En Route

Chapitre 2

 

Comment était-il redevenu catholique, comment en était-il arrivélà ?

Et Durtal se répondait : je l’ignore, tout ce que je sais, c’estqu’après avoir été pendant des années incrédule, soudain jecrois.

Voyons, se disait-il, tâchons cependant de raisonner si tant estque, dans l’obscurité d’un tel sujet, le bon sens subsiste.

En somme, ma surprise tient à des idées préconçues sur lesconversions. J’ai entendu parler du bouleversement subit et violentde l’âme, du coup de foudre, ou bien de la foi faisant à la finexplosion dans un terrain lentement et savamment miné. Il est bienévident que les conversions peuvent s’effectuer suivant l’un oul’autre de ces deux modes, car Dieu agit comme bon lui semble, maisil doit y avoir aussi un troisième moyen qui est sans doute le plusordinaire, celui dont le Sauveur s’est servi pour moi. Et celui-làconsiste en je ne sais quoi ; c’est quelque chose d’analogue àla digestion d’un estomac qui travaille, sans qu’on le sente. Iln’y a pas eu de chemin de Damas, pas d’événements qui déterminentune crise ; il n’est rien survenu et l’on se réveille un beaumatin, et sans que l’on sache ni comment, ni pourquoi, c’estfait.

Oui, mais cette manoeuvre ressemble fort, en somme, à celle decette mine qui n’éclate qu’après avoir été profondément creusée.Eh ! Non, car, dans ce cas, les opérations sontsensibles ; les objections qui embarrassaient la route sontrésolues ; j’aurais pu raisonner, suivre la marche del’étincelle le long du fil et, ici, pas. J’ai sauté à l’improviste,sans avoir été prévenu, sans même m’ être douté que j’étais sistudieusement sapé. Et ce n’est pas davantage le coup de foudre, àmoins que je n’admette un coup de foudre qui serait occulte ettaciturne, bizarre et doux. Et ce serait encore faux, car cebouleversement brusque de l’âme vient presque toujours à la suited’un malheur ou d’un crime, d’un acte enfin que l’on connaît.

Non, la seule chose qui me semble sûre, c’est qu’il y a eu, dansmon cas, prémotion divine, grâce.

Mais, fit-il, alors la psychologie de la conversion seraitnulle ? Et il se répondit :

Ça m’en a tout l’air, car je cherche vainement à me retracer lesétapes par lesquelles j’ai passé ; sans doute, je peux releversur la route parcourue, çà et là, quelques bornes : l’amour del’art, l’hérédité, l’ennui de vivre ; je peux même me rappelerdes sensations oubliées d’enfance, des cheminements souterrainsd’idées suscitées par mes stations dans les églises ; mais ceque je ne puis faire, c’est relier ces fils, les grouper enfaisceau ; ce que je ne puis comprendre, c’est la soudaine etla silencieuse explosion de lumière qui s’est faite en moi. Quandje cherche à m’expliquer comment, la veille, incrédule, je suisdevenu, sans le savoir, en une nuit, croyant, eh bien ! Je nedécouvre rien, car l’action céleste a disparu, sans laisser detraces.

Il est bien certain, reprit-il, après un silence de pensée, quec’est la Vierge qui agit dans ces cas-là sur nous ; c’est ellequi vous pétrit et vous remet entre les mains du Fils ; maisses doigts sont si légers, si fluides, si caressants que l’âmequ’ils ont retournée n’a rien senti.

Par contre, si j’ignore la marche et les relais de maconversion, je puis au moins deviner quels sont les motifs qui,après une vie d’indifférence, m’ ont ramené dans les parages del’Eglise, m’ ont fait errer dans ses alentours, m’ ont enfin poussépar le dos pour m’y faire entrer.

Et il se disait sans ambages, il y a trois causes :

D’abord un atavisme d’ancienne famille pieuse éparse dans desmonastères ; et des souvenirs d’enfance lui revenaient, decousines, de tantes, entrevues dans des parloirs, des femmes douceset graves, blanches comme des oublies, qui l’intimidaient, enparlant bas, qui l’inquiétaient presque lorsqu’en le regardant,elles demandaient s’il était sage.

Il éprouvait une sorte de peur, se réfugiait dans les jupes desa mère, tremblant quand, en partant, il fallait apporter son frontau-devant de lèvres décolorées pour subir le souffle d’un baiserfroid.

De loin, alors qu’il y songeait maintenant, ces entrevues quil’avaient tant gêné dans son enfance lui semblaient exquises. Il ymettait toute une poésie de cloître, enveloppait ces parloirs sinus d’une odeur effacée de boiseries et de cire ; et ilrevoyait aussi les jardins qu’il avait traversés dans ces couvents,des jardins embaumant le parfum amer et salé du buis, plantés decharmilles, semés de treilles dont les raisins toujours verts nemûrissaient point, espacés de bancs dont la pierre rongée gardaitdes anciennes ondées des oeils d’eau ; et mille détails luirevenaient de ces allées de tilleuls si tranquilles, de cessentiers où il courait dans la guipure noire que dessinait sur lesol l’ombre tombée des branches. Il conservait de ces jardins quilui paraissaient devenir plus grands à mesure qu’il avançait en âgeun souvenir un peu confus où tremblait l’image embrouillée d’unvieux parc aulique et d’un verger de presbytère, situé au nord,resté, même quand le soleil l’échauffait, un peu humide.

