Lettres Persanes de Montesquieu

LETTRE LXXIII
Rica à ***

J’ai ouï parler d’une espèce de tribunal qu’on appelle l’Académie

française. Il n’y en a point de moins respecté dans le monde ; car on dit
qu’aussitôt qu’il a décidé, le peuple casse ses arrêts, et lui impose des lois
qu’il est obligé de suivre.
Il y a quelque temps que, pour fixer son autorité, il donna un code de ses
jugements. Cet enfant de tant de pères était presque vieux quand il naquit ;
et quoiqu’il fût légitime, un bâtard qui avait déjà paru l’avait presque étouffé
dans sa naissance.
Ceux qui le composent n’ont d’autres fonctions que de jaser sans cesse :
l’éloge va se placer comme de lui-même dans leur babil éternel, et sitôt qu’ils
sont initiés dans ses mystères, la fureur du panégyrique vient les saisir et ne
les quitte plus.
Ce corps a quarante têtes, toutes remplies de figures, de métaphores et
d’antithèses : tant de bouches ne parlent presque que par exclamation ; ses
oreilles veulent toujours être frappées par la cadence et l’harmonie. Pour les
yeux, il n’en est pas question ; il semble qu’il soit fait pour parler, et non pas
pour voir. Il n’est point ferme sur ses pieds ; car le temps, qui est son fléau,
l’ébranle à tous les instants, et détruit tout ce qu’il a fait. On a dit autrefois
que ses mains étaient avides ; je ne t’en dirai rien, et je laisse décider cela
à ceux qui le savent mieux que moi.
Voilà des bizarreries, ***, que l’on ne voit point dans notre Perse. Nous
n’avons point l’esprit porté à ces établissements singuliers et bizarres : nous
cherchons toujours la nature dans nos coutumes simples et nos manières
naïves.
De Paris, le 27 de la lune de Zilhagé, 1715.

LETTRE LXXIV
Usbek à Rica

À ***

Il y a quelques jours qu’un homme de ma connaissance me dit : Je vous

ai promis de vous produire dans les bonnes maisons de Paris ; je vous mène
à présent chez un grand seigneur, qui est un des hommes du royaume qui
représentent le mieux.
Que veut dire cela, monsieur ? Est-ce qu’il est plus poli, plus affable que
les autres ? Non, me dit-il. Ah ! j’entends ; il fait sentir à tous les instants
la supériorité qu’il a sur tous ceux qui l’approchent : si cela est je n’ai que
faire d’y aller ; je la lui passe tout entière, et je prends condamnation.
Il fallut pourtant marcher : et je vis un petit homme si fier, il prit une
prise de tabac avec tant de hauteur, il se moucha si impitoyablement, il
cracha avec tant de flegme, il caressa ses chiens d’une manière si offensante
pour les hommes, que je ne pouvais me lasser de l’admirer. Ah, bon dieu !
dis-je en moi-même, si lorsque j’étais à la cour de Perse je représentais
ainsi, je représentais un grand sot ! Il aurait fallu, Rica, que nous eussions
eu un bien mauvais naturel pour aller faire cent petites insultes à des gens
qui venaient tous les jours chez nous nous témoigner leur bienveillance. Ils
savaient bien que nous étions au-dessus deux ; et, s’ils l’avaient ignoré, nos
bienfaits le leur auraient appris chaque jour. N’ayant rien à faire pour nous
faire respecter, nous faisions tout pour nous rendre aimables ; nous nous
communiquions aux plus petits ; au milieu des grandeurs, qui endurcissent
toujours, ils nous trouvaient sensibles ; ils ne voyaient que notre cœur
au-dessus d’eux ; nous descendions jusqu’à leurs besoins. Mais lorsqu’il
fallait soutenir la majesté du prince dans les cérémonies publiques, lorsqu’il
fallait faire respecter la nation aux étrangers, lorsqu’enfin dans les occasions
périlleuses, il fallait animer les soldats, nous remontions cent fois plus haut
que nous n’étions descendus ; nous ramenions la fierté sur notre visage ; et
l’on trouvait quelquefois que nous représentions assez bien.
De Paris, 10 de la lune de Saphar, 1715.

