Troisième analogie
Principe de la simultanéité suivant la loi de l’action réciproque ou»- ^^
la communauté : Toutes les substances, en tant qu’elles peuvent ^^^^f
perçues comme simultanées dans V espace, sont dans une action ^^’
ciproque générale (a).
PREUVE
Les choses sont simultanées, lorsque, dans rintuit^^^^^
empirique, la perception de Tune et celle de l’autre p^^u-
vent se suivre réciproquement (ce qui ne peut avoir \wL eu
dans la succession des phénomènes, comme on l’a mon^^ré
dans le second principe). Ainsi, je puis commencer pz^ar
la perception de la lune et passer de là à celle de Ja
terre, ou réciproquement commencer par la percept^-on
de la terre et passer de là à celle de la lune ; ei précL -ssé-
ment parce que les perceptions de ces objets peuvent:- se
suivre réciproquement, je dis qu’ils existent simulta^ ^né-
ipent. La simultanéité est donc l’existence de choses di-
verses dans le même temps. Or on ne peut percevoir t le
temps lui-même pour conclure, de ce que les choses ^^ont
placées dans le même temps, que les perceptions de ces
choses peuvent se suivre réciproquement. La synthè&^?rfe
l’imagination dans l’appréhension ne fournirait donc cba-
cune d’elles que comme une perception qui est dsixisle
(a) l » » édition : « Principe de la communauté. — Toutes les subs-
tances, en tant qu’elles sont simultanées, sont dans une communauté
générale (c’est-à-dire dans une action réciproque). »
TROISIÈME ANALOGIE 274
jujet quand l’autre n’y est pas, et réciproquement; mais
ille ne nous apprendrait pas que les objets sont simul-
anés, c’est-à-dire que, l’un existant, l’autre existe aussi
lans le même temps, et que cel^. est nécessaire pour que
es perceptions puissent se suivre réciproquement. Un
:îoncept intellectuel de la succession réciproque des dé-
terminations de ces choses existant simultanément les
ânes en dehors des autres, est donc nécessaire pour pou-
voir dire que la succession réciproque des perceptions est
fondée dans l’objet et pour se représenter ainsi la simul-
tanéité comme objective. Or le rapport des substances
ians lequel l’une contient des déterminations dont la rai-
son est contenue dans l’autre, est le rapport d’influence ;
et, quand réciproquement la seconde contient la raison
des déterminations de la première, c’est le rapport de la
communauté ou de l’action réciproque. La simultanéité
des substances dans l’espace ne peut donc être connue
dans l’expérience que si l’on suppose leur action récipro-
que; cette supposition est donc aussi la condition de la
possibilité des choses mêmes comme objets de l’expé-
rience (a).
Les choses sont simultanées, en tant qu’elles existent
dans un seul et même temps. Mais comment connaît-on
qu’elles sont dans un seul et même temps? Quand l’ordre
dans la synthèse de l’appréhension de ces choses diverses
est indifférent, c’est-à-dire quand on peut aller de A à E
par B C D, ou réciproquement de E à A. En effet, s’il y
avait succession dans le temps (dans l’ordre qui com-
mence paj A et finit par E), il serait impossible de com-
mencer par E l’appréhension dans la perception et de
(a) Le paragraphe qui précède n’est pas dans la première édition.
272 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
rétrograder vers A, puisque A appartiendrait au t
passé, et que par conséquent il ne pourrait être un
d’appréhension.
Or admettez que, dans une variété de substances
sidérées comme phénomènes, chacune soit parfaite
isolée, c’est-à-dire qu’aucune n’agisse sur les autr
n’en subisse réciproquement l’influence, je dis que
multanéité de ces substances ne serait pas alors un
de perception possible, et que l’existepce de l’ur
pourrait conduire, par aucune voie de la synthèse <
rique, à l’existence de l’autre. En effet, si l’on s’ima^
qu’elles sont séparées par un espace entièrement vi
perception qui va de l’une à l’autre dans le tempj
terminerait bien l’existence de la dernière, au n
d’une perception ultérieure, mais elle ne pourrait d
guer si le phénomène suit la première objectivemei
s’il lui est simultané.
Il doit donc y avoir, outre la simple existence, qu
chose par quoi A détermine à B sa place dans le h
et réciproquement aussi B sa place à A, puisque ce
qu’en concevant les substances sous cette condition,
peut les représenter empiriquement comme exùta
multanément. Or cela seul qui est la cause d’une
ou de ses déterminations, en peut déterminer la
dans le temps. Chaque substance (ne pouvant être
séquence qu’au point de vue de ses déterminations
contenir la causalité de certaines déterminations
les autres substances et en même temps les effets
causalité des autres substances en elle, c’est-à-dir
toutes doivent être (immédiatement ou médiatemer
communauté dynamique, » pour que la simultanéité j
être connue dans l’expérience. Or tout ce sans quoi
TROISIÈME ANALOGIE 273
périence des objets d’expérience serait elle-même impos-
able, est nécessaire par rapport à ces objets. H est donc
nécessaire à toutes les substances considérées au point
de vue du phénomène, en tant qu’elles sont simultané-
ment, d’être en communauté {Gemeinschaft) générale
d’action réciproque.
Le mot Gemeinschaft est équivoque en allemand, et
peut signifier la même chose qu’en latin le mot communio,
ou le mot commercium (1). Nous nous en servons ici dans
Je dernier sens, comme désignant une communauté dy-
^âinique sans laquelle la communauté locale (communio
^patii) ne pourrait être elle-même connue empiriquement.
