous êtesbien jeune ! Je vais vous bander les yeux, pour que vous nevoyiez point les voleurs qui sont dans les salles où nous allonspasser. Ces gens-là ont des figures si affreuses, qu’ils vousferoient mourir de peur !… » Le garde paraissant un peuradouci, Lili se laissa bander les yeux, en poussant degros soupirs ! Cet homme la prit encore dans ses bras, etmarcha plus d’une demi-heure ; enfin, il arriva à une grille,qui s’ouvrit avec un grand fracas. Le portier, muni d’un trousseaude clefs qui faisoient beaucoup de bruit, les conduisit à une portequ’il referma derrière eux en tirant d’énormes verrous ; ilfit de même à une seconde, puis à une troisième porte. Arrivé à laquatrième, le garde se baissa bien bas pour y entrer :« Grâce à Dieu, dit-il, nous y voilà. Pauvre petite, que jevous plains !… Vous avez été désobéissante, mais aussi vousêtes punie bien sévèrement !… » Alors, il lui ôta sonbandeau. Lili pleuroit si fort, qu’elle put à peine voir les objetsqui l’environnoient. « Cette chambre n’est pas belle, lui ditle garde ; mais vous y trouverez au moins les chosesnécessaires, parce que c’est la première fois que vous êtes prisedans les blés ; la seconde fois, si cela vous arrive, vousserez moins bien, je vous en avertis. Ma femme va venir,ajouta-t-il ; elle vous donnera à souper, et vous couchera.Vous ne ferez pas bonne chère ; car nous ne sommes pasriches ! » Après avoir achevé ces mots, le garde sortit,et sa femme entra presque aussitôt ; mais, quelle femme !c’étoit un colosse, et, laide, laide à faire trembler ! Elleavoit de la barbe comme un homme, et des yeux rouges qui faisoientpeur !… Lili n’osoit pas la regarder !… Cette femme luidonna un peu de pain et de fromage, puis ensuite un verre d’eaurougie. Après que Lili eut soupé, la femme du garde la coucha sansproférer une seule parole.

Lili pleura beaucoup sans doute, mais enfinelle s’endormit. Le lendemain, la vilaine femme vint lalever ; elle lui fit prendre un peu de lait chaud, mais enmarmottant quelque chose entre ses dents, comme si elle lui eûtdonné à contrecœur !

Lili resta seule jusqu’au dîner, s’ennuyant àmourir ; alors elle regretta le petit livre qui lui servoit àapprendre à lire ; car, disoit-elle, ce livre est ennuyeux,mais il vaut encore mieux que rien !

Lili s’assit donc bien tristement sur son litjusqu’à trois heures, que la femme du garde lui apporta de la soupeet du bouilli. Cette fois-ci, elle lui adressa la parole :« Vous amusez-vous bien, mademoiselle ? – Non, madame. –Si vous saviez lire, travailler, je vous donnerois des livres, del’ouvrage ; mais, vous ne savez rien ! – Je commence àlire couramment, et maman me fait faire des ourlets et des surjets.– Nous allons voir ça. » Là-dessus, cette femme sortit.Bientôt après elle rentra, tenant un petit livre, et deux mouchoirsà ourler, du fil, un dé, une aiguille. « Tenez, mademoiselle,voilà tout ce que je puis faire pour vous ; » puis ellelaissa encore Lili jusqu’à huit heures du soir. Quand elle revint,les deux mouchoirs étoient faits, et cousus très-proprement.« Ah ! ah ! dit la femme en les regardant, il n’esttel que de tenir les petites filles un peu ferme ! C’estbien ! je suis contente !… et, pour vous le prouver, vousne coucherez pas ici ce soir… » À l’instant, on entenditouvrir une porte que Lili n’avoit pas aperçue ; et, à sagrande surprise, elle vit entrer son papa et sa maman !… Quipourroit dépeindre ses transports à cette vue tantdésirée !…

Lili, fondant en larmes, courut se précipiterdans leurs bras ! – Serez-vous encore désobéissante, ma fille,lui dit sa maman ? – Oh ! jamais, jamais, maman !mais vous aviez donc abandonné votre Lili !… – Non, mafille ; je vous aimois encore malgré vos défauts, parce quej’espérois vous voir un jour plus raisonnable. Pour vous prouverjusqu’où va ma tendresse pour vous, je vous dirai que nous avonsdonné de l’argent, pour vous empêcher d’aller en prison, et quevous avez été amenée chez nous. Lili regarda sa mère avec la plusgrande surprise. – Vous avez peine à me croire, ma bonne amie,ajouta madame de Rosambur ; venez avec moi. Aussitôt cettedame ouvrit la porte par où elle étoit entrée, et Lili reconnutparfaitement sa maison. On lui avoit mis un bandeau pour l’yamener, afin qu’elle ne s’aperçût pas qu’elle rentroit chez samère. Les grosses portes par où elle avoit passé n’étoient qu’unjeu, pour lui faire croire qu’elle étoit en prison. La chambre oùon l’avoit mise, étant une pièce inutile, Lili ne la connoissoitpoint. C’est ainsi que madame de Rosambur chercha à corriger safille, tout en veillant sur elle, en mère tendre etraisonnable.

Lili embrassa mille fois son papa et sa maman,pour les remercier de leur extrême bonté ; elle promit de neplus jamais leur désobéir, et on assure qu’elle a tenu parole.

** * * *

Partie 3
TROISIÈME CONVERSATION.

 

MADAME Belmont mena un jour Mimi avec ellepour faire des visites. La petite se conduisit assez bien ;mais sa maman remarqua qu’elle répondoit toujours oui,non, tout court. Rentrée à la maison, elle lui en fit desréprimandes. Mimi pleura un peu, puis enfin elle sécha seslarmes ; et, selon son habitude, elle prit sa poupée, pourrépéter avec elle tout ce qu’elle avoit fait de bien dans sesvisites, et la gronder pour les choses auxquelles elle avoitmanqué.

Venez ici, Zozo ; j’ai bien des choses àvous dire. Vous avez bien fait, et mal fait. Savez-vous enquoi ? – Non-maman. – Eh bien ! je vais vous l’apprendre.Quand nous sommes entrées chez madame L., vous avez faitla révérence ; c’est bien. Vous avez répondu comme une bellefille, lorsque cette dame vous a souhaité le bonjour ; vousavez eu soin de vous moucher souvent ; vous avez été sage toutle temps que votre maman a été chez madame L.,vous avez remercié poliment quand cette dame vous a donné desbonbons. Tout cela est bien ; mais avez-vous vu les grandsyeux de maman, quand vous avez demandé à boire ? – J’avoisbien soif ! Il falloit attendre, ou le dire à maman bien bas,bien bas ; et puis, lorsque madame L. vous a vouludonner des confitures, vous avez dit à maman que vous aviez faim,par gourmandise, n’est-ce pas ? Vous n’osez pasrépondre ! vous vous êtes tenue fort mal ; cependantmaman vous a frappée deux fois sur le cou !

J’ai encore une chose à vous dire, Zozo ;quand on éternue, on met toujours son mouchoir ou ses mains devantsa figure, et vous ne l’avez pas fait ; aussi maman vous aregardée d’un air fâché ; vous avez bâillé, parce que lavisite de maman étoit trop longue, et c’est fort mal ; c’estimpoli ; maman vous l’a dit cent fois ; on ne bâillepas ; on ne demande pas à s’en aller, comme vous avez fait.Vous mériteriez d’être en pénitence pour cela ; vous n’êtespas polie du tout ;… vous savez que je vous ai déjà grondéepour la même chose. Quand on vous parle, vous répondez oui,non, tout court ; c’est fort mal ; on doit toujoursdire : Oui, monsieur ; non, madame.

Je vais, en vous déshabillant, vous conter unehistoire qui vous fera connoître combien il est dangereux dedésobéir sans cesse à ses parens. Écoutez-moi bien :

La petite Fanny.

Il y avoit une fois une petite fille, appeléeFanny, qui répondoit toujours, oui, non, tout court.Cependant son papa et sa maman voyoient chez eux de beaux messieurset de belles dames bien polis. Le papa et la maman de Fanny étoienthonteux d’avoir une petite fille si grossière ! Fanny, lui ditun jour sa maman, si vous ne dites pas bonjour, si vous ne faitespas la révérence, si vous ne répondez pas poliment quand on vousparle, j’appelleroi Croque-Mitaine.

La petite Fanny ne faisant pas attention à ceque lui disoit sa maman, cette dame appela Croque-Mitaine, quidescendit par la cheminée, avec son grand sac noir ; et ilemporta la petite Fanny pour lui apprendre la politesse. Voilà cequi vous arrivera, Zozo, si vous êtes toujours grossière.

Madame Belmont avoit écouté avec attention lesremontrances de Mimi à sa poupée. Elle voulut profiter des bonnesdispositions où sa fille se trouvoit pour lui conter une histoire,qui lui servît en même temps de leçon. – Mimi, lui dit-elle,veux-tu aussi que je conte une histoire ? – Oh ! oui,maman. – Va chercher ta bourse ; mets-toi à travailler, etsurtout ne m’interromps pas. Si tu as des questions à me faire,garde-les pour la fin. Ne cause pas non plus avec Zozo ;d’abord parce que ce n’est pas poli, et puis parce que tu me feroistromper. Te voilà avertie, écoute à présent.

La petite Fille grossière.

Monsieur Machaon, médecin, avoit une petitefille nommée Pontie, extrêmement belle ; mais elle étoitgrossière et dédaigneuse ! Son papa et sa maman, bons et polisavec tout le monde, cherchoient à la corriger de ces vilainsdéfauts qui la faisaient haïr ; mais ils n’y gagnaient rien. Àl’âge de six ans, la petite Pontie ne faisoit jamais la révérencesans qu’on le lui dît ; elle regardoit à peine ceux à qui elleparloit. Quand ces personnes étoient mal vêtues, c’étoit bienpis ! Pontie les examinoit un moment d’un petit airdédaigneux, et s’enfuyoit à toutes jambes, sans leur répondre. Si,à la promenade, une petite fille venoit obligeamment la prendre parla main pour la mener jouer avec elle, Pontie jetoit aussitôt lesyeux sur sa robe, retiroit sa main bien vite quand elle voyoitl’enfant mal habillé.

M. et madame Machaon lui avoient pourtantdit cent fois, que les beaux habits ne font pas le mérite ;qu’une petite fille mal mise peut être bon sujet, bien douce, bienobéissante, bien savante ! Mais, Pontie, naturellementgrossière, se mettoit tout à fait à son aise, quand la toilette nelui en imposoit pas un peu.

Pontie éprouva souvent des mortifications.Quand on lui avoit parlé, elle entendoit dire derrière elle :Cette jolie petite fille appartient certainement à une femme de lahalle ; on le voit bien, malgré sa robe de mérinos, garnie depoil, et son élégant chapeau ; car elle est trop malhonnêtepour être la fille d’une personne bien élevée : on lui auraprêté les beaux habits qu’elle porte. En entendant cela, Pontiedevenoit rouge comme du feu, et couroit vite trouver sa maman, maiselle n’avoit garde de lui dire le sujet de son chagrin !

Un jour, cette petite fille étant auLuxembourg, se trouva engagée par hasard dans une partie qui luiplut fort. Voici comment.

Une pension tout entière s’étant mise à jouerà Colin-Maillard, la maîtresse, assise sur l’herbe, s’amusa àregarder ses élèves, qui rioient du meilleur cœur du monde. Pontie,debout, à deux pas d’elle, montroit assez, par son air, le désird’être reçue parmi cette belle jeunesse, mais elle n’osoit pass’avancer. Tenez, venez, mon petit cœur, lui dit lamaîtresse ; vous êtes trop gentille pour rester là toute seuleà vous ennuyer. Une petite fille polie auroit remercié cette damepar une belle révérence ; mais, point du tout. La grossièrePontie suivit une grande demoiselle qui vint la prendre par lamain, et s’éloigna sans répondre et sans regarder seulement la damequi avoit été si obligeante à son égard. Cette petite fille estbien mal élevée, dit la maîtresse à une de ses pensionnaires ;c’est dommage ; car elle est gentille !

Le jeu ayant duré une demi-heure, les enfansvoulurent se reposer. La maîtresse de pension appela Pontie, et luiadressa ainsi la parole : – Mon cœur, quel âgeavez-vous ? – Six ans. – Votre maman est-elle ici ? – Oui– Venez-vous souvent au Luxembourg ? – Oui. – Demeurez-vousloin d’ici ? – Non. – Vous êtes sans doute bien savante ?– Je lis le latin et le français. – Savez-vous quelque chose demémoire ? – Des vers que mon papa m’a appris, les dieux de laFable, et les rois de France. Je sais aussi compter jusqu’à cent. –C’est beaucoup ! Apprenez-vous le dessin, la musique ? –J’apprends la musique. Elles en étoient là de leur conversation,quand madame Machaon voulant s’en aller, s’avança pour emmener safille. Cette dame fit ses remercîmens à la maîtresse de pension, etaprès l’avoir saluée poliment, elle la quitta.

Mimi, dit madame Belmont en s’arrêtant,comment trouves-tu que cette petite fille se soit conduite danscette circonstance ? – Très-mal, ma petite maman !mademoiselle Pontie dit non, oui, tout court ; jamaismadame ! Cela n’est pas bien du tout !… tu asraison, ma bonne amie. Écoute la suite de mon histoire.

Lorsque Pontie fut en allée, la maîtresse depension se mit à parler d’elle : Il est impossible, dit-elle àses élèves, que la petite fille qui a joué avec vous, appartienne àla dame qu’elle appelle sa mère, et qui l’est venue chercher.Avez-vous remarqué à quel point cette petite fille estgrossière ? Cependant, celle qu’elle nomme sa mère, est poliecomme une dame du grand monde ! C’est sûrement une pauvreenfant qu’elle aura prise par charité !… C’est ainsi quechacun jugeoit Pontie et son aimable maman !… Si cette petitefille eût été laide et mal mise, on y auroit fait moinsd’attention ; mais rien n’est si choquant qu’une personne miseélégamment avec des manières poissardes.

Pontie recevoit de temps en temps de fortesleçons de la part des étrangers. On lui fit plus d’une fois demauvais complimens, dont elle ne se vanta pas. On la comparoit avecd’autres enfans vêtus communément, mais polis, agréables, et, sansbalancer, on leur donnoit la préférence sur elle. Ces enfans,disoit-on, font honneur à leurs parens, et vous, ma belledemoiselle, vous ne paraissez pas faite pour vos habits… On ne peutrien dire de plus humiliant ! Cependant Pontie ne changeoitpas !…

Cette petite étoit non seulement grossière,mais, comme je l’ai déjà dit, elle étoit aussi très vaine !Mademoiselle s’imaginoit qu’elle valoit mieux qu’une autre, parceque son père et sa mère avoient un joli appartement, unebonne pour les servir, et des habits selon la saison.Pontie n’avoit jamais vu des gens plus riches que son père et samère ; elle se croyoit en droit de mépriser ceux qu’elleprenoit pour ses inférieurs.

