La Lettre écarlate

Chapitre 5HESTER À SON AIGUILLE

Hester Prynne arrivait à présent au terme desa captivité. Les portes de sa prison furent grandes ouvertes etelle sortit au plein soleil qui, bien que brillant également pourtous, lui donna l’impression morbide de n’avoir de rayons que pouréclairer sur sa poitrine la lettre écarlate.

Les premiers pas qu’elle fit toute seule encette minute lui furent sans doute une plus torturante épreuve quela marche processionnelle qui avait fait d’elle le point de mireque tout le monde était invité à montrer du doigt. Elle avait,alors, été soutenue par une anormale tension de tous ses nerfs, etaussi par l’énergie combative de son caractère qui lui avait permisde transformer toute cette scène en une sorte de triomphe sinistre.Il s’agissait, d’ailleurs, d’un événement tout à fait exceptionnel,qui ne devait se produire qu’une fois dans sa vie, qu’elle avaitdonc pu affronter en prodigue, dépensant en une seule journée toutela force vitale qui aurait suffi à plusieurs années d’existencetranquille. La loi même qui l’avait condamnée – géant au dur visagemais au bras de fer, aussi fort pour soutenir que pour annihiler –lui avait prêté la vigueur nécessaire pour supporter cetteaccablante, cette ignominieuse épreuve. Mais avec ces premiers pasqu’elle faisait toute seule hors de sa prison, c’était une routinequotidienne qui commençait pour Hester Prynne. Et il lui fallait oula supporter et marcher de l’avant, grâce aux ressources ordinairesde sa nature, ou succomber. Elle ne pouvait plus emprunter àl’avenir pour faire face au tourment présent. Le lendemainapporterait avec lui son épreuve ; et de même le surlendemainet le jour d’après et tous les autres. Chaque jour son épreuve etqui serait pourtant la même que celle qu’il était siinexprimablement douloureux de subir aujourd’hui. Les jours, lessemaines, les mois de l’avenir le plus éloigné se dérouleraientpéniblement avec, pour charger ses épaules, toujours le mêmefardeau, un fardeau qu’elle ne pourrait jamais jeter à terre carles jours et les années l’alourdiraient chacun un peu plus ens’accumulant. Finalement, dépouillée de toute individualité, ellene serait plus qu’un symbole à l’usage des prédicateurs et desmoralistes désireux d’insister sur la faiblesse de la femme ou deflétrir les passions coupables. Ainsi les jeunes, les purs laregarderaient avec la lettre écarlate – elle, la fille de parentshonorables – elle, la mère d’une enfant qui deviendrait une femme –elle, qui avait été innocente, jadis – comme le visage, le corps,l’incarnation du péché. Et sur sa tombe, la honte qu’il lui auraitfallu porter ainsi jusqu’au bout deviendrait l’unique monumentdédié à sa mémoire.

Il peut paraître bizarre qu’avec le mondeentier devant elle, et alors que nulle clause de sa condamnation nela retenait dans les limites de cette colonie puritaine silointaine et si obscure, libre donc de revenir dans son pays natalou d’aller dans n’importe quel autre pays d’Europe cacher sa fauteet son identité sous une apparence nouvelle ; qu’avec, toutesproches, les cachettes de la forêt insondable où une naturefarouche comme la sienne aurait pu se faire une place chez unpeuple dont les coutumes et les croyances étaient étrangères à laloi qui l’avait condamnée – il peut paraître bizarre, disons-nous,qu’Hester Prynne ait continué de considérer comme sa patriel’endroit, le seul endroit du monde où elle symbolisait la honte.Mais il existe une fatalité, un sentiment, si impérieux qu’il aforce de loi, qui oblige presque invariablement les êtres humains àne pas quitter, à hanter comme des fantômes, les endroits oùquelque événement marquant a donné sa couleur à leur vie ; etceci d’autant plus irrésistiblement que cette couleur est plussombre. Son péché, sa honte étaient les racines qui implantaientHester en ce sol. C’était comme si une seconde naissance– unenaissance qui l’aurait mieux pénétrée de son ambiance que lapremière – avait transformé pour elle ce pays de forêts, encore sirebutant pour les autres Européens, en une patrie. Une patriesauvage et lugubre mais où elle était véritablement chez elle etpour toute sa vie.

Tous les autres lieux du monde lui étaientétrangers en comparaison – même ce village de la campagne anglaiseoù son enfance heureuse et son adolescence sans tache semblaientêtre restées aux soins de sa mère, tels des vêtements que depuislongtemps on ne porte plus. La chaîne qui l’attachait avait desmailles de fer et la meurtrissait jusqu’au fond de l’âme, mais ellene pourrait jamais être brisée.