Il n’était pas surprenant que ces sensations déformées par letemps eussent laissé en lui des infiltrations d’idées pieuses quise creusaient alors qu’il les embellissait, en y songeant ;tout cela pouvait avoir sourdement fermenté pendant trente annéeset se lever maintenant.

Mais les deux autres causes qu’il connaissait avaient dû êtreencore plus actives.

C’était son dégoût de l’existence et sa passion de l’art ;et ce dégoût s’aggravait certainement de sa solitude et de sonoisiveté.

Après avoir autrefois logé ses amitiés au hasard des gens etessuyé les plâtres d’âmes qui n’avaient aucun rapport avec lasienne, il s’était, après tant d’inutile vagabondage, enfinfixé ; il avait été l’intime ami d’un Dr des Hermies, unmédecin épris de démonomanie et de mystique et du sonneur decloches de Saint-Sulpice, du breton Carhaix.

Ces affections-là n’étaient plus commes celles qu’il avaientconnues, tout en superficie et en façade ; elles étaientspacieuses et profondes, basées sur des similitudes de pensées, surdes lignes indissolubles d’âmes ; et celles-là avaient étébrusquement rompues ; à deux mois de distance, des Hermies etCarhaix mouraient, tués, l’un par une fièvre typhoïde, l’autre parun refroidissement qui l’alita, après qu’il eut sonné l’angélus dusoir dans sa tour.

Ce furent pour Durtal d’affreux coups. Son existence qu’aucunlieu n’amarra plus partit à la dérive ; il erra, dispersé, serendant compte que cet abandon était définitif, que, pour lui,l’âge n’était plus où l’on s’unit encore.

Aussi vivait-il seul, à l’écart, dans ses livres, mais lasolitude qu’il supportait bravement quand il était occupé, quand ilpréparait un livre, lui devenait intolérable lorsqu’il était oisif.Il s’acagnardait des après-midi dans un fauteuil, s’essorait dansdes songes ; c’était alors surtout que des idées fixes sepromenaient en lui ; elles finissaient par lui jouer derrièrele rideau baissé de ses yeux des féeries dont les actes nevariaient guère. Toujours des nudités lui dansaient dans lacervelle, au chant des psaumes ; et il sortait de cesrêveries, haletant, énervé, capable, si un prêtre s’était trouvélà, de se jeter en pleurant à ses pieds, de même qu’il se fût ruéaux plus basses ordures si une fille eût été près de lui, dans sachambre.

Chassons par le travail tous ces phantasmes, se criait-il, maistravailler à quoi ? Après avoir fait paraître une histoire deGilles de Rais qui avait pu intéresser quelques artistes, ildemeurait sans sujet, à l’affût d’un livre. Comme il était, en art,un homme d’excès, il sautait aussitôt d’un extrême à l’autre, et,après avoir fouillé le satanisme au Moyen Age, dans son récit dumaréchal de Rais, il ne voyait plus d’intéressant à forer qu’unevie de sainte et quelques lignes découvertes dans les études sur lamystique de Goerres et de Ribet l’avaient lancé sur la piste d’unebienheureuse Lydwine, en quête de documents neufs.

Mais en admettant même qu’il en déterrât, pouvait-il ouvrer unevie de sainte ? Il ne le croyait pas et les arguments surlesquels il étayait son avis semblaient plausibles.

L’hagiographie était une branche maintenant perdue del’art ; il en était d’elle ainsi que de la sculpture sur boiset des miniatures des vieux missels. Elle n’était plus aujourd’huitraitée que par des marguilliers et par des prêtres, par descommissionnaires de style qui semblent toujours, lorsqu’ilsécrivent, charger leurs fétus d’idées sur des camions ; etelle était, entre leurs mains, devenue un des lieux communs de labondieuserie, une transposition dans le livre des statuettes desFroc-Robert, des images en chromo des Bouasse.

La voie était donc libre et il semblait tout d’abord aisé de laplaner ; mais pour extraire le charme des légendes, il fallaitla langue naïve des siècles révolus, le verbe ingénu des âgesmorts. Comment arriver à exprimer aujourd’hui le suc dolent et leblanc parfum des très anciennes traductions de la Légende dorée deVoragine ? Comment lier en une candide gerbe ces fleursplaintives que les moines cultivèrent dans les pourpris descloîtres, alors que l’hagiographie était la soeur de l’art barbareet charmant des enlumineurs et des verriers, de l’ardente et de lachaste peinture des Primitifs ?

On ne pouvait cependant songer à se livrer à de studieuxpastiches, s’efforcer de singer froidement de telles oeuvres.Restait alors la question de savoir si, avec les ressources del’art contemporain, l’on parviendrait à dresser l’humble et lahaute figure d’une sainte ; et c’était pour le moins douteux,car le manque de simplesse réelle, le fard trop ingénieux du style,les ruses d’un dessin attentif et la frime d’une couleur madréetransformeraient probablement l’élue en une cabotine. Ce ne seraitplus une sainte, mais une actrice qui en jouerait plus ou moinsadroitement le rôle ; et alors, le charme serait détruit, lesmiracles paraîtraient machinés, les épisodes seraientabsurdes ! … puis… puis… encore faudrait-il avoir une foiqui fût vraiment vive et croire à la sainteté de son héroïne, sil’on voulait tenter de l’exhumer et de la faire revivre dans uneoeuvre.

