La maison du péril AGATHA CHRISTIE

Nick laissa échapper un cri.

— C’est faux… entièrement faux !

Levant une main accusatrice vers la jeune fille, Poirot s’écria :

— Voici le personnage « K » ! C’est Mlle Nick qui a tué sa propre cousine, Maggie Buckley.

— Êtes-vous devenu fou ? hurla Nick. Pourquoi aurais-je tué Maggie ?

— Pour hériter de la fortune que lui a laissée Michel Seton ! Elle aussi s’appelait Magdala Buckley. L’aviateur était fiancé avec elle et non avec vous !

— Vous… vous…

Elle tremblait comme une feuille, incapable de proférer un mot.

Poirot se tourna vers Japp.

— Avez-vous avisé le bureau de police ?

— Oui, les policiers attendent dans le vestibule. Ils ont apporté avec eux le mandat d’arrêt.

— Vous êtes tous fous à lier ! s’écria de nouveau Nick, d’une voix pleine de mépris.

Elle se précipita vers Frederica.

— Freddie, donnez-moi, en souvenir, votre montre-bracelet, voulez-vous ?

Lentement Frederica détacha sa montre rehaussée de pierres précieuses et la remit à Nick.

— Merci. Et maintenant subissons, jusqu’au bout, cette comédie profondément grotesque.

— Ah ! oui ! La comédie projetée par vous et montée pour la « Maison du Péril. » Permettez-moi de vous dire, Mademoiselle, que vous n’auriez jamais dû en confier le rôle de vedette à Hercule Poirot. Vous avez commis là une erreur, Mademoiselle… une très grave erreur.

Nick sortit, accompagnée de Japp.

CHAPITRE XXII

LA FIN DE L’HISTOIRE

— Désirez-vous que je m’explique ?

Poirot promena son regard autour de lui, avec un sourire satisfait et son air de feinte modestie.

Nous nous étions retirés dans le salon. Les domestiques s’étaient éloignés discrètement, et les Croft avaient été priés d’accompagner les policiers. Seuls Frederica, Lazarus, Challenger, Vyse et moi-même restions présents.

— Eh bien, j’avoue avoir été roulé de façon absolue. La petite Nick m’a eu comme elle a voulu. Vous aviez raison, Madame, de m’avertir que votre amie était une habile petite menteuse !

— Nick n’a fait que mentir dans sa vie, dit Frederica avec calme ; voilà pourquoi je n’ai jamais attaché la moindre créance à ses extraordinaires récits d’attentats.

— Et moi, pauvre imbécile, je les avalais !

— Ils étaient donc tous faux ? demandai-je encore incrédule, je l’avoue.

— Oui, elle les inventait de toutes pièces, de manière à créer une atmosphère autour d’elle.

— Comment cela ?

— On était ainsi tenté de croire sa vie en danger. Je vais, si vous le voulez bien, remonter un peu plus loin dans le passé, d’après les renseignements que j’ai pu rassembler sur le compte de Miss Buckley. Jeune et jolie, sans scrupules et fanatiquement éprise de sa demeure.

— Je vous l’avais dit, renforça Charles Vyse.

— Vous ne vous trompiez point. Miss Nick adorait la « Maison du Péril » ; mais, hélas ! elle ne possédait aucune fortune et sa propriété était grevée d’hypothèques. Il lui fallait absolument de l’argent, mais elle ne parvenait pas à s’en procurer. Au hasard d’un séjour au Touquet, elle rencontra le jeune Seton. Elle sait que, selon toute probabilité, il héritera de son oncle, dont la fortune se monte à des millions de livres sterling. Tout va bien pense-t-elle, son étoile commence à briller. Cependant, le jeune homme n’est pas très emballé ; il considère Nick comme une agréable camarade, sans plus. Ils se donnent rendez-vous à Scarborough, Seton emmène Nick à bord de son appareil. Catastrophe ! Le jeune aviateur fait alors la connaissance de Maggie dont il devient éperdument amoureux.

Miss Nick n’en revient pas, elle qui n’avait jamais voulu admettre le moindre charme chez sa cousine ! Toutefois, le jeune Seton en juge tout autrement ; il ne voit que par elle. Ils se fiancent secrètement, une seule personne est mise au courant : Miss Nick, à qui Maggie est ravie de confier son bonheur. Elle va même jusqu’à lui communiquer certaines lettres de son fiancé. C’est ainsi que Nick entend parler du testament. Sur le moment, elle n’y prête aucune attention, mais le fait n’en demeure pas moins dans sa mémoire.

« Puis surviennent successivement la mort inattendue de sir Matthew Seton ; puis les nouvelles de la disparition de son neveu, et aussitôt un projet odieux s’échafaude dans l’esprit de notre jeune demoiselle. Seton ignorait que les deux cousines portaient le même prénom, Magdala : d’où le peu de précision apporté dans la rédaction de son testament. Nick ne doute pas un seul instant que pour le commun des mortels Seton est son admirateur : elle est donc certaine de ne point créer de surprise en se disant fiancée à l’aviateur. Néanmoins, pour que la réussite couronne cette épouvantable machination, Maggie doit disparaître.

« Le temps presse. Elle invite Maggie à venir passer quelques jours auprès d’elle. Puis commence la série des « attentats » (le tableau dont elle coupe la corde ; les freins de la voiture qu’elle parvient à fausser ; la roche qui dévale de la falaise, accident possible après tout, la prétendue présence de Nick en bas du chemin, à ce moment précis, n’était que pure invention), voici qu’elle lit mon nom dans les journaux (combien de fois vous ai-je dit, Hastings que tout le monde me connaît) et l’audacieuse pensée lui vint de me choisir comme complice ! La jolie mise en scène de la balle qui traverse le chapeau, laquelle tombe à mes pieds ! Pris au piège, je me pose en défenseur. Je crois au péril qui menace ses jours ! En un mot, elle s’est attachée un témoin de valeur. Je fais admirablement son jeu en insistant pour qu’elle fasse venir une amie auprès d’elle.

« Elle saisit l’occasion et prie sa cousine d’avancer d’un jour son voyage. Désormais, le chemin s’aplanit devant elle. Elle s’absente au cours du dîner et, après avoir appris par T.S.F. la confirmation du décès de Seton, elle met aussitôt son plan à exécution. Elle s’empare des lettres de Seton à Maggie qui serviront le mieux à sa triste cause et les range dans sa chambre. Plus tard, Maggie et Nick quittent le feu d’artifice et rentrent à la maison ; elle commande à sa cousine de revêtir son châle pour ne pas prendre froid, puis, courant subrepticement après elle, elle l’abat d’un coup de revolver. Immédiatement, elle dissimule l’arme dans sa cachette (qu’elle croit ignorée de tout le monde), puis elle monte et attend les événements. Des cris se font entendre. On vient de découvrir le cadavre. Le rôle public de Nick va commencer : elle descend en toute hâte et se précipite dans le jardin. Quelle actrice consommée ! Oui, elle a su créer un beau drame. Ellen me disait l’autre jour qu’elle supposait cette demeure hantée par les esprits du mal. J’inclinerais à la croire. N’est-ce pas cette maison qui l’a inspirée à commettre son crime ?

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