Chapitre 8
Il avait espéré, pour son dernier jour à la Trappe, une matinéede quiétude et de flâne d’esprit, une mitigation de siestespirituelle et de réveil charmé par des mélopées d’offices et, pasdu tout, l’idée envahissante, têtue, qu’il allait quitter, lelendemain, le monastère, lui gâtait toutes les joies qu’il s’étaitpromises.
Maintenant qu’il n’avait plus à se monder, à se passer au vandes confessions, à se présenter à la susception matinale duviatique, il restait irrésolu, ne sachant plus à quoi occuper sontemps, ahuri par cette reprise de la vie profane qui renversait sesbarrages d’oubli, qui l’atteignait déjà par-dessus les diguesfranchies du cloître.
Ainsi qu’une bête capturée, il commença de se frotter contre lesbarreaux de sa cage, fit le tour de la clôture, s’emplissant la vuede ces paysages où il avait égoutté de si clémentes et de sicruelles heures.
Il sentait en lui un affaissement de terrain, un éboulis d’âme,un découragement absolu devant cette perspective de rentrer dansl’existence habituelle, de se mêler à nouveau aux va-et-vient deshommes ; et il éprouvait en même temps une fatigue cérébraleimmense.
Il se traîna par les allées, dans un état de complet déconfort,dans un de ces accès de spleen religieux qui déterminent,lorsqu’ils se prolongent, pendant des années, le taedium vitae descloîtres. Il avait horreur d’une vie autre que celle-là et l’âme,surmenée par des prières, défaillait dans un corps insuffisammentreposé et mal nourri ; elle n’avait plus aucun désir,demandait à n’être pas dérangée, à dormir, tombait dans un de cesétats de torpeur où tout devient indifférent, où l’on finit parperdre doucement connaissance, par s’asphyxier sans que l’onsouffre.
Il avait beau, pour réagir en se consolant, se promettre qu’ilassisterait, à Paris, aux offices des bénédictines, qu’il setiendrait sur la lisière de la société, à part, il était bienobligé de se répondre que ces subterfuges sont impossibles, quel’évent même de la ville est rebelle aux leurres, que l’isolementdans une chambre ne ressemble en rien à la solitude d’une cellule,que les messes célébrées dans les chapelles ouvertes au public nepeuvent s’assimiler aux offices fermés des Trappes.
Puis à quoi bon tenter de se méprendre ? Il en était del’âme comme du corps qui se porte mieux au bord de la mer ou dansles montagnes que dans le fond des villes. Il y avait l’airspirituel meilleur même à Paris, dans certains quartiers religieuxde la rive gauche que dans les arrondissements situés sur l’autrerive ; plus vif dans quelques basiliques, plus pur, parexemple, à Notre-Dame-des-Victoires que dans les églises telles quela Trinité ou la Madeleine.
Mais le monastère était, en quelque sorte, la vraie plage et lehaut plateau de l’âme. L’atmosphère y était balsamique ; lesforces revenaient, l’appétit perdu de Dieu se ranimait ;c’était la santé succédant aux malaises, le régime fortifiant etsoutenu substitué à la langueur, aux exercices restreints desvilles.
Cette conviction qu’aucune duperie ne lui serait à Parispossible l’atterra. Il vagabonda de la cellule à la chapelle, de lachapelle dans les bois, attendant avec impatience l’heure du dînerpour pouvoir parler à quelqu’un, car, dans son désarroi, un nouveaubesoin venait de naître. Il avait, depuis plus de huit jours, étirédes après-midi entières sans desserrer les dents ; il n’ensouffrait pas, était même satisfait de ce silence, mais depuisqu’il était talonné par cette idée d’un départ, il ne pouvait plusse taire, pensait dans les allées, tout haut, pour alléger cettesensation de coeur gros qui l’étouffait.
M. Bruno était trop sagace pour ne point deviner le malaise deson compagnon, devenu tour à tour taciturne et bavard pendant lerepas. Il fit semblant de ne rien voir, mais, après qu’il eutrécité les grâces, il disparut et Durtal, qui rôdait près du grandétang, fut surpris de l’apercevoir se dirigeant de son côté avec leP. Etienne.
Ils l’accostèrent et le trappiste qui souriait lui proposa, s’iln’avait pas formé d’autre projet, de se distraire, en visitant lecouvent et surtout la bibliothèque que le père serait ravi de luimontrer.
– Si cela me convient, mais certainement ! s’écriaDurtal.
Ils retournèrent, tous les trois, vers l’abbaye ; le moinesouleva le loquet d’une petite porte creusée dans un mur près del’église et Durtal pénétra dans un cimetière minuscule, planté decroix de bois sur des tombes d’herbe.