Cela est si exact que voici Gustave Flaubert qui a écritd’admirables pages sur la légende de Saint Julien L’Hospitalier.Elles marchent en un tumulte éblouissant et réglé, évoluent en unelangue superbe dont l’apparente simplicité n’est due qu’à l’astucecompliquée d’un art inouï. Tout y est, tout, sauf l’accent qui eûtfait de cette nouvelle un vrai chef-d’oeuvre. étant donné le sujet,il y manque, en effet, la flamme qui devrait circuler sous cesmagnifiques phrases ; il y manque le cri de l’amour quidéfaille, le don de l’exil surhumain, l’âme mystique !

D’ un autre côté, les Physionomies de Saints d’Hello valentqu’on les lise. La foi jaillit dans chacun de ses portraits,l’enthousiasme déborde des chapitres, des rapprochements inattenduscreusent d’inépuisables citernes de réflexions entre leslignes ; mais quoi ! Hello était si peu artiste qued’adorables légendes déteignent dans ses doigts quand il ytouche ; la lésine de son style appauvrit les miracles et lesrend inermes. Il y manque l’art qui sortirait ce livre de lacatégorie des oeuvres blafardes, des oeuvres mortes !

L’exemple de ces deux hommes, opposés comme jamais écrivains nele furent, et n’ayant pu atteindre la perfection, l’un, dans lalégende de Saint Julien, parce que la foi lui faisait défaut etl’autre parce qu’il possédait une inextensible indigence d’art,décourageait complètement Durtal. Il faudrait être en même tempsles deux, et rester encore soi, se disait-il, sinon à quoi bons’atteler à de telles tâches ? Mieux vaut se taire ; etil se renfrognait, désespéré, dans son fauteuil.

Alors le mépris de cette existence déserte qu’il menaits’accélérait en lui et, une fois de plus, il se demandait l’intérêtque la Providence pouvait bien avoir à torturer ainsi lesdescendants de ses premiers convicts ? Et s’il n’obtenait pasde réponse, il était pourtant bien obligé de se dire qu’au moinsl’Eglise recueillait, dans ces désastres, les épaves, qu’elleabritait les naufragés, les rapatriait, leur assurait enfin ungîte.

Pas plus que Schopenhauer dont il avait autrefois raffolé, maisdont la spécialité d’inventaires avant décès et les herbiers deplaintes sèches l’avaient lassé, l’Eglise ne décevait l’homme et necherchait à le leurrer, en lui vantant la clémence d’une viequ’elle savait ignoble.

Par tous ses livres inspirés, elle clamait l’horreur de ladestinée, pleurait la tâche imposée de vivre. L’ecclésiastique,l’ecclésiaste, le livre de Job, les Lamentations de Jérémieattestaient cette douleur à chaque ligne et le Moyen Age avait, luiaussi, dans l’Imitation de Jésus-Christ, maudit l’existence etappelé à grands cris la mort.

Plus nettement que Schopenhauer, l’Eglise déclarait qu’il n’yavait rien à souhaiter ici-bas, rien à attendre ; mais là oùs’arrêtaient les procès-verbaux du philosophe, elle, continuait,franchissait les limites des sens, divulguait le but, précisait lesfins.

Puis, se disait-il, tout bien considéré, l’argument deSchopenhauer tant prôné contre le Créateur et tiré de la misère etde l’injustice du monde, n’est pas, quand on y réfléchit,irrésistible, car le monde n’est pas ce que Dieu l’a fait, maisbien ce que l’homme en a fait.

Avant d’accuser le ciel de nos maux, il conviendrait sans doutede rechercher par quelles phases consenties, par quelles chutesvoulues, la créature a passé, avant que d’aboutir au sinistregâchis qu’elle déplore. Il faudrait maudire les vices de sesancêtres et ses propres passions qui engendrèrent la plupart desmaladies dont on souffre ; il faudrait se dire que si Dieunous infligea l’excrément, l’homme y a par ses excès ajouté lepus ; il faudrait vomir la civilisation qui a rendul’existence intolérable aux âmes propres et non le Seigneur qui nenous a peut-être pas créés, pour être pilés à coups de canons, entemps de guerre, pour être exploités, volés, dévalisés, en temps depaix, par les négriers du commerce et les brigands des banques.

Ce qui reste incompréhensible, par exemple, c’est l’horreurinitiale, l’horreur imposée à chacun de nous, de vivre ; maisc’est là un mystère qu’aucune philosophie n’explique.

Ah ! reprenait-il, quand je songe à cette horreur, à cedégoût de l’existence qui s’est, d’années en années, exaspéré enmoi, comme je comprends que j’aie forcément cinglé vers le seulport où je pouvais trouver un abri, vers l’Eglise.

