Théo commençait à comprendre. Elle songea en son for intérieur ; « Comment se fait-il que je ne sois pas étonnée ? L’ai-je toujours su, au fond de moi-même, qu’il n’était pas régulier ? »
Richard parlait toujours, se perdant dans des explications inutilement longues. Théo n’était pas mécontente qu’il masque les détails véritables de l’affaire sous ce manteau de verbosité. Il s’agissait de vastes étendues de terrains en Afrique du Sud. Elle ne tenait pas à savoir avec précision ce que Richard avait fait. Moralement, prétendait-il, tout était droit et irréprochable. Légalement… là, il y avait un petit problème. Enfin, il n’y avait pas à sortir de là : il s’était exposé à des poursuites criminelles.
Tout en parlant, Richard ne cessait de lancer vers sa femme des regards nerveux, mal à l’aise. Il s’embrouillait de plus en plus dans ses explications, s’entêtait à dissimuler ce qu’un enfant eût pu voir dans sa vérité la plus nue. Puis, au milieu de ses efforts pour se disculper, il s’effondra. Peut-être en partie à cause du regard de Théo dans lequel était passé un éclair de mépris. Il se laissa tomber dans un fauteuil, à côté de la cheminée, et se prit la tête dans les mains.
— Voilà, Théo, dit-il d’une voix brisée. Que vas-tu faire, à présent ?
Elle vint à lui après un infime moment d’hésitation et, s’agenouillant auprès de son siège, elle posa son visage sur ses genoux.
— Qu’y a-t-il moyen de faire, Richard ? Que pouvons-nous faire ?
Il l’étreignit.
— C’est bien vrai ? Tu restes avec moi ?
— Bien sûr. Bien sûr, mon ami.
Acculé presque malgré lui à la sincérité, il s’écria :
— Je suis un voleur, Théo ! Voilà ce que cela veut dire, en langage clair. Je ne suis qu’un voleur.
— Dans ce cas, je suis la femme d’un voleur, Richard. Nous sombrerons ensemble ou nous surnagerons ensemble.
Ils gardèrent le silence pendant quelques instants. Puis il retrouva un peu de sa suffisance.
— Tu sais, Théo, j’ai un plan. Mais nous en parlerons plus tard. Il est presque l’heure du dîner. Il faut que nous allions nous changer. Mets ce truc crème que tu as, tu sais bien, ton modèle Caillot.
Théo leva des sourcils interrogateurs.
— Pour une simple soirée à la maison ?
— Oui, oui, je sais. Mais je l’aime bien. Mets cette robe-là, sois gentille. Cela me remontera le moral de te voir dans toute ta splendeur.
Théo descendit dîner dans son modèle Caillot.
C’était une création réalisée dans un brocart crème, avec un léger fil d’or et une discrète touche rose pâle pour raviver le ton crème. La robe était extrêmement échancrée dans le dos. On n’eût pas pu rêver mieux pour faire ressortir l’éclatante blancheur des épaules et de la nuque de Théo. Plus que jamais, elle était une véritable fleur de magnolia.
Le regard de Richard l’enveloppa, chaudement approbateur.
— Très bien ! Tu sais, tu es éblouissante, avec cette robe.
Ils passèrent à table. Toute la soirée, Richard se montra nerveux, peu naturel, plaisantant et riant à tout propos, comme cherchant désespérément à chasser ses soucis. À plus d’une reprise, Théo voulut le faire revenir à la conversation qu’ils avaient engagée précédemment, mais il s’y refusa à chaque fois.
Et puis, au moment où elle se levait pour aller se coucher, il dit tout à coup :
— Non, ne t’en va pas encore. J’ai quelque chose à te dire. Tu sais, à propos de cette triste histoire.
Elle se rassit.
Il se mit à parler à toute vitesse : avec un peu de chance, ils arriveraient peut-être à étouffer l’affaire ; il avait relativement bien assuré ses arrières ; pourvu que certains papiers ne tombent pas entre les mains du liquidateur…
Il s’interrompit d’un air entendu.
— Des papiers ? répéta Théo, perplexe. Tu veux dire que tu vas les détruire ?
Richard grimaça.
— Je les détruirais sur-le-champ s’ils se trouvaient en ma possession. C’est là que le bât blesse !
— Et qui les détient ?
— Un homme que nous connaissons tous les deux. Vincent Easton.