Il n’y avait aucune inscription, aucune fleur dans cet enclosqu’ils traversèrent ; le moine poussa une autre porte et ilsdébouchèrent dans un long couloir qui puait le rat. Au bout de cecouloir, Durtal reconnut l’escalier qu’il avait franchi, un matin,pour aller se confesser chez le prieur. Ils le laissèrent à leurgauche, tournèrent dans une autre galerie et l’hôtelier lesintroduisit dans une salle immense, percée de hautes fenêtres,décorée de trumeaux du dix-huitième siècle et de grisailles ;elle était exclusivement meublée de bancs et de stalles au-dessusdesquels, un siège isolé, sculpté d’armes abbatiales peintes,marquait la place de Dom Anselme.
– Oh ! cette salle du chapitre, elle n’a rien demonastique ! Dit le père étienne, en désignant les peinturesprofanes des murs ; nous avons conservé tel quel le salon decet ancien château, mais je vous prie de croire que ce décor nenous plaît guère.
– Et que fait-on dans cette salle ?
– Mais, nous nous y réunissons après la messe ; le chapitres’ouvre par la lecture du martyrologe, suivie des dernières prièresde Prime. Puis on lit un passage de la règle que le P. abbécommente. Enfin, nous pratiquons l’exercice d’humilité,c’est-à-dire que celui d’entre nous qui a commis une faute contrela règle se prosterne et l’avoue devant ses frères.
Ils se rendirent de là au réfectoire. Cette pièce aussi haute deplafond, mais plus petite, était garnie de tables dessinant laforme d’un fer à cheval. Des sortes de grands huiliers contenant,chacun, deux demi-bouteilles de piquette séparées par une carafeet, devant eux, des tasses de terre brune à deux anses servant deverres, y étaient, de distance en distance, posés. Le moineexpliqua que ces faux huiliers à trois branches indiquaient laplace de deux couverts, chaque moine ayant droit à sademi-bouteille de boisson et partageant avec son voisin l’eau de lacarafe.
– Cette chaire, reprit le P. Etienne, en désignant un grandcoquetier de bois, adossé à la muraille, est destinée au lecteur desemaine, au père qui fait la lecture pendant le repas.
– Et il dure combien de temps ce repas ?
– Juste une demi-heure.
– Oui, et la cuisine que nous autres nous mangeons est unecuisine délicate, en comparaison de celle qu’on sert aux moines,dit l’oblat.
– Je mentirais si je vous affirmais que nous nous régalons,répondit l’hôtelier. Savez-vous ce qui est le plus pénible àsupporter, les premiers temps surtout, c’est le manqued’assaisonnement des plats. Le poivre et les épices sont interditspar la règle, et comme aucune salière ne figure sur notre table,nous avalons tels quels des aliments qui sont à peine salés, pourla plupart.
Certains jours d’été, lorsque l’on sue à grosses gouttes, celadevient presque impossible, car le coeur lève. Et il fauts’enfourner quand même cette pâtée chaude, l’absorber en quantitésuffisante pour ne pas faiblir jusqu’au lendemain ; on seregarde, découragés, n’en pouvant plus ; il n’y a pas d’autremot pour définir notre dîner au mois d’août, c’est un supplice.
– Et tous, le P. abbé, le prieur, les pères, les frères, tousont la même nourriture ?
– Tous. Venez visiter maintenant le dortoir.
Ils montèrent au premier. Un immense corridor, garni, tel qu’uneécurie, de box de bois, s’étendait, fermé à chacun de ses bouts parune porte.
– Voici notre logis, fit le moine, en s’arrêtant devant cescases. Des pancartes étaient placées au-dessus d’elles, affichantle nom de chaque moine et la première arborait sur son étiquettecette inscription : le père abbé.
Durtal tâta le lit accoté contre l’une des deux cloisons.
Il avait l’aspérité d’un peigne à carder et le mordant d’unerâpe. Il se composait d’une simple paillasse piquée, étendue surune planche ; pas de draps, mais une couverture de prison enlaine grise ; à la place des oreillers un sac de paille.
– Dieu que c’est dur ! s’écria Durtal, et le moine rit.
– Nos robes amortissent la rugosité de ce faux matelas, dit-il,car la règle ne nous permet pas de nous déshabiller ; nouspouvons seulement nous déchausser ; aussi dormons-nous toutvêtus, la tête enveloppée dans notre capuce.
– Et ce qu’il doit faire froid dans ce corridor balayé par tousles vents ! ajouta Durtal.
– Sans doute, l’hiver est farouche ici ; mais ce n’est pascette saison-là qui nous alarme ; on vit tant bien que mal,même sans feu, par les temps de glace ; mais l’été ! – Sivous saviez ce que le réveil dans des vêtements encore trempés desueur, pas secs depuis la veille, est atroce !
Puis, bien qu’à cause de la grande chaleur on ait souvent àpeine dormi, il faut, avant le jour, sauter en bas de sa couche etcommencer aussitôt le grand office de nuit, les vigiles qui durentau moins deux heures. Même après vingt ans de Trappe, on ne peutpas ne point souffrir de ce lever ; on se bat à la chapellecontre le sommeil qui vous écrase ; on dort pendant que l’onentend chanter un verset ; on lutte pour se tenir éveillé,afin de pouvoir en chanter un autre, et l’on retombe.
Il faudrait pouvoir donner un tour de clef à la pensée et l’onen est incapable.