Jadis, je la méprisais, parce que j’avais un pal qui mesoutenait lorsque soufflaient les grands vents d’ennui ; jecroyais à mes romans, je travaillais à mes livres d’histoire,j’avais l’art. J’ai fini par reconnaître sa parfaite insuffisance,son inaptitude résolue à rendre heureux. Alors j’ai compris que lepessimisme était tout au plus bon à réconforter les gens quin’avaient pas un réel besoin d’être consolés ; j’ai comprisque ses théories, alléchantes quand on est jeune et riche et bienportant, deviennent singulièrement débiles et lamentablementfausses, quand l’âge s’avance, quand les infirmités s’annoncent,quand tout s’écroule !

Je suis allé à l’hôpital des âmes, à l’Eglise. On vous y reçoitau moins, on vous y couche, on vous y soigne ; on ne se bornepas à vous dire, en vous tournant le dos, ainsi que dans laclinique du Pessimisme, le nom du mal dont on souffre !

Enfin Durtal avait été ramené à la religion par l’art. Plus queson dégoût de la vie même, l’art avait été l’irrésistible aimantqui l’avait attiré vers Dieu.

Le jour où, par curiosité, pour tuer le temps, il était entrédans une église et, après tant d’années d’oubli, y avait écouté lesvêpres des morts tomber lourdement, une à une, tandis que leschantres alternaient et jetaient l’un après l’autre, comme desfossoyeurs, des pelletées de versets, il avait eu l’âme remuéejusque dans ses combles. Les soirs où il avait entendu lesadmirables chants de l’octave des trépassés, à Saint-Sulpice, ils’était senti pour jamais capté ; mais ce qui l’avaitpressuré, ce qui l’avait asservi mieux encore, c’étaient lescérémonies, les chants de la semaine sainte.

Il les avait visitées les églises, pendant cette semaine !Elles s’ouvraient ainsi que des palais dévastés, ainsi que descimetières ravagés de Dieu. Elles étaient sinistres avec leursimages voilées, leurs crucifix enveloppés d’un losange violet,leurs orgues taciturnes, leurs cloches muettes. La foules’écoulait, affairée, sans bruit, marchait par terre, sur l’immensecroix que dessinent la grande allée et les deux bras du transeptet, entrée par les plaies que figurent les portes, elle remontaitjusqu’à l’autel, là où devait poser la tête ensanglantée du Christet elle baisait avidement, à genoux, le crucifix qui barrait laplace du menton, au bas des marches.

Et cette foule devenait, elle-même, en se coulant dans ce moulecrucial de l’église, une énorme croix vivante et grouillante,silencieuse et sombre.

A Saint-Sulpice où tout le séminaire assemblé pleuraitl’ignominie de la justice humaine et la mort décidée d’un Dieu,Durtal avait suivi les incomparables offices de ces jours luctueux,de ces minutes noires, écouté la douleur infinie de la Passion, sinoblement, si profondément exprimée à ténèbres par les lentespsalmodies, par le chant des lamentations et des psaumes ;mais quand il y songeait, ce qui le faisait surtout frémir, c’étaitle souvenir de la Vierge arrivant le jeudi, dès que la nuittombait.

L’Eglise jusqu’alors absorbée dans son chagrin et couchée devantla croix se relevait et se mettait à sangloter, en voyant laMère.

Par toutes les voix de sa maîtrise, elle s’empressait autour deMarie, s’efforçait de la consoler, en mêlant les larmes du Stabataux siennes, en gémissant cette musique de plaintes endolories, enpressant sur la blessure de cette prose qui rendait de l’eau et dusang comme la plaie du Christ.

Durtal sortait, accablé, de ces longues séances, mais sestentations contre la foi se dissipaient ; il ne doutaitplus ; il lui semblait qu’à Saint-Sulpice, la grâce se mêlaitaux éloquentes splendeurs des liturgies et que des appels passaientpour lui dans l’obscure affliction des voix ; aussiéprouvait-il une reconnaissance toute filiale pour cette église oùil avait vécu de si douces et de si dolentes heures !

Et cependant, dans les semaines ordinaires, il ne la fréquentaitpoint ; elle lui paraissait trop grande et trop froide et elleétait si laide ! Il lui préférait des sanctuaires plus tièdeset plus petits, des sanctuaires où subsistaient encore des tracesdu Moyen Age.

Alors, il se réfugiait, les jours de flâne, en sortant du Louvreoù il s’était longuement évagué devant les toiles des primitifs,dans la vieille église de Saint-Séverin, enfouie en un coin duParis pauvre.

Il y apportait les visions des toiles qu’il avait admirées auLouvre et il les contemplait à nouveau, dans ce milieu où elles setrouvaient vraiment chez elles.

Puis c’étaient des moments délicieux qu’il y écoulait, emportédans ces nuées d’harmonie que sillonne l’éclair blanc de la voixenfantine jailli du tonnerre roulant des orgues.

Là, sans même prier, il sentait glisser en lui une langueurplaintive, un discret malaise ; Saint-Séverin le ravissait,l’aidait mieux que les autres à se suggérer, certains jours, uneindéfinissable impression d’allégresse et de pitié, quelquefoismême, alors qu’il songeait à la voirie de ses sens, à se natterl’âme de regrets et d’effroi.

