L’Autre vue

Chapitre 4LE PÉNITENCIER DE POULDERBAUGE

 

Deux vagabonds,

Filous en fleur,

Meschers, mes bons.

Paul Verlaine

 

J’aurai trouvé ma voie. Il y en a quideviennent gardes-malades, frères cellites, sœurs de charité dansles hôpitaux : moi je me suis fait nommer infirmier dans unemaladrerie morale. J’ai le grade de major ou de surveillant dedeuxième classe (douze cents francs de salaire) dans l’École deBienfaisance de Poulderbauge. Cet euphémisme administratif désigneune prison pour de tout jeunes détenus : orphelins sans feu,sans gîte, enfants naturels trouvés ou abandonnés, apprentischômards réduits à la mendicité, au vagabondage, au vol, et mis parles juges à la disposition du gouvernement jusqu’à leur vingt etunième année, en tout six cents enfants, et adolescents.

Quelle consolation de me rendre socialementutile ! Sois béni, mon digne Bergmans qui m’obtins cet emploique je qualifierai de sacerdotal, tant je me sens la vocation d’unrebouteur d’âmes juvéniles. Désormais, mes efforts tendront àmoraliser ces jeunes détenus, à les amender, à les faire rentrerdans la norme et le droit chemin. Je me serais fait envoyer aRuysselède, afin de commencer mon œuvre de conversion par lespetits Zwolu et Cassisme, mais ils auraient peut-être compromis mesprojets en révélant mon passé à mes chefs. Attendons pour lesrevoir et les entreprendre que je sois plus aguerri et que j’aiefait une sorte de stage ici, à Poulderbauge.

– Voyez, leur dirai-je, à ces petiots, je saismoi-même par expérience, ce qu’il en coûte de regimber contrel’ordre et la règle. Combien j’en ai vu mal finir de pauvrets devotre âge ! Soumettez-vous, c’est ce que nous avons de mieux àfaire. Apprenez un bon métier et devenez plus tard des ouvrierslaborieux, sobres, économes, pacifiques, bons serviteurs de lasociété tutélaire.

Ah, je me réjouis à l’idée d’apprivoiser et dedomestiquer ces jeunes fauves, pour leur plus grand bien et pour mapropre rédemption.

D’ailleurs, ici, je me retrouve dans monélément, les figures me rappellent en plus corsé mes faubouriens deBruxelles. Mais si ces jeunes colons me sont chers comme mes élusou, plutôt, mes anathèmes d’autrefois, je travaillerai à leur salutà présent et je les arracherai à la perdition. C’est de grand cœurque je partage la captivité de cette trouble adolescence. Je neregretterai aucun des plaisirs et des spectacles de la vie libre.Jamais je ne me blaserai sur les distractions mélancoliques et lesdevoirs sévères qui m’attendent en ces ateliers, ces chauffoirs etces préaux.

 

Si quelque chose était fait pour m’inquiéter,ce serait précisément ce beau zèle dont je me sens enflammé, cettesorte de volupté que je puise dans l’expiation de mes erreurs.

Est-ce bien une expiation ?…

Aussi, chaque matin, en me levant, je meformule mon programme et je prie :

« Mon Dieu, dispensez-moi la force deremplir mon rôle piaculaire ; ne m’induisez plus en tentation,Seigneur ! Faites que j’abjure pour toujours cet espritd’insubordination et de vanité qui perdit les plus beaux de vosanges ! Accordez-moi, ô Providence, de contempler désormais lacréation et les créatures par les yeux de la commune sagesse !Amen. »

 

Poulderbauge est un vieux château historiqueconverti en pénitencier comme beaucoup d’autres habitationsseigneuriales ou d’abbayes de ce pays. Le corps de bâtimentprincipal, reconstruit au XVIIe siècle, présente encorede jolis morceaux dans le style Louis XIV, notamment son ample toità la Mansard et deux élégants pavillons. De la constructionmédiévale, il ne subsiste qu’un donjon isolé, asile des corbeaux etdes rats, servant parfois de prison à nos pensionnaires dans lescas très graves. À l’ancien manoir se sont ajoutées, à mesure quela colonie florissait (non, plus d’ironie, n’est-ce pas ?),des annexes et des dépendances. L’ensemble de ces édificess’entoure de fossés alimentés par les eaux du Démer. En un endroit,derrière le château, ces fossés s’élargissent jusqu’à représenterun vaste bassin au milieu duquel flotte ce qu’ils appellent unnavire-école. À bord de ce trois-mâts, une centaine d’élèvesmousses s’initient à la manœuvre sous la direction d’un anciencontre maître de la marine royale.

Malgré le vandalisme administratif,l’architecture du château préserve en partie son grand airaristocratique. De l’intérieur, il n’y a rien à dire. Leséternelles salles blanches ou ocres des casernes, des hôpitaux etdes prisons. Le même mobilier sommaire et banal, sans caprice etsans imprévu. Des ergastules à peine plus viciés que les ateliersdes travailleurs libres. Ni tableau, ni gravure. Parfois un Christen plâtre, un Sacré-Cœur en chromo.

Quelques jours avant mon arrivée, aux caissonset aux trumeaux d’un salon décoré autrefois par un élève de Boucheret devenu un réfectoire, la blondeur rosée des déesses et desamours risquait de timides provocations et souriait à travers leshaillons de leur linceul de chaux. Nos polissons reluquaient cesjoliesses. Vite on a requis les badigeonneurs.

Mais la vivante quoique prisonnière jeunessepassionne les maussades locaux, comme elle attendrit et humanise enquelque sorte la solennité du pays d’alentour. Sans nos petitscorrectionnaires, la contrée serait à peu près déserte. Elle devrasa fertilité future à ces défricheurs malgré eux. Et pourtant, noussemblons faire le vide autour de nous. La quarantaine, l’interditse prolonge même au-delà de la tombe : morts, les colons nevont point jusqu’au cimetière du village dont les premiers feux necommencent à s’éparpiller qu’à deux lieues du château. Nos pauvrespetits défunts continuent à être parqués entre eux, comme de leurvivant, dans un coin isolé de la plaine indiqué par unedemi-douzaine de croix noires. Mais la bruyère se charge de fleuriropulemment cette sépulture des jeunes parias et, en toute saison,elle la drape de violet comme pour le deuil des rois[9] !

C’est Anvers et Bruxelles, surtout Bruxelles,qui fournissent le plus de pensionnaires à Poulderbauge. Il nous enarrive de telles rafles qu’on semble les avoir« pressés » dans leurs sentines, comme on recrutaitautrefois les matelots. La brusque métamorphose de ces enfants dupavé en de petits paysans contribua pour beaucoup à l’impressionétrange que j’éprouvai en arrivant ici. La physionomie malicieuseet les allures dégingandées de ces citadins endurcis contrastentavec leur accoutrement de valet de ferme. Même lorsque le plein airles a un peu halés et lorsque le farineux régime alimentaire les alégèrement bouffis, ils ont toujours la mine de paysans plusprécoces et plus raffinés que ne le seraient de véritablesvillageois à leur âge.

