sance. Comme nous n’avons proprement à nous occuper
que de la partie synthétique de notre connaissance, nous
aurons soin sans doute de n’aller jamais contre cet in-
violable principe, mai§ nous n’avons aucun éclaircisse-
ment à en attendre relativement à la vérité de cette es-
pèce de connaissances.
Il y a pourtant de ce principe célèbre, mais dépourvu
de tout contenu et purement formel, une formule renfer*
mant une synthèse qui s’y est glissée par mégarde et
sans aucune nécessité. Cette formule, la voici : il est im-
possible qu’une chose soit et ne soit pas en même temps^
Outre que la certitude apodictique (exprimée par le mot
impossible) s’ajoute ici d’une manière superflue, puisqu’elle
doit s’entendre d’elle-même en vertu du principe, ce prin-
cipe est affecté par la condition du temps. Il dit en quel-
que sorte : une chose = A, qui est quelque chose = B^
ne peut pas être en même temps non B ; mais elle peut
être l’un et l’autre successivement (B aussi bien que non
B). Par exemple, un homme qui est jeune ne peut être
en même temps vieux; mais le même homme peut être
dans un temps jeune et dans un autre temps non jeune^
c’est-à-dire vieux. Or le principe de contradiction, comme
principe purement logique, ne doit pas restreindre ses
assertions aux rapports de temps; une telle formule est
donc tout à fait contraire à son but. Le malentendu vient
uniquement de ce qu’après avoir séparé un prédicat d’une
chose du concept de cette chose, on joint ensuite à ce
prédicat son contraire : la contradiction qui en résulte
ne porte plus sur le sujet mais sur son prédicat, qui lui
est lié synthétiquement, et elle n’a lieu qu’autant que le
premier et le second prédicat sont donnés en même
temps. Si je dis : un homme qui est ignorant n’est pas
PRINCIPES DE l’entendement PUR 313
instruit, il faut que j’ajoute la condition : en même temps ;
car celui qui est ignorant dans un temps peut bien être
instruit dans un autre. Mais si je dis : aucun homme
ignorant n’est instruit, la proposition est analytique,
puisque le caractère de l’ignorance constitue ici le con-
cept du sujet, et ainsi cette proposition négative découle
immédiatement du principe de contradiction, sans qu’il
soit besoin d’ajouter cette condition: en même temps. Telle
est aussi la raison pour laquelle j’ai changé , comme je
l’ai fait plus haut, la formule de ce principe : le carac-
tère analytique de la proposition se trouve ainsi claire-
ment exprimé.
DEUXIÈME SECTION
.Du principe suprême de tous le« Jugements
syntliétiqueB
La définition de la possibilité des jugements synthéfî-
ques est un problème où la logique générale n’a absolu-
ment rien à voir, et dont elle n’a même pas besoin de con-
Daitre le nom. Mais dans une logique transcendentale, la
tâche la plus importante de toutes, et l’on pourrait même
dire la seule tâche, c’est de rechercher la possibilité des
jugements synthétiques à priori^ ainsi que les conditions et
l’étendue de leur valeur. En effet, ce n’est qu’après avoir
accompli cette tâche qu’elle est vraiment en état d’at-
teindre son but, qui est de déterminer l’étendue et les
limites de l’entendement pur.
21 4 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
Dans les jugements analytiques, je n’ai pas besoin de
sortir du concept donné pour prononcer quelque chose
sur ce concept. Le jugement est-il affirmatif, je ne fais
que joindre au concept ce qui s’y trouvait déjà pensé;
est-il négatif, je ne fais qu’exclure du concept son con-
traire. Mais dans les jugements synthétiques, il faut que
je sorte du concept donné pour considérer dans son rap-
port avec lui quelque autre chose que ce qui y était
pensé; par conséquent, ce rapport n’est jamais un rap-
port ni d’identité ni de contradiction, et à cet égard le
jugement ne peut présenter ni vérité ni erreur.
Or, dès qu’on admet qu’il faut sortir d’un concept
donné pour le rapprocher synthétiqueipent d’un autre,
on doit admettre aussi un troisième terme qui seul p8ut
produire la synthèse des deux concepts. Quel est donc
ce troisième terme qui est comme le- médium de tous les
jugements synthétiques? Ce ne peut être qu’un ensemble
où sont renfermées toutes nos représentations, à savoir
le sens intérieur, et la forme à priori de ce sens, le temps.