Or, il arriva que son papa et sa maman lamenèrent un jour aux Tuileries. M. et madame Machaon prirentdes chaises, et la petite courut çà et là autour d’eux. Elle futarrêtée par une dame qui se reposoit sur un banc voisin. Cettedame, fort âgée, ne voyoit presque plus ! elle étoit vêtuebien pauvrement ; aussi Pontie la toisa des pieds à la têtelorsqu’elle lui prit la main pour lui parler. – Où sont vos parens,mon petit cœur ? – Là, sur des chaises. – Vous ne mereconnoissez pas ? – Non. – Ah ! il est vrai ! vousétiez si petite la dernière fois que je vous ai vue ! commevous êtes grandie, embellie !… À ce compliment flatteur, lapetite fille retira sa main brusquement, et s’enfuit vers sa mère,à laquelle elle dit qu’une pauvresse, et elle la luimontra du doigt, venoit de lui parler, et qu’elle lui avoit pris lamain ! J’ai eu peur ! ajouta Pontie, cette femme m’auroitpeut-être pris mes boucles d’oreilles ! – Ma fille, lui dit samaman, les pauvresses n’entrent pas dans ce jardin. Endisant cela, madame Machaon regarda du côté que lui indiquoit safille, et elle vit une dame assez mal mise ; mais qui avoitl’air très respectable. Madame Machaon crut se rappeler sestraits ; cependant elle ne la reconnut pas d’abord. Elle fit àsa fille une forte réprimande sur son éloignement pour lespersonnes mal mises, et lui apprit que souvent les haillons de lamisère couvrent des personnes du premier mérite, tandis que l’or etla soie qui plaisent aux yeux, habillent quelquefois de fortmalhonnêtes gens. Ensuite, elle se leva pour s’en aller, et passaexprès du côté de la dame mal vêtue. M. Machaon ne l’eut pasplutôt vue, qu’il s’écria : C’est madame la duchesse deL. !… et s’avançant vers elle avec respect, il lasalua profondément, lui demanda de ses nouvelles, et lui présentasa femme et sa fille. La duchesse lui fit mille questions sur safortune et sur sa famille. Elle embrassa Pontie, qui cette fois neretira point sa main.

Quand l’enfant eut quitté la duchesse, samaman lui fit remarquer combien les apparences sonttrompeuses !… Vous le voyez, ma fille, lui dit-elle, madame laduchesse de L., femme du plus grand mérite, qui a eu unéquipage, des gens pour la servir, un bel hôtel, de beaux habits,une grande fortune enfin, est à présent dans la misère, par unesuite de malheurs ! Faut-il donc la mépriser pour cela ?– Je ne savois pas que c’étoit une duchesse, dit la petite. – Letitre n’y fait rien, reprit la maman ; il suffit que lapersonne soit estimable. Ah ! ma chère enfant, gardez-vous dedédaigner le pauvre ; car Dieu ne vous béniroit pas !…Soyez aussi polie avec tout le monde, car vous n’êtes pas en étatde distinguer à qui vous avez affaire. D’ailleurs, si, par hasard,vous vous adressiez à quelqu’un qui ne le méritât pas, vous n’enpasseriez pas moins pour une petite fille aimable et bienélevée.

Pontie promit à sa maman d’être plus polie àl’avenir, et véritablement la rencontre de la duchesse lui avoitfait une forte impression !

Quelque temps après, cette dame gagna unprocès considérable ; elle reparut dans le monde avec un trainmagnifique et de beaux habits. M. Machaon retourna chez ellecomme autrefois ; il y mena sa femme et sa fille que laduchesse combla de présens. Pontie devint polie, et tout à faitaimable ; et la duchesse de L. en fit safavorite.

** * * *

Partie 4
QUATRIÈME CONVERSATION.

 

MADAME Belmont, profitant d’un beau jour, menaMimi aux Champs-Élysées, et sur l’avenue de Neuilly. Zozo étoitaussi de la partie. Au retour, Mimi prit sa poupée, et lui parlaainsi :

Zozo, vous allez avoir votre bonnet de nuit,parce que je suis fort mécontente de vous. Comment, Mademoiselle,vous revenez sans chapeau, et vous avez déchiré votre robe !savez-vous bien que vous me coûtez beaucoup d’argent ; je n’enai plus pour mon ménage ; vilaine petite fille que vousêtes ! (Elle la tape.) Que dira votre papa quand je luidemanderai un chapeau pour vous ? il grondera !… Voyezcomme vous êtes sale ! aussi vous vous êtes traînée dans lesable fort joliment ; vos mains sont-elles assez noires !ne me touchez pas, petite malpropre !… Pourquoi, Mademoiselle,avez-vous quitté maman aux Champs-Elysées ? pourquoi, malgrésa défense, avez-vous joué avec des petites filles que vous neconnoissiez pas ? ah ! vous êtes désobéissante, vousallez avoir le fouet ! (Elle la fouette.) Ah ! ah !vous l’avez bien mérité ! un chapeau perdu, l’ombrette demaman cassée, une robe déchirée !… les enfans sont ruineux, envérité !… En rentrant, comment avez-vous demandé àboire ? Jeannette, donnez-moi à boire, sans dire s’il vousplaît ou je vous prie. Est-ce comme cela que je vous élève ?Cette pauvre Jeannette, qui est si bonne fille, vous lui parlezquelquefois avec un ton fort malhonnête ! je lui ai ditpourtant de ne vous rien donner que vous ne demandiezpoliment ; mais vous abusez de sa bonté !… Voyons un peula mythologie ; il y a longtemps que je ne vous ai fait dequestions sur cela. Qu’est-ce que Saturne ?

ZOZO.

Il est fils du ciel et frère de Titan.

MIMI.

Et Jupiter ?

ZOZO.

C’est le fils de Saturne et de Cybèle.

MIMI.

Quels sont les frères et sœurs deJupiter ?

ZOZO.

Cérès et Junon, ses sœurs ; Neptune etPluton, ses frères.

MIMI.

Qu’est-ce que Cérès ?

ZOZO.

La déesse des blés.

MIMI.

Qu’est-ce que Jupiter ?

ZOZO.

Le dieu du ciel.

MIMI.

Quel est le dieu de la mer ?

ZOZO.

Neptune.

MIMI.

Et celui des enfers ?

ZOZO.

Pluton.

MIMI.

Qu’est-ce que Junon ?

ZOZO.

La sœur et la femme de Jupiter.

MIMI.

C’est fort bien ! en voilà assez. Prenezvotre ouvrage à présent. Si vous êtes bonne fille, demain je vousachèterai un chapeau. Faites cet ourlet bien droit, et à petitspoints.

Pendant ce dialogue, madame Belmont s’étoitdéshabillée. Elle prit son ouvrage et appela sa fille, qu’elle fitasseoir auprès d’elle. Mimi, lui dit-elle, avant que tu te couches,il faut que je conte l’histoire d’une petite fille que j’ai vueaujourd’hui, en faisant des emplètes. Je veux, aussi te faire voircette aimable enfant ; elle est charmante, car elle est jolieet sage comme un petit ange.

La petite Marchande.

Madame Derbelet resta veuve de bonne heure,avec une petite fille de six ans. Cette dame loua uneboutique ; elle se mit à vendre du fil, du ruban, et toutessortes de choses analogues. Blanche, c’est ainsi qu’on nommoit sapetite fille, lui tenoit lieu de fille de boutique. Cela t’étonne,Mimi, dit madame Belmont en s’interrompant, et tu as raison. À sixans, c’est bien jeune ; mais Blanche n’étoit pas un enfantordinaire. Cette petite savoit très-bien lire ; elleconnoissoit toutes les étiquettes de la boutique. Quand sa mamanétoit occupée, Blanche servoit ceux qui venoient acheter du fil,des épingles, du ruban, etc., avec une grâce charmante ; elleétoit surtout complaisante et polie à faire plaisir. Sa vivacité,ses grâces, sa gentillesse la faisoient aimer de tout lemonde : on venoit exprès de bien loin pour voir la petitemarchande ; et, en peu de temps, la boutique fut achalandée,c’est-à-dire qu’il y vint un grand nombre de personnes pour acheterdes marchandises, et Blanche en eut tout l’honneur. Ce n’est pasque sa maman ne s’entendît pas au commerce, au contraire, elleétoit douce, aimable, gracieuse : c’étoit elle enfin qui avoitélevé Blanche ; mais on s’intéressoit davantage à la petitefille à cause de sa jeunesse : d’ailleurs il est si rare devoir un enfant se livrer volontairement à des occupationssérieuses !… aussi chacun parloit de la petitemarchande ; on l’élevoit au ciel.

Ne crois pas, Mimi, que Blanche fit parade deses petits talens ; bien au contraire, elle étoit extrêmementmodeste, et elle paroissoit même ignorer l’admiration qu’elleinspiroit. Quand sa maman tenoit le comptoir, Blanche prenoit sapetite chaise, et s’asseyoit sur le pas de la porte avec sonouvrage, sans lever les yeux pour voir les passans. Elle ourloitdes mouchoirs, des serviettes, des cravates, et faisoit des petiteschemises pour les enfans, non pas pour s’apprendre à travailler,mais pour vendre, car sa maman tenoit aussi du linge tout fait. Lapetite marchande étoit payée par sa maman comme une ouvrière :un ourlet, deux liards ; une chemise d’enfant, six sous ;une aune de feston, quatre sous ; ainsi du reste. Blanchemettoit cet argent dans une tirelire, et l’en retiroit deux foisl’année, au commencement de l’été et au commencement de l’hiver,pour s’acheter les choses dont elle avoit besoin.

Malgré ses occupations, Blanche trouvoitencore du temps pour étudier. Sa mère la faisoit lire deux fois lejour, et un maître venoit lui apprendre à écrire et à compter. Enpeu de temps, et par son application, la petite marchande en sutassez pour faire des factures, c’est-à-dire pour écrire le nom etle prix des marchandises que l’on vendoit.

En grandissant, Blanche devint de plus en plusla consolation de sa mère, qui l’aimoit à la folie ! Bientôtla petite marchande eut occasion de faire connoître à quel pointelle étoit raisonnable. Sa maman étant tombée malade trèssérieusement, Blanche tint la boutique comme une grande personne.Elle eut la discrétion de ne point dire que sa mère gardoit le lit,de sorte qu’on la croyoit toujours près d’elle. La bonne se mêloitdu ménage ; elle soignoit la malade, et Blanche, sans sortirdu comptoir, recevoit les acheteurs. Enfin la maman serétablit ; elle trouva la boutique aussi florissante qu’ellel’avoit laissée. Cette bonne mère reconnut avec plaisir qu’elledevoit à sa fille la conservation de ses pratiques.

Blanche devoit éprouver des chagrins, personnen’en est exempt. Elle eut le malheur de perdre sa mère à onze ans,et elle en fut inconsolable !… mais elle avoit assez de raisonpour modérer sa douleur, dans la crainte d’éloigner ceux quivenoient à sa boutique. Blanche reparut en grand deuil, triste,mais toujours douce, polie, affable comme du vivant de sa mère. Unede ses tantes vint demeurer avec elle, mais seulement pour tenir lamaison. Blanche, devenue encore plus raisonnable par la pertequ’elle avoit faite, fut en état de garder la boutique pour soncompte. Son nom resta sur l’enseigne, et elle s’en trouva bien, carla réputation de la petite marchande étoit faite. En peu de temps,Blanche fît sa fortune ; elle la dut à son joli caractère et àsa bonne conduite.

Mimi fut bien satisfaite de l’histoire quemadame Belmont venoit de lui raconter ; la soirée s’étoitpassée trop vite à son gré, et l’heure à laquelle elle avoithabitude de se coucher étant sonnée, sa maman la fit mettre au lit.Le lendemain, madame Belmont étant indisposée, garda sachambre ; Mimi, qui aimoit tendrement sa mère, ne voulut pasla laisser seule pour aller se promener. Il falloit bien passer sontemps à quelque chose : Mimi s’entoura de chiffons, gronda sapoupée, prit et laissa vingt fois ses joujoux dans l’espace de deuxheures. Ne sachant plus que faire, elle s’empara du chat, et luimit une des cornettes de Zozo. Minet étoit si drôle avec cettecoiffure, que sa petite maîtresse rit aux larmes en le regardant.Comme le jeu plaisoit à Mimi, elle voulut finir la toilette deminet, et l’habilla en dame. La petite parvint avec peine à luimettre un collier et un fichu ; mais lorsqu’elle en vint à larobe, Minet voulut s’enfuir !… Cependant Mimi avoit résolud’en venir à son honneur. Elle prit une des pattes du chat et lafourra dans une manche avec beaucoup de peine ; mais quand cevint à l’autre, Minet miaula, jura à faire trembler, parce que Mimilui faisoit du mal. La petite lui donna de bons soufflets !elle étoit contrariée de ne pas le trouver assez complaisant pourse prêter à ses fantaisies… Voyant qu’il lui étoit impossible delui faire mettre la robe de Zozo, elle la lui attacha sous le col.Minet, impatienté d’être tourmenté ainsi, profita d’un moment où ilétoit libre pour se sauver sous le lit ; mais la petite,l’ayant attrapé par la queue, le tira de toutes ses forces. Lechat, déjà en colère, se retourna avec vivacité, et lui égratignala figure, les bras et les mains, puis il s’échappa malgré elle.Mimi se mit à pleurer, autant d’humeur que du mal que Minet luiavoit fait.

Madame Belmont, qui connoissoit sa fille, sedouta de l’aventure en voyant courir Minet en robe traînante, etcoiffé si joliment ! – Pourquoi pleures-tu, Mimi, luidemanda-t-elle ? – C’est que Minet m’a égratignée !… –Cela m’étonne ; il est si doux ! tu lui as donc fait dumal ? – Non, maman. – Tu mens, Mimi ! – Je l’ai seulementtiré par la queue ; mais c’est que je voulois leretenir !… Au même instant, Minet parut affublé du bonnet etde la robe de Zozo. Madame Belmont ne put s’empêcher de sourire.Elle appela le chat, le débarrassa de ses chiffons, et, se trouvantmieux, elle se mit sur son séant, fit venir Mimi auprès d’elle, etlui raconta l’histoire suivante :

Histoire de Marinette.

Il y avoit une petite fille, nommée Marinette,qui, toute jeune, annonçoit un mauvais cœur en faisant du mal auxanimaux. Sa maman lui disoit : Ma bonne amie, les pauvresbêtes que tu te plais à tourmenter, ont comme toi de la chair, dusang et des os. Dans le nombre, il y en a d’infinimentpetites ; mais ce n’est pas une raison pour qu’elles souffrentmoins. Un petit chien à qui on casseroit une patte, éprouveroit lesmêmes douleurs que le plus gros de son espèce. Une mouche dont onarrache les ailes se plaint à sa manière ; on ne l’entend pas,parce que sa petite voix ne peut frapper l’oreille.

Que diroit-on d’un homme qui, pour s’amuser,crèveroit un œil à un âne, couperoit la tête d’un cheval, casseroitles quatre pattes d’un chien, et feroit mille autres cruautés decette espèce par simple passe-temps ? on le fuiroit comme unmonstre redoutable à l’espèce humaine, parce qu’on ne pourroitcroire qu’il fût capable d’en agir ainsi avec les animaux, si soncœur n’étoit pas dur et impitoyable. Cela s’applique à toi,Marinette, continuoit la maman ; que penseront ceux qui tevoient sans cesse prendre des mouches pour les enfiler, leur casserles pattes, arracher leurs ailes, et leur couper la tête ?Est-ce la facilité que tu as à détacher ces parties de leur corpsqui te fait croire que ces petits animaux ne souffrent point ?Si tu penses ainsi, ma chère, tu t’abuses ; vois lesprécautions que l’on prend avec un petit enfant, pour ne pas luibriser les os. Si on le laissoit tomber, avant qu’il ait pris desforces, il se casseroit bras et jambes, et souffriroit des douleursincroyables. Tout être vivant, ma chère amie, est susceptible de lamême sensibilité, et c’est être barbare de se faire un jeu d’ôterla vie même à un insecte.