En dévisageant les nouveaux venus, jem’attends à voir surgir, parmi ces têtes chiffonnées et pourtant siexpressives et si prenantes, les frimousses de Zwolu et deCassisme. C’est ainsi qu’ils doivent être attifés à Ruysselède. Ilme semble retrouver mes voyous bruxellois un jour de Mardi-Gras oùon me les aurait déguisés en palefreniers, en porchers, en garçonsde charrue, voire en mousses et en pasteurs, d’autant plus que leurchapeau de paille à ruban leur donne un faux air bucolique deberger d’opéra.

Les jours de la semaine, ils portent la mêmeblouse bleue lâche et flottante comme le sarrau desCampinois ; le dimanche, lorsqu’ils en endossent une propre,ils la serrent d’une ceinture noire à boucle de cuivre. Les moussesrenfoncent leur blouse dans leur pantalon. Pour tous, celui-ci estde drap noir les jours de fête et de coutil les autres jours.Généralement, ils ont un foulard rouge au cou.

Leur uniforme, qui n’est pas laid en somme etqui se façonne et s’assouplit assez vite à leurs mouvements, meplaît presque autant aujourd’hui que leurs guenilles de veloursd’autrefois.

 

J’étais à peine installé de quelques joursqu’une première déception m’attendait. Moi qui sollicitai comme unefaveur le droit d’instruire ces pauvrets et qui accourais ici lecœur gros de sympathie et vibrant d’enthousiasme, je m’imaginaisrencontrer parmi mes collègues des êtres disposés aussicharitablement que moi, des sortes d’illuminés et d’apôtres. Pasmoyen de tomber sur des fonctionnaires plus étroitementprofessionnels ! S’ils n’étaient que nuls et apathiques !Mais il y en a de malfaisants et de féroces. D’ancienssous-officiers, épaves et rebuts de l’armée, échouèrent ici aprèsun stage de gardes-chiourme dans les compagnies disciplinaires.Ratés, ils se vengent de leur disgrâce sur le dos des colons.Souvent, à les voir, plus mornes et plus lugubres que leurssouffre-douleurs, j’ai l’impression de me trouver dans unpénitencier de fonctionnaires. Leur uniforme rappelle celui desgabelous. Ils prisent ! Il y en a qui tricotent !…

 

De la gare de Poulderbauge, les boues de lagrande ville sont transportées comme engrais à la colonie par lestombereaux de l’établissement. Nos jeunes gens se disputent leplaisir d’aller prendre livraison de la pouacre marchandise. Celaleur fait quelques heures de liberté. Ils sifflotent gaîment toutle long de la route, car au village ils verront d’autres figures.L’autre matin, un de mes pupilles, que sa bonne conduite avait faitenvoyer là-bas, est abordé à la station par un voyageur élégant quine voyant en lui qu’un petit paysan ordinaire, mais à la mine plusouverte et plus intelligente que celle de la plupart des naturelsde la contrée, lui demande la distance et le chemin jusqu’auchâteau d’un des gros propriétaires. Le jeune homme s’offre àmarcher de conserve avec ce monsieur jusqu’à certain carrefour,d’où il lui sera facile alors de trouver sa route. L’étranger, àqui la physionomie et l’allure du petit reviennent de plus en plus,s’empresse d’accepter, quoique mon gaillard ait cru devoir leprévenir en riant du rebutant charroi qu’il leur faudra escorter.Qu’à cela ne tienne ! Il fait beau ! Excellentepromenade ! C’est aussi l’avis de la noble dame qui accompagnele voyageur. Les voilà prêts à partir, quand arrive dare dare lacalèche armoriée envoyée à la rencontre des hôtes dedistinction ; l’équipage arrête et il en dégringole un larbinqui, tout essoufflé, s’excuse de son retard. Le gentilhommetémoigne le désir de cheminer en profitant de l’obligeance de cejeune paysan qu’il désigne au domestique. Celui-ci reconnaîtl’uniforme pourtant peu saillant du pénitencier dePoulderbauge ; il sent toute l’horreur de la situation et,prenant à part les invités de son maître, il leur explique à quelcicerone ils allaient se confier.

Mine dégoûtée de la dame, confusion dumonsieur, regards distants lancés au réprouvé qui faillit abuser deleur confiance et leur imposer la souillure de son voisinage. Sousses airs de sainte nitouche, Dieu sait quel attentat le polissonmijotait, et ce qu’il aurait entrepris dès qu’ils se seraienttrouvés loin des habitations ! Navrance du petiot frustréd’une occasion de prouver sa gentillesse et son urbanité. Navrancequi me gagne moi-même quand je lui entendis, au retour, le cœurtout gros, la gorge nouée, faire part à ses camarades de l’affrontqui lui avait été infligé. D’aucuns se moquèrent. Cela luiapprendrait à cajoler les bourgeois ! Mais d’autresl’écoutèrent avec commisération et un air de solidarité qui medonna beaucoup à réfléchir. En somme, ce petit fait me confirmedans la bonne opinion que j’entretiens depuis si longtemps sur lefond de cette engeance rebutée. Ces cyniques sont des sensitives.Si l’on se donnait la peine de démêler leur véritable nature, on ypercevrait des nuances d’une telle subtilité, des scrupules siinattendus, des réactions si raffinées qu’à côté d’eux lesreprésentants de notre prétendue élite paraîtraient les butors etles goujats…

 

– Bon. Voilà que ça lui reprend ! diraitBergmans, s’il lisait ceci par dessus mon épaule.

Mieux vaut ne pas me plonger dans cesentrevisions, ne pas y voir trop clair… Ne me suis-je pasprématurément cru guéri ? N’assumais-je pas une tâcheau-dessus de mes forces ? Je me sens plus isolé que jamais. Onne me comprenait point quand je vivais de la vie desvauriens ; on ne comprendrait pas davantage mon ardeur à lesarracher à cette vie subversive. Nul ne les aime, sauf moi qui lesaime trop peut-être. Quoique je me contraigne, une grande partd’indulgence et de sympathie se mêle à la rigide et protectricesollicitude que je devrais leur témoigner…

 

Non, je n’aurais pas dû venir ici. Les raisonsplausibles que je me donnais pour entrer dans cette place d’unetempérature si troublante me cachaient à moi-même des postulationsmomentanément endormies. Moi qui avais peur des brûlures, je mesuis rapproché du feu. Je l’attise en voulant l’éteindre.

Que faire ? Démissionner ? Il en esttemps.

Mieux valait les voir en liberté. Ils metentaient moins.

 

En rêve j’ai revu mes voyous de Bruxelles. Ilsme faisaient des reproches muets que je lisais dans leurs beauxyeux tristes : « Tu te mets donc du côté destourmenteurs ! » me disait Tourlamain. « Parjure…Infidèle ! Judas ! » ajoutaient Zwolu et Cassisme.Et tous étaient aussi morts pour moi que Bugutte.

Leurs tares m’attirent comme certaines bellesplaies intéressent tellement le médecin qu’il les entretiendrait aulieu de les panser. Aussi, quand il m’arrive à présent de leurfaire de la morale, mon cœur ne monte plus à mes lèvres :I cannot heave my heart into my mouth.

