LACHÈS de Platon

SOCRATE.

Il faut donc, en premier lieu, examiner si quelqu’un
de nous est expert dans la chose dont il s’agit, ou s’il ne
l’est pas: s’il y en a un qui le soit, il faut s’en rapporter à
lui, fût-il seul de son avis, et laisser là les autres; et s’il
n’y en a point, il faut en chercher ailleurs; car, Mélésias,
et toi, Lysimaque, pensez-vous qu’il s’agisse ici d’une
chose peu importante, et non du plus précieux de tous
vos biens? C’est de l’éducation que dépend tout le
bonheur des familles; elles prospèrent, selon que les
enfants sont bien ou mal élevés.

MÉLÉSIAS.
Il est vrai.

SOCRATE.
On ne saurait donc apporter ici trop de prudence.

MÉLÉSIAS.
Assurément.

SOCRATE.
Comment ferons-nous donc pour reconnaître lequel de
nous quatre est le plus habile dans ce qui regarde les
exercices? Ne sera-ce pas celui qui les aura appris, qui
s’y sera exercé, et qui aura eu les meilleurs maîtres?

MÉLÉSIAS.
Il me le semble.

SOCRATE.
Et avant cela, ne chercherons-nous pas à savoir ce que

ces maîtres auront eu à lui enseigner?

MÉLÉSIAS.
Que veux-tu dire?

SOCRATE.
Je vais mieux m’expliquer peut-être: il me semble que
nous ne sommes pas convenus d’abord positivement de
la chose sur laquelle nous délibérons, et sur laquelle
nous cherchons lequel de nous est le plus habile ou
a eu les meilleurs maîtres.

NICIAS.
Quoi! Socrate, ne s’agit-il pas de l’exercice des armes; s’il
faut ou non le faire apprendre aux jeunes gens?

SOCRATE.
Certainement, Nicias; mais celui qui examine s’il convient
d’appliquer un remède sur les yeux, crois-tu que l’objet
de son examen soit le remède ou les yeux?

NICIAS.
Ce sont les yeux.

 SOCRATE.

Et quand on examine si l’on doit ou non mettre un mors
à un cheval, ne s’agit-il pas du cheval plutôt que du
mors?

NICIAS.
Sans doute.

SOCRATE.
En un mot, toutes les fois qu’on délibère sur une chose
par occasion et à cause de son rapport avec une autre,
la délibération tombe sur cette dernière, et non pas sur
celle qui s’y rapporte accidentellement.

NICIAS.
Il est vrai.

SOCRATE.
Il faut donc bien examiner si celui qui nous conseille est
habile dans la chose pour laquelle nous le consultons.

NICIAS.
Cela est certain.

SOCRATE.
Et maintenant, nous pouvons dire qu’en délibérant sur
l’art que nous devons faire apprendre à ces jeunes gens,
c’est à leur âme que se rapporte notre délibération.

NICIAS.
Oui.

SOCRATE.
Alors, il faut chercher parmi nous celui qui est habile et
expérimenté dans la conduite d’une âme, et qui a eu
pour cela d’excellents maîtres.

LACHÈS.

Comment, Socrate! n’as-tu jamais vu des gens qui, sans
aucun maître, sont devenus plus habiles en bien des
choses, que d’autres avec tous les maîtres?

SOCRATE.
Oui, Lachès, j’en ai vu; mais ceux-là auraient beau
prétendre qu’ils sont très habiles, jamais tu n’aurais
confiance en eux à moins qu’ils ne t’eussent fait voir
auparavant, non pas un, mais plusieurs ouvrages
bien faits et bien travaillés dans leur art.

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