Peut-être aussi – c’était même sans aucundoute le cas, bien qu’elle se cachât ce secret à elle-même et pâlîtchaque fois qu’il luttait pour sortir de son cœur tel un serpent deson trou – peut-être un autre sentiment retenait-il Hester en celieu qui lui avait été si fatal. Ici vivait, ici cheminaitquelqu’un avec qui elle s’estimait unie par un lien, non reconnu ence monde, mais qui les ferait appeler ensemble à la barre dujugement dernier, seul autel de leur mariage, et les renverrait àun avenir commun de châtiment éternel. Encore et encore letentateur des âmes avait jeté cette idée dans l’esprit d’Hester etri de voir avec quel désespéré mouvement de joie passionnée elles’en était saisie pour essayer ensuite de la jeter loin d’elle.Elle regardait, l’espace d’un éclair, cette idée en face et puis sehâtait de la barricader derechef au cachot. Ce qu’elle s’obligeaità croire – ce qu’elle devait, à force de raisonnements, finir parconsidérer comme le motif qui la poussait à rester enNouvelle-Angleterre – était à moitié une vérité, à moitié uneillusion. C’est ici, se disait-elle, que j’ai été coupable et c’estici que je dois expier sur cette terre. La torture que luiinfligerait sa honte quotidienne laverait peut-être à la fin sonâme et en remplacerait la pureté perdue par une autre approchant decelle d’une sainte puisqu’elle serait le résultat d’un martyre.

Hester Prynne ne s’enfuit donc point. Auxabords de la ville, sur le littoral de la Péninsule, mais assezéloignée des autres habitations, s’élevait une petite chaumière.Elle avait été bâtie par un des premiers colons, puis abandonnée,parce que le sol qui l’entourait n’était pas propice à la cultureet que son éloignement relatif l’écartait de la sphère de cetteactivité sociale qui avait, bientôt, caractérisé les mœurs desémigrants. Construite sur la plage, elle donnait, par-delà unbassin d’eau de mer, sur les collines couvertes de forêts qui sedressaient vers l’ouest. Un bouquet d’arbres rabougris, comme iln’en pousse que dans la Péninsule, plutôt que de la dissimuler à lavue, semblait indiquer qu’il y avait, en cet endroit, quelque choseà cacher. C’est dans cette solitaire petite demeure qu’HesterPrynne alla s’installer avec son enfant, après avoir obtenu lapermission des magistrats qui gardaient sur elle un droit desurveillance. Un effroi religieux, une ombre de suspicion pesèrentaussitôt sur l’endroit. Des enfants, trop jeunes pour comprendrepourquoi cette femme était tenue à l’écart de toute charitéhumaine, se glissaient assez près pour la voir manier son aiguilleà la fenêtre de sa chaumière, ou bêcher son petit jardin, ous’engager sur le sentier qui menait à la ville, puis, apercevant lalettre écarlate sur sa poitrine, ils décampaient sous le coup d’uneterreur étrange et contagieuse.

Isolée comme elle l’était, n’ayant pas surterre un ami qui osât se faire voir, Hester ne courait cependantaucun risque de se trouver dans le besoin. Elle possédait un artqui, même dans un pays où il n’avait relativement que peud’occasion de s’exercer, devait suffire à les nourrir, elle et sonenfant. C’était, alors comme maintenant, le seul art ou presque àla portée d’une femme – l’art des travaux à l’aiguille. Elleportait sur sa poitrine, avec cette lettre si curieusement brodée,un spécimen de la délicatesse et de l’imagination d’un talent queles dames d’une Cour eussent été ravies de mettre à contributionpour ajouter à leurs parures d’or et de soie cet ornement plusprécieux et plus spirituel qu’est l’industrie humaine. Il est vraiqu’avec la sombre simplicité caractéristique de la façon des’habiller des Puritains, il n’allait pas y avoir, enNouvelle-Angleterre, grande demande pour ce qu’Hester pouvait fairede plus beau. Cependant le goût de l’époque, d’une telle exigencepour les détails du costume, n’était pas sans étendre son influencesur nos austères ancêtres qui avaient laissé derrière eux tantd’autres raffinements dont il pourrait paraître plus dur de sepasser. Des cérémonies publiques telles qu’ordinations,installations de magistrats, étaient, ainsi que tout ce qui pouvaitdonner de la majesté aux apparences lorsque le gouvernement nouveause manifestait en public, marquées, par habileté politique, au coind’un cérémonial bien réglé et d’une magnificence sombre mais trèsétudiée. Des fraises aux plis profonds, des rabats excessivementouvragés et des gants aux broderies somptueuses étaient considéréscomme devant faire nécessairement partie de la tenue officielle deshommes qui tenaient les rênes du pouvoir. Le port en était, enoutre, aisément permis à des personnages notoires par leur rang ouleur richesse, tandis que des lois somptuaires les interdisaient auvulgaire. Les funérailles – qu’il s’agît de la parure du mort ou defigurer, par maints écussons et inscriptions emblématiques de drapnoir et de toile blanche, le chagrin des survivants – réclamaientaussi souvent une artiste comme Hester. Les trousseaux desnouveau-nés – car les petits enfants portaient alors de vraiesrobes de parade – lui offraient encore une autre possibilitéd’occupation et de gain.