Ces excellentes leçons faisoient peu d’effetsur Marinette, qui s’amusoit d’un chat, d’un chien, d’un oiseau,comme elle eût fait d’un morceau de carton.

Un jour, madame de Lime, sa maman, céda à saprière, en prenant un joli chat, à poil long, blanc comme la neige.On cherchoit à intéresser Marinette à ces petits êtres,par la vue journalière de leurs gentillesses.

D’abord l’enfant caressa beaucoup le Minet,qu’elle nomma Bibi ;mais bientôt, devenant exigeante,elle lui fit faire l’exercice, et mille autres choses queBibi n’aimoit pas du tout. Alors mademoiselle Marinette letapoit de la bonne manière, et, si madame de Lime n’étoit pas làpour le protéger, Bibi avoit les pattes tortillées, lespoils arrachés, et force soufflets : Marinette en colère ne leménageoit pas.

Madame de Lime eut un chien. Elle se flattaque les aimables qualités de ce fidèle animal gagneroient le cœurde sa fille. Ce beau caniche fut nommé Pouf. Il devintbientôt l’ami de la maison, et s’attacha surtout à la petite,quoiqu’elle le maltraitât souvent.

Or, il arriva qu’un jour M. et madame deLime, étant à la promenade dans un jardin public où il y avoitbeaucoup de monde, se trouvèrent séparés de leur fille. Qu’on jugede l’inquiétude de ces bons parens !… Ils s’aperçurent aussique Pouf n’étoit plus avec eux. Ils cherchèrent partoutMarinette ; n’en ayant pas eu de nouvelles, ils revinrent chezeux à la nuit, bien affligés. Marinette étoit arrivée avant eux àla maison : Pouf, qu’elle tenoit enlaisse, l’y avoit conduite aussitôt qu’il avoit eu perdu sesmaîtres.

Si la petite fut bien embrassée, le chienintelligent et fidèle eut aussi sa part des caresses. Marinetteseule ne lui sut aucun gré du service qu’il lui avoit rendu. Le bonchien sembloit redoubler d’attachement pour l’enfant ; mais ilavoit beau faire, Marinette ne s’en apercevoit pas. Jamais lapetite ne le flattoit ; jamais on ne lui voyoit donner uneseule bouchée de pain à ce bon animal. Pouf venoit auprèsd’elle, en remuant la queue ; il lui donnoit la patte, luiléchoit les mains ; la méchante enfant répondoit à ces signesd’affection par un coup de pied, ou en le frappant de ce qu’elletenoit alors, ce qui quelquefois faisoit faire des cris lamentablesau pauvre chien. Cependant les duretés de cette petite fille nerebutèrent point le fidèle Pouf, qui sembloit dire :Tu es la fille de mon maître que j’aime ; je dois t’aimeraussi. Marinette grandit sans devenir plus sensible pour lesanimaux. Tous les jours, malgré la surveillance de sa maman, il yen avoit quelques-uns de sacrifiés à ses cruels plaisirs. Une foisentre autres (la seule pensée m’en révolte !) une marchande,qui ne la connoissoit pas, lui donna un petit moineau. Marinettelui attacha un ruban à la patte, et le fit voler comme un hanneton.Le malheureux oiseau tomba par terre tout étourdi ; le chatsauta dessus et le mangea !… Marinette fut plus surprisequ’affligée de cette aventure ; mais sa maman étant survenue,et ayant appris ce qui venoit de se passer, fouetta sa petite filled’importance !… Marinette l’avoit bien mérité !… Qu’enpenses-tu, Mimi ? – Oh ! c’étoit une méchante que cettedemoiselle ! qu’elle ne vienne pas prendre notre petitserin ; je l’en empêcherai bien !

Dès ce moment, il fut défendu à la méchanteMarinette de prendre des mouches ou autres insectes, de jouer avecdes hannetons, et surtout de toucher aux oiseaux, aux chats et auxchiens, sous peine d’être punie sévèrement.

Marinette avoit six ans, et son cœur nes’étoit pas encore attendri une seule fois sur le sort des petitsmalheureux qui étoient tombés entre ses mains, lorsqu’un événementqui arriva à cette époque la changea tout à coup, et la renditaussi sensible qu’elle avoit été dure jusqu’alors.

J’ai dit que Pouf, toujours bon,toujours fidèle, lui témoignoit la plus vive affection, malgré lesmauvais traitemens qu’elle lui faisoit souffrir. On eût dit, même,qu’il avoit pour elle une préférence marquée ; soit quel’enfance intéresse jusqu’aux animaux mêmes, soit qu’élevésensemble, ce chien eût pris pour elle un attachement plus tendreque pour M. et madame de Lime.

Quelques affaires étant survenues àM. de Lime, la petite famille fut obligée de faire unvoyage, à 60 lieues de sa demeure habituelle. Il étoit impossibled’emmener le fidèle Pouf. On le recommanda auxdomestiques, et malgré les signes d’une douleur bien sincère, lechien resta à la maison.

Privé de ses chers maîtres, Pouf nevoulut prendre aucune nourriture. Il se lamentoit le jour et lanuit, et se tenoit couché constamment sur une robe du matin deMarinette, qu’on avoit laissée par mégarde sur un fauteuil.

Pendant huit jours, Pouf ne but quede l’eau ; il étoit dévoré par une fièvre ardente, qui causasa mort. La famille étant revenue, ce bon chien rassembla toutesses forces, pour témoigner à ses chers maîtres combien il étoitcontent de les revoir ; ensuite il fut se coucher aux pieds deMarinette, lui fit mille caresses, et, tournant ses yeux sur ellecomme pour lui dire un dernier adieu, il expira.

Marinette pleura amèrement son cherPouf !… Cette mort singulière avoit fait une forteimpression sur son esprit. Depuis ce temps, elle fut toujours bonnepour les pauvres bêtes qui se trouvèrent dans sa dépendance, etelle se reprocha souvent la conduite qu’elle avoit tenue avec euxdans ses jeunes années.

Maman, dit Mimi à madame Belmont, lorsqu’elleeut fini, est-ce que les chiens sont aussi bons que vous le ditesdans cette histoire ? – Mille fois davantage, ma bonne amie.On a vu souvent un chien sauver la vie à son maître ou mourir pourlui prouver sa fidélité, soit du chagrin de l’avoir perdu, soitpour ne pas abandonner le dépôt confié à sa garde.

– Maman, les chats ne sont pas si attachés queles chiens ? – Ma fille, ils le sont aussi à leurmanière ; mais leur attachement est moins désintéressé, moinstouchant que celui du chien. Un chat est un animal utile ; ila beaucoup d’instinct, et il est parfois très aimable. Sansm’arrêter à chercher ceux d’entre les animaux qui méritentparticulièrement notre affection, je répéterai qu’en général, ilfaut les traiter tous avec douceur, leur donner le nécessaire,puisqu’ils sont dans notre dépendance, et ne jamais leur faire demal, à moins d’y être forcé par la nécessité. – Mais ceux que nousmangeons, il faut bien les tuer ? Hélas ! oui, il lefaut ! mais ce seroit une barbarie de les faire souffrir avantde leur donner la mort : celui qui les bat impitoyablement estbien coupable. Cela me rappelle une petite histoire que je vais teraconter. – Oh ! tant mieux, maman, tant mieux !…

Le méchant petit Garçon.

Paul étoit un jeune homme querelleur etméchant ; aussi il n’étoit aimé de personne à cause de sesmauvaises qualités. Son plus grand plaisir étoit de faire du mal àtous les animaux qu’il rencontroit : s’il voyoit un chien dansla rue, il lui jetoit une pierre, ou lui donnoit un coup debâton ; il se faisoit un jeu de faire sauter les chats par lesfenêtres ; quelquefois même il leur coupoit les oreilles et laqueue ; c’étoient pour lui des gentillesses.

Un jour il attela un chien à un chariot qu’ilavoit chargé de pierres : Tu es maintenant mon cheval, luidisoit-il ; et il le frappoit rudement, parce que ce petitanimal ne pouvoit pas traîner ce chariot, dont la charge excédoitses forces.

Sur ces entrefaites, Nicolas, père de Paul,arriva par hasard. Témoin de la cruauté de son fils, il le saisitpar le bras, et l’attachant à une grande voiture, il lui ordonna dela traîner. Paul, incapable de remuer seulement cette lourde masse,assura son père que cela lui étoit impossible. Nicolas, sansl’écouter, prit un fouet, et lui en donna sans miséricorde. Lepetit garçon jetoit les hauts cris ! – Ce traitementt’amuse-t-il ? lui demanda son père. Paul ne répondit que parses pleurs. – Eh bien ! ajouta Nicolas, penses-tu que ce chienque tu fais souffrir, soit moins sensible que toi à la douleur, etque les coups de fouet lui soient plus supportables qu’à toi ?Tu ne dois faire du mal à aucun être vivant, si tu ne veux, à tontour, être maltraité toi-même : souviens-toi decela !

Paul oublia bientôt cette leçon. Quelquessemaines après, une hirondelle lui tomba entre les mains ; illui arracha toutes les plumes les unes après les autres. Son pèredécouvrit encore ce nouveau trait de cruauté. Ô Dieu ! dit-ilen soupirant ; que je suis malheureux d’être le père d’unenfant qui sera peut-être un jour la honte et l’opprobre de mamaison !… Transporté de colère, il se rendit auprès de Paul,et lui dit : Méchant enfant ! ne t’avois-je pas avertique toutes les fois que tu ferois du mal aux animaux, ou que tuserois cruel envers un être vivant, quel qu’il fût, je le serois demême envers toi ? Tu as arraché sans pitié les plumes de cepetit oiseau, et ses cris plaintifs n’ont pas ému ton cœur deroche !… Je veux te donner une idée des douleurs excessivesque tu as causées à cette innocente créature… En même temps,Nicolas saisit le méchant Paul par les cheveux, et lui en arrachaune touffe. Paul poussoit des cris lamentables, maispersonne ne le plaignoit, parce qu’on connoissoit son mauvaiscœur.

Un jour, que Paul avoit fait une nouvelleméchanceté, un homme de mérite, qui en fut témoin, la 1ui reprochaavec amertume ; il lui prédit un avenir funeste : il estimpossible, lui dit-il, que vous ne trouviez point quelque jour lechâtiment des souffrances que vous faites endurer à ces animaux,que Dieu n’a donnés à l’homme que pour être sa joie et sasatisfaction. Si jamais vous éprouvez de grandes douleurs,souvenez-vous de ce que je vous dis aujourd’hui.

Paul se moqua des remontrances et desprédictions de l’honnête homme qui lui parloit. Il continua d’êtrecruel envers les animaux, et finit enfin, comme cela devoit être,par être barbare avec ses semblables. Il fut même sur le point detuer un de ses amis qui lui reprochoit ses défauts.

Étant devenu grand, Paul se fit soldat ;mais qu’arriva-t-il ? dans la première bataille où il setrouva, un boulet de canon lui emporta les deux jambes. On l’enlevacomme mort. Les douleurs inexprimables qu’il ressentit ensuite, luiarrachèrent des cris affreux !… Lorsqu’on mit le premierappareil sur ses blessures, l’aumônier du régiment, ecclésiastiquepieux et zélé, cherchoit à lui inspirer du courage et de lapatience ; mais les douleurs insupportables que Paulsouffroit, lui rendoient ces consolations tout à fait inutiles.Quand il fut plus calme, il se souvint des cruautés qu’il avoitexercées dans sa jeunesse envers les animaux ; il se rappelaaussi la prédiction qui lui avoit été faite par l’ami de sonpère : Ah ! s’écrioit-il, qu’ai-je fait ! je sens àprésent la grandeur de ma faute ! Dieu est juste ; il mepunit comme je l’ai mérité…

Paul, tout estropié, vécut encore dix ans,allant de ville en ville pour recueillir quelques aumônes. Cettevie misérable n’étoit encore rien en comparaison des reprochesqu’il s’adressoit à lui-même ; car de tous les maux, le plusinsupportable est la certitude d’avoir mérité les peines que l’onsouffre.

Lorsque madame Belmont eut fini cettehistoire, elle renvoya Mimi à ses joujoux. La petite fille, selonson habitude, causa bien bas, bien bas avec sa poupée. Il y alongtemps, Zozo, lui dit-elle, que je ne vous aiinterrogée. Voyons un peu si vous êtes bien savante. Combien ya-t-il de jours dans l’année ?

ZOZO.

Trois cent soixante-cinq.

MIMI.

Dans le mois ?

ZOZO.

Trente ou trente et un.

MIMI.

Dans la semaine ?

ZOZO.

Sept.

MIMI.

Nommez-les.

Z O Z O.

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi,samedi, dimanche.

MIMI.

Combien y a-t-il de mois dansl’année ?

ZOZO.

Douze.

MIMI.

Nommez-les.

ZOZO.

Janvier, février, mars, avril, mai, juin,juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre.

MIMI.

C’est bien ; je suis contente de vous.Tenez, voici une pièce neuve pour votre récompense. Venez, que jevous embrasse.

Mimi et Zozo répétoient toujours à peu prèsles mêmes choses : c’étoient des leçons de lecture ou depolitesse : Mimi étoit l’écho de sa mère.

Un jour que la petite avoit rempli ses devoirsmieux encore que de coutume, sa maman la fit venir auprès d’ellepour lui conter une histoire, chose qu’elle aimoitpar-dessus tout.

Viens ici, ma bonne amie, lui dit madameBelmont, j’ai une histoire à te raconter. Mimi prit son petittricot ; elle fut s’asseoir auprès de sa maman comme une filleraisonnable, et madame Belmont commença ainsi.

Le revenant.

Il y avoit une fois une petite fille, nomméeLolotte, qui avoit peur de son ombre. Elle n’auroit pas été seule,sans lumière, la nuit, dans un lieu obscur, pour untrésor !…

Lolotte étoit âgée de dix ans. Elle couchoitdans une chambre, dont la porte donnoit dans le cabinet de sabonne. Lolotte se portoit bien ; on pouvoit sans crainte lalaisser seule lorsqu’elle étoit couchée. Depuis un an que cettepetite avoit quitté la chambre de sa mère, il ne lui étoit rienarrivé de fâcheux.