D est facile de remarquer dans nos expériences que les
influences continuelles dans tous les lieux de l’espace
Peuvent seules conduire notre sens d’un objet à un autre,
Que la lumière qui joue entre notre œil et les corps pro-
duit un commerce médiat entre nous et ces corps et en
prouve ainsi la simultanéité, que nous ne pouvons chan-
ger empiriquement de lieu (percevoir ce changement),
^ans que partout la matière nous rende possible la per-
ception de nos places, et que c’est uniquement au moyen
de son influence réciproque que celle-ci peut prouver sa
simultanéité, et par là (il est vrai, d’une manière sîmple-
xnent médiate) la coexistence des objets depuis les plus
^•approchés jusqu’aux plus éloignés. Sans communauté
(1) Le mot français communauté, par lequel j’ai traduit le mot aUe-
mand Gemeinschaft, peut prêter aussi à la même équivoque que ce der-
iiier; mais c’était celui qui convenait ici le mieux en général. Celui de
commerce, qui rendrait mieux le sens spécial dans lequel Kant emploie
^’expression Gememschaft, ne pourrait être employé seul ou sans être
déterminé par quelque autre. Aussi ai-je dû lui préférer le précédent,
sauf à l’employer à son tour dans quelques cas où il se trouve précisé-
ment déterminé. J. B.
I. 18
274 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
toute perception (du phénomène dans l’espace) est déta
chée des autres, et la chaîne des représentations empiri
ques, c’est-à-dire l’expérience, recommencerait à chaqi
nouvel objet, sans que la précédente pût s’y rattacher 1^^
moins du monde ou se trouver avec elle dans un rapport »
de temps. Je n’entends point du tout réfuter par là l’idé^^
d’un espace vide; car il peut toujours être là où il n’y ^^
point de perceptions, et où par conséquent il n’y a poin^
de connaissance empirique de la simultanéité ; mais il n^
saurait être alors un objet pour notre expérience po^sibh
J’ajoute encore ceci pour plus d’éclaircissement. Tout
les phénomènes, en tant que contenus dans une expé-
rience possible, sont dans l’esprit en communauté {com-
munio) d’aperception ; et, pour que les objets puissent être
représentés d’une manière liée comme existant simulta-
nément, il faut qu’ils déterminent réciproquement leurs
places dans le temps et forment ainsi un tout Mais, pour
que cette communauté subjective puisse reposer sur un
principe objectif ou être rapportée aux phénomènes
comme à des substances, il faut que la perception de.
l’un, comme principe, rende possible celle de l’autre, et
réciproquement, afin que la succession, qui est toujours
dans les perceptions comme appréhensions, ne soit pas
attribuée aux objets, mais que ceux-ci puissent être re-
présentés comme existant simultanément. Or c’est là
une influence réciproque, c’est-à-dire un commerce réel ^
des substances, sans lequel le rapport empirique de la
simultanéité ne saurait se trouver dans l’expérience. Par
ce commerce les phénomènes, en tant qu’ils sont les uns
en dehors des autres et cependant liés, forment un com-
‘ Mne reàle Gemeinschaft (commercium).
TROISIÈME ANALOGIE S75
posé {compositum reale), et des composés de cette sorte il
peut y avoir bien des espèces. Les trois rapports dyna-
miques d’où résultent tous les autres, sont donc ceux
d’inhérence, de conséquence et de composition.
Telles sont les trois analogies de l’expérience. Elles
ne sont autre chose qut, des principes servant à déter-
miner l’existence des phénomènes dans le temps, d’après
«es trois modes, c’est-à-dire d’après le rapport au temps
lui-même comme à une quantité (quantité de l’existence,
ou durée), le rapport dans le temps comme dans une sé-
rie (Succession), enfin le rapport dans le temps comme
dans l’ensemble de toutes les existences (simultanéité).
Cette unité de la détermination du temps est entière-
ment dynamique : le temps n’est pas considéré comme
ce en quoi l’expérience déterminerait immédiatement à
chaque existence sa place, ce qui est impossible, puisque
le temps absolu n’est pas un objet de perception où des
phénomènes pourraient être réunis; mais la règle de
l’entendement, qui seule peut donner à l’existence des
phénomènes une unité synthétique fondée sur des rap-
ports de temps, détermine à chacun d’eux sa place dans
le temps, et par conséquent la détermine à pnori et
d’une manière qui s’applique à tous les temps et à cha-
cun d’eux.-
Nous entendons par nature (dans le sens empirique),
l’enchaînement des phénomènes liés, quant à leur exis-
tence, par des règles nécessaires, c’est-à-dire par des
lois. Ce sont donc certaines lois , et des lois à priori, qui
rendent d’abord possible une nature; les lois empiriques
ne peuvent avoir lieu et être trouvées qu’au moyen de
276 ANALYTIQUE TRANSGENDENTALE
l’expérience, mais conformément à ces lois primitives,
sans lesquelles l’expérience serait elle-même impossible.
Nos analogies présentent donc proprement l’unité de la
nature dans l’enchaînement de tous les phénomènes sous
certains exposants \ qui n’expriment autre chose que le
rapport du temps (en tant qu’il embrasse toute exis-
tence) à l’unité de l’aperception, utûté qui ne peut avoir
lieu que dans une synthèse fondée sur des règles. Elles
Signifient donc toutes trois ceci : tous les phénomènes
résident dans une nature, et doivent y résider, parce que.
sans cette unité à priori^ toute unité d’expérience, et pai
conséquent toute détermination des objets dans l’expé-
rience, serait impossible.