Souvent, il y allait ; surtout, le dimanche matin, à dixheures, à la grand’messe.

Là, il s’installait derrière le maître-autel, dans cettemélancolique et délicate abside plantée, ainsi qu’un jardind’hiver, de bois rares et un peu fous. On eût dit d’un berceaupétrifié de très vieux arbres tout en fleurs, mais défeuillés, deces futaies de piliers carrés ou taillés à larges pans, creusésd’entailles régulières près de leurs bases, côtelés sur leursparcours comme des pieds de rhubarbe, cannelés comme descéleris.

Aucune végétation ne s’épanouissait au sommet de ces troncs quiarquaient leurs rameaux dénudés le long des voûtes, lesrejoignaient, les aboutaient, assemblant à leurs points de suture,à leurs noeuds de greffe, d’extravagants bouquets de rosesblasonnées, de fleurs armoriées et fouillées à jour ; etdepuis près de quatre cents ans ces arbres immobilisaient leur sèveet ne poussaient plus. Les hampes à jamais courbées restaientintactes ; la blanche écorce des piliers s’effritait à peine,mais la plupart des fleurs étaient flétries ; des pétaleshéraldiques manquaient ; certaines clefs de voûte ne gardaientplus que des calices stratifiés, ouvrés comme des nids, trouéscomme des éponges, chiffonnés comme des poignées de dentellesrousses.

Et au milieu de cette flore mystique, parmi ces arbreslapidifiés, il en était un, bizarre et charmant, qui suggéraitcette chimérique idée que la fumée déroulée des bleus encens étaitparvenue à se condenser, à se coaguler en pâlissant avec l’âge et àformer, en se tordant, la spirale de cette colonne qui tournoyaitsur elle-même et finissait par s’évaser en une gerbe dont les tigesbrisées retombaient du haut des cintres.

Ce coin où se réfugiait Durtal était à peine éclairé par desverrières en ogive, losangées de mailles noires, serties deminuscules carreaux obscurcis par la poussière accumulée des temps,rendus plus sombres encore par les boiseries des chapelles qui lesceinturaient jusqu’à mi-corps.

Cette abside, elle était bien, si l’on voulait, un massif geléde squelettes d’arbres, une serre d’essences mortes, ayantappartenu à la famille des palmifères, évoquant encore le souvenird’invraisemblables phoenix, d’inexacts lataniers, mais ellerappelait aussi, avec sa forme en demi-lune et sa lumière trouble,l’image d’une proue de navire plongée sous l’onde. Elle laissait,en effet, filtrer au travers de ses hublots, aux vitrestreillissées d’une résille noire, le murmure étouffé – que simulaitle roulement des voitures ébranlant la rue, – d’une rivière quitamiserait dans le cours saumâtre de ses eaux des lueurs dédoréesde jour.

Le dimanche, à l’heure de la grand’messe, cette abside restaitdéserte. Tout le public emplissait la nef devant le maître-autel ous’éparpillait plus loin dans une chapelle dédiée à Notre-Dame.Durtal était donc à peu près seul ; et les gens même quitraversaient son refuge n’étaient ni hébétés, ni hostiles, ainsique les fidèles des autres églises. C’étaient dans ce quartier degueux, de très pauvres gens, des regrattières, des soeurs decharité, des loqueteux, des mioches ; c’étaient surtout desfemmes en guenilles, marchant sur la pointe des pieds,s’agenouillant sans regarder autour d’elles, des humbles gênéesmême par le luxe piteux des autels, hasardant un oeil soumis etbaissant le dos quand passait le suisse.

Touché par la timidité de ces misères muettes, Durtal écoutaitla messe que chantait une maîtrise peu nombreuse, mais patiemmentdressée. Mieux qu’à Saint-Sulpice où pourtant les offices étaientautrement solennels et exacts, la maîtrise de Saint-Séverinentonnait cette merveille du plain-chant, le Credo. Ellel’enlevait, en quelque sorte, jusqu’au sommet du choeur et lefaisait planer, les ailes grandes ouvertes, presque immobiles,au-dessus des ouailles prosternées, lorsque le verset et homofactus est prenait son lent et respectueux essor dans la voixbaissée du chantre. C’était, à la fois, lapidaire et fluide,indestructible, ainsi que les articles du Symbole même, inspirécomme le texte que l’Esprit Saint dicta, dans leur dernièreassemblée, aux apôtres réunis du Christ.

A Saint-Séverin, une voix de taureau clamait, seule, un verset,puis tous les enfants, soutenus par la réserve des chantres,lançaient les autres et les inaltérables vérités s’affirmaient àmesure, plus attentives, plus graves, plus accentuées, un peuplaintives même dans la voix isolée de l’homme, plus timidespeut-être, mais aussi plus familières, plus joyeuses, dans l’élanpourtant contenu des gosses.

A ce moment-là, Durtal se sentait soulevé et il se criait : maisil est impossible que les alluvions de la foi qui ont créé cettecertitude musicale soient fausses ! L’accent de ces aveux esttel qu’il est surhumain et si loin de la musique profane qui n’ajamais atteint l’imperméable grandeur de ce chant nu !