Une nuit, cependant, Lolotte fut réveillée ensursaut par un vacarme effroyable !… Il lui sembla quequelqu’un brisoit à plaisir le déjeuner de porcelaine de sa maman.La pauvre Lolotte fourra sa tête dans sonlit, et se couvrit de sacouverture : elle étoit plus morte que vive, et n’osoit pasmême respirer…

Ce bruit ayant cessé, un autre aussiextraordinaire lui succéda. Lolotte entendit distinctement tomberune chaise et un guéridon, et sauter en éclats la carafe et legobelet qui étoient dessus. Cette fois la petite crut que la maisontout entière étoit tombée sur elle… Tremblante de tous ses membres,elle eut cependant le courage de regarder autour d’elle ; maiselle vit un monstre, gros comme un éléphant, qui faisoit desgrimaces effroyables ; elle crut, même, qu’il s’approchoit deson lit, sans doute pour l’étrangler…

La crainte de la mort donna à Lolotte la forcede sauter en bas du lit pour se cacher dans la ruelle : satête étoit tout à fait perdue. Lorsqu’elle eut mis machinalementles deux pieds à terre, elle se sentit arrêtée par sa chemise… Pourle coup, Lolotte crut être au pouvoir del’esprit ;elle fit un cri perçant, et tomba sansconnoissance…

Cependant la bonne s’étoit réveilléeau bruit. Elle entra avec de la lumière, vit Lolotte évanouie,accrochée par sa chemise à un clou de sa couchette, et toute lachambre sens dessus dessous. À cette vue, la bonnerestainterdite… Elle releva l’enfant, qui avoit la pâleur de la mort sursa figure, et elle appela le papa et la maman de la petite. On fitrevenir Lolotte, et on lui demanda l’explication du dégât quis’étoit fait. Lolotte assura qu’elle avoit vu unrevenant ! qu’il l’avoit voulu prendre dans son lit,et qu’elle en étoit bien sûre…

Les gens raisonnables, qui savent très-bienqu’il n’y a point de revenans, cherchent à s’instruire dela cause d’un bruit quelconque qu’ils ne connoissent pas. Il n’enest pas ainsi des enfans, qui se plaisent à croire des chosesimpossibles, parce que le merveilleux flatte leur imagination. Lamaman de Lolotte ne se paya pas d’une réponse aussi peuvraisemblable.

Lorsque la petite eut repris ses sens, ils’établit entre elle et sa mère le dialogue suivant :« Raconte-nous donc, Lolotte, ce qui t’es arrivé. – Maman, jene le sais pas moi-même. – As-tu vu quelqu’un ? – Non, cen’étoit pas une personne. – Mais, pourquoi as-tu crié, pourquoit’es-tu trouvée mal ? – Ah ! j’ai eu sigrand’peur !… un spectre m’a précipitée du lit !… – Tu nesais ce que tu dis, Lolotte. – Maman, un esprit,j’en suissûre, est venu dans ma chambre ; il a brisé vos porcelaines,renversé la chaise, le guéridon, et fracassé le verre et la carafe.Je sais qu’effectivement il est arrivé cette nuit quelque chosed’extraordinaire ; mais tu ne me persuaderas pas, ma fille,qu’il y ait des revenans ; conte ces enfantillagesaux petites demoiselles de ta pension, et non pas à ta mère. Jevois ce que c’est, tu as fait un rêve qui t’a troublél’esprit : conviens-en.

– Oh ! je ne dormois point, maman, jevous assure ; j’étois à peine couchée, lorsque j’ai entenducasser tout à la fois les tasses et les soucoupes de votre cabaret.La frayeur que j’ai eue m’a fait enfoncer la tête dans mon lit. Ausecond bruit, bien plus fort que le premier, j’ai regardé à traversles rideaux, et j’ai vu un animal énorme pour la grosseur, quijetoit du feu par la bouche et par les narines ; ses yeuxétoient comme deux lumières qui éclairoient toute la chambre.J’osois à peine respirer ; tout à coup ces deux lumières ontdisparu ; j’ai entendu alors remuer les volets de la fenêtre,et quelque chose de pesant s’est élancé contre le mur, et estretombé lourdement. C’étoit bien un revenant ; carj’ai entendu le bruit des chaînes qu’il traînoit… – Mais pourquoin’as-tu pas appelé ? – Je n’en avois pas la force ; malangue me refusoit ses services. Pendant quelques momens tout a ététranquille ; mais bientôt, à la lueur de la lune, j’aperçus unspectre effrayant qui se tenoit près des rideaux de mafenêtre ; il me paroissoit tantôt grand, tantôt petit. Je mecachois le visage de mes mains pour ne pas le voir ; je fismême quelques efforts pour me lever, afin de me cacher dans mescouvertures ; mais je perdis tout à fait la tête quand je visl’esprit venir à moi. Il m’a saisie par le milieu ducorps, et m’a précipitée en bas de mon lit… Ô mon Dieu ! jefrissonne encore quand j’y pense !… Jamais, jamais, je necoucherai dans cette chambre, où il revient desesprits… »

On ne contraignit point Lolotte à coucher danssa chambre la nuit suivante ; car on vouloit savoir auparavantqui avoit tout culbuté dans cette pièce.

La première chose qui étoit venue à l’idée dupapa et de la maman, c’est que la petite s’étoit levée en rêvant,et s’étoit effrayée elle-même en renversant le guéridon, sur lequelétoient le gobelet et la carafe. Cette pensée, assez vraisemblableune fois adoptée, tout le reste s’expliquoit aisément ; car onavoit trouvé Lolotte accrochée par sa chemise en voulant descendrede son lit. Ce n’étoit donc rien, ou presque rien.

Le papa qui vouloit prouver à sa petite fille,que rien n’arrive dans le monde sans une cause simple et naturelle,décida que Lolotte coucheroit auprès de sa mère, et que luiprendroit le lit de sa fille la nuit suivante. Cette mesure étoitd’autant plus sage, que par-là on s’assuroit si la petite neprenoit pas l’habitude de se lever en dormant ; ce qui auroitpu arriver. D’un autre côté, le papa lui prouvoit, en couchant danscette chambre, qu’il n’y avoit rien à craindre ; car personnene s’expose volontairement à un danger certain.

Le soir étant venu, Lolotte coucha auprès desa mère, comme il avoit été résolu, et elle dormit fort bien. Quantà son père, il ne tarda pas à être réveillé par un bruit quil’étonna, et le fit mettre sur son séant : il entendit casserun carreau !… Comme il étoit dans le premier sommeil, ils’imagina que c’étoit un voleur qui vouloit ouvrir sa fenêtre pourentrer dans l’appartement. Le clair de lune lui permettoit de voirla croisée et, même toute la chambre. Ce monsieur eut beautenir ses yeux fixés sur la fenêtre, rien ne lui annonça qu’unhomme cherchât à s’introduire dans sa demeure, et, par réflexion,il rit en lui-même d’avoir pu seulement arrêter sa pensée à unechose aussi impossible, puisque son appartement étoit au troisièmeétage. À la vérité, il y avoit un toit de communication qui setrouvoit tout proche, mais un homme n’auroit pu s’y tenir, ni yarriver.

Le père de Lolotte faisoit toutes cesréflexions, lorsqu’un nouveau bruit se fit entendre. Ayant tournéles yeux de ce côté, tous ses doutes furent éclaircis ; il vitle voleur ! car c’en étoit un, ou plutôt l’éléphant,le spectre de la veille. Un couvercle étant tombé, le pèrede Lolotte aperçut un chat qui, s’étant effrayé, cherchoit às’enfuir, tenant à sa gueule un morceau de viande qu’il avoit pris.Comme il importoit au papa de désabuser sa fille, il sautalégèrement du lit, et boucha la fenêtre. On réveilla lapetite ; elle vit le chat, qui avoit encore son vol à lagueule. On lui apprit de plus que la veille, la bonne avoit trouvéla fenêtre ouverte, circonstance qui s’étoit échappée de samémoire.

Dès lors Lolotte fut guérie pour toujours dela peur desrevenans. Dans la suite, lorsqu’elle entendoitdu bruit, elle alloit voir, et touchoit la chose quil’inquiétoit ; elle s’assuroit par-là qu’elle auroit eu tortde s’en effrayer. C’est ainsi que Lolotte, de poltronne qu’elleétoit, devint hardie et courageuse la nuit sans lumière.

Oh ! dit Mimi, quand sa maman eut achevéson histoire, je serois bien comme Lolotte ; je n’ai paspeur ! – Je te prends au mot, Mimi ; va me chercher monmouchoir que j’ai laissé sur ma bergère, auprès de mon lit. Mimi yalla sur-le-champ, en riant de toutes ses forces. Elle ouvrit laporte de la chambre, et s’avançant hardiment, mais beaucoup tropvite, elle attrapa un tabouret qui se trouvoit sur son chemin, ettomba dessus, en jetant un cri ! Madame Belmont courut à elleavec une lumière, et la trouva tout en larmes ! T’es-tublessée, ma fille ? lui demanda cette tendre mère ! –Non, maman. – Pourquoi pleures-tu donc ? – C’est que j’ai eupeur ! – Eh ! de quoi ? – Je n’en sais rien. – Tu asdéjà oublié comment Lolotte s’est guérie de ses vaines frayeurs. Sid’abord tu eusses marché avec précaution, et qu’en heurtant letabouret avec ton pied, tu y eusses porté la main, tu aurois vuqu’il n’avoit rien de redoutable. Allons, je vois que tu es encoretrop enfant pour faire ton profit de la leçon que je t’aidonnée : remettons-en l’effet à un autre temps.

Piquée d’être appelée enfant, Mimichercha mille prétextes dans la soirée pour aller sans lumière,dans le salon, dans la salle à manger, et dans les cabinets. MadameBelmont n’eut pas l’air de s’en apercevoir ; elle recommandaseulement aux domestiques de ne rien laisser sur le chemin de lapetite qui pût lui faire du mal. Mimi étoit si fière de savictoire, qu’il fallut se fâcher pour l’empêcher de courir de côtéet d’autre dans les ténèbres, au risque de se casser la tête.

Toute joyeuse de s’être conduite ainsi, lapetite pria sa maman de lui conter une histoire. – Il n’est pasencore huit heures, ma chère petite maman, lui dit-elle ; jene me couche pas plutôt ; contez-moi une histoire, je vousprie. Madame Belmont devoit une récompense à sa fille pour avoirvaincu sa timidité.

– J’y consens, lui dit cette dame.Écoute :

Histoire de Maximilien.

Celui qui veut être heureux et contribuer aubonheur des autres, doit faire tous ses efforts pour pratiquercette belle maxime : Fais aux autres ce que tu voudroisqu’on fît pour toi-même.

Je vais te raconter une histoire que j’ai luequelque part, ma chère Mimi, qui te prouvera que Dieu récompensetoujours les hommes pieux et bienfaisans, qui aiment leur prochaincomme eux-mêmes.

On voit en Alsace un ancien château fort,appelé Sternberg.Il étoit habité autrefois par un richecomte, qui avoit un fils unique, objet de sa plus tendreaffection.

Maximilien, c’étoit le nom de cet enfantchéri, étoit vif, aimable, actif, laborieux ; il mettoit sonbonheur à se livrer à l’étude, à faire du bien aux pauvres, et àcontenter son père et sa mère ; sa piété filiale le faisoitsurtout admirer ; car il ne sembloit vivre que pour aimer ceuxqui lui avoient donné le jour.

Maximilien qui, comme nous l’avons déjà dit,ne cherchoit qu’à s’instruire, aimoit surtout les livresde voyages. Lorsque le comte lui parloit des pays étrangers, desmœurs et des usages des peuples qui sont répandus sur la surface duglobe, on voyoit la joie la plus vive se peindre sur le visage decet enfant, qui témoignoit à son père le désir de voyager lorsqu’ilseroit grand.

Le comte ayant des affaires qui l’appeloient àParis, résolu d’emmener son fils, ce qui rendit cet enfant bienjoyeux. Heureux au-delà de toute expression, il attendoit avecimpatience le jour du départ. Ce moment si désiré arriva enfin.

Dès que le petit Maximilien eut perdu de vuele château de Sternberg,et qu’il fut arrivé à la premièreville, il lui fut impossible de contenir sa joie : sa rianteimagination lui peignoit des plus riches couleurs, les beaux paysqu’il alloit parcourir.

Lorsqu’ils furent éloignés d’une journée deSternberg, ils prirent un chemin de traverse, qui lesconduisit dans un bois fort épais, dans lequel ilss’égarèrent ; le jour étoit sur son déclin.

Arrivés au milieu de cette sombre forêt, ilsfurent entourés par des brigands, qui, d’un coup de pistolet,renversèrent d’abord le cocher ; les chevaux s’arrêtèrent.

Dans l’instant, six voleurs armés jusqu’auxdents se saisirent de la voiture, et massacrèrent le vieux comtequi, en brave militaire, leur vendit chèrement sa vie ; car ilen blessa deux grièvement. Ils jetèrent hors de la voiture lepauvre Maximilien qui étoit légèrement blessé, et, pour ne laisseraucune trace de leur crime, ils mirent les deux cadavres dans lecarrosse ; l’un d’eux monta sur le siège pour servir decocher, et bientôt ils disparurent.

L’infortuné Maximilien pénétré de douleur, setrainoit çà et là, et conjurait à haute voix le Seigneur de vouloirbien le délivrer du danger où il étoit.

Un pauvre charbonnier, qui demeuroit danscette forêt, entendit la voix plaintive de cet enfant. Cet hommeavoit pour maxime de se conduire envers les autres, comme ildésiroit qu’on se conduisît envers lui ; ainsi il ne délibérapas longtemps sur le parti qu’il avoit à prendre. Il courut du côtéd’où partoient les gémissemens, et trouva notre malheureux enfant,blessé et pouvant à peine se soutenir. L’honnête charbonnier mit deson mieux le premier appareil sur les blessures deMaximilien ; il le chargea ensuite sur ses épaules, et leporta à sa chaumière qui étoit à une demi-lieue, et située dans leplus épais du bois.

François, c’étoit le nom du charbonnier, avoitsix enfans, qu’il ne nourrissoit qu’en se livrant chaque jour à untravail pénible ; mais il avoit appris de bonne heure à secontenter de peu, et à remercier Dieu des moindres faveurs qu’il enrecevoit.

Ses enfans, élevés dans ses principes, étoienttoujours joyeux. Nourris d’un pain noir et d’un peu de lait, ilss’estimoient plus heureux que des rois. Jamais l’envie, l’ambition,et les autres vices qui font le malheur de l’espèce humaine,n’étoient entrés dans leurs cœurs.

Arrivé à sa cabane, François déposa sur unbanc le petit Maximilien, et dit à ses enfans : Je vous amèneun frère, mes bons amis. Cet entant est bien malheureux ! desvoleurs viennent d’assassiner son père, et lui-même seroitprobablement mort cette nuit, si le hasard n’eût guidé mes pas dansl’endroit où il étoit. Joignez-vous à moi pour remercier Dieu dubonheur que j’ai eu de l’arracher au sort qui l’attendoit. Monintention est de rendre cet enfant à ses parens si je puis lesdécouvrir, sinon de le garder et de l’élever avec vous. Dites-moi,mes amis, l’aimerez-vous comme un frère ? Tous s’empressèrentde répondre : Oui, nous l’aimerons de tout notre cœur !en même temps il lui prodiguèrent les caresses les plus touchantes,et lui dirent : Petit frère ; ne vous chagrinez pas, nousvous aimerons bien. Notre père vous aime déjà autant quenous ; il ne faut pas pleurer ! Maximilien s’efforça deretenir ses larmes pour ne pas affliger le bon François, et lesbons frères que la fortune venoit de lui donner ; mais dansson cœur, il ne put se consoler de la mort affreuse de sonrespectable père !

