Le Songe d’une nuit d’été

SCÈNE II

Une autre partie du bois.

OBERON entre.

OBERON. – Je voudrais bien savoir si Titanias’est réveillée ; et puis, quel a été le premier objet quis’est présenté à sa vue, et dont il faut qu’elle se passionnejusqu’à la fureur. (Entre Puck.) Voici moncourrier. – Eh bien ! folâtre esprit, quelle fête nocturne alieu maintenant dans ce bois enchanté ?

PUCK. – Ma maîtresse est éprise d’un monstre.Près de la retraite de son berceau sacré, à l’heure où elle étaitplongée dans le sommeil le plus profond, une bande de rustres,artisans grossiers, qui gagnent leur pain dans les échoppesd’Athènes, se sont rassemblés pour répéter une comédie destinée àêtre jouée le jour des noces du grand Thésée. Le plus stupidemalotru de cette troupe d’ignorants, qui représentait Pyrame, dansleur pièce, a abandonné le lieu de la scène, et est entré dans unhallier : là, je l’ai surpris et je lui ai planté une têted’âne sur la sienne. Cependant, son tour est venu de répondre à saThisbé : alors, mon acteur revient sur la scène. Aussitôt queses camarades l’aperçoivent, comme une troupe d’oies sauvages, quiont aperçu l’oiseleur s’approcher en rampant, ou comme unecompagnie de corneilles à tête brune, qui se lèvent et croassent aubruit d’un fusil, se séparent, et traversent en désordre les airs,de même, à sa vue, tous se mettent à fuir. Alors, au bruit de nospieds, par-ci, par-là, l’un d’eux tombe à terre, crie au meurtre etappelle des secours d’Athènes. Leur faible raison, égarée par unegrande frayeur, voit s’armer contre eux les objets inanimés. Lesronces et les épines déchirent leurs habits, emportent à l’un sesmanches, à l’autre son chapeau : toutes choses ravissentquelque dépouille à ceux qui cèdent tout. Je les ai conduits ainsidans le délire de la peur, et j’ai laissé ici le beau Pyramemétamorphosé ; le hasard a voulu que, dans ce moment même,Titania se soit réveillée, elle a pris aussitôt de l’amour pour unâne.

OBERON. – L’événement surpasse mes espérances.– Mais as-tu oint les yeux de l’Athénien avec ce philtre d’amour,comme je te l’avais ordonné ?

PUCK. – Je l’ai surpris dormant. – C’est unechose faite aussi ; et la jeune Athénienne est auprès delui ; de façon qu’il faut nécessairement qu’à son réveil, sesyeux l’aperçoivent.

(Entrent Démétrius et Hermia.)

OBERON. – Reste à mon côté : voicijustement l’Athénien.

PUCK. – C’est bien la femme : mais cen’est pas l’homme.

DÉMÉTRIUS. – Ah ! pourquoi rebutez-vouscelui qui vous aime tant ? Gardez ces rigueurs pour votre pluscruel ennemi.

HERMIA. – Tu n’essuies de moi que desreproches ; mais je voudrais pouvoir te maltraiterdavantage ; car tu m’as donné, j’en ai peur, sujet de temaudire. Si tu as assassiné Lysandre pendant son sommeil, déjàenfoncé à moitié dans le sang achève de t’y plonger, et tue-moiaussi. Le soleil n’est pas aussi fidèle au jour que Lysandrel’était pour moi. – Aurait-il jamais abandonné son Hermiaendormie ? Je croirai plutôt qu’on peut percer d’outre enoutre le globe entier de la terre, et que la lune peut descendre àtravers son centre, et aller à midi aux antipodes déranger sonfrère. Il faut que tu l’aies assassiné : tu as le regard d’unmeurtrier, un visage cadavéreux, farouche.

DÉMÉTRIUS. – Plutôt l’air d’un hommeassassiné, le cœur percé par votre cruelle sévérité ; etcependant, vous qui me tuez, restez aussi radieuse et aussi pureque Vénus dans sa sphère étincelante.

