Le doigt du Destin

Chapitre 36Exécution sommaire.

Les brigands furent de retour deux jours plustôt qu’on ne les attendait.

Le captif fut informé de leur arrivée par lesclameurs du dehors. À travers la fenêtre de sa cellule, il aperçutles hommes qui avaient fait partie de l’expédition. Ils avaienttous la mine renfrognée et blasphémaient plus que d’habitude.

Leur razzia projetée avait échoué ; ilsavaient trouvé le district menacé occupé par des soldats. De plus,ils avaient appris qu’une force combinée, venant de Rome et duterritoire napolitain, s’avançait vers la montagne.

Le prisonnier les entendit parler detrahison.

Précisément en face de sa fenêtre se tenaitCorvino dont la physionomie dénotait une disposition d’espritanormale. Il s’emportait contre Popetta et l’accablait, en face desa bande, des plus outrageantes épithètes.

L’une des banditas, sorte de rivale aux yeuxdes brigands, debout auprès du chef, semblait lui souffler sesinvectives et remplir le rôle d’accusateur contre la sposadu capitaine.

Popetta se troublait ; le prisonnier levoyait, sans pouvoir discerner la cause de ce malaise. Tousparlaient si vite et si bruyamment que, fort peu versé encore dansla langue italienne, il ne pouvait saisir le sens de cesvociférations.

Bientôt le colloque changea d’objet. Corvinose séparant de la foule, se dirigea, suivi de deux ou trois séides,vers la cellule.

Un instant après, la porte fut jetée en dedansavec violence et le chef bondit dans la pénombre.

– Signor ! s’écria-t-il d’une voixsifflante et en grinçant des dents, j’apprends qu’on vous aconfortablement traité pendant mon absence. Rien ne vous a manqué,ni confetti, ni rocatti, ni vins fins… Ah !…ni une compagne, non plus, pour charmer votre solitude… unecharmante compagne, n’est-ce pas ? J’ose croire que vous vousêtes bien réjouis !… ha ! ha ! ha !ha !

Ces ricanements convulsifs, ces plaisanteriesaigues résonnèrent comme un glas funèbre aux oreilles duprisonnier. Ils avaient une signification terrible pour lui-même oupour Popetta… peut-être pour tous deux.

– Que voulez-vous dire, capitaineCorvino ? demanda-t-il machinalement.

– Oh ! voyez le jeune innocent,l’agneau sans tache, l’Adonis imberbe ! Ce que je veuxdire ! Ha ! ha ! ha !

Et le capitaine se livra à un nouvel accès degaieté forcée.

À ce moment ses yeux se portèrent sur un objetblanc gisant dans un coin de la Cellule.

– Cospetto ! reprit-il en changeantsubitement d’accent. Qu’est-ce là… Du papier blanc ! Et voicide l’encre et une plume !… Ainsi, signor, vous avez entretenuune correspondance !… Amenez-le au jour, hurla-t-il. Apporteztout !

Et, en poussant un horrible blasphème, ils’élança dans la rue, tandis que deux de ses suivants yentraînaient brutalement le captif. Le troisième portait la feuillede papier – reste du cahier fourni par Popetta – la plume etl’encrier.

La bande se trouvait alors tout entièrerassemblée.

– Camarades ! s’écria le capo, nousavons été trahis pendant notre absence. Voilà ce que nous avonstrouvé dans la cellule du prisonnier, du papier, des plumes et del’encre. Et voyez ! sur ses doigts, des maculations. Il aécrit des lettres pour nous trahir, sans aucun doute !…Fouillez-le !… Peut-être les a-t-il encore !

Le prisonnier fût immédiatement visité avec laplus scrupuleuse attention.

On ne trouva dans ses vêtements qu’une seulelettre, évidemment écrite depuis longtemps. C’était la lettred’introduction au père de Luigi Torreani.

– À qui est-elle adressée ? demandale chef en l’arrachant des mains de son satellite.

– Diavolo ! s’écria-t-il en lisantla suscription ; voici une correspondanceinattendue !

Sans autre délai, il déchira l’enveloppe etparcourut la missive.

