Le doigt du Destin

Chapitre 34Cara Popetta.

Le prisonnier avait sauté sur ses pieds et setenait debout au centre de sa cellule.

– Ne craignez rien, signorInglese : dit l’étrange visiteuse d’une voix si bassequ’elle semblait un murmure.

En parlant ainsi, elle s’avança à tâtons aumilieu des ténèbres et se trouva bientôt si près que le prisonniersentit un souffle glisser sur son visage, tandis qu’une main seposait doucement sur son épaule.

– Qu’y a-t-il ? demanda-t-il entressaillant, mais non de frayeur.

– Ne craignez rien répéta la voixcaressante. Je ne vous veux aucun mal… Je ne suis qu’une femme…Popetta !… Vous souvenez-vous de moi ?

– Oui, signora. Vous êtes l’épouse duchef Corvino.

– Épouse !… Ah ! si vous disiezesclave, vous seriez plus près de la vérité. N’importe,signor ! cela ne vous intéresse en rien.

Un profond soupir accompagna ces paroles.

Le captif resta silencieux et attendit. Lamain posée sur son épaule était retombée dans le mouvement de reculcausé par sa stupéfaction.

– Vous devez être surpris de me voir lui,dit Popetta avec le langage et le ton d’une grande dame. D’après ceque vous avez vu, vous devez croire que mon cœur est de marbre.Vous avez le droit de penser ainsi.

– Non, répondit le captif, incapable dedéguiser sa surprise ; vous êtes, sans aucun doute, plusmalheureuse que coupable.

– Oui ! oui ! répliqua-t-elleprécipitamment, comme si elle ne se souciait pas de s’appesantirsur les souvenirs réveillés par ces paroles. Signor, je suis venuepour parler non pas de mon passé… mon passé !…, mais de votreavenir !

– Mon avenir !

– Oui, signor. Il est effrayant.

– Et en quoi ? demanda le jeuneAnglais. Sûrement, je serai bientôt mis en liberté ? Quem’importent quelques jours, quelques semaines même decaptivité ?

– Caro signor, vous vous trompezétrangement. Je ne parle pas de captivité, bien que vous puissieztrouver la vôtre assez pénible. – Mais que deviendrez-vous dèsqu’il sera de retour ? Vous ne connaissez pas comme moi sabrutalité.

– Étrange langage pour une femme parlantde son mari ! pensa Henry Harding.

– Oui, j’ai peur, continua-t-elle, si lalettre que vous avez écrite reste sans réponse, je veux dire sielle n’apporte pas votre rançon. Dites-moi, signor ;qu’avez-vous écrit ? Parlez franchement.

– Je croyais que vous en connaissiez lecontenu. Ne m’a-t-elle pas été dictée en votre présence ?

Je sais, je sais ; mais était-ce bientout ?… J’ai vu que vous éprouviez de la répugnance à signer.Vous aviez pour cela une raison.

– Certainement.

– Quelque différend avec votre famille.Vous n’êtes plus au mieux avec votre père, n’est-ce pas ?

– Quelque chose comme cela, répondit lejeune Anglais qui ne vit aucune raison pour déguiser la vérité, siloin de son pays.

– Je le pensais, dit Popetta. Et cedifférend, continua-t-elle d’un ton plus anxieux, est-il de natureà empêcher votre père d’envoyer la riscatta ?

– Peut-être.

– Peut-être, signor ! Vous traiteztrop légèrement cette affaire, comme vous l’avez toujours fait,d’ailleurs. Vous possédez une force d’âme peu commune et qu’on nepeut s’empêcher d’admirer. C’est ce qui m’a amenée ici.

Ces mots furent encore accompagnés d’un longsoupir qui redoubla la surprise du prisonnier.

– Vous ne savez pas, continua Popetta, lesort qui vous attend, si la riscatta n’est pasacquittée.

– Quel sort, signora ?

– Horrible ! Horrible !

– Mais encore !… Il a donc été fixépar avance ?

– Oui, et depuis longtemps… C’esttoujours l’habitude de Corvino.

– Expliquez-vous, signora.