 

Ô Jésus, qui frayais de préférence avec leshommes et les femmes de mauvaise vie, viens, ah viens à monaide !… Mais n’est-ce pas blasphémer ton fils, ô mon Dieu, quede me recommander ainsi de son exemple et de lui attribuer mesprédilections ? N’importe, Seigneur, entendez-moi. Je vouscrie pitié et au secours !

 

Le Ciel se montre sourd à ma détresse. Mamorale redevient conforme à mon esthétique et rien de ce qui meparaît beau ne me paraît mal.

 

Retournant à mes convictions premières, j’enarrive à me dire qu’en s’améliorant dans le sens souhaité par lanorme tous ces sauvageons dégénéreraient et seraient diminués. Jepense et je vois de nouveau comme autrefois. Cessai-je jamais devoir ainsi ? Ne voulus-je m’en faire accroire àmoi-même ?

 

Oui, c’est autrefois que j’étais dans le vrai,du moins en ce qui me concerne ; oui, j’avais raison contreBergmans et les autres. Il aurait fallu un miracle pour me guérirde mon prétendu daltonisme et me donner leurs yeux et leurs sens.Dieu m’a refusé cette grâce : il ne me reste donc qu’àdemeurer loyalement tel qu’il me créa.

 

Pour commencer, ne songeons plus à convertirmes pupilles malgré eux et surtout malgré moi.

Leur conversion équivaudrait à une déchéance.D’un loup on ne tirera jamais un chien. Je fuyais toujours lescirques et les ménageries où la foule se moque des animaux sauvagescontraints à imiter nos simagrées. C’est cependant à pareilsexercices que nous dressons les voyous encagés !

 

Au commencement de mon séjour à Poulderbauge,j’enviais l’aumônier. J’aurais voulu prendre sa place au prône etleur raconter de balsamiques paraboles. Mais jamais je ne luientendis prononcer la parole appropriée à ces souffrantes ouailles.Ce pasteur n’est pas méchant, bien au contraire ; mais ici, ilfaudrait mieux qu’un bonhomme. Il lui manque le feu sacré,l’étincelle d’amour divin qui réchaufferait et illuminerait cesexistences troubles et honnies.

 

Puisque Dieu ne leur parle pas, c’est donc audiable à les aimer !

 

Autre vue, autre vie ? Oui et non. Autrevie intérieure, soit, mais pour le reste il me faut consentir auxgestes du nombre. Ce n’est même qu’à ce prix qu’il me sera permisde vivre, de voir !

 

Jusqu’à présent, je me garde de laisserparaître à mes élèves ce qui se passe en moi. Je continue à leurinculquer des préceptes conformes aux intentions du législateur. Jeme ménage un continuel alibi.

Plus d’une fois cependant, je fus sur le pointde me trahir et de me moquer à haute voix de ce que je suis tenu deleur enseigner.

Si je m’écoutais, en fait de théorie, je mebornerais à les prémunir contre la raison du plus fort ; jeleur inspirerais la peur salutaire du magistrat et dugendarme ; je leur apprendrais à éluder la loi et à endormirla vigilance de la police. Ainsi les louves dressent leurslouveteaux à dépister les traqueurs, à reconnaître les pièges, à nemarauder qu’a la faveur des ténèbres. Machiavel écrivit son livredu Prince, le livre du Voyou est encore àécrire.

 

C’en est fait. Il m’a été impossible defeindre plus longtemps ; du moins avec ceux de ma race.

L’un de mes élèves, le petit Warrè, unespiègle bruxellois de dix-sept ans, qui m’est encore plus cher queles autres à cause de sa ressemblance avec le pauvre Zwolu et quifut le héros de l’aventure de l’autre jour à la gare, s’amusait àlâcher des hannetons dans la classe pendant la leçon de géographie.Ayant pris mon farceur sur le fait, je me bornai pour le moment àouvrir les fenêtres et à rendre la volée aux bourdonnantesbestioles. Après le cours, je fis toutefois comparaître le coupabledevant moi :

– Ah ! vous voilà ! l’interpellai-jed’un ton bourru. Que diriez-vous si je vous faisais mettre aucachot et au pain sec ?… Vous connaissez les autrescorrections plus cruelles encore prévues par le règlement ?…En vous croyant très fort et très malin, vous avez agi on ne peutplus sottement. Avouez-le donc. Tout cela pour poser devant lagalerie, pour faire le crâne afin que les camarades se trémoussenten disant : « Quel gaillard, hein ? » Eh bienil est propre à présent, le gaillard !

Je le considérais quelque temps en silencecomme pour jouir de sa confusion, puis je repris :

– À propos, ne faisais-tu point partie l’autrejour du piquet de punition qui était en train d’écobuer la bruyèrede l’autre côté du village ?… Oui, plus je te regarde et plusje suis certain de mon fait… Tu te souviendras alors que tout àcoup notre attention à tous fut attirée par cet épervier qui, aprèsavoir décrit des cercles concentriques de plus en plus étroits ense rapprochant d’un de nos malheureux pigeons que son essorsurplombait, finit par s’abattre sur sa victime qu’il emportavictorieusement dans ses serres à l’autre bout de l’horizon où ildécrut jusqu’à ne plus représenter qu’un point imperceptible avantde disparaître pour de bon !

Hein, avec quelle adresse, quelle grâcemajestueuse notre rapace avait procédé ? Il enveloppait lapitoyable bestiole dans ses spirales comme dans des passes demagnétiseur.

Vous autres, vous aviez abandonné vos brûliset, appuyés sur la poignée de vos bêches, le nez levé, vous neperdiez pas une des péripéties de ce drame aérien.

Un instant, m’étant avisé de vous observer, ettoi, tout particulièrement, je vis tes narines frétiller et tesyeux s’illuminer sous l’influence de je ne sais quelle convoitise.Ma parole, il y avait aussi de l’oiseau de proie dans tesregards ! Oh, ne fais pas signe que non. Pourquoi, sinon,t’aurais-je associé dans ma pensée à ce déprédateur ?…Conviens plutôt, mon garçon, que tu aurais été déçu de voir lepigeon échapper à son ennemi.

Imagine-toi qu’un des soldats qui vous gardenttoujours, le fusil chargé, quand vous travaillez aux champs, ait eula fantaisie d’envoyer une balle à l’épervier et qu’il l’eûtatteint, ton admiration pour le brigand se serait aussitôt changéeen un vague mépris. Avec tes camarades tu te serais gaussé duravisseur maladroit gisant sur le sol et battant lamentablement desailes, sans parvenir à s’enlever jusqu’à ce que, de sa crosse ou desa bêche, l’un de vous lui eut porté le coup de grâce… Ah, cetépervier risquait gros en venant exercer ses ravages sous le canonde nos fusils, alors que la fumée aromatique des feux d’essartsaurait dû l’avertir de notre présence… N’importe, il a échappé… Queson adresse te serve d’exemple, petit. Sois courageux, soistéméraire, mais sois adroit !… Assure-toi l’impunité ou soisprêt, sinon à supporter stoïquement les conséquences de tesincartades… En d’autres termes, il est beau d’être le rebelle, lelarron, l’oiseau de proie – beaucoup ne sauraient même cesser del’être ! – mais à la condition d’échapper au chasseur… Ne passe faire pincer !… Tout est là !… Allons, va-t’en, et nerecommence plus !… »

Au début de ma mercuriale, le garçon avait eula mine penaude et farouche qu’ils ont tous lorsque, pris endéfaut, ils ne peuvent compter sur aucun ménagement de la part deleurs gardiens.