Pendant que les enfans du charbonnierconsoloient le petit comte, Anne, leur mère, et femme de François,arriva portant sur ses épaules une charge de bois sec. François laprit par la main, et lui raconta la triste aventure du jeuneenfant : Tu vois, femme, ajouta-t-il, qu’il n’y avoit pasmoyen d’abandonner ce petit dans un endroit si dangereux ! ilsera le septième ; mais Dieu nous bénira à cause de lui !Anne avoit un bon cœur ; elle dit à son mari qu’à sa placeelle en auroit fait tout autant, et caressa le petit comte d’un airfranc et ouvert, qui inspira de la confiance à cet enfant. Ainsiaccueilli, Maximilien se livra peu à peu à ses nouveaux amis, et savive douleur fit place insensiblement à l’affection et à lareconnoissance pour la respectable famille qui l’avoit reçu dansson sein.

Cependant le bon François ne manqua pas dequestionner Maximilien sur sa famille, et de tâcher de savoir delui le nom de ses parens, dans l’intention de le rendre à samère ; mais ce jeune enfant, qui n’avoit jamais entenduappeler son père que monsieur le comte, ne put dire le nom de safamille, ni l’endroit qu’elle habitoit ; il fallut doncrenoncer à cet espoir, et attendre tout du temps.

Maximilien se trouvoit heureux chez lecharbonnier. Dans le château de son père il n’avoit point étéaccoutumé à la délicatesse ; c’est pourquoi il s’habitua bienvite à la vie dure de ces pauvres gens. Ce bon petit comtepartageoit, autant que ses forces pouvoient le lui permettre, lestravaux de son père nourricier, et ceux de ses frèresadoptifs ; aussi il étoit chéri de tous ! Anne bénissoitl’heure et le jour où il étoit entré dans la maison !Maximilien, quoique fort jeune, étoit bien plus savant que sesfrères ! aussi les soirs, quand la journée étoit finie, illeur racontoit quelques histoires qu’il avoit retenues du tempsqu’il lisoit avec son père : c’étoient toujours de bons ethonnêtes enfans, bien pauvres, qui, par leur application autravail, étoient ensuite devenus riches.

Le charbonnier admiroit le bon sens de cetenfant, et il étoit enchanté de son esprit.

Maximilien se distinguoit jusque dans sesjeux ; il formoit ses frères en les amusant. Quelquefois illeur apprenoit des chansons instructives à la portée desenfans ; enfin, s’étant procuré quelques livres, il achevad’apprendre à lire et à écrire, et servit de maître à sesfrères.

Notre jeune comte devint bientôt l’enfantchéri de cette pauvre famille, qui se faisoit un plaisir departager avec lui un pain grossier, gagné par un travail opiniâtreet peu lucratif.

Maximilien oublia son premier état, mais iln’oublia ni son père, ni sa mère. Lorsque dans la solitude, il sereprésentoit le comte massacré par des brigands, des larmesbrûlantes inondoient ses joues ; il élevoit les yeux et lesmains vers le ciel, et prioit avec ferveur pour l’âme de ce pèrechéri ! Lorsque François le trouvoit occupé de ce pieuxdevoir, il prioit avec lui, et le consoloit de son mieux, enrelevant son courage abattu, et en lui inspirant une grandeconfiance en Dieu…

Cependant la mère de Maximilien, n’ayant pointreçu de nouvelles de son mari ni de son fils, étoitinconsolable ; elle se persuada qu’un voyage pourroit dissiperen partie ses chagrins, et peut-être lui faire retrouver ceux dontelle regrettoit tant la perte ; elle se mit donc en chemin. Lehasard voulut qu’elle entrât dans la même forêt où son mari avoitété assassiné.

La chaleur étoit excessive ce jour-là. Lacomtesse descendit de voiture pour se reposer un moment. Le premierobjet qui se présenta à elle fut un jeune et joli enfant quidormoit à l’ombre. Elle l’examina avec attendrissement, et serappelant son fils, son visage se couvrit de larmes !

Cet enfant étoit le plus jeune des fils ducharbonnier, qui, près de là, s’occupoit à faire des fagots. Henri,c’étoit le nom de l’enfant, se réveilla, et parut étonné de voirune belle dame à côté de lui. La comtesse le prit dans ses bras,lui fit mille caresses, et lui donna une pièce d’or.

Le charbonnier étant venu sur ces entrefaites,la comtesse s’adressa à lui : Je suis riche, lui dit-elle, jen’ai point d’enfant ; donnez-moi celui-ci, je le ferai éleveravec soin, et j’assurerai son bonheur, en un mot, je le regarderaicomme mon fils.

Ce que vous me proposez, Madame, réponditFrançois, mérite toute ma reconnoissance ; mais, grâce à Dieu,mes enfans ont en moi un père qui bien qu’en travaillant peut leurdonner du pain. Tant que je vivrai, je ne m’en sépareroi point, etje tâcherai d’en faire de bons et laborieux cultivateurs. Souffrezdonc, Madame, que je garde mon Henri. Mais, pour répondre à votredésir, je puis vous faire voir un aimable jeune homme, qui n’estpoint mon fils, et que j’aime comme s’il m’appartenoit. Cet enfanta perdu son père ; il a été élevé dans l’abondance, et mériteun sort plus brillant que celui que je peux lui offrir :prenez-le avec vous ; le Seigneur récompensera votregénérosité par d’abondantes bénédictions. Où est cet enfant ?demanda la comtesse ; montrez-le moi. François répondit àcette dame qu’il alloit paroitre dans le moment ; aussitôt lafemme du charbonnier amena Maximilien. La comtesse ne l’eut pasplutôt vu, que le reconnoissant pour son fils, elle fut sur lepoint de tomber en faiblesse. De son côté, Maximilien vola dans lesbras de sa mère, et passant ses deux bras autour de son col, il laserra tendrement, et mouilla son visage de ses larmes. La comtesseet son fils restèrent longtemps embrassés ; la joie, lesaisissement, de tristes souvenirs causés par l’assurance de laperte du comte, les empêchoient de s’exprimer autrement que par descaresses et des larmes. Le bon charbonnier et sa femme, présens àce spectacle, étoient émus jusqu’au fond de l’âme.

Enfin, lorsqu’elle put parler, la comtessedit : Je vous rends grâce, mon Dieu, de m’avoir fait retrouvermon enfant ! je mourrai contente, à présent que je l’aivu ! faites, Seigneur, qu’il croisse en vertu et ensagesse : rendez-le heureux et honnête homme !

Après cette courte et fervente prière, lacomtesse s’adressa au charbonnier et à sa femme ; elle lesremercia des soins qu’ils avoient donnés à son fils et leur fitpromettre de se rendre avec leur famille au château deSternberg, pour y passer leurs jours.

François donna sa chaumière à un pauvrefendeur de bois, qui jusqu’alors l’avoit haï, et lui avoit faittout le mal dont il avoit été capable. Le charbonnier suivoit cettebelle maxime : Ne vous vengez jamais qu’à force debienfaits. Un honnête homme n’a pas de plus grandesatisfaction que de faire du bien à son ennemi.

François se rendit avec sa famille, au châteaude Sternberg,non pour y vivre dans la mollesse, mais pourse rendre utile à la reconnaissante dame, qui le traitoit avec tantde bonté. La comtesse fit élever les enfans du bonhomme avec toutle soin possible, sans cependant les sortir de leur état. Elle enfit des laboureurs instruits et aisés, selon le vœu de leur père,qui n’auroit jamais consenti à les voir changer de condition ;car il avoit su résister par sagesse aux propositions brillantes dujeune Maximilien, qui vouloit faire un partage égal de sa fortuneentre ses frères, et leur donner dans le monde un étathonorable.

Le jeune comte n’oublia jamais les bienfaitsdu charbonnier ; il l’aima toute sa vie avec tendresse, etremplit à son égard tous les devoirs d’un bon fils envers sonpère.

On apprit dans la suite que les voleurs quiavoient assassiné le vieux comte avoient péri sur un échafaud.C’étoient la plupart des enfans de bonne famille, qui, dans leurpremière jeunesse, avoient été paresseux, désobéissans,menteurs ; ils n’avoient jamais eu de respect pour leursparens, ni de crainte de déplaire à Dieu. Ils commencèrent à volerpour satisfaire leur gourmandise, ensuite pour jouer avec leurscamarades ; enfin, étant devenus odieux à leurs pères et mèresqui les voyoient se perdre tous les jours, ils s’échappèrent de lamaison paternelle, et s’associèrent à des brigands.

Quand madame Belmont eut fini l’histoire deMaximilien, elle dit à Mimi qu’il étoit temps de s’allercoucher ; Mimi en eut du chagrin. « Va, ma bonne, lui ditcette dame, je te promets pour demain une histoire beaucoup pluslongue : c’est celle de Zozo. – Celle de Zozo,maman ! Zozo a une histoire ! ha ! c’est biendrôle ! – Oui, l’histoire de Zozo… Avant de venir ici, tapoupée a appartenu à plusieurs petites demoiselles. Je te conterailes raisons que l’on a eues pour la donner, et comment elle estsortie de leurs mains. Tu pourras profiter de leur exemple.

Ah ! je vois, c’est plutôt l’histoire despetites demoiselles que celle de Zozo. – Tu as trop d’esprit pouren juger autrement ; à demain donc : j’espère que tu net’ennuieras pas.

Le lendemain, Mimi ne manqua pas de prier samaman de remplir sa promesse. – L’histoire de Zozo, mapetite maman, je vous en prie ! – Je le veux bien, Mimi ;mais il faut lire au paravant ; ensuite nous prendrons chacunenotre ouvrage, et je te raconterai les aventures de Zozo. Mimi lutparfaitement bien. Elle apporta sa petite chaise et sonouvrage ; et s’étant mise à travailler, madame Belmontcommença ainsi :

** * * *

Partie 5
HISTOIRE DE LA POUPÉE.

 

TA poupée, ma chère Mimi, a été faite à Lyon.Elle a été commandée exprès ; elle a coûté beaucoup d’argent.Zozo avait une garde-robe complète, un lit comme une grandedemoiselle, une commode pour serrer ses affaires : c’étoitpour une petite fille un présent considérable ; carindépendamment de toutes ces choses, Zozo avoit des bouclesd’oreilles de perles fines, un collier pareil, une robe superbe, etle reste de sa toilette de même ; parce que la grande dame quil’avoit fait faire désiroit que toute cette parure servît à lapetite demoiselle à laquelle elle la destinoit ; c’estpourquoi Zozo est aussi grande que toi.

Tout le temps que cette élégante poupée futchez la marchande, on venoit la voir des quatre coins de laville ; car jamais personne ne s’étoit avisé de mettre tantd’argent pour un simple joujou ; mais la dame qui vouloitfaire ce présent avoit l’intention de récompenser le mérite d’unepetite fille qui fut un modèle de piété filiale.

C’est de cette enfant dont tu vas entendrel’histoire.

Eugénie, première maîtresse de Zozo.

Il y avoit dans les prisons de cette ville, unMonsieur d’un grand mérite, persécuté injustement. Sa famillel’alloit voir ; mais, dans la crainte de paroître suspecte,elle n’osoit pas se rendre à la prison aussi souvent qu’ellel’auroit voulu. Une petite fille de cinq ans prit sur elle dedonner à son malheureux père les consolations qui étoient en sonpouvoir, jusqu’au moment qui devoit décider de son sort.

Elle alloit chaque jour, matin et soir,visiter son père. Leste, caressante, pleine de saillies,et de la plus jolie figure du monde, cette charmante petite nemanquoit jamais à ce devoir. C’est vainement que les guichetierslui résistaient ; elle parvenoit à les fléchir par sesinstantes prières. Quand elle étoit refusée net, elle attendoitpatiemment un moment favorable, et parvenoit à entrer en seglissant sous les bras de ceux qui se présentoient. Alors courant àtoutes jambes, tout essoufflée, elle alloit trouver son pèrequ’elle caressoit, qu’elle embrassoit mille fois, avec lequel ellerioit et pleuroit tour à tour. Cette aimable enfant sembloit avoirconçu toute la profondeur de l’infortune qui accabloit son père, etla nécessité de le soustraire à ses chagrins ; elle luiracontoit tout ce qu’elle avoit pu recueillir de plus intéressant,et les petites anecdotes de sa famille, qui pouvoient l’arracher àsa douleur. Cette aimable petite étoit devenue un objet d’attenteet de distraction pour tous les prisonniers. En sortant, elle sechargeoit de faire leurs petites commissions, et les laissoit dansl’admiration d’une tendresse filiale, qui, pour être précoce, n’enréunissoit pas moins tous les caractères qui rendent cette vertuaussi intéressante qu’honorable.

Madame la princesse de ***, qui s’intéressoitau prisonnier eut assez de pouvoir pour lui faire rendre justice.Elle accabla la chère petite des plus tendres caresses, et luienvoya la belle et riche poupée qu’elle avoit fait faire à sonintention, afin de récompenser son attachement pour son père ;mais l’aimable enfant l’eut à peine reçue, que de nouvellespersécutions forcèrent son père et sa mère d’abandonner leur pays.La petite fille laissa sa belle poupée à une de ses parentes, dontje vais te parler à présent. Mais comment trouves-tu la premièremaîtresse de Zozo ? – Oh ! maman, une petite fille biengentille ! Je voudrais bien lui ressembler ! elle aimoitbien son papa ! Moi, j’aime bien aussi le mien ; mais jen’aurois pas autant d’esprit qu’elle ! – Tu en aurois de même,Mimi, si tu nous aimois tendrement, et que nous fussions en danger.– Oh ! maman, si je vous aime ! en pouvez-vousdouter ? – Non, ma bonne amie, je n’en doute pas : mapetite fille, que je chéris, pour laquelle je sacrifie tout, nepeut pas être une ingrate ! Voyons en quelles mains Zozo esttombée.

Coralie, deuxième maîtresse de Zozo.

Coralie avoit sept ans ; elle étoit filled’un riche seigneur ; elle unissoit les dons de l’esprit et ducœur, à une figure charmante. Un cœur excellent, une grandesensibilité, une grande douceur de caractère, la faisoientparticulièrement remarquer. Extrêmement caressante, on ne pouvoitse défendre de l’aimer ; mais son plus bel éloge, c’estd’avoir porté si loin son amour pour sa mère, qu’il l’a conduite autombeau.

Le père de Coralie, méchant et d’une trèsmauvaise conduite, enferma sa femme dans une tour de son château.Après avoir fait murer les fenêtres de son appartement, il ordonnaqu’on le tendît de noir et qu’on y suspendît une lampe. Lamalheureuse dame, abandonnée sans consolation, dans cette espèce detombeau, n’avoit pour nourriture que du pain, qu’elle arrosoit deses larmes. Pour comble de malheur, son méchant mari lui ôta safille, son unique société, et le seul être qui l’attachât encore àla vie !

Coralie, qui aimoit sa mère avec passion, osadire à son père :

« Tu n’es plus mon papa !… Puisquetu tourmentes maman, et que tu me l’ôtes, je ne veux plus être tafille !… »

Surpris et irrité de la déclaration franche etnaïve de sa fille, ce père violent la maltraita sans pitié, et peus’en fallut qu’il ne la tuât ; mais la petite souffrit aveccourage ses mauvais traitemens, et lui dit sans s’effrayer :« Si tu me sépares de ma chère maman, j’aime mieux mourir toutà l’heure ! »

Tant de fermeté de la part d’une enfant desept ans, étonna M. de ***. Il cessa de maltraiter safille, et chercha à la gagner par la douceur ; mais Coralie necéda ni aux caresses, ni aux menaces ; elle demandoit sa mèreavec l’accent du désespoir, et ses larmes ne cessoient point decouler ; elle fut deux jours sans vouloir prendre aucunenourriture.