Vraiment, je vous assure qu’en dehors même de la fatiguecorporelle qui explique cet état, le matin, il y a là une agressiondémoniaque, une tentation incessante pour nous inciter à malréciter l’office.
– Et vous subissez, tous, cette lutte ?
– Tous ; et cela n’empêche, conclut le moine dont le visagerayonna, cela n’empêche que nous ne soyons ici vraimentheureux.
C’est que toutes ces épreuves ne sont rien à côté des joiesprofondes et intimes que le bon Dieu nous accorde ! Ah !Il est un maître généreux ; il nous paye au centuple nospauvres peines.
Tout en parlant, ils avaient enfilé le corridor et étaientarrivés à son autre bout.
Le moine ouvrit la porte et Durtal, stupéfié, se trouva dans unvestibule, juste en face de sa cellule.
– Je ne croyais pas, dit-il, habiter si près de vous !
– Cette maison est un véritable labyrinthe – mais M. Bruno vavous conduire à la bibliothèque où le père prieur vous attend, car,moi, il faut que j’aille à mes affaires. A tout à l’heure,reprit-il, en souriant.
La bibliothèque était située de l’autre côté de l’escalier parlequel Durtal accédait à sa chambre. Elle était grande, garnie derayons du haut en bas, occupée au milieu par une sorte de tablecomptoir sous laquelle s’étageaient encore des rangées delivres.
Le P. Maximin dit à Durtal :
– Nous ne sommes pas bien riches, mais enfin nous possédons desinstruments de travail assez complets sur la théologie et lamonographie des cloîtres.
– Vous avez des volumes superbes, s’écria Durtal qui regardaitde magnifiques in-folio reliés dans de splendides reliures auxarmes.
– Tenez, voici les oeuvres de saint Bernard en une belleédition, et le moine présenta à Durtal d’énormes textuairesimprimés avec des caractères graves, sur papier sonore.
– Quand je pense que je m’ étais promis de savourer saintBernard, dans cette abbaye même qu’il a fondée, et me voici à laveille de mon départ et je n’ai rien lu.
– Vous ne connaissez pas ses ouvrages ?
– Si, des morceaux épars de ses sermons et de ses lettres ;j’ai parcouru des selectae médiocres de ses oeuvres, mais c’esttout.
– Il est notre maître par excellence ici, mais il n’est pas leseul de nos ancêtres en saint Benoît dont ce couvent dispose, ditle père, avec une certaine fierté. – Voyez, et il désigna sur desrayons de puissants in-quarto, voici : saint Grégoire Le Grand,Bède le Vénérable, saint Pierre Damien, saint Anselme… et vos amissont là, fit-il, suivant de l’oeil Durtal qui lisait des titres devolumes, sainte Térèse, saint Jean de la Croix, sainte Madeleine dePazzi, sainte Angèle, Tauler… , et celle-ci qui, de même que lasoeur Emmerich, dictait ses entretiens avec Jésus, pendantl’extase. – Et le prieur tira de la file des livres deuxin-dix-huit : les Dialogues de sainte Catherine de Sienne.
– Elle est terrible pour les prêtres de son temps cettedominicaine, reprit le moine. Elle vérifie leurs méfaits, leurreproche nettement de vendre le Saint-Esprit, de pratiquer dessortilèges, de se servir du sacrement pour composer desmaléfices.
– Sans compter les vices indus dont elle les accuse dans lasérie du péché de chair, ajouta l’oblat.
– Certes, elle ne mâche pas ses mots, mais elle avait le droitde le prendre sur ce ton et de menacer au nom du seigneur, car elleétait vraiment inspirée par lui. Sa doctrine était puisée auxsources divines. – Doctrina ejus infusa, non acquisita, a ditl’église dans la bulle qui la canonise. Ses Dialogues sontadmirables ; les pages où Dieu lui explique les saintesfraudes dont il use parfois pour ramener les hommes au bien, lespassages où elle traite de la vie monastique, de cette barque quipossède trois cordages : la chasteté, l’obéissance et la pauvreté,et qui affronte la tempête sous la conduite du Saint-Esprit, sontdélicieux. Elle se révèle, dans son oeuvre, l’élève du disciplebien-aimé et de saint Thomas d’Aquin. On croirait entendre l’angede l’école paraphrasant le dernier des Evangiles !
– Oui, fit à son tour l’oblat ; si sainte Catherine deSienne ne s’adonne pas aux hautes spéculations de la mystique, sielle n’analyse point comme sainte Térèse les mystères de l’amourdivin et ne trace pas l’itinéraire des âmes destinées à la vieparfaite, elle reflète directement au moins les entretiens du ciel.Elle appelle, elle aime ! Vous avez parcouru, monsieur, sestraités de la discrétion et de la prière ?
– Non. J’ai lu Catherine de Gênes, mais les livres de Catherinede Sienne ne me sont jamais tombés entre les mains.
– Et ce recueil-ci, qu’en pensez-vous ?
Durtal regarda le titre et fit la moue.