Il n’en communiqua pas le contenu à sonentourage ; mais l’expression de sa physionomie prouvaitsuffisamment qu’elle renfermait quelque chose de fort intéressantpour lui. C’était le rictus du tigre qui comprend que sa proie nepeut lui échapper, qu’elle est désormais à portée de sesgriffes.

– Ainsi, signor ! dit-il enreportant ses yeux sur le jeune Anglais, vous m’avez affirmé quevous ne vous connaissiez aucun ami en Italie !…Mensonge ! Vous avez des amis… et des amis riches etpuissants ! Le premier magistrat d’une ville, et, murmura-t-ilironiquement en plaçant ses lèvres contre l’oreille du prisonnier,une très-jolie fille ! Quel malheur que vous n’ayez pas eul’occasion de présenter votre lettre d’introduction !N’importe ! vous pourrez faire sa connaissance… bientôt,peut-être… et ici même, dans la montagne !… La rencontre n’ensera que plus romanesque, signor pittore !

Cette insinuation et le ton satirique aveclequel elle lui fut glissée traversèrent le cœur de Henry Hardingcomme une flèche empoisonnée. D’heure en heure, depuis sacaptivité, son affection pour la sœur de Luigi Torreani avaitgrandi, à mesure que s’effaçait celle qu’il avait éprouvéejusque-là pour Belle Mainwaring.

Écrasé de douleur, il garda un morne silence.Qu’eût-il pu dire, d’ailleurs, en supposant même qu’on lui en eûtlaissé le temps ? Son bourreau fit une pause, comme pourattendre une réponse ; mais il reprit aussitôt en s’adressantà la bande.

– Compagnons ! vous avez sous lesyeux les preuves de la trahison.

– Ne vous étonnez plus si les soldatssont sur nos traces. Il nous reste à découvrir les traîtres.

– Oui, oui ! hurlèrent les brigands.Les traîtres !… qui sont-ils ?… Qu’on nous leslivre !

– Le prisonnier, continua le chef, aécrit une lettre, vous en avez tous la certitude… Elle a étéexpédiée, puisqu’elle ne se trouve pas sur sa personne. A quia-t-elle été adressée ? Qui l’a portée ? Qui lui a fournidu papier, de l’encre et une plume ? C’est ce qu’il fautsavoir.

– Qui est resté pour le garder ?demanda une voix.

– Tomasso, répondirent plusieursautres.

– Tomasso ! Où est Tomasso ?fut la clameur générale.

– Le voici, dit le brigand ens’avançant.

– Réponds !… Est-ce toi qui a faitcela ?

– Fait quoi ?

– Fourni au prisonnier des matériaux pourécrire ?

– Non, répliqua Tomasso avec fermeté.

– Ne perdez pas votre temps à interrogercet homme, s’écria une voix que l’en reconnut pour celle dePopetta. Le coupable, s’il yen a un, c’est moi !

– C’est la vérité ! dit sa rivale enaparté à quelques-uns des membres de la bande. Et elle a tout portéelle-même dans la cellule.

– Silence ! dit le chef d’une voixtonnante qui apaisa sur-le-champ les murmures soulevés par cettedénonciation. Pourquoi as-tu procuré au prisonnier les moyensd’écrire, Cara Popetta ?

– Pour le bien commun, répondit labandita en scandant ces mots, comme si elle cherchait un prétexteplausible.

– Et comment ? crièrent lesbrigands.

– Cospetto ! répliqua l’accusée.Vous ne comprenez pas ! C’est pourtant limpide !

– Parle ! Parle !

– Bueno ! Bueno !…Taisez-vous et je parlerai !

– Nous écoutons.

– Eh bien ! tout comme vous, jedésirais voir l’argent de la riscatta et je ne pensais pasque l’Inglese pût nous le procurer. La lettre qu’il avaitécrite n’était pas assez pressante. Pendant votre absence, n’ayantpas à m’occuper d’autre chose, j’ai obtenu du galantuomod’en écrire une autre. Quel mal y a-t-il à cela ?

– C’est à son père qu’il a écrit, alors,demanda une voix.

– Naturellement, répondit Popetta eninclinant dédaigneusement la tête.

– Comment a-t-elle étéexpédiée ?

– Par la poste, à Rome. Le jeune hommesavait comment la faire parvenir.

– Qui l’a portée à Rome ?