Toute la messe était d’ailleurs à Saint-Séverin exquise. LeKyrie eleison sourd et somptueux ; le Gloria in excelsisdivisé entre le grand et le petit orgue, l’un chantant seul etl’autre dirigeant et soutenant le choeur, exultaitd’allégresse ; le Sanctus emballé, presque hagard alors que lamaîtrise criait l’hosanna in excelsis, bondissait jusqu’auxcintres ; et l’Agnus Dei s’élevait à peine en une clairemélodie suppliante, si humble qu’elle n’osait monter.

En somme, à part des Salutaris de contrebande détaillés là,ainsi que toutes les églises, Saint-Séverin conservait, lesdimanches ordinaires, la liturgie musicale, la chantait presquerespectueusement avec des voix fragiles, mais bien teintées,d’enfants, avec des basses solidement bétonnées, remontant de leurspuits de vigoureux sons.

Et c’était une joie pour Durtal que de s’attarder dans cetadorable milieu du Moyen Age, dans cette ombre déserte, parmi ceschants qui s’élevaient derrière lui, sans qu’il fût troublé par lesmanigances des bouches qu’il ne pouvait voir.

Il finissait par être pris aux moelles, suffoqué par denerveuses larmes et toutes les rancoeurs de sa vie luiremontaient ; plein de craintes indécises, de postulationsconfuses qui l’étouffaient sans trouver d’issues, il maudissaitl’ignominie de son existence, se jurait d’étouffer ses émoischarnels.

Puis, quand la messe était terminée, il errait dans l’églisemême, s’exaltait devant l’essor de cette nef que quatre sièclesbâtirent et scellèrent de leurs armes, en y apposant cesextraordinaires empreintes, ces fabuleux cachets qui s’épanouissenten relief sous le berceau renversé des voûtes. Ces siècless’étaient réunis pour apporter aux pieds du Christ l’effortsurhumain de leur art et les dons de chacun étaient visiblesencore. Le treizième siècle avait taillé ces piliers bas et trapusdont les chapiteaux se couronnent de nymphéas, de trèfles d’eau, defeuillages à grandes côtes, volutés en crochets et tournés encrosse. Le quatorzième siècle avait élevé les colonnes des travéesvoisines sur le flanc desquelles des prophètes, des moines, dessaints, soutiennent de leurs corps étendus la retombée des arcs. Lequinzième et le seizième avaient créé l’abside, le sanctuaire,quelques-uns même des vitraux ouverts au sommet du choeur et, bienqu’ils eussent été réparés par de vrais gnafs, ils n’en avaient pasmoins gardé une grâce barbare, une naïveté vraiment touchante.

Ils paraissaient avoir été dessinés par les ancêtres desimagiers d’Epinal et bariolés par eux de tons crus. Les donateurset les saints qui défilaient dans ces clairs tableaux encadrés depierre étaient tous maladroits et pensifs, vêtus de robesgomme-gutte, vert bouteille, bleu de prusse, rouge de groseille,violet d’aubergine et lie de vin qui se fonçaient encore au contactdes chairs omises ou perdues, restées, en tout cas, comme leurépiderme de verre, incolores. Dans l’une de ces fenêtres, le Christen croix semblait même limpide, tout en lumière, au milieu destaches azurées du ciel et des plaques rouges et vertes queformaient les ailes de deux anges dont le visage paraissait aussitaillé dans le cristal et rempli de jour.

Et ces vitraux, différents en cela de ceux des autres églises,absorbaient les rayons du soleil, sans les réfracter. Ils avaientsans doute été privés volontairement de reflets, afin de ne pasinsulter par une insolente gaieté de pierreries en feu à lamélancolique détresse de cette église qui s’élevait dans l’atrocerepaire d’un quartier peuplé de mendiants et d’escarpes.

Alors des réflexions assaillaient Durtal. Dans Paris, lesbasiliques modernes étaient inertes ; elles restaient sourdesaux prières qui se brisaient contre l’indifférence glacée de leursmurs. Comment se recueillir dans ces nefs où les âmes n’ont rienlaissé d’elles, où lorsqu’elles allaient peut-être se livrer, ellesavaient dû se reprendre, se replier, rebutées par l’indiscrétiond’un éclairage de photographe, offusquées même par l’abandon de cesautels où aucun saint n’avait jamais célébré la messe ? Ilsemblait que Dieu fût toujours sorti, qu’il ne rentrât que pourtenir sa promesse de paraître au moment de la consécration etqu’aussitôt après, il se retirât, méprisant, de ces édifices quin’avaient pas été créés expressément pour lui, puisque, par labassesse de leurs formes, ils pouvaient servir aux usages les plusprofanes, puisque surtout ils ne lui apportaient point, à défaut dela sainteté, le seul don qui pût lui plaire, ce don de l’art qu’ila, lui-même, prêté à l’homme et qui lui permet de se mirer dans larestitution abrégée de son oeuvre, de se réjouir devant l’éclosionde cette flore dont il a semé les germes dans les âmes qu’il atriées avec soin, dans les âmes qu’il a, après celles de sessaints, vraiment élues.