– Je vois que Suso ne vous ravit guère.
– Je mentirais si je vous assurais que les dissertations de ceDominicain m’enchantent. D’abord, l’illuminé que fut cet homme nem’attire pas. Sans parler de la frénésie de ses pénitences, quelleminutie de dévotion, quelle étroitesse de piété fut lasienne ! Songez qu’il ne pouvait se décider à boire sansavoir, au préalable, divisé son breuvage en cinq parts. Il pensaithonorer ainsi les cinq plaies du sauveur ; et encoreavalait-il en deux fois sa dernière gorgée, pour s’évoquer l’eau etle sang qui sortirent du flanc du Verbe.
Non, ça ne m’entre pas dans la caboche, ces choses-là ;jamais, je n’admettrai que de semblables pratiques puissentglorifier le Christ !
Et, remarquez bien que cet amour des égrugeures, que cettepassion des béatilles se retrouve dans toute son oeuvre. Son Dieuest si difficile à contenter, si méticuleux, si tâtillon, quepersonne n’irait au ciel si l’on croyait ce qu’il raconte ! -C’est un épilogueur d’éternité, un grigou de paradis, ceDieu-là !
En somme, Suso s’épand en d’impétueux discours sur desvétilles ; puis ce qu’avec ses insipides allégories, sonmorose Colloque des neuf rochers m’assomme !
– Vous conviendrez bien, pourtant, que son étude sur l’Union del’âme est substantielle et que l’office de l’Eternelle Sagessequ’il composa vaut qu’on le lise.
– Je ne dis pas, mon père ; je n’ai plus présent à lamémoire cet office ; mais je me rappelle assez bien le traitéde l’Union avec Dieu ; il m’a semblé plus intéressant que lereste, mais avouez qu’il est de bien courte haleine… et puis sainteTérèse a élucidé, elle aussi, cette question du renoncement humainet de la fruition divine… et dame alors !
– Allons, fit l’oblat en souriant, je renonce à faire de vous unlecteur fervent du bon Suso.
– Pour nous, reprit le P. Maximin, voici vraiment quel devraitêtre, si nous avions un peu de temps pour travailler, le levain denos méditations, le sujet de nos lectures et il amena à lui unin-folio qui contenait les oeuvres de sainte Hildegarde, abbesse dumonastère de Ruperstberg.
C’est que, voyez-vous, celle-là est la grande prophétesse duNouveau Testament. Jamais, depuis les visions de saint Jean àPathmos, l’esprit-saint ne s’était communiqué à un être terrestreavec autant de plénitude et de lumière. Dans son Heptachronon, elleprédit le protestantisme et la captivité du Vatican ; dans sonScivia ou connaissance des voies du seigneur qui a été rédigé,d’après son récit, par un moine du couvent de Saint-Désibode, elleinterprète les symboles des écritures et la nature même deséléments. Elle a également écrit un diligent commentaire de notrerègle et d’altières et d’enthousiastes pages sur la musique sacrée,sur la littérature, sur l’art qu’elle définit excellemment : uneréminiscence à moitié effacée d’une condition primitive dont noussommes déchus depuis l’éden. Malheureusement, pour la comprendre,il faut se livrer à de minutieuses recherches, à de patientesétudes. Son style apocalyptique a quelque chose derétractile ; il semble qu’il se recule et se referme davantageencore lorsqu’on veut l’ouvrir.
– Je sais bien, moi, que j’y perds mon peu de latin, dit M.Bruno. Quel dommage qu’il n’existe pas une traduction, avec glosesà l’appui, de ses oeuvres !
– Elles sont intraduisibles, fit le père qui poursuivit :
Sainte Hildegarde est, avec saint Bernard, l’une des plus puresgloires de la famille de saint Benoît. Quelle prédestinée que cettevierge qui fut inondée des clartés intérieures dès l’âge de troisans et mourut à quatre-vingt-deux ans, après avoir vécu toute savie dans les cloîtres !
– Et ajoutez qu’elle fut, à l’état permanent, fatidique, s’écrial’oblat. Elle ne ressemble à aucune autre sainte ; tout enelle étonne jusqu’à cette façon dont Dieu l’apostrophe, car iloublie qu’elle est femme et l’appelle : « l’homme ».
– Et elle emploie, quand elle veut se désigner, cette étrangeexpression : « moi, la chétive forme », repartit le prieur. – Maisvoici une autre écrivain qui nous est chère aussi, et il montra àDurtal les deux volumes de sainte Gertrude. Celle-là est encorel’une de nos grandes moniales, une abbesse vraiment bénédictine,dans le sens exact du mot, car elle faisait expliquer les saintesécritures à ses nonnes, voulait que la piété de ses filless’appuyât sur la science, que leur foi se sustentât avec desaliments liturgiques, si l’on peut dire.
– Je ne connais d’elle que ses Exercices, observa Durtal et ilsm’ ont laissé le souvenir de paroles d’écho, de redites des livressaints. Si tant est qu’on puisse 1 la juger sur de simplesextraits, elle me paraît ne pas avoir l’expression originale, êtrebien au-dessous d’une sainte Térèse ou d’une sainte Angèle.