Instinctivement, Warrè se tenait à distanceplus que respectueuse, cherchant à se garer et à s’effacer de sonmieux, se tortillant à l’avance sous la dégelée, flageolant desjambes, rentrant la tête entre les épaules, portant l’avant-bras etla main crispée devant le visage, afin de parer les coups quipleuvraient sur sa brune tête frisée, posture qui m’avait navrébien des fois, lorsqu’un de mes collègues s’était acquitté devantmoi, avec, une sorte de forfanterie et je ne sais quel sadisme, deses odieuses fonctions de bourreau d’enfants.

Toutefois, aujourd’hui, à mesure que jel’admonestais, le petit se rassura peu à peu ; il se remitd’aplomb, se cala sur ses jambes, releva la tête, se risqua à meregarder entre ses doigts écartés, puis, laissant retomber les brasle long du corps, dans la position dite d’ordonnance, il medévisagea pour de bon, ouvrant même des yeux à la fois lurons etébahis, et un étrange sourire illumina son visage.

Ravi de cette métamorphose graduelle etjouissant de sa surprise, j’avais même prolongé ma harangue et, merappelant l’épervier de l’autre jour, j’avais improvisé cemirifique apologue. (Oh, les évangéliques paraboles, quedeveniez-vous ?)

Quand j’eus fini de parler, l’enfant demeurasur place, me considérant toujours bouche bée, comme s’il neparvenait à en croire ses oreilles, et vaguement penaud, ne sachants’il devait se méfier de mon ironie ou me remercier pour maclémence.

– Eh bien ? lui dis-je encore. Tu m’asentendu… Décampe ! Et plus de gamineries, hein ? Dis-toibien que tous les maîtres ne pensent pas comme moi, ici, sur laportée d’une peccadille et qu’à ma place un autre t’eût étrillé etsavonné de la belle façon… Ne me mets donc jamais dans la péniblealternative de devoir te punir ou d’être frappé moi-même.

Me trompai-je ? Mais il me sembla que lesgrosses lèvres de mon gosse faisaient cette grimace des gens qui seretiennent de pleurer, et je vis, sinon une larme, du moins uncertain brouillard passer devant les claires prunelles de monpreneur de hannetons – ces yeux de la couleur des faînes à lasaison où elles tombent des hêtres, et dont la nuance rappelleaussi celle des élytres des insectes auxquels il devait cetteremontrance ?…

J’eus la délicatesse de me détourner moi-même,pensant avec raison qu’après ce que je lui avais dit de la fiertéet du stoïcisme des aigles, il m’en aurait voulu de l’avoir vu sousl’empire d’un attendrissement.

Quand Warrè s’en fut allé en sifflant et enbattant un entrechat, je fus un peu effrayé de ce que j’avais osélui dire. Mais c’avait été plus fort que moi. Depuis longtemps jesuffoquais. Il fallait me débonder.

Pareille semonce était tout à fait neuve dansce milieu peu favorable au libre examen et à la discussion.

Ébruitées parmi mes collègues mes paroleseussent fait scandale et, en apprenant de quelle façon jecatéchisais mes vauriens, le directeur m’aurait infligé un de cesavertissements après lesquels, en cas de récidive, il n’y a plusque la mise à pied.

Aussi comme je tiens maintenant à rester icicoûte que coûte, je fus sur le point de rappeler mon polisson pourlui recommander le silence.

Mais Warrè était déjà loin et lorsque je lerelançai au préau, il formait le centre d’un rassemblement decamarades avides de connaître ce qui s’était passé entre nous, etqu’il stupéfiait sans doute en leur faisant part des choses inouïesque je lui avais dégoisées.

– Mon affaire est claire, pensais-je. Tout àl’heure, le chef saura de quelle façon je comprends mon rôled’éducateur !

Et je me préparais à la catastrophe.

À ma grande surprise, la journée s’écoula sansque le directeur m’eût mandé auprès de lui.

 

Le lendemain, lorsque j’entrepris ma rondehabituelle dans les ateliers, je me vis l’objet d’une curiositégénérale de la part des apprentis.

Ma première apparition n’avait point provoquésensation pareille. Généralement, il suffit de l’entrée d’unsurveillant pour que tous affectent de coller le nez sur leurouvrage et, s’ils se risquent à regarder l’importun, c’est d’endessous, quitte à le narguer et à échanger entre eux des œilladesmoqueuses et des gestes d’exécration quand il aura le dostourné.

Or, cette fois toutes les têtes penchées surles métiers ou les établis se relevèrent presque simultanément,tous les yeux cherchèrent les miens.

Cette façon de me dévisager avec une certainecrânerie mais sans malveillance, ces centaines de prunelles aiguësou moelleuses braquées sur moi me causèrent d’abord un certainmalaise ; Mais devinant aussitôt la raison de cette apparenteeffronterie, loin d’en être intimidé, j’en ressentis au contraireune réelle satisfaction.

Cependant, le rouge devait m’être monté auvisage, mais ce n’était pas la honte ou la pudeur qui chassaient lesang à mon front ; non, c’était bel et bien une boufféed’orgueil comme d’un vin très cordial et très capiteux.

Je vivrais cent ans que je n’oublierai jamaisl’expression, la caresse de toutes ces physionomies. Elles étaientattachantes, quoique un peu sinistres, et me rappelaient autantd’archanges déchus célébrés par Dante, Milton ou Vondel. Mais neleur ressemblais-je pas ?

Et je ne sais quelle énervante moiteur, quelletitillante onction, se mêlait à la buée formée de ces sueurs et deces haleines, quelle électricité, quel magnétisme me pénétrait etm’imprégnait de toutes parts. Je crus défaillir…

Mes jeunes gens se gardèrent de mecompromettre en insistant de façon plus explicite sur l’incidentqui me valait leur muette apologie : ils se dispensèrent mêmeplus tard de faire la moindre allusion en ma présence à ce quis’était passé entre leur camarade et moi. À plus forte raison setinrent-ils à carreau pour n’en rien laisser transpirer dans lecercle des surveillants. Aussi, les aimais-je de plus en plus enraison de leur intelligence, de leur tact et de leur subtilité.

Dès ce moment, nous nous entendîmesimplicitement. À peine un sourire furtif, échangé entre nous,indiquait que nous étions de connivence.

Cette entente tacite ne me suffisant plus, jene tardai pas à leur tenir en cachette des propos aussiincendiaires que mes ouvertures à l’« Espiègle auxHannetons » ; j’en arrivai à provoquer leurs confidenceset à me faire avouer leurs antécédents aussi bien que leursaspirations, leurs projets pour l’avenir, leurs penséesintimes.