Petit à petit, mais assez vite en somme, lestravaux d’Hester devinrent ce que nous appellerions maintenant« à la mode ». Que cela provînt d’un sentiment decommisération envers une femme d’aussi triste destinée, ou de cetintérêt de douteux aloi qui prête une valeur fictive même auxchoses les plus ordinaires ; qu’il faille y voir l’effet deces circonstances impondérables qui valent à certaines personnes ceque d’autres rechercheraient en vain, ou le fait qu’un vide quiserait resté béant se trouvait ainsi comblé par elle, toujoursest-il qu’Hester eut du travail et un travail bien rémunéré, pourtoutes les heures qu’il lui parût bon d’employer à tirerl’aiguille. Peut-être la vanité jugea-t-elle séant de se mortifieren arborant, les jours de grande pompe, des vêtements qu’avaientornés les mains d’une pécheresse ? On vit le travail del’aiguille d’Hester sur la fraise du Gouverneur, des hommes d’armesle portèrent sur leurs baudriers, des pasteurs sur leurs rabats. Ilornait le petit bonnet de l’enfant au berceau ; il étaitenfermé dans les cercueils des morts pour moisir et tomber enpoussière. Mais il n’a jamais été rapporté que son talent auraitété une seule fois requis pour broder le voile blanc destiné àcacher les rougeurs d’une jeune épousée. Cette exception est unepreuve de l’inaltérable rigueur avec laquelle la société ne cessaitde réprouver le péché d’Hester Prynne.

Celle-ci ne cherchait pas à gagner plus que lemoyen de s’assurer une subsistance des plus ascétiques et la simpleabondance nécessaire à son enfant. Sur sa robe, toujours del’étoffe la plus grossière et de la plus sombre couleur, il y avaitpour seul ornement la lettre écarlate qu’elle était condamnée àporter. Le costume de sa fille se distinguait, au contraire, parune grâce fantaisiste, nous devrions même plutôt dire fantastique,qui rehaussait la grâce aérienne que la petite fille laissa voir debonne heure, mais semblait avoir aussi une signification plusprofonde. Nous en reparlerons.

À l’exception du peu que lui coûtait la parurede sa fille, Hester consacrait tout son superflu à faire la charitéà des misérables moins malheureux qu’elle et qui insultaient assezfréquemment la main qui les nourrissait. Une grande partie du tempsqu’elle aurait pu dédier aux plus délicates réalisations de sonart, elle le passait à coudre des vêtements grossiers pour lesindigents. Il est probable qu’elle entendait expier en s’occupantde la sorte, qu’elle faisait un véritable sacrifice, renonçait àune véritable joie en employant tant d’heures à un travail aussiingrat. Il y avait dans sa nature une tendance, voluptueuse,orientale, un goût pour le beau, pour le somptueux qui, les exquistravaux de son aiguille mis à part, ne trouvaient aucune occasionde s’exercer dans sa vie. Les femmes tirent de l’activité délicatede leur aiguille un plaisir incompréhensible à l’autre sexe. HesterPrynne y trouvait peut-être un moyen d’exprimer et par conséquentd’apaiser la passion de sa vie. Aussi l’écartait-elle comme toutesles autres joies, y voyant un péché. Cette morbide intervention desa conscience dans une question aussi secondaire relevait, il fautle craindre, non d’un authentique et ferme propos de pénitence,mais de quelque chose de trouble, de quelque chose qui pouvaitêtre, en dessous, profondément répréhensible.