– Sans doute, répondit le moine. Elle se rapproche cependant desainte Angèle par le don de la familiarité lorsqu’elle converseavec le Christ et aussi par la véhémence amoureuse de sespropos ; seulement tout cela se transforme en sortant de sapropre source ; elle pense liturgiquement ; et cela estsi vrai que la plus minime des réflexions se présente aussitôt àelle, habillée de la langue des Evangiles et des Psaumes.
Ses Révélations, ses Insinuations, son Héraut de l’amour divinsont merveilleux à ce point de vue ; puis n’est-elle pasexquise sa prière à la Sainte Vierge qui débute par cette phrase :Salut, ô blanc lis de la Trinité resplendissante et toujourstranquille ? …
Comme suite à ses oeuvres, les Bénédictins de Solesmes ont éditéaussi les Révélations de sainte Mechtilde, son livre sur la Grâcespéciale et la Lumière de la Divinité de son homonyme la soeur deMagdebourg ; ils sont là, sur cette rangée…
– Que je vous montre des guides savamment jalonnés pour l’âmequi s’échappe d’elle-même et veut tenter l’ascension des montséternels, dit à son tour M. Bruno, en présentant à Durtal laLucerna mystica de Lopez Ezquerra, les in-quarto de Scaramelli, lestomes de Schram, l’Ascétique chrétienne de Ribet, les Principes dethéologie mystique du père Séraphin.
– Et celui-ci, le connaissez-vous ? Reprit l’oblat ;ce volume qu’il tendait était intitulé De l’Oraison, demeuraitanonyme, portait en bas de sa première page : Solesmes, typographiede l’abbaye de Sainte-Cécile – et au-dessous de la date imprimée1886, Durtal déchiffra ces mots écrits à l’encre : « Communicationessentiellement privée. »
– Je n’ai jamais vu cet opuscule qui ne semble pas, du reste,avoir été mis dans le commerce ; quel en estl’auteur ?
– La plus extraordinaire des moniales de ce temps ;l’abbesse des bénédictines de Solesmes. Je regrette seulement quevous partiez si tôt, car j’eusse été heureux de vous le fairelire.
Au point de vue du document il est d’une science vraimentsouveraine et il contient d’admirables citations de sainteHildegarde et de Cassien ; au point de vue de la mystiquemême, la mère Sainte-Cécile ne fait évidemment que reproduire lestravaux de ses devancières et elle ne nous apprend rien de trèsneuf. Néanmoins, je me rappelle un passage qui me semble plusspécial, plus personnel. Attendez…
Et l’oblat compulsa quelques pages. Le voici :
« L’âme spiritualisée ne paraît pas exposée à la tentationproprement dite, mais par une permission divine, elle est appelée àse frotter au démon, esprit contre esprit… le contact du démon estalors perçu à la surface de l’âme, sous la forme d’une brûlure toutà la fois spirituelle et sensible… si l’âme tient bon dans sonunion avec Dieu, si elle est forte, la douleur quoique très viveest supportable, mais si l’âme commet quelque légère imperfectionmême intérieure, le démon avance d’autant et porte son horriblebrûlure plus avant, jusqu’à ce que, par des actes généreux, elleait pu le repousser plus au dehors. »
Cet effleurement satanique qui produit un effet presque matérielsur les parties les plus intangibles de notre être est, vousl’avouerez, pour le moins curieux, conclut l’oblat, en fermant levolume.
– La mère Sainte-Cécile est une stratégiste remarquable d’âme,fit le prieur, mais… mais… cette oeuvre qu’elle a rédigée pour lesfilles de son abbaye contient, je crois, quelques propositionstéméraires qui n’ont pas été lues sans déplaisir à Rome.
Pour en finir avec nos pauvres richesses, reprit-il, nousn’avons de ce côté – et il désigna une partie des bibliothèques quicouvraient la pièce – que des ouvrages de longue haleine, leMénologe Cistercien, la Patrologie de Migne, des dictionnairesd’hagiographie, des manuels d’herméneutique sacrée, de droit canon,d’apologétique chrétienne, d’exégèse biblique, les oeuvrescomplètes de saint Thomas, des outils de travail que nousn’employons guère, car, vous le savez, nous sommes un rameau dutronc bénédictin voué à une vie de labeur corporel et depénitence ; nous sommes les hommes de peine du bon Dieu,surtout. Ici, c’est M. Bruno qui se sert de ces livres et moi aussiquelquefois, car je suis plus spécialement chargé du spirituel,dans ce monastère, ajouta, en souriant, le moine.
Durtal le regardait ; il maniait avec des mainscaressantes, couvait d’un oeil tout en lumière bleue, les volumes,riait avec une joie d’enfant en tournant les pages.