Cet époux barbare aimoit sa fille ; ilcraignit de la perdre, et la rendit à sa mère. La vue de cetteenfant chérie ranima l’infortunée dame ; elle pressa Coraliesur son cœur, et mêla ses larmes à celles de sa chère fille !…Le père de Coralie l’avoit blessée à la tête en plusieursendroits ; les baisers de sa mère suffirent pour guérir sesblessures ; mais son cœur se soulevoit au seul nom de celuiqui les faisoit tant souffrir ! C’étoit en vain que sa mèrelui disoit qu’une fille ne peut pas, qu’elle ne doit pas haïr sonpère, quels que soient ses torts ; la vue de sa mère dans leslarmes et dans la douleur l’affectoit trop fortement pour que laraison se fit entendre chez elle. Les méchans ne sont jamaisheureux, M. de *** tourmentoit sa femmeinjustement ; mais il étoit lui-même fort à plaindre, parcequ’il savoit qu’elle le haïssoit. L’éloignement de sa fille pourlui faisoit aussi son supplice. Pour lui paroître moins odieux, illui envoya sa belle poupée et tous ses joujoux ; mais Coralie,occupée de sa mère, ne les regarda pas. Comme cette infortunée,elle ne vivoit que de pain et d’eau ; elle avoit à peine dequoi se vêtir, et pour se reposer que les genoux et les brasflétris de sa malheureuse mère !

Sitôt que Coralie fut sûre de rester avec samère, elle oublia les horreurs de sa prison ; elle ne pensaplus qu’elle étoit privée des choses les plus nécessaires à la vie.Jour et nuit auprès de celle qu’elle chérissoit, elle vit renaîtresa gaieté naturelle, s’appliqua à ce qui pouvoit plaire à sonunique amie, et la consola de son mieux. Coralie sautoit à chaqueinstant au col de sa mère, et la serrant avec de vives étreintesdans ses bras, elle s’écrioit avec l’accent de la joie et duravissement : « Maman !… nous voici doncensemble ! je suis donc avec toi ! »

Oh ! qu’il est consolant pour une bonnemère d’avoir une enfant qui réponde à sa tendresse ! Près desa chère Coralie, madame de *** sentoit moins les horreurs de sanouvelle situation ; et les naïves caresses de sa fillerépandoient au fond de son cœur un baume vivifiant qui la rappeloità la vie. Résolue de prolonger sa pénible existence pour sauvercelle de sa fille bien aimée, elle imagina ce qu’elle put pour ladistraire.

Le désœuvrement et l’ennui sont des mauxinsupportables. Madame de *** y remédia, en occupant sa filletantôt à lire, et tantôt à coudre. Lorsque Coralie vint s’enfermeravec sa mère, elle n’avoit encore presque rien appris ; maisson amie chérie devint son institutrice, et ces leçons données etreçues par l’amitié profitèrent à l’enfant au-delà de touteespérance.

« Ma bonne amie, dit un jour madame de*** à sa fille, à présent tu sais assez bien lire, mais jedésirerois que tu apprisses à écrire ; dès que tu le sauras,tu écriras une lettre bien touchante à ton papa : peut-être lefléchirons-nous ainsi, et il nous fera sortir de cetombeau. »

Il n’en falloit pas davantage pour engagerCoralie à écrire. L’espoir d’abréger les souffrances de sa mère luidonna une activité surprenante : cette enfant sensibles’appliqua de tout son cœur ; elle passoit même plusieursheures de la nuit à former des caractères ; et, du moment oùelle put tracer des mots, elle écrivit sous la dictée de sa mèreune lettre à son papa, simple, soumise, et infiniment touchante.Cette lettre, envoyée sur-le-champ, resta sans réponse ; il enfut de même de plusieurs autres.

Cette tentative, sur laquelle madame de ***fondoit son espoir, ayant été infructueuse, elle se laissaabattre ; une noire mélancolie s’empara de son âme, et sadouleur passa rapidement dans le cœur de sa fille infortunée.

Il y avoit près de deux ans que Coralie étoitenfermée avec sa mère, lorsqu’elle écrivit à son papa.

Jusqu’à cette époque, cette chère enfant avoitconservé sa gaieté et sa force : le bonheur d’être sa mère, etla légèreté ordinaire à cet âge avoient soutenu sa santé, malgré ledéfaut d’air et la mauvaise nourriture ; mais quand la pauvrepetite eut aperçu l’état de langueur de sa mère ; quand ellela vit sans cesse dans les larmes, et n’ayant plus un moment derepos, une tristesse profonde s’empara d’elle à son tour : sonappétit disparut ; elle maigrit à vue d’œil ; elle n’eutplus de sommeil, plus d’intérêt pour rien, si ce n’est pour cettetendre amie à qui elle devoit le jour, et dont elle partageoit lesort si courageusement.

Une nuit, Coralie, plus accablée qu’àl’ordinaire, eut un songe qui enflamma son sang ; elle crutvoir entrer des bourreaux dans la tour, qui venoient ôter la vie àsa mère. Elle se réveilla en sursaut, et s’écria : Ne faitespas mourir maman !… Des larmes amères inondoient ses joues, etune fièvre brûlante s’étoit emparée d’elle. Quand elle fut bienréveillée, cette sensible enfant porta ses mains sur le corps etsur la figure de sa mère ; ne la sentant pas remuer, elle jetades cris perçans, et s’écria avec l’accent dudésespoir : « Maman ! ma chère maman ! est-ceque tu es morte ? »

Sa mère la prit dans ses bras, et la couvritde baisers. Sois tranquille, chère enfant, lui dit-elle, etcalme-toi ; je me porte bien.

Hélas ! dit l’enfant, ils étoientlà ; je les ai vus ; ils vouloient te faire mourir !Oh, maman ! le vilain rêve ; et elle le lui raconta.Madame de *** mit tout en œuvre pour rassurer sa chèreenfant ; elle lui fit sentir qu’un rêve n’étoit point faitpour alarmer ; mais la tendre Coralie craignoit pour sa mère,et son cœur étoit oppressé ; elle poussoit des soupirs, etserroit fortement sa mère contre sa poitrine, comme pour lagarantir du danger qui la menaçoit. – Écoute, maman, que je tedise. – Parle, chère enfant. – Je voudrois mourir, moi. – Eh !pourquoi ? tu voudrois donc me quitter ? – Maman, c’estque je ne puis te voir souffrir comme cela : bien vrai, nousserions plus heureuses d’être mortes toutes deux. – Tu as bienraison, dit madame de *** fondant en larmes !… – Maman,donne-moi ta main… je sens que mon cœur s’en va… baise-moi encore,et… mourons ensemble… À ces paroles, la pauvre petite rendit eneffet le dernier soupir, sur le sein de sa mère évanouie…

Madame de *** chercha à réchauffer le corpsglacé de sa chère enfant ; elle l’appela mille fois avec lecri du désespoir. Mais, hélas ! sa jeune compagne étoit perduepour elle !…

Après l’avoir baignée de ses larmes, etcouverte de ses derniers baisers, cette malheureuse mère déchira unpan de sa robe, et elle ensevelit le corps de sa chère enfant.Ainsi finit à l’âge de neuf ans, la plus intéressante petite filleque le ciel eût jamais formée.

Pendant tout ce récit, Mimi n’avoit putravailler, et ses larmes avoient coulé plus d’une fois. La mort deCoralie lui fit pousser des sanglots, et sa mère fut presque fâchéede lui avoir raconté cette histoire, un peu forte pour sonâge ; cependant comment résister au désir d’apprendre à safille qu’il existe des enfans qui ont pour leurs pères et mères unetendresse passionnée ?… Mimi, ayant essuyé ses yeux, demanda àsa maman, si la mère de Coralie vivoit encore ? – Non, mafille : cette tendre mère mourut de douleur d’avoir perdu sonenfant chérie,… Crois, ma petite, que la tendresse d’une mèresurpasse encore celle de ses enfans, quelque grande qu’ellesoit !… Mais laissons là un sujet si triste, et passons à latroisième maîtresse de Zozo. M. de *** ne voulant rienvoir de ce qui avoit appartenu à sa fille, qu’il regrettaitsincèrement, envoya sa garde-robe et ses joujoux, à une de sesnièces, qui ne demeuroit point dans la même ville.

Maria, troisième maîtresse de Zozo.

La jeune cousine de Coralie se nommoitMaria. Son père et sa mère qui connoissoient le prix del’éducation, lui donnèrent de bonne heure les meilleurs maîtres.Elle apprit à lire sans dégoût et sans ennui, avec des caractèresde l’alphabet tracés séparément sur autant de petits morceaux decarton qu’il y a de lettres. Par ce moyen facile et ingénieux,Maria, à trois ans, lisoit très-bien, et savoit orthographier tousles mots qui sont d’un usage commun. À quatre ans, cette charmantepetite savoit passablement la langue française, la mythologie, lagéographie et les principaux traits de l’histoire générale. Samodestie, sa douceur égaloient ses heureuses dispositions ;elle parloit peu, et attendoit toujours qu’on l’interrogeât, sansfaire parade de son savoir, quoiqu’elle eût la mémoire ornée dequantité de morceaux choisis en vers et en prose.

Malgré son goût pour l’étude, elle avoit lagaieté qui convenoit à son âge : ses réparties étoient vives,spirituelles, mais la qualité qui la faisoit le plus chérir,c’étoit son extrême sensibilité, fort au-dessus de son âge. Cettequalité du cœur qu’elle possédoit dans un degré, éminent, faisoitdire à sa mère, que sa fille seroit bien malheureuse !…

Ce fut l’éloge soutenu que M. de ***entendit faire de cette aimable enfant, qui la lui fit choisir pourlui envoyer la belle poupée de sa fille.

Le présent de M.*** fut accueilli comme il leméritoit. La poupée plut beaucoup à l’enfant, mais elle n’y touchapas ; car à peine l’eut-elle reçue, qu’elle fut attaquée d’unemaladie longue et douloureuse.

Maria souffroit des douleurs aiguës ;mais elle dévoroit ses larmes, pour ne pas affliger les femmes quila servoient ; et cette aimable petite créature consoloitencore sa mère : « Ne pleurez pas, ma chère maman, luidisoit-elle, j’irai prier pour vous. Dans le ciel, ma petite maman,je ne souffrirai plus. » Heureusement cette charmante petitefille revint à la vie, pour faire le bonheur de sa tendre mère, parsa douceur et sa sagesse. Afin de hâter son rétablissement, on lamena à la campagne. C’étoit au commencement de l’été. La petiten’emporta aucun joujou ; sa mère vouloit qu’elle fût sanscesse dans les champs, pour respirer un air pur qui fortifiât sontempérament. Maria, qui passa plusieurs années à la campagne, étoittrop âgée, lorsqu’elle revint à la ville pour jouer à lapoupée ; sa maman la donna à une riche marchande de saconnoissance, dont la fille, appelée Fortunée, n’avoit que cinqans.

Fortunée, quatrième maîtresse deZozo.

Jusque-là, Zozo s’étoit toujours trouvée avecdes enfans extrêmement raisonnables ; elle n’avoit point étédéshabillée ; son trousseau, renfermé dans sa petite commode,étoit toujours dans le meilleur état ; son lit bien blanc etbien propre. Mais Fortunée devoit lui faire subir plus d’unemétamorphose. Enchantée d’abord en voyant la belle poupée, lapetite la tourna en tous sens ; ensuite elle lui ôta sonchapeau, sa robe, puis elle la coucha ; puis elle examina cequi étoit dans la commode, développa tout, coupa, hacha ; toutcela fut l’affaire d’un quart d’heure. À voir comme Fortunée yalloit, il est à croire qu’au bout de huit jours, Zozo auroit étébrisée si elle fût restée entre ses mains. Mais il faut que je tefasse connoître cette petite fille.

Fortunée étoit volontaire, gourmande,babillarde, menteuse, importune, haute et colère à l’excès. Elletrépignoit des pieds quand on lui refusoit quelque chose, battoitsa bonne, et répondoit à sa mère avec impertinence.Malheureusement la maman de Fortunée la gâtoit ; elle excusoitles vilains défauts de sa fille, et les traitoit d’enfantillage. Safaiblesse fut cause que la petite devint de plus en plus méchante,opiniâtre, et fit enfin un mauvais sujet.

Cette mère, sans jugement, s’attacha à fairebriller sa fille ; elle lui donna de très bons maîtres pour lamusique et pour la danse, avant de lui faire apprendre à lire. Àsix ans, Fortunée dansoit de manière à étonner ; elle touchoitagréablement du piano, mais elle connoissoit à peine seslettres.

Encouragée par les éloges qu’elle recevoitsans cesse, l’enfant devint très habile musicienne. Elle parut à lacour, et s’y fit admirer. Mais ses succès même lui firent dutort : cette petite se crut un prodige. Enivrée des louangesqu’on lui prodiguoit, son orgueil la rendit insupportable !…Aussi ignorante sur les choses vraiment utiles, que savante àformer des pas, et à exécuter un morceau de musique, Fortunéen’avoit aucune idée des premières connoissances qui font la base del’éducation ; elle ne savoit pas non plus travailler.

Sa mère, qui aimoit à la faire paraître dansle grand monde, négligea son commerce, et dépensa beaucoup d’argentpour se mettre, elle et sa fille, avec la dernière élégance.Insensiblement, elle dissipa sa fortune et se ruinaentièrement.

Quand Fortunée n’eut plus le moyen de paroîtrepour faire étalage de ses talens, on l’oublia tout à fait. Elle futforcée de rester auprès de sa mère, qui, obligée de travailler pourvivre, regretta amèrement de n’avoir pas donné à sa fille, au lieude danse et de musique, un talent qui pût la faire subsister.

Incapable d’aider sa mère en travaillant,Fortunée lui donnoit encore beaucoup de chagrin par ses mauvaisesqualités. Son orgueil se révoltoit de ce qu’elle étoit obligée dese livrer aux détails du ménage, car tu penses bien qu’on avoitrenvoyé les domestiques. Cette belle demoiselle s’ennuyoit de neplus aller au bal, dans les assemblées, de n’être plus fêtée commedans le temps qu’elle étoit riche ; elle montroit beaucoupd’humeur, répondoit mal à sa mère, et lui reprochoit durement lemalheur qui les accabloit.

La douleur d’avoir une fille si dénaturée, etle chagrin de ne pas avoir formé son cœur, au lieu de lui donnerdes talens agréables, conduisirent cette mère au tombeau. Fortunée,qui ne savoit rien faire, tomba dans une misère affreuse, et, pourcomble de maux, personne ne la plaignit. Voilà ce qui arrive,lorsqu’on néglige d’acquérir dans l’enfance des talens utiles, etd’orner son âme de vertus.

Quant à Zozo, d’abord Fortunée en fut dansl’enthousiasme, comme je te l’ai dit ; mais bientôt elle lalaissa pour les concerts dont elle faisoit l’ornement, et où savanité étoit satisfaite. Lorsque sa mère vendit ses meubles et sesmarchandises pour payer ses dettes, une dame fort riche acheta labelle poupée pour sa fille. Elle chargea une marchande de modes del’habiller de neuf, et Zozo, plus belle que jamais, passa dans lesmains de sa nouvelle maîtresse.