HERMIA. – Qu’importe à mon cherLysandre ? – Où est-il ? Ah ! bon Démétrius !veux-tu me le rendre ?

DÉMÉTRIUS. – J’aimerais mieux donner soncadavre à mes lévriers.

HERMIA. – Loin de moi, loin de moi,chien ! Tu me fais passer les bornes de la patience d’unejeune fille. Tu l’as donc tué ? – Sois pour jamais rayé dunombre des humains ! Oh ! dis-moi, dis-moi une fois, uneseule fois la vérité, par pitié pour moi. Aurais-tu osé le regarderéveillé, et l’as-tu tué pendant qu’il dormait ? Ô le braveexploit ! Un reptile, une vipère en pouvait faireautant ; oui, c’est une vipère qu’on peut accuser, car jamais,serpent que tu es, une vipère n’a blessé avec un dard plus perfideque ta langue.

DÉMÉTRIUS. – Vous épuisez les emportements devotre colère sur une méprise. Je ne suis point coupable du sang deLysandre ; et, autant que je puisse savoir, il n’est pointmort.

HERMIA. – Je vous en conjure, dites-moi alorsqu’il se porte bien.

DÉMÉTRIUS. – Si je pouvais vous l’assurer, quegagnerais-je à vous le dire ?

HERMIA. – Le privilége de ne plus me revoirjamais. – Et je fuis à l’instant ta présence abhorrée : ne merecherche plus qu’il soit mort, ou vivant.

(Elle s’en va.)

DÉMÉTRIUS. – Il est inutile de vouloir lasuivre dans cet accès de courroux. Je vais donc me reposer iciquelques moments. Ainsi, le poids du chagrin devient plus accablantencore, lorsque le sommeil insolvable refuse de lui payer sadette ; peut-être en ce moment s’acquittera-t-il quelque peuenvers moi, si je fais ici quelque séjour pour attendre sacomplaisance.

(Il se couche.)

OBERON. – Qu’as-tu fait ? Tu t’escomplétement mépris, et tu as placé le philtre d’amour sur les yeuxd’un amant fidèle. Ainsi, l’effet nécessaire de ta méprise est dechanger un amour sincère en amour perfide, et non pas un amourperfide en un amour sincère.

PUCK. – C’est le destin qui gouverne lesévénements, et qui fait que, pour un amant qui garde sa foi, unmillion d’autres la violent, et entassent parjures surparjures.

OBERON. – Va, parcours le bois plus vite quele vent, et vois à découvrir Hélène d’Athènes : elle est toutemalade d’amour, et pâle, épuisée de soupirs brûlants, qui ont nui àla fraîcheur de son sang. Tâche de l’amener ici par quelqueenchantement ; je charmerai les yeux du jeune homme qu’elleaime, avant qu’elle reparaisse à sa vue.

PUCK. – J’y vais, j’y vais : vois, commeje vole, plus rapidement que la flèche décochée de l’arc d’unTartare.

(Il sort.)

OBERON.

(Il verse un suc de fleur sur les yeux de Démétrius.)

Fleur de couleur de pourpre,

Blessée par l’arc de Cupidon,

Pénètre dans la prunelle de son œil !

Quand il cherchera son amante,

Qu’elle brille à ses regards du même éclat

Dont Vénus brille dans les cieux. –

Si, à ton réveil, elle est auprès de toi

Implore d’elle ton remède.

(Puck revient.)

PUCK. – Chef de notre bande féerique, Hélèneest ici à deux pas ; et le jeune homme, victime de ma méprise,demande le salaire de son amour. Verrons-nous cette tendrescène ? Seigneur, que ces mortels sont fous !

OBERON. – Range-toi : le bruit qu’ilsfont va réveiller Démétrius.

PUCK. – Eh bien ! ils seront deux alors àcourtiser une femme. Cela doit faire un spectacle amusant ; etrien ne me plaît tant que ces accidents bizarres et imprévus.