Puisqu’ils avaient deviné que j’étais presquedes leurs, que j’embrassais leur cause et prenais leur parti, je memis à les confesser, à extraire leurs professions de foi,m’oubliant dans d’insidieuses conversations et prenant à cesentretiens où tous cherchaient à briller et où, pour ma part, jerenchérissais encore sur leur subversion, le plaisir que Socrategoûtait à faire dialoguer les Charmide, les Lysis, et les Phèdresuspendus, comme nous les montre Platon, aux lèvres de leurprofesseur.

 

C’est donc entre mes deux cents disciples etmoi une sorte de franc-maçonnerie.

Je ne cesse de me dire que cela finira mal. Ilme revient des scrupules. N’est-ce pas un abus de confiance que jecommets ? la loyauté me commanderait de fuir.

Mais, l’instant d’après, je m’absous et ne mereconnais de devoirs qu’envers ces malheureux. Ils me touchentd’autrement près que ceux qui les gardent. Ils ont raison. Leursvues sont les miennes. Partir, serait déserter.

Les ombres de Bugutte et des autres me sontredevenues fraternelles.

 

Puis, me dis-je non sans une joie perverse, dequoi leurs éducateurs (parlons-en !) auraient-ils à seplaindre ? Mes pupilles travaillent et se tiennent cois. Quevoudrait-on de plus ? Jamais aucun désordre ne se produit enma présence. Ils se chargent eux-mêmes de la police, il en cuiraitau fauteur de troubles.

Ce calme ne fait pas le compte de mescollègues.

Rien ne rend clairvoyant comme la malveillanceet quoique je ne leur offre aucune prise, ils doivent se douter enpartie de ma position vis-à-vis des jeunes internés.

Les premières semaines, le directeur, unancien capitaine de l’armée, à la fois un braque et un maniaque,routinier et têtu, ne jurant que par la discipline et lesrèglements, constatait avec un certain plaisir l’ordre quej’obtenais dans mes classes. Mes bons collègues ne tardèrent pas àme desservir auprès de lui et à me mettre en suspicion. L’unsurtout, un certain Dobblard, le major ou surveillant de premièreclasse, mon supérieur direct, le type du sous-officier nul, àdemi-lettré, péroreur, bel esprit de cabaret, tranchant detout.

La tête en as de pique, des cheveux plats, uneforte moustache rousse, camard, des yeux en boule de loto, lespattes velues, bancroche, plus rébarbatif encore que les autresdans son uniforme pisseux : la première fois que je le vis ilm’inspira une antipathie définitive. Je ne tardai pas à m’en faireun ennemi, n’étant point parvenu à dissimuler mon dégoût pour sesfanfaronnades, ses gueulées, sa fausse bonhomie, son étalaged’ordures, son composé de goujat et de pleutre, de cynique et decafard. Sous des dehors paternes, il n’existe pas de tortionnaireplus ingénieux.

Il me hait, mais je ne laisse pas de luiimposer par mon flegme et ma politesse ; je l’exaspère, maisje le tiens à distance. N’osant s’en prendre directement à moi, ilme dénigre et, s’étant aperçu que je ménageais mes pupilles, pourm’atteindre il redouble de brimades et de brutalités à leurégard.

– Je les ferai crever ! ne cesse-t-il derépéter en me lançant des regards menaçants.

 

Ah, le cœur me saigne à entendre les cris etles pleurs qui m’arrivent des cachots ; le bruit étouffé, larumeur sourde et mate comme de ballots qui s’écroulent, tapagesuggestif qui fait dire aux autres surveillants : « Bon,notre tapissier bat ses matelas ! » De là, cesobriquet : le Tapissier.

Et je songe à ces épaules lacérées, à cescroupes mises à sang. Le hideux sourire, quand il retrousse sesmanches, qu’il ôte sa tunique ou qu’il la remet, avec le soupir desoulagement du peinard qui a fini la corvée ! Il pousse laprovocation jusqu’à se rajuster et se prélasser devant moi, en sepourléchant presque les lèvres, à la façon des félins momentanémentassouvis. Il s’amuse aussi à me renvoyer les patients aprèsl’exécution. Ils m’arrivent les yeux cernés et injectés, aphones àforce d’avoir crié, et ils se traînent en se tâtant aux endroitsendoloris.

 

Si j’ai pensé intervenir ! Eux-mêmesm’engagent à n’en rien faire. Ce serait infailliblement les vouer àplus de sévices, outre que je me ferais flanquer à la porte, car ila soin de toujours mettre le règlement de son côté : il nedépasse point la mesure, il sait jusqu’à quel point il peutopérer ; d’ailleurs le directeur lui donne carte blanche.

Mes élèves me calment donc et, réciproquement,je les exhorte au stoïcisme. Toutefois, il y a des moments où jeles vois changer de couleur : ils m’interrogent des yeux,battent des paupières, se mordent les lèvres, crissent desdents ; ils cillent d’inquiétante façon ; je les sensbouillir ; la même buée rouge passe devant nos yeux, le mêmetocsin bourdonne à nos oreilles.

Un mot, un signe et ils se rueraient.

– Non, non, leur dis-je. Pas de ça ! Vousvous feriez fusiller ! Plus tard ! quand vous serezlibres ! Et soyez plus malins alors que Bugutte etDolf !…

 

Ayant conscience de ma sollicitude plus grandepour Warrè, c’est lui surtout que « cherche » ceDobblard. Toutefois, il n’ose le molester et il se borne àl’accabler de corvées. S’il poussait les brutalités aussi loinqu’avec les autres, je répondrais plus de moi !

Hier, au moment de l’entrée dans ma classe, leTapissier se présente de son air important et renfrogné :

– Où est le 118 ? (le numéro de Warrè),j’ai besoin de lui.

Et ayant avisé mon garçon dans la file, ill’aborde, le saisit par le bras, non sans le pincer, selon sonhabitude.

Cette fois je m’interpose :

– C’est l’heure de la leçon d’arithmétique. Le118 restera avec nous.

– On demande un vidangeur pour transporter destinettes. Ça le connaît.

– Pardon, je le retiens. Si l’équipe de laferme ne suffit pas, réquisitionnez le peloton de corvée.

– Quand je vous dis que c’est le 118 qu’il mefaut. Vas-tu t’amener, toi ? Allons… Houste !

– Reste ici, petit !

En me plaçant entre Dobblard et Warrè, jepousse même l’adolescent dans la classe. Il ne ferait pas bon pourle garde-chiourme de recourir à la force. Il s’en doute.

– Petit !… Petit !… chantonne-t-il,blême de colère rentrée. Ne dirait-on pas, ma parole, que Monsieurs’adresse à des chouchous de bonne famille qu’on élève à labrochette ?

La mine trigaude du drôle indiquait mêmel’envie d’expectorer des propos ignobles. Il a la gorge et le becfaits à cela. Mais la peur le retient et il se contente de remâcherses ordures avec sa chique. Je ne devais pas avoir l’air des plusendurants et il me savait homme à lui faire rentrer sesinsinuations dans la gorge. Puis, certain article du règlementporte : « toute parole déshonnête tenue par unsurveillant devant les colons entraîne la privation d’un mois detraitement. »

La brute jugea donc prudent de filer doux etde se mettre en quête d’un autre gadouard.

 

Le soir, après le coucher des pensionnaires,se tient une réunion sous la présidence de M. Toussaint, ledirecteur. Les surveillants lui présentent leur rapport sur lajournée et lui soumettent les punitions.