Quelle différence entre ce moine qui adorait évidemment lesbouquins et ce prieur, au profil impérieux, aux lèvres muettes quil’avait écouté, le second jour, en confession ! Puis, songeantà tous ces trappistes, à la sérénité de leurs visages, àl’allégresse de leurs yeux, Durtal se disait que ces Cisterciensn’étaient nullement, ainsi que le monde croit, des gens douloureuxet funèbres, mais qu’ils étaient, bien au contraire, les plus gaisdes hommes.
– A propos, dit le P. Maximin, le R. P. abbé m’a chargé d’unecommission. Sachant que vous voulez nous quitter demain, il seraitdésireux, maintenant qu’il est sur pied, de passer au moinsquelques minutes avec vous. Il sera libre, ce soir. Cela vousgênerait-il de le rejoindre après Complies ?
– Pas du tout, je serai très heureux de causer avec DomAnselme.
– Alors, c’est entendu.
Ils descendirent. Durtal remercia le prieur qui rentra dans laclôture des couloirs et l’oblat qui remonta dans sa cellule. Ilbaguenauda, atteignit, malgré ce tourment du départ qui le hantait,sans trop de peine, le soir.
Le Salve Regina qu’il entendait pour la dernière fois peut-être,ainsi modelé par des voix mâles, cette chapelle aérienne bâtie avecdes sons et s’évaporant avec la fin de l’antienne, dans la fuméedes cierges, le remua jusqu’au fond de l’âme ; puis vraiment,ce soir-là, la Trappe se montrait charmante. Après l’office, on ditle chapelet, non comme à Paris où l’on débite un Pater, dix Ave etun Gloria et ainsi de suite ; là, on égrenait, en latin, unPater, un Ave, un Gloria et l’on recommençait jusqu’à ce que l’oneût épuisé de la sorte quelques dizaines.
Ce chapelet fut détaillé à genoux, moitié par le prieur, moitiépar tous les moines. Il roulait au galop si vite que l’ondiscernait à peine les mots, mais dès qu’il fut terminé, sur unsignal, le grand silence se fit et chacun, la tête dans ses mains,pria.
Et Durtal se rendit compte du système ingénieux des oraisonsconventuelles ; après les prières purement vocales commecelles-là, venait la prière mentale, la déprécation personnelle,stimulée, mise en train par la machine même des patenôtres.
Rien n’est laissé au hasard dans la religion ; toutexercice qui semble, au premier abord, inutile, a une raisond’être, se disait-il, en sortant dans la cour. Et le fait est quele rosaire, qui ne paraît être qu’une toupie de sons, remplit unbut. Il repose l’âme excédée des supplications qu’elle récite, ens’y appliquant, en y pensant ; il l’empêche de bafouiller, derabâcher toujours à Dieu les mêmes pétitions, les mêmesplaintes ; il lui permet de souffler, de se délasser, dans desorations où elle peut se dispenser de réfléchir et se déprendre. Ensomme, le chapelet occupe, en priant, les heures de fatigue où l’onne prierait point. – Ah ! voici le père abbé.
Le trappiste lui exprima le regret de ne le visiter que quelquesmoments, ainsi ; puis, après qu’il eut répondu à Durtal, quis’enquérait de l’état de sa santé, qu’il espérait être enfin guéri,il lui proposa de se promener dans le jardin et l’invita à ne pointse gêner pour fumer, s’il en avait envie, ses cigarettes.
Et la conversation s’engagea sur Paris. Dom Anselme demandaitdes renseignements et finissait par dire, en souriant :
– Je vois par des bribes de journaux qui me parviennent que lasociété est férue de socialisme, pour l’instant. Tout le mondevoudrait résoudre la fameuse question sociale. Où ça enest-il ?
– Où ça en est ? mais à rien ! à moins de changer lesâmes des ouvriers et des patrons et de les rendre, du jour aulendemain, désintéressées et charitables, à quoi voulez-vous quetous ces systèmes aboutissent ?
– Eh bien ! Mais, fit le moine, en enveloppant d’un gestele monastère, elle est résolue cette question, ici. Le salairen’existant plus, toutes les sources des conflits sontsupprimées.
Chacun besogne suivant ses aptitudes et suivant sesforces ; les pères, qui n’ont pas de solides épaules et degros bras, plient les enveloppes des chocolats ou apprêtent descomptes et ceux qui sont robustes remuent la terre.
J’ajoute que l’égalité dans nos cloîtres est telle que le prieuret l’abbé n’ont aucun avantage de plus que les autres moines. àtable, les portions et, au dortoir, les paillasses sont identiques.Les seuls profits de l’abbé consistent, en somme, dans lesinévitables soucis que suscitent la conduite morale et la directiontemporelle d’une abbaye. Il n’y a donc pas de raison pour que lesouvriers conventuels se mettent en grève, conclut, en souriant,l’abbé.
– Oui, mais vous êtes des minimistes, vous supprimez la famille,la femme, vous vivez de rien et vous n’attendez de n’êtreréellement récompensés de vos labeurs qu’après la mort. Allez doncfaire comprendre cela aux gens des villes !
– La situation sociale se résume ainsi, n’est-ce pas ? Lespatrons veulent exploiter les ouvriers qui veulent, à leur tour,être payés le plus possible en travaillant le moins qu’ilspourront. Eh bien ! Mais alors, c’est sans issue !