Mais il y a une remarque à faire sur le genre de
preuve que nous avons appliqué à ces lois transcenden-
tales de la nature et sur le caractère particulier de cette
preuve; et cette remarque doit avoir aussi une très-
grande importance comme règle pour toute autre tenta-
tive de prouver à priori des propositions intellectuelles
et en même temps synthétiques. Si nous avions voata
prouver dogmatiquement, c’est-à-dire par des concepts,
ces analogies, à savoir que tout ce qui existe ne se
trouve que dans quelque chose de permanent, que tout
événement suppose dans le temps précédent quelque
chose à quoi il succède suivant une règle, enfin que,
dans la diversité des choses simultanées, les états sont
simultanément en relation les uns avec les autres sui-
vant une règle (en commerce réciproque), toute notre
peine alors eût été absolument perdue. En eflfet, on
ne peut aller d’un objet et de son existence à l’exis-
‘ Exponenten,
TROISIÈME ANALOGIE 277
taice d’un autre ou à sa mamère d’exister par de simples
conœpts de ces choses, de quelque manière qu’on les
analyse. Que nous restait-il donc? La possibilité de l’ex-
périence, comme d’une connaissance où tous les objets
doivent pouvoir enfin nous être donnés, pour que leur
représentation puisse avoir pour nous une réalité objec-
tive. Or dans cet intermédiaire, dont la forme essentielle
consiste dans Vunité synthétique de l’aperception de tous
les phénomènes, nous avons trouvé des conditions à
priori de l’universelle et nécessaire détermination chro-
nologique de toute existence dans le phénomène, sans
lesquelles la détermination empirique du temps serait
elle-même impossible, et nous avons obtenu ainsi des
règles de l’unité synthétique à priori au moyen desquelles
nous pouvons anticiper l’expérience. Faute de recourir à
œtte méthode, et par suite de cette fausse opinion que
les propositions synthétiques que l’usage expérimental
de l’entendement recommandait conmie ses principes,
doivent être prouvées dogmatiquement, il est arrivé
qu’on a souvent cherché, mais toujours en vain, une
preuve du principe de la raison suffisante. Quant aux
deux autres analogies , personne n’y a songé, bien qu’on
s’en servît toujours tacitement* C’est qu’on n’avait
- L’unité de l’unÎTers, où tons les phénomènes doivent être liés, est
évidemment une simple conséquence du principe tacitement admis du
commerce de toutes les substances existant simultanément En effet, si
elles étaient isolées, elles ne constitueraient pas un tout comme parties,
et si leur liaison (l’action réciproque des éléments divers) n’était pas
nécessaire pour la simultanéité même, on ne pourrait conclure de celle-
ci, comme d’un rapport purement idéal, à celle-là, comme à un rapport
réel. Aussi bien avons-nous montré en son lieu que la communauté est
proprement le principe de la possibilité d’une connaissance empirique,
de la coexistence, et que par conséquent on ne conclut proprement de
celle-ci à celle-là que comme à sa condition.
278 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
pas pour se guider le fil des catégories, qui seul peut x:
découvrir et rendre sensibles toutes les lacunes de l’en —
tendement, dans les concepts aussi bien que dans les^
principes.
Les postulats de la pensée empirique en général
1® Ce qui s’accorde avec les conditions formelles de l’expérience ^
(quant à Pintuition et aux concepts) est possible.
20 Ce qui s’accorde avec les conditions matérielles de l’expérience
(de la sensation) est réel.
3^ Ce dont l’accord avec le réel est déterminé suivant les condition»
générales de Pexpérience, est nécessaire (existe nécessairement).
ECLAIRCISSEMENT
Les catégories de la modalité ont ceci de particulier
qu’elles n’augmentent nullement, comme détermination
de l’objet, le concept auquel elles sont jointes comme pré-
dicats, mais qu’elles expriment seulement le rapport à la
faculté de connaître. Quand le concept d’une chose est
déjà tout à fait complet, je puis encore demander si cette
chose est simplement possible, ou si elle est réelle, ou,,
dans ce dernier cas, si elle est en outre nécessaire. Pas
une détermination de plus n’est conçue par là dans l’ob-
jet lui-même, mais il s’agit seulement de savoir quel est
le rapport de cet objet (et de toutes ses déterminations)
avec l’entendement et son usage empirique, avec le ju-
POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE 279
gement empirique et avec la raison (dans son applica-
tion à l’expérience).
C’est précisément pour cela que les principes de la
modalité ne font rien de plus que d’expliquer les con-
cepts de la possibilité , de la réalité et de la nécessité
dans leur usage empirique, et en même temps aussi de
restreindre les catégories à l’usage purement empirique,
Sans en admettre et en permettre l’usage transcenden-
taJ. En effet, si elles n’ont pas seulement une valeur lo-
gique et ne se bornent pas à exprimer analytiquement
1^ forme de la pensée , mais qu’elles se rapportent aux
^^sesj à leur possibilité, à leur réalité ou à leur néces-
sité, il faut qu’elles s’appliquent à l’expérience possible
à son unité synthétique, dans laquelle seule sont dou-
és les objets de la connaissance.
Le postulat de la possibilité des choses exige donc
^ue le concept de ces choses s’accorde avec les conditions
formelles d’une expérience en général. Mais celle-ci, à
Savoir la forme objective de l’expérience en général, con-
‘tient toute synthèse requise pour la connaissance des
objets. Un concept qui contient une sjmthèse doit être
« ftenu pour vide et ne se rapporte à aucun objet si cette
synthèse n’appartient à l’expérience, soit comme emprun-
« •ée de l’expérience, auquel cas ce concept s’appelle un
concept empirique, soit comme condition à priori de l’ex-
3)érience en général (de la forme de l’expérience), auquel
<îas il est un concept pur, mais qui appartient pourtant
à l’expérience, puisque son objet ne peut être trouvé que
dans l’expérience. En effet, d’où peut-on tirer le carac-
tère de la possibilité d’un objet pensé au moyen d’un
concept synthétique à priori, si ce n’est de la synthèse
qai constitue la forme de la connaissance empirique des
280 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
objets? C’est sans doute une condition logique nécessaire
que, dans, un concept de ce genre, il n’y ait point de con-
tradiction, mais il s’en faut que cela suffise pour consti-
tuer la réalité objective du concept, c’est-à-dire la pos-
sibilité d’un objet tel qu’il est pensé par le concept. Ainsi,
il n’y a point de contradiction dans le concept d’une
figure renfermée entre deux lignes droites, car les con-
cepts de deux lignes droites et de leur rencontre ne ren-
ferment la négation d’aucune figure; Timpossibilité ne
tient pas au concept en lui-même, mais à la construction
de ce concept dans l’espace, c’est-à-dire aux conditions
de l’espace et de sa détermination, conditions qui, à leur
tour, ont leur réalité objective, c’est-à-dire se rapportent
à des choses possibles , puisqu’elles contiennent à priori
la forme de l’expérience en général.
