La Lettre écarlate

Chapitre 1LA PORTE DE LA PRISON

Une foule d’hommes barbus, en vêtements decouleurs tristes et chapeaux gris à hautes calottes en forme depain de sucre, mêlée de femmes, certaines portant capuchon,d’autres la tête nue, se tenait assemblée devant un bâtiment debois dont la porte aux lourdes traverses de chêne était cloutée defer.

Quel que soit le royaume d’Utopie[32] qu’ils aient, à l’origine, projeté deconstruire en vue de la vertu et du bonheur des hommes, lesfondateurs d’une colonie ont invariablement dû placer au premierrang de leurs obligations pratiques la nécessité d’allouer à uncimetière un morceau du terrain vierge où ils allaient bâtir et unautre morceau à l’emplacement d’une prison.

En conséquence de cette règle, on peut êtreassuré que les ancêtres de Boston ont construit la première prisonde leur ville dans le voisinage de Cornhill[33]avec tout autant d’à-propos qu’ils creusèrent dans le lotissementd’Isaac Johnson[34] cette première tombe autour delaquelle devaient venir se grouper ensuite toutes les tombes ducimetière de King’s Chapel. Et quelque quinze ou vingt ans après lafondation de la colonie, la prison portait sûrement déjà les tracesdu passage des saisons et d’autres marques encore de vieillesse quiassombrissaient un peu plus sa morne façade couleur de hanneton. Larouille des pesantes serrures de sa porte de chêne avait l’air plusancien que n’importe quoi d’autre dans le Nouveau Monde. Comme toutce qui touche au crime, elle semblait n’avoir jamais eu de jeunetemps. Devant le vilain édifice, et le séparant de l’ornière desroues de charrettes qui traçait la rue, il y avait un carré toutenvahi de chardons, de chiendent, de bardanes. Ces mauvaises herbestrouvaient évidemment quelque chose de conforme à leur nature dansun sol qui avait porté de si bonne heure cette fleur maudite de lasociété civilisée qu’est une prison. Mais, d’un côté du portail etpresque sur le seuil du bâtiment sinistre, un rosier sauvage avaitpris racine. Il était, en ce mois de juin, tout couvert de sesfleurs délicates. Et ces fleurs pouvaient passer pour offrir leurparfum et leur beauté fragile au prisonnier qui entrait ou aucondamné qui sortait pour marcher vers son destin, prouvant ainsicombien le cœur généreux de la nature savait être indulgent.

Grâce à un heureux hasard, ce buisson de rosesa été conservé par l’histoire. Mais a-t-il simplement survécu àl’austère vieille végétation sauvage, aux pins et aux chênesgigantesques, depuis si longtemps abattus, qui l’auraient ombragé àsa naissance ; ou jaillit-il comme certaines autorités ledonnent à croire, sous les pas de la sainte Ann Hutchinson[35] alors qu’elle franchissait la porte dela prison ? Nous ne prendrons pas sur nous d’en décider. Letrouvant juste au seuil de notre récit qui va, tout à l’heure, semettre en route de derrière cette porte de mauvais augure, nous nepouvions guère faire autrement que de cueillir une de ses rosespour la tendre au lecteur. Elle symbolisera, espérons-le, une fleurrédemptrice qui pourrait peut-être doucement poindre chemin faisantou, tout au moins, éclairera une bien sombre histoire de faiblesseet de douleur humaines.

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