(Entrent Lysandre et Hélène.)

LYSANDRE. – Pourquoi croiriez-vous que je vousrecherche par dérision ? jamais le dédain et le mépris ne semanifestent par des larmes : voyez, quand je vous jure monamour, je pleure : des serments nés dans les pleurs annoncentla sincérité ; et comment pouvez-vous voir des signes demépris dans ce qui porte le gage évident de la bonne foi ?

HÉLÈNE. – Vous redoublez de plus en plus votreperfidie. Quand la vérité tue la vérité, quel combat infernal etcéleste ! Ces vœux sont pour Hermia : voulez-vous doncl’abandonner ? Pesez serments contre serments, et vous pèserezle néant. Vos serments, pour elle et pour moi, mis dans unebalance, seront d’un poids égal ; et tout aussi légers que devaines paroles.

LYSANDRE. – Je n’avais pas de discernement,lorsque je lui ai juré ma foi.

HÉLÈNE. – Et vous n’en avez pas plus, à monavis, maintenant que vous la délaissez.

LYSANDRE – Démétrius l’aime, et ne vous aimepoint.

DÉMÉTRIUS, se réveillant. – ÔHélène ! déesse, nymphe accomplie et divine ! À quoi, mabien-aimée, pourrais-je comparer tes yeux ? Le cristal mêmeest trouble. Ô quel charme sur tes lèvres vermeilles comme deuxcerises mûres ! Comme elles appellent les baisers ! Quandtu lèves la main, la neige pure et glacée des sommets de Taurus,caressée par le vent d’orient, paraît noire comme le corbeau.Oh ! permets que je baise cette merveille de blancheuréblouissante, ce sceau de la félicité.

HÉLÈNE. – Ô malice infernale ! Je voisbien que vous êtes tous ligués contre moi, pour vous amuser. Sivous étiez honnêtes, et connaissant la courtoisie, vous nem’accableriez pas de vos outrages. Ne vous suffit-il pas de mehaïr, comme je sais que vous me haïssez, sans vous unir étroitementpour vous moquer de moi ? Si vous étiez des hommes, comme vousen avez la figure, vous ne traiteriez pas ainsi une femme bien née.Venir me jurer de l’amour, et exagérer ma beauté, lorsque je suissûre que vous me haïssez de tout votre cœur ! Vous êtes tousdeux rivaux, vous aimez Hermia ; et tous deux, en ce moment,vous rivalisez à qui insultera le plus Hélène. Voilà un grandexploit, une mâle entreprise, de faire couler les larmes d’unefille infortunée, par votre dérision ! Jamais des hommes denoble naissance n’auraient ainsi offensé une jeune fille ;jamais ils n’auraient poussé à bout la patience d’une âme désolée,comme vous faites, uniquement pour vous en faire un jeu !

LYSANDRE. – Vous êtes dur, Démétrius ;n’en agissez pas ainsi. Car vous aimez Hermia ; vous savez queje ne l’ignore pas ; et ici même, bien volontiers et de toutmon cœur, je vous cède ma part de l’amour d’Hermia :léguez-moi en retour la vôtre dans l’amour d’Hélène, que j’adore etque j’aimerai jusqu’au trépas.

HÉLÈNE. – Jamais des moqueurs ne prodiguèrentplus de vaines paroles.

DÉMÉTRIUS. – Lysandre, garde ton Hermia ;je n’en veux point : si je l’aimai jamais, cet amour est toutà fait anéanti. Mon cœur n’a fait que séjourner avec elle enpassant, comme un hôte étranger ; et maintenant il estretourné à Hélène, comme sous son toit natal, pour s’y fixer àjamais.

LYSANDRE. – Hélène, cela n’estpoint !

DÉMÉTRIUS. – Ne calomnie pas la foi que tu neconnais pas, de crainte qu’à tes risques et périls tu ne le payescher. – Vois venir de ce côté l’objet de ton amour ; voilàcelle qui t’est chère.

(Survient Hermia.)