Montrons maintenant l’utilité et l’influence considéra-
ble de ce postulat de la possibilité. Quand je me repré-
sente une chose qui est permanente, de telle sorte que
tout ce qui y change appartient seulement à son état, je
ne puis par ce seul concept connaître qu’une telle chose
est possible. Ou bien, quand je me représente quelque
chose qui est de telle nature que, dès qu’il est posé, quel-
que autre chose le suit toujours et inévitablement, je
puis sans doute le concevoir sans contradiction; mais
je ne saurais juger par là si une propriété de ce genre
(comme causalité) se rencontre dans quelque objet pos-
sible. Enfin, je puis me représenter des choses (des
substances) diverses, constituées de telle sorte que l’état
de l’une entraine une conséquence dans l’état de l’autre,
et réciproquement ; mais qu’un rapport de ce genre puisse
convenir à certaines choses, c’est ce que je ne saurais
déduire de ces concepts, lesquels ne contiennent qu’une
POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE 281
synthèse purement arbitraire. Ce n’est donc qu’autant
qoe ces concepts expriment à priori les rapports des
perceptions dans chaque expérience que l’on reconnaît
leur réalité objective, c’est-à-dire leur vérité transcen-
dentale, et cela, il est vrai, indépendamment de l’expé-
rience, mais non pas indépendamment de toute relation
à la forme d’une expérience en général et à l’unité syn-
thétique dans laquelle seule des objets peuvent être con-
nus empiriquement »
Que si l’on voulait se faire de nouveaux concepts de
substances, de forces, d’actions réciproques, avec la ma-
tière que nous fournit la perception, sans dériver de l’ex-
périence même l’exemple de leur liaison, on tomberait
alors dans de ^ures chimères et l’on ne pourrait re-
connaître la possibilité de ces conceptions fantastiques
€iu moyen d’aucun critérium, puisque l’on n’y aurait
I)oint pris l’expérience pour guide et qu’on ne les en
aurait point dérivées. Des concepts factices* de cette
espèce be sauraient recevoir à priori^ ainsi que les
<5atégories, le caractère de leur possibiUté, comme con-
ditions d’où dépend toute expérience, mais seulement
à posteriori^ comme étant donnés par l’expérience elle-
même. Où leur possibilité doit être connue à posteriori et
empiriquement, ou elle ne peut pas l’être du tout. Une
substance qui serait constamment présente dans l’espace,
mais sans le remplir (comme cet intermédiaire entre la
matière et l’être pensant que quelques-uns ont voulu in-
troduire), ou une faculté particulière qu’aurait notre es-
prit de prévoir l’avenir (et non pas seulement de le con-
clure), ou enfin la faculté qu’il aurait d’être en commerce
‘ Gedichtete Begriffe.
282 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
d’idées avec d’autres hommes, quelque éloignés qu’ils
fussent, ce sont là des concepts dont la possibilité esl
tout à fait sans fondement, puisqu’elle ne peut être fon-
dée sur l’expérience et sur les lois connues de l’expé-
rience, et que sans elle ils ne sont plus qu’une liaison ar-
bitraire de pensées qui, quoique ne renfermant aucun*
contradiction, ne peut prétendre à aucune réalité objec:
tive, par conséquent à la possibilité d’objets tels qUi
ceux que l’on conçoit ainsi? Pour ce qui est de la réalitii
il va sans dire qu’on ne saurait çn concevoir une in con
creto sans recourir à l’expérience, puisqu’elle ne peut s^
rapporter qu’à la sensation comme matière de l’expé-
rience, et non à la forme du rapport, avec laquelle l’es-
prit pourrait toujours jouer dans ses fictions.
Mais je laisse de côté tout ce dont la possibilité ne
peut être déduite que de la réalité dans l’expérience, et
je n’examine ici que cette possibilité des choses qui se
fonde sur des concepts à priori. Or je persiste à soute-
nir que de ces concepts les choses ne peuvent être ti-
rées en elles-mêmes, mais seulement comme conditions
formelles et objectives d’une expérience en général.
Il semble à la vérité que la possibilité d’un triangle
puisse être connue en elle-même par son concept (il est
certainement indépendant de l’expérience); car dans le
fait nous pouvons lui donner un objet tout à fait à priori^
c’est-à-dire le construire. Mais comme cette construc-
tion n’est que la forme d’un objet, le triangle ne serait
toujours qu’un produit de l’imagination, dont l’objet
n’aurait encore qu’une possibilité douteuse, puisqu’il fau-
drait, pour qu’il en fût autrement, quelque chose de plus,
à savoir que cette figure fût conçue sous les seules con-
ditions sur lesquelles reposent tous les objets de l’expé-
POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE 28^
rience. Or la seule chose que joigne à ce concept la re-
présentation de la possibilité d’un tel objet, c’est que l’es-
pace est une condition formelle à ‘priori d’expériences
extérieures, et que cette même synthèse figurative par
laquelle nous construisons un triangle dans l’imagination,
est absolument identique à celle que nous produisons
dans l’appréhension d’un phénomène, afin de nous en
faire un concept expérimental. Et ainsi la possibilité des
quantités continues, et même des quantités en général^
les concepts en étant tous synthétiques, ne résulte jamais
de ces concepts eux-mêmes, mais de ces concepts consi-
dérés comme conditions formelles de la détermination des
objets dans l’expérience en général. Où trouver en effet
des objets qui correspondent aux concepts, sinon dans
l’expérience, par laquelle seule des objets nous sont don-
nés ? Toutefois, nous pouvons bien, en envisageant la pos-
sibilité des choses simplement par rapport aux conditions
formelles sous lesquelles quelque chose est en général
déterminé comme objet dans l’expérience, la connaître
et la caractériser sans recourir préalablement à l’expé-
rience même, et par conséquent tout à fait à priori; mais
ce n’est toujours que relativement à l’expérience et dans
ses limites que nous la connaissons et la caractérisons.