LETTRE LXXV
Usbek à Rhédi

À Venise

Il faut que je te l’avoue, je n’ai point remarqué chez les chrétiens cette

persuasion vive de leur religion qui se trouve parmi les musulmans. Il y
a bien loin chez eux de la profession à la croyance, de la croyance à la
conviction, de la conviction à la pratique. La religion est moins un sujet de
sanctification qu’un sujet de disputes qui appartient à tout le monde. Les
gens de cour, les gens de guerre, les femmes même, s’élèvent contre les
ecclésiastiques, et leur demandent de leur prouver ce qu’ils sont résolus de
ne pas croire. Ce n’est pas qu’ils se soient déterminés par raison et qu’ils
aient pris la peine d’examiner la vérité ou la fausseté de cette religion qu’ils
rejettent : ce sont des rebelles qui ont senti le joug, et l’ont secoué avant
de l’avoir connu. Aussi ne sont-ils pas plus fermes dans leur incrédulité
que dans leur foi : ils vivent dans un flux et reflux qui les porte sans cesse
de l’un à l’autre. Un d’eux me disait un jour : Je crois l’immortalité de
l’âme par semestre ; mes opinions dépendent absolument de la constitution
de mon corps ; selon que j’ai plus ou moins d’esprits animaux, que mon
estomac digère bien ou mal, que l’air que je respire est subtil ou grossier
que les viandes dont je me nourris sont légères ou solides, je suis spinosiste,
socinien, catholique, impie ou dévot. Quand le médecin est auprès de mon
lit, le confesseur me trouve à son avantage. Je sais bien empêcher la religion
de m’affliger quand je me porte bien ; mais je lui permets de me consoler
quand je suis malade : lorsque je n’ai plus rien à espérer d’un côté, la religion
se présente, et me gagne par ses promesses ; je veux bien m’y livrer, et mourir
du côté de l’espérance.
Il y a longtemps que les princes chrétiens affranchirent tous les esclaves
de leurs états, parce que, disaient-ils, le christianisme rend tous les hommes
égaux. Il est vrai que cet acte de religion leur était très utile : il abaissait
par là les seigneurs, de la puissance desquels ils retiraient le bas peuple.
Ils ont ensuite fait des conquêtes dans des pays où ils ont vu qu’il leur
était avantageux d’avoir des esclaves : ils ont permis d’en acheter et d’en
vendre, oubliant ce principe de religion qui les touchait tant. Que veux-
tu que je te dise ? Vérité dans un temps, erreur dans un autre. Que ne
faisons-nous comme les chrétiens ? Nous sommes bien simples de refuser

des établissements et des conquêtes faciles dans des climats heureux, parce
que l’eau n’y est pas assez pure pour nous laver selon les principes du saint
Alcoran.
Je rends grâce au Dieu tout-puissant, qui a envoyé Hali son grand
prophète, de ce que je professe une religion qui se fait préférer à tous les
intérêts humains, et qui est pure comme le ciel dont elle est descendue.
De Paris, le 13 de la lune de Saphar, 1715.

LETTRE LXXVI
Usbek à son ami Ibben

À Smyrne

Les lois sont furieuses en Europe contre ceux qui se tuent eux-mêmes. On
les fait mourir, pour ainsi dire, une seconde fois ; ils sont traînés indignement
par les rues ; on les note d’infamie ; on confisque leurs biens.
Il me paraît, Ibben, que ces lois sont bien injustes. Quand je suis accablé
de douleur, de misère, de mépris, pourquoi veut-on m’empêcher de mettre
fin à mes peines, et me priver cruellement d’un remède qui est en mes
mains ?
Pourquoi veut-on que je travaille pour une société dont je consens de
n’être plus ; que je tienne malgré moi une convention qui s’est faite sans
moi ? La société est fondée sur un avantage mutuel ; mais, lorsqu’elle me
devient onéreuse, qui m’empêche d’y renoncer ? La vie m’a été donnée
comme une faveur ; je puis donc la rendre lorsqu’elle ne l’est plus : la cause
cesse, l’effet doit donc cesser aussi.
Le prince veut-il que je sois son sujet quand je ne retire point les avantages
de la sujétion ? Mes concitoyens peuvent-ils demander ce partage inique de
leur utilité et de mon désespoir ? Dieu, différent de tous les bienfaiteurs,
veut-il me condamner à recevoir des grâces qui m’accablent ?
Je suis obligé de suivre les lois quand je vis sous les lois ; mais, quand je
n’y vis plus, peuvent-elles me lier encore ?
Mais, dira-t-on, vous troublez l’ordre de la providence. Dieu a uni votre
âme avec votre corps, et vous l’en séparez : vous vous opposez donc à ses
desseins, et vous lui résistez.
Que veut dire cela ? Troublé-je l’ordre de la providence lorsque je change
les modifications de la matière et que je rends carrée une boule que les
premières lois du mouvement, c’est-à-dire les lois de la création et de la
conservation, avaient faite ronde ? Non, sans doute ; je ne fais qu’user du
droit qui m’a été donné, et en ce sens je puis troubler à ma fantaisie toute la
nature sans que l’on puisse dire que je m’oppose à la providence.
Lorsque mon âme sera séparée de mon corps, y aura-t-il moins d’ordre
et moins d’arrangement dans l’univers ? Croyez-vous que cette nouvelle
combinaison soit moins parfaite et moins dépendante des lois générales, que