C’est ainsi qu’Hester Prynne arriva à jouer unrôle dans le monde. Le monde ne pouvait guère, en effet, écarterabsolument une femme douée d’un caractère aussi énergique et de sirares capacités, bien qu’il l’eût marquée d’un signe plusintolérable pour un cœur de femme que celui qui stigmatisa le frontde Caïn[43]. La société lui demeuraitétrangère ; il n’y avait rien dans ses rapports avec elle quilui donnât jamais le sentiment d’en faire partie. Chaque mot,chaque parole, le silence même de ceux qu’elle approchaitimpliquaient, voire souvent exprimaient qu’elle était bannie, toutaussi seule que si elle avait habité une autre sphère ou communiquéavec la nature à l’aide d’organes et de sens différents de ceux dureste de l’humanité. Elle était à part des questions morales ettout près d’elles cependant – tel un fantôme qui revient visiter lecoin de feu familier mais ne peut plus faire voir ni sentir saprésence. Il ne peut pas plus sourire aux joies de ceux qui furentles siens qu’il ne peut prendre part à leurs peines et, s’ilparvenait à manifester cette sympathie qui lui est interdite, iln’éveillerait que terreur et répugnance affreuses. Terreur etrépugnance semblaient être, en fait, avec, en plus, un mépris sansmélange, les seuls sentiments qu’Hester pût encore inspirer. Cen’était point l’âge de la délicatesse et sa situation, quoiqu’ellela comprît bien et ne risquât guère de l’oublier, lui était souventvivement remise en conscience, telle une douleur qu’on réveille,par une pression brutale sur l’endroit sensible. Les pauvresqu’elle s’efforçait de secourir l’injuriaient souvent, ainsi quenous l’avons dit. Les dames de haut rang, dont elle franchissaitles portes pour son travail, avaient coutume de distiller en soncœur des gouttes d’amertume, tantôt au moyen de cette alchimie quipermet aux femmes de tirer si méchamment et sans avoir l’air d’ytoucher un subtil poison de n’importe quelle bagatelle, tantôt enlançant un mot cru qui tombait sur la poitrine de la malheureusecomme un coup sur une plaie envenimée. Hester s’était longuementfait la leçon. Elle ne répondait jamais à ces offenses. Seulement,un flot pourpre montait, sans qu’elle y pût rien, à ses joues, pourredescendre ensuite au plus profond de son cœur. Elle étaitpatiente – une martyre en vérité – mais elle omettait de prier pourses ennemis, de crainte qu’en dépit de son désir de pardonner, lesparoles de bénédiction s’allassent obstinément déformer enmalédictions.

C’était continuellement et en mille autresoccasions qu’il lui fallait éprouver les innombrables tourmentsqu’avait prévus pour elle l’implacable sentence du tribunalpuritain. Des clergymen s’arrêtaient dans la rue pour lui adresserdes exhortations qui rassemblaient une foule avec son mélange derictus et de froncements de sourcils autour de la pauvre femmecoupable. Si elle entrait dans un temple, espérant recevoir sa partde sourire que dispense Notre Père à tous, elle avait souvent lamalchance de se voir choisir comme sujet du prêche. Elle en vint àprendre peur des enfants car, sous l’influence de leurs parents,ils étaient tous imprégnés par la vague impression de quelque chosed’horrible dans cette femme triste qui allait silencieusement parla ville, sans avoir jamais avec elle d’autre compagnie que celled’une seule et même enfant. Aussi, après l’avoir laissée passer, lapoursuivaient-ils à distance avec des cris aigus, en répétant unmot qui n’avait pas de signification précise dans leurs esprits,mais n’était pas moins terrible à entendre du fait qu’il étaitinconsciemment babillé. Cela semblait prouver une telle diffusionde sa honte qu’on eût dit que toute la nature en avait eu vent.Hester n’aurait pas été plus bouleversée si les feuilles des arbress’étaient chuchoté cette sombre histoire les unes aux autres, si labrise d’été l’avait murmurée, si la bise d’hiver l’avait criée touthaut ! Une autre torture encore lui était infligée par lesregards d’un œil nouveau.

Quand les étrangers regardaient avec curiosité– et nul d’entre eux jamais n’y manqua – la lettre écarlate, ilssemblaient la marquer plus profondément dans l’âme d’Hester. Sibien qu’elle pouvait souvent à peine s’empêcher – mais elle s’enempêcha cependant toujours – de couvrir ce symbole de sa main. Maisun œil bien connu avait, lui aussi, sa torture à infliger – sontranquille regard de familiarité était intolérable. Du commencementà la fin, Hester devait toujours éprouver un épouvantable suppliceen sentant un regard humain se poser sur le signe de sahonte ; l’endroit ne s’endurcit jamais, il parut, aucontraire, devenir plus sensible sous les tourments quotidiens.