La synthèse des représentations reposé sur l’imagination,
mais leur unité synthétique (qu’exige le jugement) se
fonde sur l’unité de l’aperception. C’est donc ici qu’il faut
chercher la possibilité des jugements synthétiques, et
aussi, puisque les trois termes renferment tous des sources
de représentations à priori^ la possibilité de jugements
synthétiques purs; ils seront même nécessaires en vertu
de ces principes, s’il en doit résulter une connaissance
des objets qui repose simplement sur la synthèse des re-
présentations.
Pour qu’une connaissance puisse avoir une réalité ob-
jective, c’est-à-dire se rapporter à un objet et y trouver
sa valeur et sa signification, il faut que l’objet puisse
PRINCIPES DE l’entendement PUR âi5
être donné de quelque façon. Autrement les concepts
sont vides ; et, si Ton a pensé ainsi quelque chose, on n’a
en réalité rien connu par cette pensée ; on n’a fait que
jouer avec des représentations. Or donner un objet, s’il
n’est pas à son tour médiatement pensé, mais immédia-
tement représenté dans l’intuitiop, ce n’est autre chose
qu’en rapporter la représentation à l’expérience (qu’elle
soit réelle ou simplement possible) \ L’espace et le temps
sont sans doute des concepts purs de tout élément em-
pirique, et il est bien certain qu’ils sont représentés tout
à fait à priori dans l’esprit ; mais, malgré cela, ils n’au-
raient eux-mêmes aucune valeur objective, ni aucune si-
gnification , si l’on n’en montrait l’application nécessaire
aux objets de l’expérience. Leur représentation n’est
laaême qu’un schème se rapportant toujours à l’imagina-
tion reproductive, laquelle appelle les objets de l’expé-
xience , sans lesquels ils n’auraient pas de sens. H en est
siinsi de tous les concepts sans distinction.
La possibilité de Vexpérience est donc ce qui donne la
réalité objective à toutes nos connaissances à priori. Or
l’expérience repose sur l’unité synthétique des phénomè-
nes, c’est-à-dire sur une synthèse de l’objet des phéno-
mènes en général qui s’opère suivant des concepts, et .
sans laquelle elle n’aurait pas le caractère d’une connais-
sance, mais celui d’une rapsodie de perceptions qui ne
formeraient point entre elles un contexte suivant les
règles d’une conscience (possible) partout liée, et qui par
conséquent ne se prêteraient pas à l’unité transcenden-
- Einen Gegenstand gehen, wevm dièses nicht wiederum nur mitteïbar
gmânt seyn soU, sondern unnUttelbar in der Aftschauung darsteUen,
ist nichts anders als dessen Vorstellung auf Erfahrung (es sey mrk-
\khe oder doch môgliche) beziehen.
216 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
taie et nécessaire de l’aperception. L’expérience a donc
pour .fondement des principes qui déterminent sa forme
à prhri^ c’est-à-dire des règles générales qui constituent
l’unité dans la synthèse des phénomènes; et la réalité ob-
jective de ces conditions nécessaires peut toujours être
montrée dans l’expérience, ne fût-ce que dans l’expé-
rience possible. En dehors de ce rapport, les propositions
synthétiques à priori sont tout à fait impossibles, puis-
qu’elles n’ont pas de troisième terme, c’est-à-dire d’objet
pur où l’unité synthétique de leurs concepts puisse éta-
blir sa réalité objective.
Encore donc que de l’espace en général ou des figures
qu’y dessine l’imagination productive, nous connaissions
à priori bien des choses au moyen de jugements synthé-
tiques, sans avoir réellement besoin pour cela d’aucune
expérience, cette connaissance ne serait qu’un vain jeu
de l’esprit, si l’où ne regardait pas l’espace comme la
condition des phénomènes qui constituent la matière de
l’expérience extérieure. Ces jugements synthétiques purs
se rapportent donc, bien que d’une manière simplement
médiate, à l’expérience possible ou plutôt à sa possibilité
même, et c’est uniquement là-dessus qu’ils fondent la
. valeur objective de leur synthèse.
L’expérience, comme synthèse empirique, étant donc
dans sa possibilité le seul mode de connaissance qui donne
de la réalité à toute autre synthèse, celle-ci, comme
connaissance à priori, n’a elle-même de vérité (elle ne
s’accorde avec l’objet) qu’autant qu’elle ne contient rien
de plus que ce qui est nécessaire à l’unité synthétique
de l’expérience en général.