Le postulat, relatif à la connaissance de la réalité des
choses, exige une perception^ par conséquent une sensa-
tion, accompagnée de conscience (non pas il est vrai immé-
diatement), de l’objet même dont l’existence doit être con-
nue; mais il faut bien aussi que cet objet s’accorde avec
quelque perception réelle suivant les analogies de l’ex-
périence, lesquelles représentent toute liaison réelle dans
une expérience en général.
On ne saurait trouver, dans le simple conçut d une
284 ANALYTIQUE TRANSGENDENTALE
chose, aucun caractère de son existence. En effet
encore que ce concept soit tellement complet que riei
ne manque pour concevoir une chose avec toutes ses dé
terminations intérieures, l’existence n’a aucun rappon
avec toutes ces déterminations ; mais toute la questioi
est de savoir si une chose de ce genre nous eçt donnés
de telle sorte que la perception en puisse toujours pro-
céder le concept. Le concept précédant la perception s
gnifie la simple possibilité de la chose; la perception ^
fournit au concept la matière est le seul caractère d
réalité. Mais on peut aussi connaître l’existence d’
chose avant de la percevoir, et par conséquent d’uM
manière relativement à priori^ pourvu qu’elle s’accorde
avec certaines perceptions suivant les principes de lenr
liaison empirique (les analogies). Alors, en effet, l’exis-
tence de la chose est liée avec nos perceptions dans une
expérience possible, e1^ nous pouvons, en suivant le fil de
ces analogies, passer de notre perception réelle à la
chose dans la série des perceptions possibles. C’est ainsi
que nous connaissons, par la perception de la limaille
de fer attirée, l’existence d’une matière magnétique péné-
trant tous les corps, bien qu’une perception immédiate
de cette matière nous soit impossible à cause de la cons
titution de nos organes. En effet, d’après les lois de k
sensibilité et le contexte de nos perceptions, nous arrive
rions à avoir dans une expérience l’intuition immédiat
de cette matière, si nos sens étaient plus délicats ; mai
la grossièreté de ces sens ne touche en rien à la form<
de l’expérience possible en général. Là donc où s’étend L
perception et ce qui en dépend suivant des lois empiri
ques, là s’étend aussi notre connaissance de l’existeno
des choses. Si nous ne commençons par l’expérience
POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE 285
OU si nous ne procédons en suivant les lois de l’enchaî-
nement empirique des phénomènes, c’est en vain que
nous nous flatterions de deviner ou de pénétrer l’exis-
tence de quelque, chose.
Mais l’idéalisme élève une forte objection contre ces
règles de la démonstration médiate de l’existence ; c’est
donc ici le lieu de le réfuter (a).
Réfutation de Vidéalisme
L’idéalisme (j’entends l’idéalisme matériel) est la théo-
rie qui déclare l’existence des objets extérieurs dans l’es-
pace ou douteuse et indémontrable, ou fausse et impos-
sible. La première doctrine est l’idéalisme problématique
de Descartes, qui ne tient pour indubitable que cette
affirmation empirique (assertio): je suis; la seconde est
l’idéalisme dogmatique de Berkeley, qui regarde l’espace
avec toutes les choses dont il est la condition insépa-
rable comme quelque chose d’impossible en soi, et par
conséquent aussi les choses dans l’espace comme de pures
fictions. L’idéalisme dogmatique est inévitable quand on
fait de l’espace une propriété appartenant aux choses en
soi ; car alors il est, avec tout ce dont il est la condition,
un non-être \ Mais nous avons renversé le principe de cet
idéalisme dans l’esthétique transcendentale. L’idéalisme
(a) Cette réfutaton de l’idéalisme est une addition de la seconde
édition. ,
- Ein Unding,
286 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
problématique, qui n’affirme rien à cet égard, mais qui seu-
lement allègue notre impuissance à démontrer par l’expé-
rience immédiate une existence en dehors de la nôtre,
est rationnel et annonce une façon de penser solide et
philosophique, qui ne permet aucun jugement décisif tant
qu’une preuve suffisante n’a pas été trouvée. La preuve
demandée doit donc établir que nous n’imaginons pas
seulement les choses extérieures, mais que nous en avons
aussi V expérience; et c’est ce que l’on ne peut faire qu’en
démontrant que notre expérience intérieure, indubitable
pour Descartes, n’est possible elle-même que sous la con-
dition de l’expérience extérieure.
Théorème
Ija simple conscience, mais empiriquement déterminée, de ma propre
existence, prouve V existence des objets extérieurs dans V espace.
PREUVE
J’ai conscience de mon existence comme déterminée
dans le temps. Toute détermination suppose quelque
€hose de permanent dans la perception. Or ce perma-
nent {a) ne peut pas être une intuition en moi. En effet,
(a) J’ai suivi ici la nouvelle rédaction que Eant, dans la dernière
note de la préface de sa seconde édition (voir plus haut, p. 41), prie le
lecteur de substituer à cette phrase du texte : c Or ce permanent ne
peut être quelque chose en moi, puisque mon existence dans le temps
ne peut être déterminée que par lui-même. » J. B.