– D’abord, on vous coupera les oreillesqui seront enfermées dans une lettre et envoyées à votre père, avecune nouvelle mise en demeure pour la rançon. Et puis……

– Et puis ? demanda le captif avecun peu d’impatience, car il commençait à croire à la menace que luiavait deux fois déjà faite Corvino.

– Si l’argent n’est pas envoyé, vousserez mutilé de nouveau.

– Et comment ?

– Signor, je ne puis vous le dire. Il y adiverses sortes de mutilations que je ne connais pas. Il vaudraitmieux pour vous que la réponse ne laissât aucun espoir de rançon…vous échapperiez à la torture et vous seriez immédiatementfusillé.

– Vous voulez plaisanter,signora !

– Plaisanter !… non, non !…J’ai vu… C’est la coutume de Corvino… de ce monstre auquel je suisliée pour mon malheur… et de sa bande… Ils ne feront pas pour vousune exception.

– Vous êtes venue vers moi en amie,n’est-ce pas ? demanda le prisonnier, comme pour éprouver lasincérité de son interlocutrice.

– N’en doutez pas !

– Eh bien, vous avez sans doute unconseil à me donner.

– Certainement !… C’est d’écrire denouveau à vos amis. Vous devez en avoir, signor, vous le fils d’ungalantuomo… à ce qu’assure votre compatriote Ricardo.Priez vos amis de voir votre père, de lui démontrer la nécessitéd’envoyer la somme exigée pour votre rançon. C’est votre seulechance d’échapper au sort affreux qui vous menace.

– Il y en a une autre, dit le captifd’une voix insinuante.

– Une autre ?… Laquelle ?

– Votre protection, signora.

– Et comment puis-je vousservir ?

– En me procurant les moyens dem’échapper.

– C’est possible… mais très-difficile… Ilme faudrait exposer ma vie… Le voulez-vous, signor ?

– Non, non !… un tel sacrifice…

– Ah ! vous ignorez combien je suissurveillée ! Pour parvenir jusqu’à vous, il m’a fallucorrompre Tomasso. La jalousie de Corvino…Ah ! signorInglese, on me trouvait belle, autrefois… Vous ne lecroyez pas, vous ?

Elle posa, de nouveau sa main sur l’épaule dujeune Anglais qui la repoussa encore, mais avec plus de douceur. Ilcraignait de blesser l’amour-propre de Popetta et de réveiller lapassion de fauve qui sommeillait dans cet étrange cœurd’Italienne.

Il fit une réponse évasive, un complimentcomplètement dénué de sincérité.

– S’il connaissait cette entrevue,continua-t-elle en faisant encore allusion à Corvino, je seraiscondamnée à mort… nos lois sont formelles. Croyez-vous, maintenant,signor, que je sois disposée à vous venir en aide ?

– Vous voulez que j’écrive, alors ?Comment faire ? Comment ma lettre arrivera-t-elle àdestination ?

– Je m’en charge. Voici quelques feuillesde papier, de l’encre et une plume. J’ai tout apporté. Je n’osevous donner de la lumière. Corvino est dur pour ses prisonniers,afin que leurs amis se décident à obtenir leur liberté. Dès que lesoleil éclairera votre cellule, écrivez. Tomasso prendra votrelettre en vous apportant à déjeuner. Je me charge du reste.

– Merci ! merci ! s’écria Henryd’un ton pénétré, en saisissant avec empressement ce que luiprésentait Popetta. Une nouvelle idée venait de surgir, dans sonesprit. Merci ! répéta-t-il… Je vous obéirai.

– Buona notte !dit la bandita en lui serrant la main d’une façon qui témoignaitplus que de l’amitié. Buona notte !galantuomo ! Dormez sans crainte ! si jamaisvous avez besoin de la vie de Cara Popetta, elle vousappartient.

Cette pression, bien qu’à peine comprise,éveilla chez le jeune homme un sentiment voisin de larépulsion.

Il se trouva heureux quand il put se dégageret plus heureux encore quand Popetta disparut en fermant le plusdoucement possible la porte de la cellule.

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