Ah ! les charitables églises du Moyen Age, les chapellesmoites et enfumées, pleines de chants anciens, de peinturesexquises et cette odeur des cierges qu’on éteint, et ces parfumsdes encens qu’on brûle ! A Paris, il ne restait plus quequelques spécimens de cet art d’antan, que quelques sanctuairesdont les pierres suintaient réellement la Foi ; parmi ceux-là,Saint-Séverin apparaissait à Durtal comme le plus exquis et le plussûr. Il ne se sentait chez lui que là ; il croyait que s’ilvoulait enfin prier pour de bon, ce serait dans cette église qu’ildevrait le faire, et il se disait : ici, l’âme des voûtes existe.Il est impossible que les ardentes prières, que les sanglotsdésespérés du Moyen Age n’aient pas à jamais imprégné ces pilierset tanné ces murs ; il est impossible que cette vigne dedouleurs où jadis des saints vendangèrent les grappes chaudes deslarmes, n’ait pas conservé, de ces admirables temps, des émanationsqui soutiennent, des effluves qui sollicitent encore la honte despéchés, l’aveu des pleurs !

De même que Sainte Agnès demeurant immaculée dans les bordeaux,cette église restait intacte dans un milieu infâme, alors que toutautour d’elle dans les rues, au Château rouge, à la crémerieAlexandre, là, à deux pas, la tourbe moderne des sacripantscombinaient leurs méfaits, en cuvant, avec des prostituées, lesboissons de crimes, les absinthes cuivrées et les troissix !

Dans ce territoire réservé du Satanisme, elle émergeait,délicate et petite, frileusement emmitouflée dans les guenilles descabarets et des taudis ; et, de loin, elle dressait encore,au-dessus des toits, son clocher frêle, pareil à une aiguillepiquée la pointe en bas et ajourant en l’air son chas au traversduquel on apercevait, surplombant une sorte d’enclume, uneminuscule cloche. Telle elle apparaissait, du moins, de la placeSaint-André-des-arts. Symboliquement, on eût dit d’unmiséricordieux appel toujours repoussé par des âmes endurcies etmartelées par les vices, de cette enclume qui n’était qu’uneillusion d’optique et de cette très réelle cloche.

Et dire, songeait Durtal, dire que d’ignares architectes et qued’ineptes archéologues voudraient dégager Saint-Séverin de sesloques et la cerner avec les arbres en prison d’un square !Mais elle a toujours vécu dans son lacis de rues noires ! Elleest volontairement humble, en accord avec le misérable quartierqu’elle assiste. Au Moyen Age, elle était un monument d’intérieuret non une de ces impétueuses basiliques que l’on dressait enévidence sur de grandes places.

Elle était un oratoire pour les pauvres, une église agenouilléeet non debout ; aussi serait-ce le contre-sens le plus absoluque de la sortir de son milieu, que de lui enlever ce jourd’éternel crépuscule, ces heures toutes en ombre, qui avivent sadolente beauté de servante en prière derrière la haie impie desbouges !

Ah ! si l’on pouvait la tremper dans l’atmosphère embraséede Notre-Dame des Victoires et adjoindre à sa maigre psallette lapuissante maîtrise de Saint-Sulpice, ce serait complet ! Secriait Durtal ; mais, hélas ! Ici-bas, rien d’entier,rien de parfait n’existe !

Enfin, au point de vue de l’art, elle était encore la seule quile ravissait, car Notre-Dame de Paris était trop grande et tropsillonnée par des touristes : puis les cérémonies s’y faisaientrares ; on y débitait juste le poids des prières exigées et laplupart des chapelles demeuraient closes ; enfin les voix deses enfants étaient en coton à repriser ; à tous coups, ellescassaient, pendant que graillonnait l’âge avancé des basses. àSaint-Etienne du Mont, c’était pis encore ; la coque del’église était charmante, mais la maîtrise était une succursale dela maison Sanfourche ; on se serait cru dans un chenil oùgrognait une meute variée de bêtes malades ; quant aux autressanctuaires de la rive gauche, ils étaient nuls ; l’on ysupprimait d’ailleurs autant que possible le plain-chant, etpartout l’on y embrenait avec des fredons libertins la pauvreté desvoix.

Et c’était cependant encore sur cette rive que les églises serespectaient le mieux, car le district religieux de Paris s’arrêteà ce côté de la Seine, cesse après que l’on a franchi lesponts.

En somme, en se récapitulant, il pouvait croire queSaint-Séverin par ses effluves et l’art délicieux de sa vieillenef, que Saint-Sulpice par ses cérémonies et par ses chantsl’avaient ramené vers l’art chrétien qui l’avait à son tour dirigévers Dieu.

Puis, une fois aiguillé sur cette voie, il l’avait parcourue,était sorti de l’architecture et de la musique, avait erré sur lesterritoires mystiques des autres arts et ses longues stations auLouvre, ses incursions dans les bréviaires, dans les livres deRuysbroeck, d’Angèle de Foligno, de Sainte Térèse, de SainteCatherine de Gênes, de Madeleine de Pazzi, l’avaient encore affermidans ses croyances.