POSTULATS DE Lk PENSÉE EMPIRIQUE 287
tous les principes de détermination de mon existence qui
peuvent être trouvés en moi, sont des représentations,
et, à ce titre, ont besoin de quelque chose de perma-
nent qui soit distinct de ces représentations, et par rap-
port à quoi leur changement, et par conséquent mon exis-
tence dans le temps où elles changent, puissent être dé-
terminés (a). La perception de ce permanent n’est donc
(a) A la correction à laquelle je viens de me conformer, Kant a joint,
Uiss la note rappelée plus haut, les observations suivantes, qui trouvent
ci leur vraie place :
« On objectera sans doute contre cette preuve, que je nai immédiate- ï^ent conscience que de ce qui est en moi, c’est-à-dire de ma représen- tation des choses extérieures, et que par conséquent il reste toujours ^certain, s’il y a ou non hors de moi quelque chose qui y corresponde, ^ais j’ai conscience par V expérience intérieure de mon existence dans « temps (par conséquent aussi de la propriété qu’elle a d’y être détermi- ^ble), ce qui est plus que d’avoir simplement conscience de ma représen- ^tion, et ce qui pourtant est identique à la conscience empirique de mon ‘Oàstence^ laquelle n’est déterminable que par rapport à quelque chose ‘Cdstant hors de moi et lié à mon existence. Cette conscience de mon ^:3dstence dans le temps est donc identiquement liée à la conscience d’un ^apport à quelque chose hors de moi, et par conséquent c’est l’expé- rience et non la fiction, le sens et non l’imagination, qui lie inséparable- ment l’extérieur à mon sens intérieur ; car le sens extérieur est déjà ^ar lui-même une relation de l’intuition à quelque chose de réel exis- ^nt hors de moi, et dont la réalité, à la différence de la fiction, ne re- pose que sur ce qu’il est inséparablement lié à l’expérience intérieure ^Ue-même, comme à la condition de sa possibilité, ce qui est ici le cas.
Si à la conscience intellectuelle que j’ai de mon existence dans cette re-
présentation : je suis, qui accompagne tous mes jugements et tons les
suîtes de mon entendement, je pouvais joindre en même temps une dé-
^rmination de mon existence par Vintuition intellectuelle, la conscience
^’im rapport à quelque chose d’extérieur à moi ne ferait pas nécessai-
rement partie de cette détermination. Or cette conscience intellectuelle
précède sans doute, mais l’intuition intérieure, dans laquelle seule mon
existence peut être déterminée, est sensible et liée à la condition du
temps, et cette détermination, et par conséquent l’expérience intérieure
-«Ile-même, dépendent de quelque chose de permanent, qui n’est pas en
moi, et par conséquent ne peut être que dans quelque chose hors de
moi, avec quoi je dois me considérer comme étant en relation. La réalité
^a sens extérieur est ainsi nécessairement liée à celle du sens intérienr
288 ‘ ANALYTIQUE TRANSCEMDENTALE
possible que par une chose existant hors de moi, et non
pas seulement par la représentation d’une chose exté-
rieure à moi. Par conséquent la détermination de mon
existence dans le temps n’est possible que par l’existence
de choses réelles que je perçois hors de moi. Mais, comme
cette conscience dans le temps est nécessairement liée à
la conscience de la possibilité de cette détermination du
temps, elle est aussi nécessairement liée à l’existence des
choses hors de moi, comme à la condition de la détermi-
nation du temps ; c’est-à-dire que la conscience de ma
propre existence est en même temps une conscience im-
médiate de l’existence d’autres choses hors de moi.
Premier scolie. On remarquera dans la preuve précé-
dente que le jeu de l’idéaUsme est retourné, à bien plus
pour la possibilité d’une expérience en général ; c’est-à-dire que j’ai
tout aussi sûrement conscience qu’il y a hors de moi des choses qui se
rapportent à mon sens, que j’ai conscience d’exister moi-même d’une
manière déterminée dans le temps. Quant à savoir quelles sont les in-
tuitions données auxquelles des objets correspondent réellement hors
de moi, et qui par conséquent appartiennent au sens extérieur^ et non
à l’imagination ; c’est ce qui, dans chaque cas particulier, doit être dé-
cidé d’après les règles qui servent à distinguer l’expérience en général
(même l’expérience interne) de l’imagination ; mais le principe est tou-
jours qu’il y a réellement une expérience extérieure. On peut encore
ajouter ici la remarque suivante : la représentation de quelque chose
de permanent dans l’existence n’est pas identique à la représentation
permanente; celle-ci, en effet, peut être très-changeante et très- variable,
comme toutes nos représentations et même celles de la matière, et cepen-
dant elle se rapporte à quelque chose de permanent, qui par conséquent
doit être une chose distincte de toutes mes représentations, une chose
extérieure, dont l’existence est nécessairement comprise dans la déter-
mination de ma propre existence et ne constitue avec elle qu’une seule
expérience, qui n’aurait jamais lieu intérieurement, si eUe n’était pas
aussi extérieure (en partie). Quant au comment, nous ne pouvons pas
plus l’expliquer ici que nous ne pouvons expliquer comment nous coi-
cevons en général ce qui subsiste dans le temps et par sa simultanéité
avec le variable produit le concept du changement. >
POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE . 289
juste titre, contre ce système. Celui-ci admettait que la
seule expérience immédiate est l’expérience interne, et
que Ton ne fait que conclure de là à l’existence de choses
extérieures, mais qu’ici, comme dans tous les cas où l’on
conclut d’effets donnés à des causes déterminées^ la con-
clusion est incertaine, parce que les causes des représen-
tations peuvent aussi être en nous-mêmes, et que peut-
être nous les attribuons faussement à des choses exté-
rieures. Or il est démontré ici que l’expérience extérieure
est proprement immédiate *, et que c’est seulement au
moyen de cette expérience qu’est possible, non pas, il est
. vrai, la conscience de notre propre existence, mais la dé-
termination de cette existence dans le temps, c’est-à-dire
l’expérience interne. Sans doute la représentation je suis,
exprimant la conscience qui peut accompagner toute pen-
sée, est ce qui renferme immédiatement en soi l’existence
d’un sujet; mais elle n’en renferme aucune connaissance,
par conséquent aucune connaissance empirique, ou, en
d’autres termes, aucune expérience. Il faut pour cela,
outre la pensée de quelque chose d’existant, l’intuition,
et ici l’intuition interne; c’est par rapport à cette intui-
tion, c’est-à-dire au temps, que le sujet doit être déter-
- La conscience immédiate de l’existence de choses extérieures n’est
pas supposée, mais prouvée dans le théorème précédent, que nous puis-
sions apercevoir ou non la possibilité de cette conscience. La question
touchant cette dernière serait de savoir si nous n’avons qu’un sens in-
terne, et pas de sens extérieur, mais simplement une imagination ex-
térieure. Or il est clair que, même pour que nous puissions nous ima-
giner quelque chose comme extérieur, il faut que nous ayons d’éjà un
sens externe, et qu’ainsi nous distinguions immédiatement la simple ré-
ceptivité d’une intuition externe de la spontanéité qui caractérise cette
imagination. En effet, supposer que nous ne faisons qu’imaginer un
sens externe, ce serait anéantir la faculté même d’intuition qui doit être
déterminée par l’imagination.