HERMIA. – La nuit sombre, qui suspend l’usagedes yeux, rend l’oreille plus sensible aux sons ; ce qu’elleravit au sens de la vue, elle en dédommage en doublant le sens del’ouïe. – Ce ne sont pas mes yeux, Lysandre, qui t’ontdécouvert ; c’est mon oreille, et je lui en rends grâces, quim’a guidé vers toi au son de ta voix. Mais pourquoi m’as-tu sicruellement abandonnée ?

LYSANDRE. – Pourquoi resterait-il, celui quel’amour presse de s’éloigner ?

HERMIA. – Et quel amour pouvait attirerLysandre loin de moi ?

LYSANDRE. – L’amour de Lysandre, qui ne luipermettait pas de rester, la belle Hélène ; Hélène, qui rendla nuit plus brillante que tous ces cercles de feu et tous ces yeuxde lumière. Pourquoi me cherches-tu ? Cette démarche nepouvait-elle pas te faire comprendre que c’était la haine que je teportais qui m’obligeait à te quitter ainsi ?

HERMIA. – Vous ne pensez pas ce que vousdites ; cela est impossible.

HÉLÈNE. – Voyez, elle aussi est ducomplot ! Je le vois bien à présent, qu’ils se sont concertéstous les trois, pour arranger cette scène de dérision à mes dépens.Injurieuse Hermia ! fille ingrate ! as-tu donc conspiré,as-tu comploté avec ces cruels de me faire subir ces odieusesrailleries ? Toute cette confiance mutuelle, ces serments desœurs, ces heures passées ensemble, quand nous reprochions au tempsde trop hâter sa marche et de nous séparer ; oh ! toutcela est-il oublié, et toute notre amitié de l’école, etl’innocence de notre enfance ? Hermia, nous avons, avecl’adresse des dieux, créé toutes les deux avec nos aiguilles unemême fleur sur un seul modèle, assises sur un seul coussin, etchantant une même chanson sur un même air, comme si nos mains, nospersonnes, nos voix et nos âmes n’eussent appartenu qu’à un seul etmême corps : c’est ainsi que nous avons grandi ensemble, commedeux cerises jumelles, en apparence séparées, mais unies dans leurséparation, comme deux jolis fruits attachés sur la mêmetige : on voyait deux corps, mais qui n’avaient qu’un cœur,tels que deux côtés d’armoiries de la même maison quin’appartiennent qu’à un seul écu, et sont surmontés d’un seulcimier. Et tu veux rompre violemment le nœud de notre anciennetendresse, et te joindre à des hommes pour bafouer ta pauvreamie ? Oh ! ce n’est pas la conduite d’une amie, d’unejeune fille : tout notre sexe a droit, aussi bien que moi, dete reprocher ce traitement, quoique je sois la seule qui enressente l’outrage.

HERMIA. – Je suis confondue de vos amersreproches : je ne vous insulte point ; il me sembleplutôt que c’est vous qui m’insultez.

HÉLÈNE. – N’avez-vous pas excité Lysandre à mesuivre, comme par ironie, et à vanter mes yeux et mon visage ?Et n’avez-vous pas engagé votre autre amant, Démétrius (qui tout àl’heure me repoussait du pied), à m’appeler déesse, nymphe, divineet rare merveille, beauté céleste et sans prix ? Pourquoiadresse-t-il ce langage à celle qu’il hait ? Et pourquoiLysandre rejette-t-il votre amour, si puissant dans son cœur, pourme l’offrir à moi, si ce n’est sur votre instigation et de votreconsentement ? Si je ne suis pas autant en faveur que vous,aussi entourée d’amour, aussi heureuse, mais si je suis assezmalheureuse pour aimer sans être aimée, vous devriez me plaindre aulieu de me mépriser !

HERMIA. – Je ne puis comprendre ce que vousvoulez dire.