Le principe suprême de tous les jugements synthé-
tiques, c’est donc que tout objet est soumis aux condi-
PRINCIPES DE l’entendement PUR 217
tions nécessaires de l’unité synthétique des éléments
divers de l’intuition au sein d’une expérience possible.
C’est de cette manière que des jugements synthé-
tiques à priori sont possibles, lorsque nous rapportons à
une connaissance expérimentale possible les conditions
formelles de l’intuition à priori, la synthèse de l’imagi-
Jiation et son unité nécessaire au sein d’une aperception
transcendentale, et que nous disons : les conditions de la
jH)ssibilité de Vexpérievwe en général sont en même temps
celleâ de la possibilité des objets de F expérience, et c’est
pourquoi elles ont une valeur objective dans un jugement
synthétique à priori.
TROISIÈME SECTION
Hepréfsentation systéinatlque de tous les principes
synltiétiques de l’entendement pur
S’il y a en général des principes quelque part, il faut
Tâttribuer uniquement à l’entendement pur, qui n’est pas
seulement la faculté de concevoir des règles par rapport
à ce qui arrive, mais même la source des principes aux-
quels tout (ce qui peut se présenter à nous comme objet)
est nécessairement soumis, puisque nous ne pourrions ja-
mais sans eux appliquer aux phénomènes la connaissance
d’un objet correspondant. Les lois mêmes de la nature,
considérées comme des principes de l’usage empirique de
l’entendement, impliquent un caractère de nécessité et
218 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
par conséquent au moins cette présomption qu elles sont
déterminées par des principes ayant une valeur à priori
et antérieure à toute expérience. Mais toutes les lois de
la nature sans distinction sont soumises à des principes
supérieurs de l’entendement, puisqu’elles ne font que les
appliquer à des cas particuliers du phénomène. Seuls
par conséquent, ces principes fournissent la règle et en
quelque sorte l’exposant d’une règle en général * ; mais
l’expérience donne le cas qui est soumis à la règle.
On ne doit pas craindre ici de prendre des principes
simplement empiriques pour des principes de l’entende-
ment pur, ou réciproquement; car la nécessité, fondée
sur des concepts, qui caractérise les principes de Fenten-
dement et dont il est facile de remarquer l’absence dans
tous les principes empiriques, si générale qu’en soit la
valeur, peut aisément prévenir cette confusion. Mais il y
a des principes purs à priar% que je ne saurais attribuer
proprement à l’entendemei.t pur, parce qu’ils ne sont pas
tirés de concepts purs, mais d’intuitions pures (quoique
par l’intermédiaire de l’entendement), tandis que l’enten-
dement est la faculté des concepts. Tels sont les prin-
cipes des mathématiques; mais leur application à l’expé-
rience, par conséquent leur valeur objective et même la
possibilité de la connaissance synthétique à priori de ces
principes (leur déduction) reposent toujours sur l’enten-
dement pur.
Je ne rangerai donc pas parmi mes principes ceux
des mathématiques, mais bien ceux sur lesquels se fonde
leur possibilité et leur valeur objective à priori, et qui
par conséquent doivent être regardés comme les prin-
- Den Exponenten zu einer Begel ûberhaupt
PRINCIPES DE l’entendement PUR 219
cipes de ces principes, car ils voDt des concepts à l’intui-
tion et non de VintuUion aux concepts.
La synthèse des concepts purs de Tentendement dans
leur application à l’expérience possible a un usage ou
mathématique ou dynamique; car elle se rapporte en
partie simplement à Yintuition^ et en partie à Vezistencè
d’un phénomène en général. Or les conditions à priori
de l’intuition sont relativement à une expérience possible
tout à fait nécessaires, tandis que celles de l’existence
des objets d’une intuition empirique possible ne sont par
elles-mêmes que contingentes. Les principes de l’usage
mathématique seront donc absolument nécessaires, c’est-
à-dire apodictiques , tandis que ceux de l’usage dyna-
mique ne revêtiront le caractère d’une nécessité à priori
que sous la condition de la pensée empirique dans une
expérience, et par conséquent d’une manière médiate et
indirecte. Les derniers n’auront donc pas cette évidence
immédiate qui est propre aux premiers (mais leur certi-
tude par r^,pport à Texpérience en général n’en subsiste
pas moins). C’est là d’ailleurs une vérité que l’on com-
prendra mieux à la fin de ce système des principes.
La table des catégories nous fournit tout naturellement
le plan de celle des principes, puisque les principes ne sont
autre chose que les règles de l’usage objectif des caté-
gories. Voici donc tous les principes de l’entendement :