L 19
290 . ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
miné ; et cela même exige nécessairement des objets ex-
térieurs, de telle sorte que l’expérience interne elle-même
n’est possible que médiatement et par le moyen de l’ex-
périence externe.
Deuxième scolie. Tout usage expérimental de notre fa-
culté de connaître dans la détermination du temps s’ac-
corde parfaitement avec cette preuve. Non-seulement
nous ne pouvons percevoir aucune détermination de temps
que par le changement dans les rapports extérieurs (le
mouvement) relativement à ce qui est permanent dans
l’espace (par exemple le mouvement du soleil relative-
ment aux objets de la terre) ; mais nous n’avons même
rien de permanent que nous puissions soumettre, comme
intuition, au concept d’une substance, sinon la matière;
et, quoique (1) cette permanence ne soit pas tirée de l’ex-
périence extérieure, mais qu’elle soit supposée à prion
comme c’est la condition nécessaire de toute détermina-
tion du temps, elle sert à ce titre même à déterminer le
sens interne relativement à notre propre existence pai
l’existence des choses extérieures. La conscience de moi-
même dans la représentation Je, n’est point du tout une
intuition, mais une représentation purement intellectuelle
de la spontanéité d’un sujet pensant. Ce Je ne contien
donc pas le moindre prédicat d’intuition, qui, en tant qu(
permanent, puisse servir de corrélatif à la déterminatioi
du temps dans le sens interne, comme est par exemple
VimpénétraUliU de la matière, en tant qu’intuition em
pirique.
(1) Je modifie un peu, à partir d’ici, la liaison et la rédaction du rest
de cette phrase, afin de la rendre plus logique et plus claire, tout e:
reproduisant fidèlement la pensée de Fauteur. J. B.
POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE 291
Troisième scolie. De ce que l’existence d’objets exté-
rieurs est nécessaire pour qu’une conscience déterminée
de nous-mêmes soit possible, il ne s’ensuit pas que toute
représentation intuitive de choses extérieures en ren-
ferme en même temps l’existence, car cette représenta-
tion peut bien être le simple effet de l’imagination (comme
il arrive dans les rêves ou dans la folie); mais elle n’a
lieu que par la reproduction d’anciennes perceptions ex-
térieures^ lesquelles, comme nous l’avons montré, ne sont
possibles que par la réalité des objets extérieurs. II a
donc suffi de prouver ici que l’expérience interne en gé-
néral n’est possible que car l’expérience externe en gé-
néral. Quant à savoir si telle ou telle prétendue expé-
rience ne serait pas une simple imagination , c’est ce que
l’on découvrira au moyen de ses déterminations particu-
lières et à l’aide des critériums de toute expérience
réelle.
Enfin, pour ce qui est du troisième postulat, il se rap-
porte à la nécessité matérielle dans l’existence, et non à
la nécessité purement formelle et logique dans la liaison
des concepts. Or, comme nulle existence des objets des
sens ne peut être connue tout à fait à priori, mais seu-
lement d’une manière relativement à priori, c’est-à-dire
par rapport à quelque autre objet déjà donné, qui ne
peut toujours se rapporter qu’à une existence comprise
quelque part dans l’ensemble de l’expérience, dont la per-
ception donnée est une partie, la nécessité de l’existence
ne peut jamais être connue par des concepts, mais seu-
292 ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
lement par la liaison qui l’uiiit avec ce qui est perçu sui-
vant les lois générales de l’expérience. D’un autre côt^y
comme la seule existence qui puisse être reconnue pomr
nécessaire sous la condition d’autres phénomènes, es*
celle des effets résultant de causes données d’après les
lois de la causalité, ce n’est pas de l’existence des choses
(des substances), mais seulement de leur état que nous
pouvons connaître la nécessité, et cela, en vertu des lois
empiriques de la causalité, au moyen d’autres états don-
nés dans la perception. D suit de là que le critérium de
la nécessité réside uniquement dans cette loi de l’expé-
rience possible, à savoir que tout ce qui arrive est dé-
terminé à priori dans le phénomène par sa cause. Nous
ne connaissons donc que la nécessité des effets naturels
dont les causes nous sont données; le signe de la néces-
sité dans l’existence ne s’étend pas au delà du champ de
l’expérience possible, et même dans ce champ il ne s’ap-
plique pas à l’existence des choses comme substances,
puisque celles-ci ne peuvent jamais être considérées
comme des effets empiriques ou comme quelque chose
qui arrive et qui naît. La nécessité ne concerne donc que
les rapports des phénomènes suivant la loi dynamique
de la causalité, et que la possibilité, qui s’y fonde, de
conclure à priori de quelque existence donnée (d’une
cause) à une autre existence (à l’effet). Tout ce qui ar-
rive est hypothétiquement nécessaire; c’est là un principe
qui soumet le changement dans le monde à une loi, c’est-
à-dire à une règle de l’existence nécessaire, sans laquelle
il n’y aurait pas même de nature. C’est pourquoi le prin-
cipe : rien n’arrive par un aveugle hasard (m mundo non^
datur casus) est une loi à priori de la nature. Il en est
de même de celui-ci : il n’y a pas dans la nature de né-
- POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE 293
oessité aveugle, mais une nécessité conditionnelle, par
conséquent intelligente (non datur fatum). Ces deux prin-