HÉLÈNE. – Oui, oui ; continuez ;affectez un air triste, faites la moue en me regardant quand jetourne le dos ; faites-vous des signes d’intelligence,soutenez cette agréable plaisanterie ; il en sera parlé dansle monde, de ce jeu si bien joué. – Si vous aviez quelque pitié,quelque générosité, quelque idée des bons procédés, vous ne meprendriez pas pour le sujet de vos railleries. Mais, adieu, je vouslaisse : c’est en partie ma faute ; et la mort, oul’absence y porteront bientôt remède.

LYSANDRE. – Arrêtez, aimable Hélène :écoutez mon excuse, ma bien-aimée, ma vie, mon âme, belleHélène !

HÉLÈNE. – Oh ! admirable !

HERMIA, à Lysandre. – Cher amant, nel’insulte pas ainsi.

DÉMÉTRIUS. – Si elle ne l’obtient pas de bongré, je puis l’y forcer, moi.

LYSANDRE. – Tu ne peux pas plus m’y forcer,qu’Hermia ne peut l’obtenir par ses instances. Tes menaces n’ontpas plus de force que ses impuissantes prières. – Hélène, jet’aime ; sur ma vie, je t’aime ; je jure sur ma vie, queje veux perdre pour toi, de convaincre de mensonge celui qui oseradire que je ne t’aime pas.

DÉMÉTRIUS, à Hélène. – Je te protesteque je t’aime plus qu’il ne peut t’aimer.

LYSANDRE. – Si tu parles ainsi, retirons-nous,et prouve-le-moi.

DÉMÉTRIUS. – Allons, sur-le-champ, viens.

HERMIA. – Lysandre, où peut tendre toutceci ?

LYSANDRE. – Loin de moi, noireÉthiopienne.

DÉMÉTRIUS. – Non : ne craignez pas ;il fait semblant de vouloir s’arracher de vos mains. – Allons,faites comme si vous vouliez me suivre : mais cependant, nevenez pas. – Vous êtes un homme bien doux, allez !

LYSANDRE. – Lâche-moi, chat, glouteron, vilecréature, laisse-moi libre, ou je vais te secouer loin de moi commeun serpent.

HERMIA. – Pourquoi donc êtes-vous devenu sidur pour moi ? Que veut dire ce changement, mon cheramant ?

LYSANDRE. – Ton amant ? Loin de moi,noire Tartare ; loin de moi : loin, médecine nauséabonde,potion odieuse, loin de moi !

HERMIA. – Ne plaisantes-tu pas ?

HÉLÈNE. – Oh ! sûrement, il plaisante, etvous aussi.

LYSANDRE. – Démétrius, je te tiendrai maparole.

DÉMÉTRIUS. – Je voudrais en avoir votreobligation bien en forme ; car je m’aperçois qu’un faible lienvous retient : je ne me fie pas à votre parole.

LYSANDRE. – Quoi ! voulez-vous que je lablesse, que je la frappe, que je la tue ? Quoique je lahaïsse, je ne veux pas la maltraiter.

HERMIA. – Et quel mal plus grand peux-tu mefaire, que de me haïr ?… Me haïr ! et pourquoi ? Ômalheureuse ! Quel changement étrange, mon bien-aimé ! Nesuis-je pas Hermia ? N’es-tu pas Lysandre ? Je suis aussibelle maintenant que par le passé : cette nuit, tum’aimais ; et cependant, c’est cette nuit que tu m’as quittée.Quoi ! tu m’as donc quittée ? Que les dieux m’engardent ! Bien sérieusement, est-il possible ?

LYSANDRE. – Oui, sur ma vie ; et je n’aijamais désiré de te revoir : ainsi, laisse de côté lesespérances, les questions et les doutes. Sois-en bienassurée ; rien n’est plus vrai : ce n’est point unjeu ; je te hais, et j’aime Hélène.

HERMIA. – Ah ! malheureuse que jesuis ! – (À Hélène.) Toi, fourbe, poison dema vie, voleuse d’amour ; quoi ! tu es venue la nuit, ettu m’as volé le cœur de mon amant ?