Cette question ne reçut aucune réponse.Popetta s’était détournée, feignant de ne pas l’entendre.

– Compagnons ! dit le chef, cherchezet découvrez quel est celui des hommes laissés ici qui s’estabsenté pendant notre expédition.

La recherche ne fut pas longue. L’accusatricede Popetta désigna immédiatement un brigand.

C’était un blanc-bec, une des nouvellesrecrues de la bande, que l’on n’admettait pas encore au privilègede participer aux razzias.

Le contre examen auquel il fut soumisproduisit bientôt le résultat désiré. Malgré les assurances desecret dont il n’avait pas été avare envers Popetta, il fit uneconfession complète.

Malheureusement pour la femme du chef, ilavait appris à lire ; de plus, il connaissait assezd’arithmétique pour savoir qu’il avait porté deux lettres au lieud’une. Il avoua que l’une d’elles était pour le père du prisonnier.Jusqu’ici Popetta n’avait pas menti.

Ce fut la seconde lettre qui la condamna.Celle-ci avait été adressée au signor Luigi Torreani.

– Entendez-vous ! crièrent plusieursbrigands, quand ce dernier nom tomba des lèvres du dénonciateur etsans faire attention au prénom. Signor Torreani !… le syndicde Val-d’Orno !… Voilà donc pourquoi nous sommes poursuivispar les soldats !… Chacun sait que Francesco Torreani n’ajamais été notre ami.

– Il y a plus encore, fit observer labandita qui voulait absolument prendre la place de l’accusée…Pourquoi tant de déférence pour un prisonnier ?… Pourquoigaver cet Inglese avec des confetti,durosolio, nos meilleures provisions ?… Soyez-en sûrs,compagnons, nous avons été trahis !

Pauvre Popetta ! Son heure avait sonné.Son époux, s’il l’était réellement, venait enfin de trouver cequ’il cherchait depuis longtemps, l’occasion de s’en débarrasser.Il pouvait désormais agir impunément et même avec un semblant dejustice.

Il avait provoqué la crise ; il la vitéclater avec la férocité d’une bête fauve.

– Compagnons, dit-il en masquant sa joiesous une apparence de profonde tristesse. Je n’ai pas besoin devous dire combien il est cruel pour moi d’entendre élever desemblables accusations contre une créature qui m’est si chère, mapropre femme. Il m’est plus cruel encore d’être obligé dereconnaître qu’elles sont justifiées ! Mais nous sommes liésles uns aux autres par une loi auquel nous devons l’obéissance laplus absolue ; autrement, ce serait courir à notredissolution, à notre ruine. Nous avons juré que celui de nous quioserait l’enfreindre serait immédiatement mis à mort… fût-il unfrère, une sœur, une épouse ou une maîtresse… Vous m’avez choisipour votre chef, je veux m’en montrer digne, en vous donnantl’exemple de la soumission à nos règlements.

En prononçant ces derniers mots, Corvinos’élança d’un bond sur Popetta.

Elle poussa une exclamation d’étonnement etd’épouvante, immédiatement suivie d’un cri d’une nature différente,cri aigu de douleur qui s’affaiblit graduellement et s’éteignitenfin dans la mort, au moment où la misérable créature s’affaissasur le sol, un poignard planté jusqu’à la garde dans lapoitrine.

La scène qui suivit défie toute description.Pas une larme de regret, pas un signe d’horreur chez ces sauvages…De la pitié !… quelques-uns en éprouvaient peut-être, mais ilsse gardèrent bien de la témoigner.

Quant au meurtrier, son crime accompli, ilregagna ses quartiers d’un pas tranquille et s’y renferma, parpudeur uniquement, car il était incapable de sentir les aiguillonsdu remords.

Quelques brigands enlevèrent le corps de lavictime et l’enterrèrent dans un ravin voisin, non sans avoirauparavant dépouillé le cadavre de tous ses bijoux étincelants,dépouilles de plus d’une jolie fille de la Campagne.

Le prisonnier, reconduit dans sa cellule, yput réfléchir à son aise sur le drame dont il venait d’être témoin.Le meurtre de la pauvre Popetta lui sembla le présage du sort pluseffroyable encore qui lui était réservé.

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