Les autres avaient lu leurs martyrologesrespectifs. Mon tour arriva.

– Monsieur Laurent Paridael ? (monsupérieur et mes égaux me donnent du Monsieur long comme lebras.)

– Néant, monsieur le Directeur.

– Néant ? Que voulez-vous dire ?

– Mon carnet est vierge de punitions.

– Comment ! Quand la journée d’hier a étéparticulièrement effervescente dans toutes les classes, la vôtrequi compte les plus fieffés garnements aurait faitexception ?… Pas possible !

– C’est pourtant comme j’ai l’honneur de vousle dire, monsieur le Directeur.

Le Toussaint pince une moue incrédule etdésobligée. Un regard qu’il échange avec Dobblard ne m’échappepoint. Toutefois, il passa outre pour le moment et l’on abordad’autres sujets.

Mais, après la séance, il me retint quand lesautres se furent retirés.

– Ah çà, monsieur Paridael, ne seriez-vous pastrop bon ? N’oubliez-vous pas où vous vous trouvez ?…Tenez-vous les yeux bien ouverts et faites-vous preuve desuffisamment de vigilance et d’autorité ?… Voyons, là, entrenous, vous ne prétendrez pas que, dans une section de deux centsvauriens, il ne se soit pas produit de toute la journée un seul casd’insubordination ou un autre manquement. Nous avons affaire à desnatures vicieuses que les temps d’orage énervent toutparticulièrement… N’avez-vous rien surpris ?… Pas de gestes,de chuchotements ?… Hum ! Hum !

Il se passa les doigts dans ses côtelettestaillées à l’anglaise et il baissa la voix :

– Savez-vous bien que votre prédécesseurdécouvrit un jour que les polissons s’arrangeaient pour manger dansla gamelle l’un de l’autre ?

– Manger dans la gamelle l’un de l’autre,Monsieur ! me récriai-je en gardant mon sérieux. Quelleindécence !

– N’est-ce pas ! Vous voyez donc de quoiils sont capable !… Êtes-vous sûr qu’ils ne correspondentpoint entre eux… Nos archives contiennent des liasses de lettres…Effroyables !…

– Absolument rien, monsieur le Directeur.

– Vraiment ?

Après une pause, M. Toussaint reprit surun ton sévère et dépité :

– Permettez-moi, Monsieur, de douter d’uneconduite si irréprochable de la part de vos élèves. Ce serait àcroire, ma parole, que nous ne nous trouvons plus dans unpénitencier, mais bien dans un pensionnat ordinaire ! Pas unepunition de toute la semaine ! Ouais ! De ce train nouspourrons bientôt fermer boutique et licencier notre monde…Voyez-vous les petits saints ! Comme ils parviennent à vousdonner le change… Mais je les connais mieux, mon jeune ami.Fiez-vous en à ma vieille expérience. Ils sont capables de tout.Aussi, je vous engage à redoubler de surveillance et desévérité !

D’ailleurs, depuis qu’ils vous sont confiés,je leur trouve un air dispos, presque guilleret qui ne me dit rienqui vaille et qui détonne absolument dans le cadre de cette maison…Attention, monsieur Paridael, vos élèves se montrent tropgais ! Il n’est pas admissible que l’on se réjouisse à cepoint dans un pénitencier.

Après un autre arrêt, ayant toussoté ettourmenté de nouveau ses favoris de maître d’hôtel :

– Il m’est revenu aussi, Monsieur…,c’est-à-dire j’ai eu l’occasion de constater moi-même que vousétiez trop familier avec cette graine de larrons…

Quoiqu’il se fût repris, je devinais d’oùpartait le coup :

– Trop familier, monsieur leDirecteur ?

– Mais oui. Encore une fois, mettez-vous biendans la tête que nous avons affaire à des malfaiteurs précoces, àdes natures perverses, affligées déjà d’un casier judiciaire, à devéritables récidivistes, et, dans ces conditions, il importe des’adresser à eux de façon à les rappeler à l’exacte conscience deleur situation. Les désigner par leur nom, en admettant qu’ils enaient un, c’est déjà leur témoigner trop de condescendance ;il suffit de les désigner par leur numéro matricule. « Numéroun tel, ici ! Numéros vingt, vingt-quatre, attention ! Ousimplement vingt… vingt-quatre… » Vous ne sauriez être troplaconique… À plus forte raison ; Monsieur, vous m’obligerez,dorénavant, en ne caressant plus ces jeunes drôles d’uneappellation familière telles que : mon garçon, mon petit, monami, mon enfant… Je passe cette manière de leur parler, tout auplus à l’aumônier, quand ils vont à confesse ou lorsqu’il luiarrive de les prendre à part pour les catéchiser. Mais en public,devant leurs camarades, jamais ! Vous m’entendez, Monsieur.Entretenez votre prestige ! Il s’agit de leur inspirer durespect et même de la crainte ! Pour peu qu’on les yencourage, ces pierrots viendraient bientôt vous manger dans lamain. Ma parole, ils finiraient par vous prendre pour un desleurs !…

Brave Monsieur Toussaint, si je vous disaisqu’ils me prennent depuis longtemps pour un des leurs !

 

M. Toussaint est enragé pêcheur à laligne.

Les fossés et le bassin très poissonneux luifournissent largement de quoi satisfaire sa passion.

La semaine dernière, par de merveilleusesjournées automnales, il a fallu procéder au curage de ces piècesd’eau, opération indispensable que le pêcheur avait toujours remisepar crainte de troubler ses intéressants cyprins.

Ce fut une partie de plaisir pour les colonschargés de ce travail. D’abord, à l’aide de râteaux et de gaffesils extirpèrent les nénufars. Puis ils séparèrent des autres lapartie du fossé à curer en premier lieu, par un batardeau établi aumoyen de sacs remplis de terre calés entre deux cloisonnages et despiquets enfoncés dans le lit de l’étang. Ensuite, pour faire passerles eaux de l’autre côté du barrage, ils s’attelaient par équipes àune pompe à bras qu’ils manœuvraient en chantant afin des’agaillardir et de mieux garder la mesure, et quand le niveaudescendit assez bas, ils achevèrent le vidage en se servantd’écopes ; enfin, leurs outils rencontrant la fange, ilsrecoururent à leurs bêches.

Ils se tenaient, à vingt, pieds nus dans lelit du fossé, de l’eau jusqu’aux mollets. Le pantalon de coutilretroussé par dessus les cuisses ; la vase leur faisait delongs bas noirs et les chemises mouillées collées à leurs torses enmodelaient les pectoraux. Ils piochaient allègrement avec des rireset s’amusaient à envoyer les paquets de bourbe s’abattre sur lesdeux rives avec un bruit de fessées.

Dès la première pompée les poissons avaientémigré dans les eaux voisines, mais il en restait beaucoup, lesplus grosses pièces, qui s’affolaient et sautelaient désespérémentdans cette eau dérisoire. Anxieux pour ses chers poissons,M. Toussaint ordonna de les jeter dans le bief voisin.