HÉLÈNE. – Charmant, ma foi ! N’avez-vousaucune modestie, aucune pudeur de jeune fille, aucune nuance dedécence ? Quoi ! voulez-vous arracher à ma languepatiente des réponses de colère ? Fi donc ! fi !actrice, marionnette !

HERMIA. – Une marionnette ?Pourquoi ? – Oui ! voilà le secret : je reconnaismaintenant qu’elle a fait des comparaisons entre nos tailles,qu’elle a vanté la hauteur de la sienne ; et qu’avecl’avantage de sa tournure, de sa belle tournure, oh !sûrement, elle l’a emporté près de lui. Et êtes-vous donc montée sihaut dans son estime, parce que je suis petite comme unenaine ? – Suis-je donc si petite, grand mât de cocagne ?Parle ; suis-je donc si petite ? Je ne suis pas encore sipetite, que mes ongles ne puissent atteindre à tes yeux.

HÉLÈNE. – Je vous prie, messieurs,contentez-vous de me faire votre jouet ; empêchez du moinsqu’elle ne me blesse : jamais je ne fus une femme méchante,jamais je n’eus de talent pour les rixes ; je suis bien de monsexe par ma timidité : empêchez-la de me frapper. Vouspourriez croire peut-être, parce qu’elle est un peu plus petite quemoi, que je suis en état de lui tenir tête.

HERMIA. – Plus petite ! Vous voyez, ellele répète encore.

HÉLÈNE. – Bonne Hermia, ne sois pas si amèrepour moi ; je t’ai toujours aimée, Hermia ; j’ai toujoursgardé fidèlement tes secrets ; jamais je ne t’ai fait lemoindre tort, excepté, lorsque par amour pour Démétrius je lui aidit que tu t’étais sauvée dans ce bois : il t’a suivie, jel’ai suivi par amour ; mais lui m’a chassée, et il m’a menacéede me maltraiter, de me fouler aux pieds, et même de me tuer ;et maintenant, si vous voulez me laisser aller en paix, je vaisreporter ma folle passion dans Athènes, et je ne vous suivrai plus.Laissez-moi m’en aller ; vous voyez combien je suis simple, etcombien je suis folle.

HERMIA. – Eh bien ! partez : quivous retient ?

HÉLÈNE. – Un cœur insensé, que je laisse iciderrière moi !

HERMIA. – Avec qui ? avecLysandre ?

HÉLÈNE – Avec Démétrius.

LYSANDRE. – Ne crains rien, chèreHélène ; elle ne te fera pas de mal.

DÉMÉTRIUS. – Non, certes ; elle ne lui enfera aucun, quand vous prendriez son parti.

HÉLÈNE. – Oh ! quand elle est en colère,elle est méchante et rusée ; c’était un petit renard quandelle allait à l’école ; et quoiqu’elle soit petite, elle estviolente.

HERMIA. – Petite encore ? Toujourspetite ? naine ? Quoi ! souffrirez-vous qu’ellem’insulte ainsi ? Laissez-moi approcher d’elle.

LYSANDRE. – Va-t’en naine, diminutif de femme,créature nouée par l’herbe sanguinaire[30], grainde verre, gland de chêne.

DÉMÉTRIUS. – Vous êtestrop officieux à obliger celle qui dédaigne vos services.Laissez-la à elle-même, ne parlez point d’Hélène : ne prenezpoint son parti ; car si jamais vous prétendez lui donner lemoindre signe d’amour, vous le payerez cher.

LYSANDRE. – Eh bien, à présent, elle ne meretient plus : voyons, suivez-moi, si vous l’osez, et allonsdécider qui de nous deux a le plus de droit au cœur d’Hélène.

DÉMÉTRIUS. – Te suivre ? Je vais marcherà côté de toi.

(Lysandre et Démétrius sortent.)

HERMIA. – C’est vous, madame, qui êtes lacause de cette querelle ! Non, ne vous en allez pas.