Mais ce bouleversement d’idées qu’il avait subi était troprécent pour que son âme encore déséquilibrée se tînt. Par instants,elle semblait vouloir se retourner et il se débattait alors pourl’apaiser. Il s’usait en disputes, en arrivait à douter de lasincérité de sa conversion, se disait : en fin de compte, je nesuis emballé à l’église que par l’art ; je n’y vais que pourvoir ou pour entendre et non pour prier ; je ne cherche pas leSeigneur, mais mon plaisir. Ce n’est pas sérieux ! De même quedans un bain tiède, je ne sens point le froid si je reste immobileet que si je remue, je gèle, de même aussi à l’église mes élanschavirent dès que je bouge ; je suis presque enflammé dans lanef, moins chaud déjà sous le parvis et je deviens absolument glacélorsque je suis dehors. Ce sont des postulations littéraires, desvibrations de nerfs, des échauffourées de pensées, des bagarresd’esprit, c’est tout ce que l’on voudra, sauf la Foi.

Mais ce qui l’inquiétait plus encore que ce besoin d’adjuvantspour s’attendrir, c’était que ses sens dévergondés s’exaspéraientau contact des idées pieuses. Il flottait, comme une épave, entrela luxure et l’Eglise et elles se le renvoyaient, à tour de rôle,le forçant dès qu’il s’approchait de l’une à retourner aussitôtauprès de celle qu’il avait quittée et il en venait à se demanders’il n’était pas victime d’une mystification de ses bas instinctscherchant à se ranimer, sans même qu’il en eût conscience, par lecordial d’une piété fausse.

En effet, combien de fois l’avait-il vu se réaliser l’immondemiracle, alors qu’il sortait presque en larmes deSaint-Séverin ? Sournoisement, sans filiation d’idées sansgradation, sans soudure de sensations, sans même qu’une étincellecrépitât, ses sens prenaient feu et il était sans force pour leslaisser se consumer seuls, pour leur résister.

Il se vomissait après, mais il était bien temps ! Et alorsle mouvement inverse se produisait ; il avait envie de courirdans une chapelle, de s’y laver et il était si dégoûté de lui que,s’il allait quelquefois jusqu’à la porte, il n’osait entrer.

D’autres fois, au contraire, il se révoltait et se criait,furieux : c’est bête, à la fin, je me suis gâté le seul plaisir quime restait, la chair. Jadis, je m’amusais et ne me répugnaispoint ; aujourd’hui, je paye mes pauvres godailles par destourments. J’ai ajouté un ennui de plus dans mon existence ;ah ! si c’était à refaire !

Et vainement, il se mentait, tentait de se justifier, en sesuggérant des doutes.

Et si tout cela n’était pas véritable ? S’il n’y avaitrien ? Si je me trompais ? Si les libres penseurs avaientraison ?

Mais il était bien obligé de se prendre en pitié, car il sentaittrès distinctement, au fond de lui, qu’il possédait l’inébranlablecertitude de la vraie Foi.

Ces discussions sont misérables et ces excuses que je cherche àmes saletés sont odieuses, se disait-il : et une flambéed’enthousiasme jaillissait en lui.

Comment douter de la véracité des dogmes, comment nier lapuissance divine de l’Eglise, mais elle s’impose !

D’abord elle a son art surhumain et sa mystique, puis n’est-elledonc pas surprenante la persistante inanité des hérésiesvaincues ? Toutes, depuis que le monde existe, ont eu pourtremplin la chair. Logiquement, humainement, elles devaienttriompher, car elles permettaient à l’homme et à la femme desatisfaire leurs passions, soi-disant en ne péchant pas, en sesanctifiant même comme les gnostiques, en rendant par les plusbasses turpitudes hommage à Dieu.

Que sont-elles devenues ? Toutes ont sombré. L’Eglise, siinflexible sur cette question, est demeurée entière et debout. Elleordonne au corps de se taire, à l’âme de souffrir et, contre toutevraisemblance, l’humanité l’écoute et balaie, tel qu’un fumier, lesséduisantes allégresses qu’on lui propose.

N’est-elle pas décisive aussi cette vitalité que conservel’Eglise, malgré l’insondable stupidité des siens ? Elle arésisté à l’inquiétante sottise de son clergé, elle n’a pas mêmeété entamée par la maladresse, par le manque de talent de sesdéfenseurs ! c’est cela qui est fort !

Non, plus j’y songe, s’écriait-il, plus je la trouveprodigieuse, unique ! Plus je suis convaincu qu’une seuledétient la vérité, qu’hors d’elle, ce ne sont plus que desluxations d’esprit, que des impostures, que des esclandres ! -L’Eglise, elle est le haras divin et le dispensaire céleste desâmes ; c’est elle qui les allaite, qui les élève, qui lespanse ; elle, qui leur notifie, quand le temps des douleursest venu, que la vie réelle ne commence pas à la naissance, maisbien à la mort. L’Eglise, elle est indéfectible, elle estsuradmirable, elle est immense…

Oui, mais alors, il faudrait suivre ses prescriptions etpratiquer les sacrements qu’elle exige !

Et Durtal, en hochant la tête, ne se répondait plus.

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