– Parfaitement, et c’est triste, car le socialisme dérive, ensomme, d’idées clémentes, d’idées propres, mais toujours il seheurtera contre l’égoïsme et le lucre, contre les inévitablesbrisants des péchés de l’homme.
Et votre petite fabrique de chocolat vous procure-t-elle aumoins des bénéfices ?
– Oui, c’est elle qui nous sauve.
L’abbé se tut pendant une seconde, et il reprit :
– Vous savez, Monsieur, comment un couvent se fonde. Je choisispour exemple notre ordre. Un domaine et les terres qui en dépendentlui sont offerts, à charge par lui de les peupler. Quefait-il ? Il prend une poignée de ses moines et les essaimedans le sol qu’on lui donne. Mais, là, s’arrête sa tâche. Le graindoit lever seul ; autrement dit, les trappistes, détachés deleur maison-mère, doivent gagner leur vie et se suffire.
Aussi, quand nous prîmes possession de ces bâtiments,étions-nous si pauvres que, depuis le pain jusqu’aux souliers, toutnous manquait ; mais nous n’avions aucune inquiétude surl’avenir, car il n’y a pas d’exemple, dans l’histoire monastique,que la providence n’ait point secouru les abbayes qui se fiaient àelle. Petit à petit, nous avons tiré de cette terre notreprovende ; nous avons appris les métiers utiles ;maintenant nous fabriquons nos vêtements et nos chaussures ;nous moissonnons notre blé et cuisons notre pain ; notreexistence matérielle est donc assurée, mais les impôts nousécrasent ; c’est pourquoi nous avons fondé cette fabrique dontle rapport devient, d’années en années, meilleur. Dans un an oudeux, la bâtisse qui nous abrite et que nous n’avons pu faireréparer, faute d’argent, s’effondrera ; mais si Dieu permetque des âmes généreuses nous viennent en aide, peut-êtreserons-nous alors en état d’édifier un monastère et c’est notresouhait à tous, car vraiment cette bicoque, avec ses pièces à ladébandade et sa chapelle en rotonde, nous est pénible. L’abbé setut encore, puis, après une pause, il dit, à mi-voix, se parlant àlui-même :
– On ne saurait le nier, un couvent qui n’a pas l’aspect d’uncloître est un obstacle aux vocations ; le postulant a besoin- c’est dans la nature, cela – de se pétrir dans un milieu qui luiplaise, de s’encourager dans une église qui l’enveloppe, dans unechapelle un peu sombre, et, pour obtenir ce résultat, il faut lestyle roman ou le gothique.
– Ah oui ! par exemple. – Et vous avez beaucoup denovices ?
– Nous avons surtout beaucoup de sujets qui désirent tâter de lavie des Trappes, mais la plupart ne parviennent pas à supporternotre régime. En dehors même de la question de savoir si lavocation des débutants est imaginaire ou réelle, nous sommes, aupoint de vue physique, après quinze jours d’essai, nettementfixés.
– Ce qui doit terrasser les constitutions les plus robustes,c’est ce repas unique de légumes ; je ne comprends même pascomment, en menant une existence active, vous pouvez yrésister.
– La vérité, c’est que les corps obéissent quand les âmes sontrésolues. Nos ancêtres l’enduraient bien, la vie des Trappes !Ce qui manque aujourd’hui, ce sont les âmes. Je me souviens, moi,quand j’ai fait ma probation dans un cloître de Cîteaux, je n’avaisaucune santé et pourtant j’aurais, s’il l’avait fallu, mangé despierres !
Au reste, la règle sera prochainement adoucie, poursuivitl’abbé ; mais, dans tous les cas, il est un pays qui, enprévision d’une disette, nous assurerait un bon nombre de recrues,la Hollande.
Et voyant le regard étonné de Durtal, le père dit :
– Oui, dans ce pays protestant, la végétation mystique estflorissante. Le catholicisme y est d’autant plus fervent qu’il est,sinon persécuté, du moins méprisé, noyé dans la masse desluthériens. Peut-être cela tient-il aussi de la nature du sol, àses plaines solitaires, à ses canaux silencieux, au goût même desHollandais pour une vie régulière et paisible ; toujoursest-il que, dans ce petit noyau de catholiques, la vocationCistercienne est très fréquente.
Durtal regardait ce trappiste qui marchait, majestueux ettranquille, la tête enfouie dans son capuce, les mains passées soussa ceinture.
Par instants, ses yeux éclairaient dans l’intérieur du capuchonet l’améthyste qu’il portait au doigt pétillait en de brèvesflammes.
L’on n’entendait aucun bruit ; à cette heure, la Trappedormait. Durtal et l’abbé longeaient les rives du grand étang dontl’eau vivait, seule éveillée dans le sommeil de ces bois, car lalune qui resplendissait dans un ciel sans nuées l’ensemençait d’unemyriade de poissons d’or ; et ce frai lumineux tombé del’astre montait, descendait, frétillait en de milliers de cédillesde feu dont le vent qui soufflait activait les lueurs.