HÉLÈNE. – Je ne me fie point à vous, et je neresterai pas plus longtemps dans votre compagnie maudite ; vosmains sont plus promptes aux coups que les miennes, mais mes jambessont plus longues pour les éviter.

(Elle sort.)

HERMIA. – Je suis confondue et ne sais quedire.

(Hermia poursuit Hélène)

OBERON. – Voilà l’ouvrage de tanégligence ; tu fais toujours des bévues, ou c’est à desseinque tu joues de ces tours.

PUCK. – Croyez-moi, roi des fantômes, c’estune méprise. Ne m’aviez-vous pas dit que je reconnaîtrais l’homme àson costume athénien ? Et je suis innocent de l’erreur quej’ai commise, puisque c’est en effet un Athénien dont j’ai oint lesyeux ; mais je suis loin d’être fâché de ce qui est arrivé,puisque je regarde cette querelle comme un divertissement.

OBERON. – Tu vois que ces amants cherchent unlieu pour se battre : hâte-toi donc, Robin, pars ;redouble l’obscurité de la nuit, couvre à l’instant la voûteétoilée d’un épais brouillard, aussi noir que l’Achéron ; etpuis, égare si bien ces rivaux acharnés, que l’un ne puisse jamaisse rencontrer dans le chemin de l’autre : tantôt forme talangue à parler comme la voix de Lysandre, et alors provoqueDémétrius par des défis amers ; tantôt raille Lysandre commesi tu étais Démétrius, et éloigne-les sans cesse l’un de l’autre,jusqu’à ce que le sommeil, image de la mort, se glisse sur leurspaupières avec ses jambes de plomb et ses ailes dechauve-souris ; alors exprime sur l’œil de Lysandre cetteherbe dont la liqueur a la salutaire vertu d’en enlever touteillusion, et de rendre aux prunelles leur vue accoutumée :lorsqu’ils viendront à se réveiller, toute cette scène de dérisionleur paraîtra un rêve, une vision imaginaire, et ces amantsreprendront le chemin d’Athènes, unis par une amitié qui ne finiraqu’avec leur vie. Tandis que je te charge de cette affaire, moi, jevais rejoindre ma reine, et lui demander son petit Indien ;après cela, je désenchanterai ses yeux de leur admiration pour lemonstre, et la paix sera rétablie partout.

PUCK. – Souverain des fées, il faut nous hâterd’exécuter cette tâche ; car les dragons de la nuit fendent àplein vol les nuages, et l’avant-coureur de l’aurore brille déjàlà-bas ! À son approche, vous le savez, les spectres quierraient çà et là s’enfuient par troupes vers les cimetières ;toutes ces ombres damnées qui ont leur sépulture dans lescarrefours et les flots[31] sont déjà retournées à leur couchepeuplée de vers ; de peur que le jour ne contemple leur honte,elles s’exilent volontairement de la lumière, et se résignent àêtre à jamais les compagnes de la nuit au front noir.

OBERON. – Mais nous,nous sommes des esprits d’une autre nature. Moi, j’ai souvent jouéavec la lumière du matin ; et je puis, comme un garde desforêts, fouler le tapis des bois, même jusqu’à l’instant où laporte de l’orient, toute rouge de feux, venant à s’ouvrir, versesur Neptune de célestes rayons, et change en or ses ondes vertes etsalées. Mais cependant hâte-toi ; ne perds pas uninstant : nous pouvons encore achever cette affaire avant lejour.

(Oberon sort.)

PUCK.

Par monts et par vaux, par monts et par vaux,

Je vais les mener par monts et par vaux ;

Je suis craint dans les campagnes et les villes.

Esprit, mène-les par monts et par vaux.

En voici un.

(Entre Lysandre.)

LYSANDRE. – Où es-tu donc, orgueilleuxDémétrius ? Réponds-moi.

PUCK. – Me voici, lâche, tout prêt et engarde. Où es-tu ?

LYSANDRE. – Je vais te joindre tout àl’heure.

PUCK. – Suis-moi donc sur un terrain plusuni.