Mais de temps à autre, une fois en plusieursjours ou peut-être en plusieurs mois, un des regards lancés à lamarque infamante semblait lui apporter un soulagement momentané,comme si le lot d’un autre était de partager un supplice qui setrouvait ainsi allégé de moitié. L’instant d’après, son sortl’accablait derechef de tout son poids, voire plus cruellementencore car, durant ce bref intervalle, Hester avait succombé denouveau au mal. Était-elle la seule à avoir péché ?

Son imagination était quelque peu affectée –et l’imagination d’une personne à la fibre morale et intellectuelleplus faible l’eût été bien davantage encore – par l’étrangetourment et l’isolement de sa vie. Allant et venant de son passolitaire par le petit univers auquel elle était extérieurementrattachée, il lui semblait – et s’il ne s’agissait que d’uneillusion, elle était trop puissante pour se laisser écarter – illui semblait que la lettre écarlate l’avait dotée d’un sensnouveau, d’une connaissance intuitive (elle frissonnait de nepouvoir s’empêcher de le croire) des péchés que d’autres cachaienten leurs cœurs.

Les révélations qui lui étaient ainsi faitesla frappaient d’épouvante. D’où provenaient-elles !Pouvaient-elles être autre chose que d’insidieux chuchotements deson mauvais ange qui aurait bien voulu la persuader, elle qui sedébattait encore, qui n’était encore qu’à moitié sa victime, quetoute apparence de pureté n’était que mensonge ? Que si lavérité avait éclaté partout, une lettre écarlate aurait flamboyésur bien d’autres poitrines que sur celle d’Hester Prynne ? Oufallait-il accepter ces suggestions si obscures et pourtant sinettes comme des vérités ? Rien dans tout son misérable sortn’était plus abominable, plus odieux pour Hester, que ce don depseudo-clairvoyance. Il la bouleversait, la choquait parl’irrévérencieux manque d’à-propos de ses manifestations. Parfoisla marque rouge sur sa poitrine palpitait comme par sympathiecependant que la route d’Hester croisait celle d’un pasteur ou d’unmagistrat vénérable, modèle de piété et d’équité que cet âge, portéau respect, considérait comme un frère des anges. « Qu’est-cedonc que j’approche de mal ? » se demandait Hester et,levant les yeux à regret, elle ne voyait personne, à part ce saintterrestre ! Une autre fois, un lien de fraternité mystérieuses’entêtait à prétendre se révéler cependant que le regard d’Hesterrencontrait le regard sévère d’une matrone qui, d’après toutes leslangues de la ville, se serait gardée aussi froide que neige toutau long de sa vie. Que pouvaient avoir de commun cette neigeconservée froide dans la poitrine d’une épouse irréprochable etl’infamie qui brûlait la poitrine d’Hester ? Ou bien la petitesecousse bien connue lui lançait encore son avertissement :« Regarde, Hester ! Une compagne ! » Et, levantles yeux, elle apercevait une jouvencelle qui timidement, à ladérobée, jetait à la lettre écarlate un coup d’œil qu’elledétournait bien vite, glaciale, avec, aux joues, une faible rougeurcomme si sa pureté avait été un instant ternie par ce coup d’œil. Ôdémon qui prenais pour talisman le fatal symbole, ne laissais-tudonc personne, jeune ou vieux, que cette pauvre pécheresse pûtvénérer ? Pareille perte de foi est une des plus tristesconséquences du péché. Qu’on voie la preuve que tout n’était pascorrompu en cette pauvre victime de sa propre faiblesse dans lefait qu’elle luttait encore pour croire qu’aucun de ses compagnonsd’ici-bas n’était aussi coupable qu’elle.

Le vulgaire qui apportait toujours, en cessombres vieilles époques, sa contribution d’horreur et de grotesqueà ce qui intéressait son imagination, contait, au sujet de lalettre écarlate, une histoire qui pourrait aisément devenir lesujet d’une légende terrifiante. Il affirmait que cette marquesymbolique n’était point un bout d’étoffe passé au pot de teinture,mais qu’elle avait été rougie au feu de l’enfer et qu’on la pouvaitvoir rutiler lorsque Hester Prynne sortait la nuit. Et ellecorrodait la poitrine d’Hester assez profondément pour que nousnous voyions forcés de reconnaître qu’il y avait plus de véritédans ces rumeurs que notre incrédulité moderne n’est portée àl’admettre.

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