La partie devenait de plus en plus amusante.Mes gaillards guettaient les poissons, les cueillaient à la pelleet, d’un coup sec, ils les lançaient par dessus le batardeau,auprès du reste de leur tribu. Mais il fallait de l’œil, del’adresse et surtout de la dextérité. Neuf fois sur dix, labestiole replongeait dans la boue.

Warrè qui se distinguait comme toujours atrouvé mieux. Il renonce à se servir de sa bêche.

– Assez pêché, c’est chasser qu’il faut !Qui veut voir prendre le poisson à la course ?

Ses yeux scrutent la vase. Un bouillonnementrévèle la présence d’un animal en détresse.

– Une carpe !… Et de taille !Là ! Là !

En quelques enjambées, le petit se porte de cecôté. La bête embourbée détale et file tant bien que mal. Warrè lapoursuit dans ses randonnées et ses zigzags : « Viens, macommère… Viens, ma mignonne… Viens, gentil poisson… parici ! »

Il la câline comme il appellerait des poussinset des canetons. Il barbotte, ployé, la croupe en l’air, les mainstrempées dans l’eau, presque à quatre pattes. À tout instant iltrébuche et menace de s’étaler dans la crasse. Un cri de triomphe.« Je la tiens ! » Il ramène en effet sa proie àlui.

Pour mieux s’en assurer, il la presse contresa blouse qu’elle nacre de viscosités. Elle se débat si fort et ils’esclaffe tellement, qu’elle lui glisse entre les doigts au grandébaudissement des camarades.

C’est à recommencer. Courage ! Il lui afallu s’y reprendre à quatre fois avant de s’en emparer pour debon.

Je ne me lassais pas de suivre ses attitudessculpturales. Un moment, une énorme anguille au poing, il mesuggéra quelque jeune jongleur de l’Inde ; surtout que lesoleil couchant brunissait encore son teint hâlé.

J’oublie l’endroit où je me trouve ;l’allégresse a même gagné le Directeur et son entourage degeôliers.

Un seul résiste au charme de cette adorablesuite de gestes athlétiques : Dobblard.

Ne voyant plus de poisson, Warrè se résigne àreprendre sa bêche. Comme il projette une pelletée de margouillisvers la benne, il plaque cet odoriférant tourteau sur la poitrinedu Tapissier. Tout le monde rit. Warrè s’enhardit à partager cettehilarité.

« Je l’ai fait exprès ! » meconfiait-il le lendemain.

Quel atroce regard lui avait lancé legarde-chiourme !

 

C’était le soir, en décembre, il gelait ;je lisais au coin du feu, sous la douce lueur de ma lampe, lorsquedes éclats d’un vilain rire et un bruit d’impétueux arrosagem’appelèrent au dehors.

Et voici ce que je vis à la clarté lunaired’un temps de gel :

Dans le préau, blanc de neige, un adolescentétait nu comme un Saint Jean de l’école italienne. Je reconnusWarrè. Il avait les mains liées derrière le dos. Une cordeentravait ses chevilles.

Dobblard l’avait traîné près d’une bouched’eau et il le tenait sous la douche. Le Tapissier me rappelait cesbourreaux que peignirent Gérard David, Quentin Massys et ThierryBouts. Il promenait méthodiquement, avec sadisme, le jet d’eau surtoutes les parties du corps, à la nuque, aux fossettes du ventre etdes hanches, en s’arrêtent aux endroits les plus sensibles. Iljouissait du frisson, de l’effroi, de la détresse, de cette jeunechair :

– À ton tour de frétiller à présent !… Oùsont-elles les tanches et les carpes gentilles de l’autrefois !… Viens, petit, petit poisson !…

Le misérable parodiait les cajoleries quel’enfant adressait l’autre jour aux poissons deM. Toussaint.

L’eau glaciale devait causer une sensation debrûlure à Warrè. Son corps d’éphèbe se convulsait des pieds à latête. Il claquait des dents, mais il ne poussait pas une plainte.Il regardait son bourreau dans les yeux ; il le bravait, et ily avait encore plus de mépris que d’agonie dans ce regard.

Le Tapissier s’absorbait si voluptueusementdans son œuvre de tortionnaire qu’il ne m’avait pas entendu venir.L’horreur me figeait et je fus quelque temps avant de pouvoirbouger. Puis la foudre ne fulmine pas plus vite que je ne me ruaisur Dobblard. Je le tenais, renversé sous moi, par la gorge ;je lui donnai deux ou trois fois du poing dans le visage ;j’allais l’étrangler, il râlait… En ce moment, je me sentis tiré enarrière par un pan de ma veste. Malgré ses liens, Warrè s’étaittraîné jusqu’à moi ; saisissant l’étoffe entre ses dents, illa secouait afin de me faire lâcher prise :

– Arrêtez, maître… Arrêtez !gémissait-il.

Le pauvre garçon, qui n’avait pas exhalé unsoupir tant que le monstre s’était acharné sur lui, s’alarmait pourson libérateur.

Je devinai ce qui se passait en lui, rien qu’àl’intonation de sa voix : Warrè me voyait jugé, perdu, encagépour la vie !

– De grâce, ne faites pas cela !

Je laissai Dobblard qui gisait sur le sol etqui s’était évanoui de terreur, pour m’occuper de Warrè ; jetranchai ses liens, je ramassai ses vêtements et l’aidai à serhabiller, car il était transi au point de ne plus pouvoir seservir de ses membres.

Et tandis que je n’avais de pensée que pourlui, il continuait à ne se préoccuper que de moi :

– Maître… Maître… Quel malheur ! Vousavez eu tort !

– Devais-je te laisser mourir ?

– Nous sommes habitués à pareils jeux !…Vrai, j’aurais préféré subir cette douche une heure encore que devous savoir compromis à cause de moi… Oui, j’irais au devant d’unetorture triple pour vous garder auprès de nous, vous si bon, vousnotre seul ami. Vous nous réconfortiez tellement que nous enarrivions à ne plus sentir le mal. On vous fera partir à présent…Que deviendrons-nous ?

– Oui, c’est la séparation !… Dieu saitce que ces forcenés se permettront quand je n’y serai plus… Warrè,viens, fuyons ensemble !

Je l’entraînai, il titubait ; je comprisque nous n’irions jamais loin. De désespoir, j’allais le souleveret le prendre sur mon dos mais des gardiens, toute une escouade,étaient accourus aux cris de Dobblard.

Tandis que les uns relevaient leur collèguequi était revenu à lui et qui hurlait comme un chien écrasé, lesautres me maîtrisaient et s’étaient saisis du jeune homme. Jevoulus leur raconter ce qui s’était passé, mais je m’arrêtai courtdès les premiers mots. À quoi bon ? Leur religion était faite.Ils nous lançaient des regards de réprobation et hochaient la tête.N’étais-je pas l’ennemi ?

– Demain, je m’expliquerai devant ledirecteur ! leur dis-je, et, me rapprochant deWarrè :

– En attendant allons nous coucher, monenfant !

Je m’offris de le conduire jusqu’à lachambrée. Ils ne l’entendirent pas ainsi. Malgré mes protestations,ils s’obstinèrent à le rejeter dans le cachot d’où le Tapissier nel’avait extrait que pour le soumettre à ses inventionsd’inquisiteur.