Lorsque madame Belmont eut fini, Mimi fît unepetite grimace, qui témoignait qu’elle trouvoit cette histoiremoins jolie que les autres. – Je crois, lui dit sa maman, que mapetite musicienne n’a pas le bonheur de te plaire ? – Non,maman ; je n’aime pas du tout cette Fortunée, si vaine, et quicependant ne sait ni lire, ni travailler ; j’en sais plusqu’elle, moi, puisque je lis dans tous les livres et même dansl’écriture, et sans être orgueilleuse encore !… Si vousn’aviez pas d’argent, je pourrois faire comme Blanche, la petitemarchande ; j’ourlerois des mouchoirs, et je gagnerois quelquechose. – Oui, dit madame Belmont, tu ferois deux ourlets par jour,tout au plus, ce qui feroit un sou : nous irions loin aveccet argent !… Profite, ma chère enfant, du tristesort de la petite dont je viens de te conter l’histoire ;applique-toi, emploie ton temps, et remercie le bon Dieu de t’avoirdonné un père et une mère qui te donnent une éducation solide, etqui travaillent à corriger tes défauts. Écoute à présent l’histoirede Céleste, cinquième maîtresse de Zozo.

Histoire de Céleste.

Céleste étoit fille d’un grand seigneur, quivoulut lui-même veiller à son éducation.

Céleste avoit une figure charmante, maisc’étoit le moindre de ses avantages ; excellent naturel,docilité, amour de l’étude, générosité, sensibilité exquise,discrétion, piété filiale, patience héroïque dans la douleur,élévation d’âme : cette étonnante petite fille réunissoittout ; elle avoit toutes les perfections.

Le père et la mère de Céleste passoient unegrande partie de l’année à la campagne, parce que la santéchancelante de madame d’Avriller l’exigeoit ; c’est pourquoison mari, homme très instruit, se faisoit un plaisir de seconder leprécepteur de ses enfans, en leur donnant lui-même d’excellentesleçons.

Céleste avoit deux frères, beaucoup plusjeunes qu’elle, et dont elle s’occupoit comme la mère la plustendre. Assise tranquillement avec sa poupée, elle les surveilloit,ou se mêloit à leurs jeux avec une complaisance charmante.

Douée des plus heureuses dispositions, Célestene pouvoit manquer d’être parfaitement instruite, ayant son pèrepour instituteur. Elle apprit la musique et le dessin pour luiservir de délassement, mais sans avoir le projet de perfectionnerces talens, parce que, malgré sa jeunesse, toutes les heures de lajournée étaient prises, et qu’elle avoit peu de temps à leurdonner.

Céleste avoit le bonheur d’avoir uneexcellente gouvernante, sage, laborieuse, adroite, qui lui apprit àfaire plusieurs ouvrages de son sexe. Bientôt cette jeune personnebroda mille jolies choses pour ses parens et pour elle-même ;et quoiqu’elle eût une femme de chambre, elle se coiffoitet s’habilloit seule, en disant qu’on avoit reçu de la nature desmains pour s’habiller comme des pieds pour marcher. Bien loind’être à charge aux domestiques, Céleste donnoit tous ses soins àses jeunes frères, et leur servoit de gouvernante ; ellemanqua même d’être la victime de son dévouement pour eux.

Céleste avoit coutume d’aller tous les joursavec ses frères et sa gouvernante, dans une campagne voisine deleur château. Les enfans jouoient sur l’herbe, cueilloient desfleurs, dont Céleste formoit des guirlandes, et la gouvernantetenant un livre, l’oublioit le plus souvent pour admirer l’innocentbadinage de ces aimables enfans.

Pendant une absence que fitM. d’Avriller, Céleste proposa à sa gouvernante d’aller sepromener dans un grand bois, à une demi-lieue du château, pour ygoûter avec ses frères. Le jour pris pour cette partie de plaisir,le temps étant superbe, la petite société se mit en marche avec lagaieté de cœurs satisfaits, qui volent à de nouvellesjouissances.

Rendue au lieu désiré, la petite familles’assit en rond sous un chêne touffu, et fit un repas champêtre quilui parut délicieux.

Pendant que ces aimables enfans se livroientsans contrainte à toute la folie de leur âge, le ciel s’obscurcitet le tonnerre se fit entendre ; aussitôt les jeux cessèrent,et tous s’empressèrent de chercher un abri.

À peine furent-ils hors de la forêt, qu’ils’éleva une tempête effroyable : un vent impétueux déracinales arbres ; l’air étoit obscurci de feuilles et depoussière ; les enfans ne voyoient pas devant eux. Poussée ensens contraire par la force du vent, la petite famille s’armoit decourage, mais il l’abandonna tout à fait quand elle entendit auloin voler en éclats les cabanes des paysans, et qu’elle vit lafoudre tomber à ses pieds.

Les enfans épouvantés sentirent leurs genouxse dérober sous eux ; la frayeur les saisit tellement, qu’ilsleur fut impossible d’avancer. Cependant il falloit se hâter ;la pluie, qui ne tomboit pas encore, menaçoit de les percerjusqu’aux os. La gouvernante prit l’aîné des garçons dans ses bras,et Céleste le cadet ; ainsi chargées, elles s’empressèrent deregagner le château.

Mais bientôt une pluie semblable à un délugeinonda les champs, et en fit une espèce de lac. Céleste et sagouvernante, ayant leurs vêtemens trempés, marchoient dans l’eau,sans savoir où porter leurs pas ; car les chemins, lesplaines, les prairies ressembloient à une vaste mer, dont on nevoyoit pas l’issue.

Pour comble de malheur, avant d’arriver auchâteau, il falloit passer un ravin, qui alors se trouvoit grossiconsidérablement par la pluie d’orage. Céleste et sa gouvernantesentirent la nécessité de le passer avant qu’il augmentât :elles y entrèrent avec courage, luttant contre les flots, etoubliant le danger qu’elles couroient pour ne s’occuper que desenfans qui, extrêmement effrayés, se débattoient et jetoient leshauts cris.

Près d’être engloutie vingt fois dans cegouffre, Céleste ne perdit point la tête ; elle sortit duravin, exténuée de fatigue et toute trempée, et regagna la maisonavec ses frères ; mais dans quel état, grand Dieu !… Dèsqu’elle se fut reposée, elle eut une fièvre brûlante, avec desaccès de transports. Elle s’écrioit alors : « Ne soyezpas en peine, mon papa, maman ! j’ai sauvé mes petits frères…ne soyez pas en peine, je me porte bien aussi. » Mais cettechère enfant étoit attaquée d’une fluxion de poitrine qui fitcraindre pour ses jours.

Quelle douleur pour son père et sa mère !cette fille chérie, qui devoit être l’ornement et la consolation deleur vieillesse, alloit peut-être leur être ravie au moment où ilsconnoissoient tout son mérite ! Malgré ces penséesdéchirantes, M. et madame d’Avriller eurent le courage demodérer leur affliction, pour que Céleste ne se doutât pas dudanger où elle étoit.

À force de soins, la chère enfant serétablit ; elle fut plus que jamais la gouvernante de sesfrères, sur lesquels elle croyoit avoir acquis des droits, depuisl’aventure de la forêt. Céleste leur apprit à lire : jusqu’àl’âge de huit ans, ils n’eurent point d’autre instituteur. Ilfalloit voir la patience de cette jeune personne, sa douceur, sacomplaisance pour ses élèves ; c’étoit un coup d’œilravissant !

Ces deux petits avoient un bon cœur ; ilss’attachèrent à Céleste, et leur docilité la paya amplement despeines qu’elle se donnoit pour leur éducation. Il auroit falluqu’ils fussent bien ingrats pour ne pas aimer une si bonne sœurqui, toujours prête à les excuser lorsqu’ils étoient pris en faute,leur évitoit le long du jour toutes sortes de petits chagrins parsa prévoyante tendresse !

Une bonne conduite trouve tôt ou tard sarécompense. Céleste eut, dans ses deux frères, des amis solides,qui ne l’abandonnèrent jamais. Heureuse par les auteurs de sesjours qui la chérissoient, et par l’affection sincère de ceux quilui devoient tout, cette jeune personne n’eut rien à désirer. Outrecela, elle jouit de l’estime des honnêtes gens, chose précieusepour ceux qui ont un peu d’âme.

C’est déjà fini, maman ? dit Mimi àmadame Belmont.

– Oui, ma fille. Comment trouves-tuCéleste ? – Ah ! c’est une demoiselle bien aimable ;je voudrois qu’elle fût de mon âge, j’en ferois ma petite amie. –Mais tu n’aurois pas ta belle poupée.

– J’en aurois une autre. – Pas aussibelle ; car je regrette beaucoup l’argent employé à ces sortesde choses. – Eh bien ! maman, je m’amuserois de même avec unepoupée ordinaire, et j’aurais une amie qui m’apprendroit à êtrebonne comme elle ; vous seriez toujours contente de moi. –Viens m’embrasser, ma chère enfant ! ta réponse me prouve quemes peines ne sont pas perdues, et que ton cœur estexcellent : tu es une aimable petite fille !

Lorsque Céleste, tomba malade, il y avoitlongtemps qu’elle ne jouoit plus à la poupée. Ses frères prenoientune grande partie de sa journée, le reste étoit pour l’étude. Sicette bonne sœur avoit un moment de loisir, elle le donnoit encoreà ses chers élèves, en se mêlant à leurs jeux, et en semettant à leur portée pour leur plaire davantage.

Céleste donna sa poupée à la fille du receveurde la ville où elle demeurait, comme une preuve de son amitié pourelle, et une récompense des belles actions que l’on citoit d’ellechaque jour.

Lucile, sixième maîtresse de Zozo.

Le père de Lucile n’avoit point de fortune,mais il étoit honnête homme, et lui donna une bonne éducation. Ilavoit remarqué que sa fille avoit un caractère très décidé, avec uncœur sensible, et il employa la douceur, les caresses et lesentiment pour obtenir d’elle ce qu’il désiroit ; il eut lasatisfaction de s’en voir respecté et chéri.

La mère de Lucile aimoit sa fille sans doute,mais cet amour n’étoit ni raisonnable, ni éclairé ; elle lagrondoit sévèrement pour des bagatelles, et lui passoit des fautesgraves. Souvent cette mère capricieuse l’accabloit de caresses sansraison, sans motif, et la repoussoit quand la petite venoit pourl’embrasser. Cette bizarrerie aigrissoit l’esprit de l’enfant etchagrinoit son père, qui se voyoit contrarié dans la marche qu’ilvouloit suivre pour l’éducation de sa fille.

Cet homme bon, mais faible, renferma sonchagrin en lui-même. Les peines qu’il éprouvoit, jointes à desmalheurs imprévus, abrégèrent ses jours : il mourut à la fleurde son âge, et sa femme le suivit de près. Elle laissa Lucile, âgéede dix ans, avec un petit garçon de dix-huit mois.

Pour tout héritage, Lucile eut quelques vieuxmeubles, et une petite chaumière située sur la lisière d’un bois.Lucile se retira dans cet asile sauvage avec son petit frère. Lesmalheureux n’ont, hélas ! ni parens, ni amis ; elle sevit absolument délaissée, et fut bientôt en proie à la plusaffreuse indigence. Quelques laboureurs la demandèrent cependantpour garder leurs troupeaux ; mais elle les refusa, résolue detout souffrir plutôt que d’abandonner son petit frère qui demandoitses soins.

Cependant il falloit avoir du pain, et donnerà manger à ce pauvre petit qui ne parloit pas encore. Lucile venditses meubles ; avec cet argent, elle acheta du lin et ducoton ; elle fit des bas et les vendit. L’habitude du travaillui fut d’un grand secours dans sa misère : elle filoit,cousoit et tricotoit tour à tour. Comme elle étoit aussi vigilantequ’habile, elle pourvut ainsi à ses besoins, et conserva saliberté.

La vertu commande l’estime des hommes. Unejeune fille de dix ans, vivant seule dans une pauvre cabane, sesuffisant à elle-même, et soignant son frère en bas âge, comme sielle eût été sa mère, étoit un spectacle rare etattendrissant ; aussi on accouroit des cantons voisins pour lavoir, et l’on s’empressoit de lui apporter de l’ouvrage. Les mèressurtout se faisoient un plaisir et un devoir d’y conduire leursenfans.

En peu de temps, Lucile recueillit le fruit deses peines ; l’aisance régna dans sa petite chaumière ;elle se vit même en état de prendre une bonne vieille pour faire leménage et soigner son frère, tandis qu’elle alloit porter sonouvrage dans les hameaux voisins.

Lucile couloit des jours heureux dans la paixet dans l’innocence ; rien n’eût manqué à son bonheur, si elleavoit eu son père et sa mère. Cette jeune personne étoit d’uneforce et d’une taille bien au-dessus de son âge, et sa beautéégaloit les qualités de son cœur.

Une dame de la ville voisine, ayant entenduparler de Lucile, désira la voir ; après s’être assurée quetout le bien qu’elle en avoit entendu dire étoit véritable, ellelui fit proposer de venir demeurer dans sa maison, promettant quesi Lucile continuoit à se conduire comme auparavant, elle auraitsoin de sa fortune. Effectivement, au bout de trois ans,cette dame, qui n’avoit point d’enfans, et qui étoit fort riche,adopta notre orpheline, qui par-là se vit récompensée de sa bonneconduite, et par suite en état d’assurer une fortune honnête à sonfrère dont elle n’avoit pas cessé de prendre soin. Lucile avoitdisposé de sa poupée, à la mort de sa mère ; madame deVertingen l’avoit achetée pour Angelina, sa petite fille.

Angelina, septième maîtresse deZozo.

Dès les premières années d’Angelina, on jugeaqu’elle auroit beaucoup d’esprit ; sa maman en étoitenchantée, elle voulut l’élever elle-même.

La tendresse excessive de madame de Vertingennuisoit beaucoup à sa fille : en allant au-devant de sesmoindres désirs, en cédant aveuglément à toutes ses volontés, ellela rendoit exigeante, capricieuse, colère, et lui préparait despeines pour l’avenir.

Un ami de M. de Vertingen essaya dedonner quelques avis à cette mère trop faible : « Madame,lui dit-il un jour, permettez-moi de vous parler avecfranchise ; vous n’avez pas encore élevé d’enfant ; jecrains fort que vous ne perdiez la vôtre, faute de connoître lamanière de la gouverner : vous devez l’élever pour les autres,et l’on seroit tenté de croire que vous ne l’élevez que pourvous-même. » Madame de Vertingen reçut fort bien ce reprocheamical ; elle promit d’en profiter, mais elle l’oubliabientôt, et continua à gâter sa fille.

Angelina croissoit cependant à vued’œil : son teint étoit vermeil comme la rose, l’espritpétilloit dans ses yeux, sa figure pleine de grâce et d’expressionplaisoit à tout le monde, et son heureux caractère ne demandoitqu’une main habile pour le plier à son avantage ; mais madamede Vertingen rioit de ses fautes, et lui cédoit en toute occasion.Quand un domestique différoit à satisfaire ses caprices, il étoitgrondé, et l’on finissoit par le renvoyer.