Une exclamation à peine perceptible échappa à Théo. Elle se reprit aussitôt, mais Richard avait remarqué sa réaction.
— Il y a longtemps que je le soupçonne d’être au courant de pas mal de choses. C’est pourquoi je l’ai invité ici. Tu te rappelles peut-être que je t’ai demandé d’être gentille avec lui ?
— Je me rappelle.
— Je ne sais pourquoi, je ne suis jamais parvenu à me lier d’amitié avec lui. Mais toi, par contre, il t’aime bien. Je dirais même qu’il t’apprécie beaucoup.
— C’est exact, dit Théo d’une voix claire.
— Ah ! dit Richard, satisfait. Parfait. Je suppose que tu vois où je veux en venir. Je suis convaincu que si tu allais trouver Vincent Easton pour lui demander de le remettre ces papiers, il ne refuserait pas. Les jolies femmes, tu sais, ça obtient beaucoup de choses…
— Je ne peux pas faire cela, coupa précipitamment Théo.
— Pourquoi pas ?
— C’est hors de question.
Le rouge montait aux joues de Richard, par plaques. Elle sentait la colère gronder en lui.
— Ma petite, je crois que tu ne comprends pas exactement où en est la situation. Si tout cela sort au grand jour, je suis passible de prison. C’est la ruine. Le déshonneur.
— Vincent Easton ne fera pas usage de ces papiers contre toi. J’en suis sûre et certaine.
— Là n’est pas la question. Il se peut qu’il ne se rende même pas compte qu’ils m’incriminent. Ce n’est que par rapport à… à mes affaires… à certains chiffres qu’ils ne manqueront pas de découvrir. Oh ! je ne peux pas te donner tous les détails. Il risque de provoquer ma ruine sans le savoir, à moins que quelqu’un ne lui expose les faits.
— Tu peux certainement lui demander cela toi-même. Écris-lui.
— Bravo pour cette brillante suggestion ! Non, Théo, non. Nous n’avons qu’un seul espoir. Tu es mon seul atout. Tu es ma femme. Tu dois m’aider. Va trouver Easton ce soir même.
Théo poussa un cri.
— Pas ce soir ! Demain, peut-être.
— Bon sang, Théo, vas-tu enfin comprendre ! Demain, il sera peut-être trop tard. Il faudrait que tu partes maintenant. Tout de suite.
La voyant défaillir, il tenta de la rassurer.
— Je sais, ma chérie. C’est terriblement désagréable à faire. Mais c’est une question de vie ou de mort. Théo, tu ne vas pas me lâcher ? Tu m’as dit que tu ferais n’importe quoi pour me venir en aide.
Théo s’entendit répondre d’une voix dure, sèche :
— Pas cela. Il y a des raisons.
— C’est une question de vie ou de mort, Théo. Je pense ce que je dis. Regarde.
Il ouvrit brutalement un tiroir de son bureau et y prit un revolver. Elle ne remarqua pas ce que ce geste avait de théâtral.
— De deux choses l’une : tu y vas ou je me tue. Je suis incapable d’affronter le scandale. Si tu ne fais pas ce que je te demande de faire, je serai un homme mort avant demain matin. Je te jure solennellement que c’est la vérité.
— Non, Richard ! Pas cela !
— Alors, aide moi.
Jetant le revolver sur la table, il s’agenouilla à ses côtés.
— Théo, ma chérie… Si tu m’aimes… Si tu m’as jamais aimé… Fais cela pour moi. Tu es ma femme, Théo. Je n’ai personne d’autre vers qui me tourner…
Finalement, Théo s’entendit répondre :
— Très bien. J’y vais.
Richard l’accompagna jusqu’à la porte et la mit dans un taxi.
— Théo !
Vincent Easton sursauta, ne pouvant croire à son bonheur. Elle était là, dans l’embrasure de la porte, son étole d’hermine blanche drapée sur les épaules. Vincent Easton ne l’avait jamais vue aussi belle.
— Alors, tu es quand même venue !
Il se précipitait vers elle – mais elle l’arrêta du geste.
— Non, Vincent. Ce n’est pas ce que tu penses. (Elle parlait d’une voix rauque, précipitée.) Je viens ici de la part de mon mari. Il croit savoir que tu possèdes certains documents susceptibles de lui… faire du tort. Je te demande de me les remettre.
Vincent demeura immobile, les yeux fixés sur elle. Puis il émit un petit rire bref.