(Lysandre sort et suit la voix.)

(Entre Démétrius.)

DÉMÉTRIUS – Lysandre ! – Réponds-moiencore : lâche fuyard, où t’es-tu donc sauvé ? Parle.Es-tu dans un buisson ? Où caches-tu donc ta tête ?

PUCK. – Et toi, poltron, te vantes-tu donc auxétoiles ? Tu dis aux buissons que tu veux te battre, et tun’oses pas approcher ? Viens donc, perfide ; viens,timide enfant, je vais te châtier avec une verge : c’est sedéshonorer que de tirer l’épée contre toi.

DÉMÉTRIUS. – Ha ! es-tu là ?

PUCK. – Suis ma voix : ce n’est pas iciune place propre à essayer notre courage.

(Ils sortent tous deux.)

LYSANDRE reparaît seul. – Il fuittoujours devant moi, et toujours en me défiant : lorsquej’arrive au lieu d’où il me provoque, il est toujours parti. Lelâche a le pied bien plus léger que moi ; je l’ai suivi detoute ma vitesse ; mais il fuyait plus vite encore, et je mesuis à la fin engagé dans un sentier sombre et raboteux : jeveux me reposer ici. – Hâte-toi, jour bienfaisant. (Il secouche sur la terre.) Pour peu que tu me montres talumière naissante, je trouverai Démétrius, et je satisferai mavengeance.

(Il dort.)

(Démétrius reparaît et Puck aussi.)

PUCK. – Oh ! oh ! oh, oh !poltron ; pourquoi n’avances-tu pas ?

DÉMÉTRIUS. – Attends-moi, si tu l’oses ;car je sais bien que tu cours devant moi, que tu changes toujoursde place, et que tu n’oses ni m’attendre de pied ferme, ni meregarder en face. Où es-tu ?

PUCK. – Viens ici : me voilà.

DÉMÉTRIUS, courant du côté de lavoix. – Tu te moques de moi ; mais, va, tu me le payerascher, si j’aperçois jamais ton visage à la lueur du jour :maintenant va ton chemin. – La faiblesse me contraint de m’étendreici de ma longueur sur ce lit froid. – À l’approche du jour,attends-toi à me revoir.

(Il se couche sur la bruyère et dort.)

(Hélène entre.)

HÉLÈNE. – Ô pénible nuit ! ô longue etennuyeuse nuit ! abrége tes heures. Brille à l’orient,consolante lumière, que je puisse au lever du jour retourner àAthènes, et m’éloigner de ceux qui détestent ma présence importune.– Et toi, sommeil, qui daignes quelquefois fermer les yeux duchagrin, dérobe-moi pour quelques instants à moi-même.

(Elle se couche et s’endort.)

PUCK. – Rien que trois encored’endormis ? Qu’il en vienne encore une, deux couples fontquatre. – La voici qui arrive courroucée et triste. – Cupidon estun fripon d’enfant, de rendre ainsi folles les pauvres femmes.

(Entre Hermia.)

HERMIA. – Jamais je ne fus si lasse, jamais jene fus si désespérée : trempée de rosée, déchirée par lesronces, je ne peux ni aller, ni me traîner plus loin : mesjambes ne peuvent suivre le pas de mes désirs : il faut que jeme repose ici jusqu’au point du jour. Que le ciel couvre Lysandred’un bouclier, si leur intention est de se battre !

(Elle se couche.)

PUCK.

Sur la terre

Dormez profondément ;

Sur votre œil

J’appliquerai

Mon remède. Tendre amoureux

(Il exprime le jus de son herbe sur l’œil deLysandre.)

Àton réveil

Tu prendras

Un vrai plaisir

En revoyant

Les yeux de ta première amante,

Et le proverbe rustique bien connu,

Qu’il faut que chacun prenne ce qui lui appartient,

S’accomplira à votre réveil :

Jacquot aura Gilette,

Rien n’ira mal.

L’homme recouvrera sa jument, et tout ira bien.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

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