cipes sont des lois qui soumettent le jeu des change-
ments à une nature des choses (comme phénomènes), ou,
ce qui revient au même, à l’unité de l’entendement, dans
lequel ils ne peuvent appartenir qu’à l’expérience consi-
dérée comme unité synthétique des phénomènes. Ds sont
tous deux dynamiques. Le premier est proprement une
conséquence du principe de la causalité (sous les analo-
gies de l’expérience). Le second appartient aux principes
4e la modalité, qui ajoute à la détermination causale le
concept de la nécessité, mais d’une nécessité soumise à
une règle de l’entendement. Le principe de la continuité
interdisait dans la série des phénomènes (des change-
ments) tout saut (m mundo non datur saUm), et en
même temps, dans l’ensemble de toutes les intuitions
empiriques dans l’çspace, toute lacune, tout hiatus entre
deux phénomènes (non datur hiatus) ; car on peut énon-
cer ainsi le principe : il ne peut rien tomber dans l’ex-
périence qui prouve un vacuum, ou qui seulement le per-
mette comme une partie de la synthèse empirique. En
effet, pour ce qui est du vide que Ton peut concevoir en
dehors du champ de l’expérience possible (du monde), il
n’appartient pas au ressort du pur entendement, qui
prononce uniquement sur les questions concernant l’ap-
plication des phénomènes donnés à la connaissance em-
pirique, et c’est un problème pour la raison idéaliste, la-
quelle sort de la sphère d’une expérience possible pour
juger de ce qui environne et limite cette sphère même; c’est
par conséquent dans la dialectique transcendentale qu’il
doit être examiné. Nous pourrions aisément représenter
^es quatre principes (in mundo non datur hiatus, non da-
294- ANALYTIQUE TRANSCENDENTALE
tur saîtus, non datur casus, non datur fatum), comnK
tous les autres principes d’origine transcendentale, dans
leur ordre, conformément à l’ordre des catégories, et
assigner à chacun sa place ; mais le lecteur déjà exercé
le fera de lui-même, ou trouvera aisément le fil conduc-
teur nécessaire pour cela. Ils s’accordent tous d’ailleurs
en ce point qu’ils ne souffrent rien dans la synthèse em-
pirique qui puisse porter atteinte à l’entendement et à
l’enchaînement continu de tous les phénomènes, c’est-à-
dire à l’unité de ses concepts. Car c’est en lui seulemçqt
qu’est possible l’unité de l’expérience où toutes les per-
ceptions doivent avoir leur place.
Le champ de la possibilité est-il plus grand que celui
qui contient tout le réel, et celui-ci à son tour est-il plus
grand que celui de ce qui est nécessaire? ce sont là de
belles questions, dont la solution est synthétique, mais
qui ressortissent uniquement au tribunal de la raison.
En effet, elles reviennent à peu près à demander si toutes
choses, comme phénomènes, appartiennent à l’ensemble
et au contexte d’une seule expérience dont toute per-
ception donnée est une partie, et qui, par conséquent,
ne peut être liée à d’autres phénomènes, ou bien si mes
perceptions peuvent appartenir (dans leur enchaînement
général) à quelque chose de plus qu’à une seule expé-
rience possible. En général, l’entendement ne donne à
priori à l’expérience que la règle, suivant les conditions
subjectives et formelles, soit de la sensibilité, soit de l’a-
perception, qui seules rendent possible cette expérience.
Quand même d’autres formes de l’intuition (que l’espace
et le temps), ou d’autres formes de l’entendement (que
la forme discursive de la pensée, ou celle de la connais-
sance par concepts) seraient ppssibles, nous ne pourrions
POSTULATS DE LA PENSÉE EMPIRIQUE 295
d’aucune façon nous eu faire une idée et les comprendre;
et, le pussions-nous, toujours n’appartiendraient- elles pas
à l’expérience comme à la seule connaissance où les ob-
jets nous sont donnés. Peut-il y avoir d’autres percep-
tions que celles qui en général constituent l’ensemble de
notre expérience possible, et par conséquent peut-il y
avoir un tout autre champ de la matière? c’est ce que
l’entendement ne saurait décider, n’ayant affaire qu’à la
synthèse de ce qui est donné. D’ailleurs la pauvreté de
ces raisonnements ordinaires par lesquels nous produi-
sons un grand empire de la possibilité dont toute chose
réelle (tout objet d’expérience) n’est qu’une petite partie,
cette pauvreté saute aux yeux. Tout réel est possible ;
de là découle naturellement, suivant les règles logiques
de la conversion, cette proposition toute particulière :
quelque possible est réel, ce qui paraît revenir à ceci :
il y a beaucoup de choses possibles qui ne sont pas
réelles. D semble à la vérité que Von puisse mettre le
nombre du possible au-dessus de celui du réel, puisqu’il
faut que quelque chose s’ajoute à celui-là pour former
celui-ci. Mais je ne connais pas cette addition au pos-
^ble ; car ce qui devrait y être ajouté serait impossible.
Xa seule chose qui pour mon entendement puisse s’ajou-
ter à l’accord avec les conditions formelles de l’expé-
« îience, c’est la liaison avec quelque perception ; et.ce qui
est lié avec une perception suivant des lois empiriques,
est réel, encore qu’il ne soit pa^ immédiatement perçu.
Mais que dans l’enchaînement général avec ce qui m’est
donné dans la perception, il puisse y avoir une autre sé-
rie de phénomènes, par conséquent plus qu’une expé-
rience unique comprenant tout, c’est ce que l’on ne peut
conclure de ce qui est donné, et ce que l’on peut encore