Aussi Angelina faisoit mille sottises parjour : la moindre contrariété la mettoit dans une colèreaffreuse ; ses traits se décomposoient, et sa faible mère,craignant pour ses jours, se hâtoit de lui accorder tout ce qu’ellevouloit. Sûre ainsi de se faire obéir, Angelina se mutinoit pourrien, et devenoit insupportable.

Cette petite fille si gâtée montoit sur lesfauteuils, se rouloit à terre, alloit partout sans guide, gâtaitles meubles, déchiroit ses vêtemens, brisoit tous ses joujoux etjamais on ne la grondoit.

Un jour elle prit un couteau pour aller dansle jardin couper une branche d’arbre, le pied lui glissa, et ellese blessa grièvement à la cuisse. La gouvernante que sa mère avoitmise auprès d’elle n’étoit point écoutée ; lorsqu’elle luifaisoit des représentations, l’enfant mutin répondoit :« Il faut bien que je m’amuse ; maman veut que je fassede l’exercice. »

Il arriva plusieurs aventures fâcheuses àl’indocile Angelina. Un jour elle voulut attraper un petit poissonrouge ; s’étant penchée sur le bord du bassin, elle tomba dansl’eau. Le jardinier de la maison, qui heureusement se trouvoit dece côté, la retint par ses jupons, et lui sauva la vie, mais ellefut sérieusement malade.

Il falloit plus d’un exemple pour corriger unenfant qui n’agissoit qu’à sa tête. Il prit fantaisie à Angelina defaire griller des escargots. Elle prit furtivement un réchaud debraise, et l’ayant allumé dans un coin, en soufflant avec sa boucheun charbon tomba sur sa robe ; en moins d’une minute elle eutles jambes, les cuisses, les bras, et même le visage, entièrementbrûlés : elle fut plus d’un mois à guérir, et souffrit desdouleurs inexprimables ; encore fut-elle tout à faitdéfigurée. Angelina étoit déjà grande qu’elle ne savoit encorerien : sa mère craignoit de la fatiguer. Aussi quand ellevoulut lui donner des maîtres, la petite, incapable d’application,s’ennuya à mourir ; elle ne prit goût à rien ; et au boutde plusieurs années, après avoir fait dépenser beaucoup d’argent àson père et à sa mère, Angelina n’eut qu’une légère teinture desarts qu’on avoit cherché à lui faire apprendre.

Madame de Vertingen avoit commencé d’abord parlui donner un maître de musique et un maître de danse. Angelina,qui étoit vive et gaie, dansoit avec plaisir ; mais son maîtrede musique étoit souvent renvoyé, sous prétexte d’un mal de tête,d’une colique, ou de quelqu’autre indisposition. Si sa mèreexigeoit qu’elle prît sa leçon, Angelina prenoit de l’humeur ;elle se mettoit au piano de mauvaise grâce, bailloit, faisoit desfautes sans nombre, et finissoit par lasser la patience du maîtrele plus complaisant.

Comme Angelina ne savoit point s’occuper, etqu’il faut passer le temps à quelque chose, elle se levoit tard,changeoit dix fois de robe dans une matinée, avoit cent caprices,mangeoit toutes sortes de friandises, tourmentoit le chat, agaçoitle chien, commandoit avec hauteur à sa femme de chambre, et faisoitgronder les domestiques dont elle dérangeoit le service pour sesfantaisies.

Sa mère, moins fâchée de la voir dure,capricieuse, ignorante, coquette et impertinente, que dereconnoître son peu de disposition pour les arts d’agrément, luifaisoit quelquefois des reproches : « Que voulez vousdevenir, ma fille ? lui disoit-elle. Vous ne saurez nimusique, ni danse, ni dessin ; vous passerez dans le mondepour une demoiselle sans éducation, et personne ne vousregardera. » Elle eût mieux fait de lui dire : Commentécrirez-vous une lettre ne sachant pas l’orthographe ? Quellesera votre conversation avec les personnes instruites, n’ayantaucune connoissance de la géographie, de l’histoire, et dessciences en général ? Qui voudra vous servir, si vous êtesexigeante et capricieuse ? Qui voudra vivre avec vous, si vousne voulez point vous occuper des autres, et que vous rapportieztout à vous-même ? Mais madame de Vertingen n’avoit pasl’esprit assez solide pour faire ces réflexions.

Les choses étoient en cet état, lorsqu’unévénement malheureux força le père et la mère d’Angelina à quitterla France. Ils abandonnèrent leur bien pour sauver leur vie. Ayantrassemblé à la hâte leur argent et leurs bijoux, ils allèrent enAllemagne attendre un temps plus heureux.

Quand on est hors de son pays, on dépensebeaucoup. Leurs fonds furent bientôt épuisés ; ils éprouvèrentles horreurs de l’indigence, d’autant plus que ni la mère ni lafille ne pouvoient s’aider du travail de leurs mains.

M. de Vertingen étant mort, leur situationdevint véritablement déplorable… C’est alors que la mère d’Angelinaouvrit les yeux pour voir les torts qu’elle avoit à se reprochersur l’éducation de sa fille !… Cette jeune personne,extrêmement laide, depuis l’accident qui lui étoit arrivé par safaute dans son enfance, ne savoit pas seulement enfiler uneaiguille !… Qu’alloit-elle devenir !… Ces tristesréflexions, jointes à la misère, mirent en peu de temps cette mèreinfortunée au tombeau !… Angelina, sans aucuneressource, fut obligée, pour ne pas mourir de faim, de se mettre enservice chez un vigneron du pays où elle étoit.

Tu vois, ma bonne amie, dit en finissantmadame Belmont à sa fille, combien il est nécessaire d’apprendre debonne heure à lire, à écrire, et à travailler. La fortune peut seperdre, mais une bonne et sage éducation est un trésor qui nemanque jamais. Tu n’aimes sûrement point Angelina ; elle n’estpas aimable non plus ; mais ses fautes seront pour toi uneleçon utile ; tu éviteras, je l’espère, de te conduire commeelle. – Je le crois bien, dit Mimi ; maman ne ressemble pas àmadame de Vertingen. Madame Belmont embrassa sa fille, et aprèsquelques autres réflexions, elle reprit son récit.

Le sort de Zozo, continua cette dame, n’avoitpas été trop heureux avec la volontaire et capricieuse Angelina.Lorsque M. et madame de Vertingen quittèrent la France, labelle poupée était dans un état pitoyable ! Elle resta entreles mains de la gouvernante d’Angelina, qui, étant entrée auservice d’une dame, lui en fit présent.

Zozo fut encore une fois réparée ; onl’habilla richement, et la dame qui en étoit devenue propriétaireen fît cadeau à la fille d’une de ses amies. C’est cette petitefille qui va faire le sujet de notre entretien.

Louisa, huitième maîtresse de Zozo.

Madame de P… reçut Zozo avec plaisir. Ellepria son amie de n’en point parler à Louisa, sa fille, à qui lapoupée étoit destinée. Je veux, dit-elle, que ce beau présentcorrige ma fille d’un grand défaut, et lui serve en même-temps derécompense.

Madame de P… ayant ainsi prévenu son amie,plaça Zozo dans une grande corbeille de jonc, couverte de taffetascouleur de rose, noué avec de la faveur. Elle mit cette corbeilledans sa chambre à coucher, sur une commode, et la ferma aux deuxbouts, avec une bande de papier cacheté.

Lorsque Louisa vit cette grande corbeille,elle fit mille questions, sur ce qu’elle contenoit. Tous lesdomestiques, qui avoient le mot, s’accordoient à lui répondrequ’ils n’en savoient rien. Louisa étoit fort embarrassée ; carelle n’osoit point faire de questions à, sa mère, parce qu’elle luiavoit dit plusieurs fois que rien n’étoit plus impoli.

La pauvre enfant étoit à la torture, d’autantplus que la curiosité étoit son défaut dominant. Madame de P… luidit un jour : Écoute, Louisa, tu ouvriras toi-même lacorbeille mystérieuse dans trois mois, si, d’ici à ce temps, tu tecorriges de ton excessive curiosité. Pendant trois mois, jetiendrai une note exacte des fautes qu’elle te feracommettre ; à cette époque je te montrerai mon livre, et tuseras jugée d’après cette lecture. – Trois mois, maman, c’est bienlong ! – Ma fille, il n’en faut pas moins pour t’habituer àveiller sur toi-même ; d’ailleurs l’arrêt est prononcé :dans trois mois, à pareil jour, tu ouvriras la corbeille, ou bienelle disparaîtra pour toujours de devant tes yeux. – Sans que jesache ce qui est dedans ? – Sans que tu saches ce qui estdedans ! Tu le sauras dans la suite, mais ce sera pour tedonner des regrets de ne pas avoir su vaincre ton funestepenchant.

Trois mois d’épreuves étoient en effet bienlongs pour une petite fille aussi curieuse que Louisa, qui n’avoitjamais su se contraindre. Dans tous les temps on l’avoit vue donnerdes preuves de la plus mauvaise éducation, en cherchant àsatisfaire sa curiosité. C’étoit un tiroir qu’elle ouvroit, pourregarder ce qu’il y avoit dedans, même chez les étrangers ; unsac qu’elle vidoit, un paquet qu’elle développoit. Un paniercouvert, quel qu’il fût, lui donnoit le désir de savoir ce qu’ilcontenoit. Aucune boîte, aucun coffre n’échappoit à ses recherches.Jusqu’alors les représentations, les remontrances de madame P…n’avoient pu la corriger de ce défaut, qui devenoit chaque jourplus choquant par les inconséquences qu’il lui faisoit commettre.Quelquefois même il avoit des suites fâcheuses ; car Louisa nebornoit pas sa curiosité à voir, elle vouloit aussi entendre, etdécouvroit les secrets qu’on auroit voulu lui cacher. Elle écoutoitaux portes pour savoir les affaires des personnes avec qui ellevivoit ; on s’en défioit comme d’un voleur ! Louisa seglissoit aussi partout pour satisfaire sa passion favorite. Quandon la prenoit sur le fait, elle en étoit quitte pour prierinstamment qu’on ne le dît point à madame de P…, puis ellerecommençoit au même instant.

Louisa étoit non seulement curieuse, mais elleétoit bavarde. Cependant madame de P…, qui haïssoit la médisance,lui fermoit la bouche lorsqu’elle vouloit lui conter ce qu’avoitfait un tel ou ce qu’une telle avoit dit ; mais la petite sedédommageoit de cette contrainte en causant avec les domestiques, àqui elle répétoit, à sa manière, tout ce qu’elle avoitentendu : de là provenoient des haines, des querellesinterminables ; la paix étoit bannie de cette maison. Quand onvenoit aux éclaircissemens, on citoit toujours Louisa comme leprincipal auteur de tout ce tapage.

Madame de P… avoit exigé de ses gens qu’ilsrenvoyassent honteusement sa fille, chaque fois qu’ils latrouveroient soit dans l’antichambre, soit dans quelque autre piècede la maison où elle ne devoit pas être. De son côté, madame deP…ne négligeoit rien pour lui faire sentir le ridicule de saconduite ; elle lui défendoit expressément de causer avec lesdomestiques, et la punissoit quand il étoit prouvé que ses rapportsavoient fait de la peine à quelqu’un. Cette surveillance gênoitextrêmement Louisa, et lui évitoit bien des sottises ; maiselle ne changeoit point son caractère, parce que cette petite nefaisoit aucun effort pour se corriger.

Madame de P… en fit la réflexion. C’est ce quila porta à profiter de l’occasion qui se présentoit, pour essayerde détruire le vilain défaut de sa fille ; et certes elle nepouvoit s’y prendre trop tôt : ce penchant des âmes vulgairesa causé plus de maux qu’on ne pense !…

Les trois mois d’épreuves commencèrent donc.Louisa se promit bien de ne commettre aucune faute qui l’empêchâtde voir ce qu’il y avoit dans la corbeille. Malgré le désirqu’avoit cette enfant de ne rien faire qui la privât de lasatisfaction qu’elle attendoit, elle s’oublioit cependantquelquefois ; mais sa gouvernante qui l’aimoit, l’avertissoittoujours au moment même, en lui rappelant la corbeille.Si, par exemple, Louisa touchoit à quelque chose qui nelui appartenoit pas, et cherchoit à voir dans un ridicule, ouailleurs, ce qu’il y avoit, sa gouvernante lui disoit :Mademoiselle, souvenez-vous de la corbeille ! Et Louisaretiroit sa main aussi vite que si elle se fût brûlée ; demanière que cette petite dut à sa bonne gouvernante de n’avoir passuccombé vingt fois à la tentation ; car l’habitude est uneseconde nature. Pendant deux mois, Louisa se comporta si bien, quemadame de P… n’écrivit rien qui méritât une censure sévère.Enchantée d’avoir réussi dans son projet, et s’apercevant par cetessai que sa fille n’étoit pas incorrigible, cette dame se proposade la récompenser de ses efforts, en abrégeant le temps de sonépreuve ; car c’étoit une véritable pénitence pour une enfantde ce caractère. Prenant donc Louisa par la main, sa mère la menadans sa chambre : Voilà deux mois de passés, ma fille, lui ditcette dame, depuis que cette corbeille que tu vois est ici. Tu astenu nos conventions autant que ton âge pouvoit te lepermettre ; cela me fait espérer que, par la suite, tuéviteras les fautes où tu es tombée jusqu’ici. Je consens donc àabréger en ta faveur le temps que j’avois fixé ; tu peuxouvrir la corbeille, mais à une condition, c’est que, si tu esencore curieuse, rapporteuse et médisante, comme auparavant, jereprendrai ce qui est dedans, pour le donner à une autre petitefille plus sage que toi.

Louisa promit à sa maman tout ce qu’ellevoulut ; elle sauta à son, col, et la remercia mille fois deson extrême bonté. Elle courut à la corbeille, dont elle fîtbientôt voler les cachets ; mais que devint-elle à la vue dela belle poupée !… elle recula de surprise !… elle ne sepossédoit pas de joie !… – Ah, maman ! qu’elle estbelle ! s’écria-t-elle dans son ravissement ; comme elleest bien mise ! et puis, grande ! mais, c’est que noussommes de la même taille !… Louisa étoit la plus heureusepersonne du monde ! – Tu vois, ma bonne amie, lui dit samaman, que tu es récompensée de tes efforts au-delà de tesespérances : travaille toujours à te perfectionner, et je tepromets des surprises plus flatteuses encore : une mère est siheureuse quand sa fille se porte au bien !

Louisa devint extrêmement raisonnable ;elle donna toutes sortes de satisfaction à sa maman. Le temps étantvenu de lui donner des maîtres, cette jeune personne renonçad’elle-même à sa poupée pour s’appliquer davantage. Madame de P…que je voyois alors me donna Zozo pour toi, ma fille ; mais tuétois si petite, que tu ne pouvois jouer encore avec des poupées.Je la serrai donc jusqu’à ce que tu eusses assez de raison pourt’en amuser sans la gâter.

Tu sais à présent, ma chère amie, l’histoirede Zozo. Quelque jour on joindra la tienne à celle des jeunesdemoiselles à qui ta poupée a appartenu ; vois dans quelleclasse tu désires être rangée ; si c’est parmi ses bonnes ouses mauvaises maîtresses ! Ta conduite à venir endécidera : elle fera aussi le bonheur ou le malheur de tamère.

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