le monde y ait perdu quelque chose, et que les ouvrages de Dieu en soient
moins grands, ou plutôt moins immenses ?
Pensez-vous que mon corps, devenu un épi de bled, un ver, un gazon,
soit changé en un ouvrage de la nature moins digne d’elle ; et que mon ame,
dégagée de tout ce qu’elle avait de terrestre, soit devenue moins sublime ?
Toutes ces idées, mon cher Ibben, n’ont d’autre source que notre orgueil.
Nous ne sentons point notre petitesse ; et, malgré qu’on en ait, nous voulons
être comptés dans l’univers, y figurer, et y être un objet important. Nous nous
imaginons que l’anéantissement d’un être aussi parfait que nous dégraderait
toute la nature ; et nous ne concevons pas qu’un homme de plus ou de moins
dans le monde, que dis-je ! tous les hommes ensemble, cent millions de terres
comme la nôtre, ne font qu’un atome subtil et délié que Dieu n’aperçoit qu’à
cause de l’immensité de ses connaissances.
De Paris, le 15 de la lune de Saphar, 1715.

LETTRE LXXVII
Ibben à Usbek

À Paris

Mon cher Usbek, il me semble que, pour un vrai musulman, les malheurs
sont moins des châtiments que des menaces. Ce sont des jours bien précieux
que ceux qui nous portent à expier les offenses ! C’est le temps des
prospérités qu’il faudrait abréger. Que servent toutes ces impatiences, qu’à
faire voir que nous voudrions être heureux indépendamment de celui qui
donne les félicités, parce qu’il est la félicité même ?
Si un être est composé de deux êtres, et que la nécessité de conserver
l’union marque plus la soumission aux ordres du Créateur, on en a pu faire
une loi religieuse : si cette nécessité de conserver l’union est un meilleur
garant des actions des hommes, on en a pu faire une loi civile.
De Smyrne, le dernier de la lune de Saphar, 1715.

LETTRE LXXVIII
Rica à Usbek

À ***

Je t’envoie la copie d’une lettre qu’un Français qui est en Espagne a écrite

ici, je crois que tu seras bien aise de la voir :

« Je parcours depuis six mois l’Espagne et le Portugal, et je vis parmi

les peuples qui, méprisant tous les autres, font aux seuls Français l’honneur
de les haïr.
La gravité est le caractère brillant des deux nations : elle se manifeste
principalement de deux manières ; par les lunettes, et par la moustache.
Les lunettes font voir démonstrativement que celui qui les porte est un
homme consommé dans les sciences et enseveli dans de profondes lectures
à un tel point que sa vue en est affaiblie ; et tout nez qui en est orné ou chargé
peut passer sans contredit pour le nez d’un savant.
Quant à la moustache, elle est respectable par elle-même et
indépendamment des conséquences ; quoiqu’on ne laisse pas d’en tirer
quelquefois de grandes utilités pour le service du prince et l’honneur de la
nation, comme le fit bien voir un fameux général portugais dans les Indes ;
car, se trouvant avoir besoin d’argent, il se coupa une de ses moustaches,
et envoya demander aux habitants de Goa vingt mille pistoles sur ce gage :
elles lui furent prêtées d’abord ; et dans la suite il retira sa moustache avec
honneur.
On conçoit aisément que des peuples graves et flegmatiques comme
ceux-là peuvent avoir de l’orgueil : aussi en ont-ils. Ils le fondent
ordinairement sur deux choses bien considérables. Ceux qui vivent dans le
continent de l’Espagne et du Portugal se sentent le cœur extrêmement élevé
lorsqu’ils sont ce qu’ils appellent de vieux chrétiens, c’est-à-dire qu’ils ne
sont pas originaires de ceux à qui l’inquisition a persuadé dans ces derniers
siècles d’embrasser la religion chrétienne. Ceux qui sont dans les Indes ne
sont pas moitié flattés lorsqu’ils considèrent qu’ils ont le sublime mérite
d’être, comme ils disent, hommes de chair blanche. Il n’y a jamais eu dans
le sérail du grand-seigneur de sultane si orgueilleuse de sa beauté que le plus
vieux et le plus vilain mâtin ne l’est de la blancheur olivâtre de son teint,