L’abbé ne causait plus et Durtal qui rêvait, grisé par ladouceur de cette nuit, gémit subitement. Il venait de s’aviser qu’àpareille heure, le lendemain, il serait à Paris et, voyant lemonastère dont la façade apparaissait, toute pâle, au fond d’uneallée, ainsi qu’au bout d’un tunnel noir, il s’écria, songeant àtous ces moines qui l’habitaient :
– Ah ! ce qu’ils sont heureux !
Et l’abbé répondit : trop.
Puis, doucement, à voix basse :
– C’est pourtant vrai ; nous entrons ici pour fairepénitence, pour nous mortifier et nous avons à peine souffert quedéjà Dieu nous console ! Il est si bon qu’il veut se leurrer,lui-même, sur nos mérites. S’il tolère qu’à certains moments ledémon nous persécute, il nous donne, en échange, tant de bonheurqu’il n’y a plus aucune proportion de gardée entre la récompense etla peine. Parfois, quand j’y songe, je me demande comment ilsubsiste encore cet équilibre que les moniales et les moines sontchargés de maintenir, car, ni les uns, ni les autres, nous nesouffrons assez pour neutraliser les offenses assidues desvilles.
L’abbé s’interrompit, puis il reprit pensif :
– Le monde ne conçoit même pas que les austérités des abbayespuissent lui profiter. La doctrine de la suppléance mystique luiéchappe complètement. Il ne peut se figurer que la substitution del’innocent au coupable, alors qu’il s’agit de subir une peineméritée, est nécessaire. Il ne s’explique pas davantage qu’envoulant pâtir pour les autres, les moines détournent les colères duciel et établissent une solidarité dans le bien qui faitcontre-poids à la fédération du mal. Et Dieu sait pourtant de quelscataclysmes ce monde inconscient serait menacé, si, par suite d’unedisparition soudaine de tous les cloîtres, cet équilibre qui lesauve était rompu !
– Le cas s’est déjà présenté, fit Durtal qui, – tout en écoutantce trappiste, pensait à l’abbé Gévresin et se rappelait que ceprêtre s’exprimait, sur le même sujet, en des termes presquepareils. – La révolution a, en effet, supprimé, d’un trait deplume, tous les couvents, mais, j’y songe, l’histoire de ce temps,sur lequel tant de regrattiers s’acharnent, est encore à écrire. Aulieu de chercher des documents sur les actes, sur les personnesmêmes des jacobins, il faudrait dépouiller les archives des ordresreligieux qui existaient à cette époque.
En travaillant ainsi à côté de la révolution, en sondant sesalentours, l’on exhumerait ses fondements, l’on déterrerait sescauses ; l’on découvrirait certainement qu’à mesure que lescouvents s’effondraient, des excès monstrueux prenaient naissance.Qui sait si les folies démoniaques d’un Carrier ou d’un Marat neconcordent point avec la mort d’une abbaye dont la saintetépréservait, depuis des années, la France ?
– Pour être juste, répondit l’abbé, il convient de dire que larévolution n’a détruit que des ruines. Le régime de la commendeavait fini par sataniser les monastères. Ce sont eux, hélas !Qui, par le relâchement de leurs moeurs, ont fait pencher labalance et attiré sur ce pays la foudre.
La Terreur n’a été qu’une conséquence de leur impiété. Dieu, querien ne retenait plus, a laissé faire.
– Oui, mais comment convaincre maintenant de la nécessité descompensations un monde qui divague dans des accès continus degain ; comment le persuader qu’il serait urgent, pour conjurerde nouvelles crises, d’abriter les villes derrière les redoutessacrées des cloîtres ?
Après le siège de 1870, prudemment, l’on enveloppa Paris dans unimmense réseau d’infranchissables forts ; mais ne serait-ilpas indispensable aussi de l’entourer d’une ceinture de prières, debastionner ses alentours de maisons conventuelles, d’édifier,partout, dans sa banlieue, des monastères de clarisses, deCarmélites, de Bénédictines du saint-sacrement, des monastères quiseraient, en quelque sorte, de puissantes citadelles destinées àarrêter la marche en avant des armées du mal ?
– Certes, les villes auraient grand besoin d’être garanties desinvasions infernales par un cordon sanitaire d’ordres… mais,voyons, monsieur, je ne veux point vous priver d’un reposutile ; je vous joindrai, demain, avant que vous ne quittieznotre solitude ; je tiens cependant à vous affirmer dèsmaintenant que vous ne comptez ici que des amis et que vous y sereztoujours le bienvenu. J’espère que, de votre côté, vous ne garderezpas un mauvais souvenir de notre pauvre hospitalité et que vousnous le prouverez, en revenant nous voir.
Ils étaient arrivés, tout en bavardant, devant l’hôtellerie.
Le père serra les mains de Durtal, et il gravit lentement leperron, balayant de sa robe la poussière argentée des marches,montant, tout blanc, dans un rayon de lune.