Ils nous entraînèrent chacun de notre côté. Unmême pressentiment nous étreignit le cœur. Nous reverrions-nousencore ? Nous aurions tant voulu nous embrasser, une première,une fois suprême. Nos lèvres se voulaient. Les miennes surtoutaspiraient à déposer sur la bouche du jeune réprouvé mon baiserd’adieu à toute la prisonnée.

Nous nous tendions les bras. Les guichetiersemportèrent rapidement Warrè sous le porche menant au quartiercellulaire. Nous avions échangé un regard dans lequel nous mîmestout ce que nous éprouvions de dévorante solidarité humaine.

Le lendemain, dès la première heure, avant ledéjeuner et les ablutions je fus appelé par M. Toussaint.

L’affaire n’a pas fait un pli. On me révoque,on me chasse. Ils m’inquiéteraient même s’ils ne craignaient unpublic, un scandale qui attirerait l’attention de la presse surcette colonie de… bienfaisance.

– Ah ! Monsieur, combien je me suistrompé sur votre compte, me dit le Directeur. Vous partirezimmédiatement. Votre bagage a été chargé sur ma carriole qui vousconduira à la gare.

Il tira sa montre :

– Le train part à dix heures ; il esttemps.

– J’aurais voulu prendre congé des enfants,…pardon des numéros…

– Il ne manque plus que ça ! Sans douteafin de les encourager dans cet esprit d’insubordination hypocriteque vous leur avez inculqué et, peut-être même, pour jouer votreva-tout et les exciter ouvertement à des extrémités.

– Au contraire, Monsieur, pour les exhorter àl’obéissance… Peut-être cette démarche ne serait-elle pas inutilesi j’en crois un vague pressentiment.

– Non, mille fois non. Brisons là !

J’allais, me retirer, lorsqu’un gardien faitirruption, sans frapper, dans le parloir, et toutessoufflé :

– Monsieur le Directeur… Monsieur !…Vite ! Vite !… Les grands se sont révoltés. Ils ont misle feu aux portes des cachots pour délivrer le 118… L’incendiemenace l’aile du château de château… et votre maison… Les banditsse retranchent dans le réfectoire… Ils parlent de tout brûler et detout massacrer si on ne leur rend pas… celui-ci… ce monsieur. Ilshurlent à tue tête : « C’est Paridael qu’il nousfaut !… »

En effet, par dessus les stridences desclairons d’alarme, j’entends mon nom mêlé à des vivats alternantavec des huées et des vociférations.

M. Toussaint, pâle ou plutôt vert, medévisage d’un regard auquel il voudrait sans doute prêter la vertudu couperet de la guillotine :

– C’est ce que nous verrons ! dit-il.

Comme tous les poltrons, il recourra d’embléeaux mesures extrêmes.

– Bien. Les soldats sont déjà sur leslieux ! Leurs fusils sont chargés… Qu’ils y aillentrondement !… Qu’on tire dessus, ferme, dans le tas…

– Monsieur, m’écriai-je, vous n’y pensezpas ! Massacrer ces enfants ! Ah ! ce seraithorrible. Pour l’amour du ciel permettez-moi de me rendre auprèsd’eux. Je réponds de leur soumission. Après, vous ferez de moi ceque vous voudrez.

– Vous ! siffle-t-il. (Quelle menace il ya dans ce vous !) Plût à Dieu que vous n’eussiez jamais misles pieds à Poulderbauge… Allez, hâtez-vous de déguerpir avant quel’on ne songe à vous demander des comptes… Le sang versé retombesur votre tête !

– Plutôt sur la vôtre !

Je me précipite vers la porte, résolu àprofiter de ma liberté pour me joindre à Warrè et à ses camarades,tenter de les sauver ou périr à leur tête.

Mais au moment où je franchis le seuil, leDirecteur, devinant sans doute mes intentions, se ravise, etl’arrivée des autres surveillants lui rendant un peud’audace :

– Arrêtez cet individu ! leurordonne-t-il en me désignant. Il répondra de l’état auquel il aréduit notre pauvre Dobblard, et aussi des malheurs qui vontarriver…

Et avant que je me sois préparé à leuragression, les gardes-chiourme me poussent dans une chambre voisinedont ils verrouillent la porte sur moi.

De là, j’entends redoubler le tumulte. Lescris se rapprochent. Les mutins ne cessent de m’appeler. Il mesemble distinguer la voix de Warrè. Les clairons exécutent unefanfare précipitée comme un hennissement. Un silence. Dessommations.

– Rendez-vous !

– Jamais !

Un crépitement de fusillade. Des cris. Unerecrudescence de furie. Quelques coups de feu encore. Une plainteprolongée. Puis le calme absolu…

Aux détonations, je clame, je crie, je bondiscomme une panthère furieuse contre la porte de chêne massif :elle résisterait au choc d’un bélier ; je ne fais que m’yarracher les ongles et me mettre les doigts en sang. Je me rabatssur la fenêtre ; je casse une vitre, derrière il y a lesbarreaux : toutes ces chambres sont fortifiées comme descellules.

Alors, convaincu de mon impuissance, je melaisse choir, je m’étale de mon long, je me vautre sur les dalles,je mords mon mouchoir, je le réduis en charpie que je mouille delarmes et d’écume.

Quelque chose d’irréparable s’estaccompli.

Ainsi que je l’appris plus tard, serrés deprès par les flammes, sur le point de périr asphyxiés etcarbonisés, les révoltés, au nombre d’une trentaine, se décidèrentà sortir du réfectoire armés de tout ce qui leur tombait sous lesmains : outils, pieds de bancs et d’escabeaux, barres de fer,ferrailles déboulonnées. Ils s’étaient jetés en avant pour forcerles rangs des soldats. Les fusils en descendirent quatre. Warrè, lepremier…

Beaucoup parvinrent aux fossés, lesfranchirent à la nage, et gagnèrent la clef des champs.

Tous furent rattrapés. Au lieu de lesrecueillir, les paysans les livrèrent à Dobblard qui s’était mis àla tête des traqueurs, et à qui cette chasse à l’homme procurait lavolupté de ces bloodhounds ou dogues de sang dressés autrefois parles planteurs à rattraper les nègres fugitifs. Le Directeur ne serésigna à m’élargir que quand tout était fini :

– L’ordre règne, me dit-il avec un sourirepatelin… Vous pouvez partir… Estimez-vous heureux d’avoir étéenfermé. Nous vous avons rendu service !

Et comme je me rebiffe :

– Oh, doucement, du calme ! Il vous enfaudra, Monsieur. Vous le voyez, la violence ne mène à rien de bon.Soumettez-vous, tenez-vous coi, afin que l’on vous oublie… C’est ceque vous avez de mieux à faire !

Et il ajoute :

– Dans leur intérêt autant que dans levôtre !

Malgré mon mépris pour ce valet de la loi, jesens qu’il a raison.

Un instant je rêvais des représaillesformidables. À quoi bon ?

Ils seront toujours les plus forts.

Or, il importe avant tout de vivre ;vivre en marge de la société, mais vivre tout de même. Vivre etvoir ! Voir autrement. Voir à tout prix !…

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