lorsqu’il est dans une ville du Mexique, assis sur sa porte, les bras croisés.
Un homme de cette conséquence, une créature si parfaite, ne travaillerait pas
pour tous les trésors du monde, et ne se résoudrait jamais, par une vile et
mécanique industrie, de compromettre honneur et la dignité de sa peau.
Car il faut savoir que, lorsqu’un homme a un certain mérite en Espagne,
comme, par exemple, quand il peut ajouter aux qualités dont je viens de
parler celle d’être le propriétaire d’une grande épée, ou d’avoir appris de
son père l’art de faire jurer une discordante guitare, il ne travaille plus ; son
honneur s’intéresse au repos de ses membres. Celui qui reste assis dix heures
par jour obtient précisément la moitié plus de considération qu’un autre qui
n’en reste que cinq, parce que c’est sur les chaises que la noblesse s’acquiert.
Mais quoique ces invincibles ennemis du travail fassent parade d’une
tranquillité philosophique, ils ne l’ont pourtant pas dans le cœur ; car ils sont
toujours amoureux. Ils sont les premiers hommes du monde pour mourir de
langueur sous la fenêtre de leurs maîtresses ; et tout Espagnol qui n’est pas
enrhumé, ne saurait passer pour galant.
Ils sont premièrement dévots, et secondement jaloux. Ils se garderont
bien d’exposer leurs femmes aux entreprises d’un soldat criblé de coups, ou
d’un magistrat décrépit ; mais ils les enfermeront avec un novice fervent qui
baisse les yeux, ou un robuste franciscain qui les élève.
Ils permettent à leurs femmes de paraître avec le sein découvert ; mais
ils ne veulent pas qu’on leur voie le talon et qu’on les surprenne par le bout
des pieds.
On dit partout que les rigueurs de l’amour sont cruelles ; elles le sont
encore plus pour les Espagnols. Les femmes les guérissent de leurs peines ;
mais elles ne font que leur en faire changer ; et il leur reste souvent un long
et fâcheux souvenir d’une passion éteinte.
Ils ont de petites politesses qui en France paraîtraient mal placées :
par exemple, un capitaine ne bat jamais son soldat sans lui en demander
permission ; et l’inquisition ne fait jamais brûler un Juif sans lui faire ses
excuses.
Les Espagnols qu’on ne brûle pas paraissent si attachés à l’inquisition
qu’il y aurait de la mauvaise humeur de la leur ôter. Je voudrais seulement
qu’on en établit une autre, non pas contre les hérétiques, mais contre
les hérésiarques qui attribuent à de petites pratiques monacales la même
efficacité qu’aux sept sacrements, qui adorent tout ce qu’ils vénèrent, et qui
sont si dévots qu’ils sont à peine chrétiens.
Vous pourrez trouver de l’esprit et du bon sens chez les Espagnols ; mais
n’en cherchez point dans leurs livres. Voyez une de leurs bibliothèques, les
romans d’un côté, et les scholastiques de l’autre ; vous diriez que les parties

en ont été faites et le tout rassemblé par quelque ennemi secret de la raison
humaine.
Le seul de leurs livres qui soit bon est celui qui a fait voir le ridicule de
tous les autres.
Ils ont fait des découvertes immenses dans le Nouveau-Monde, et ils ne
connaissent pas encore leur propre continent. Il y a sur leurs rivières tel pont
qui n’a pas encore été découvert, et dans leurs montagnes des nations qui
leur sont inconnues.
Ils disent que le soleil se lève et se couche dans leur pays : mais il faut
dire aussi qu’en faisant sa course il ne rencontre que des campagnes ruinées
et des contrées désertes. »

Je ne serais pas fâché, Usbek, de voir une lettre écrite à Madrid par un
Espagnol qui voyagerait en France ; je crois qu’il vengerait bien sa nation.
Quel vaste champ pour un homme flegmatique et pensif ! Je m’imagine qu’il
commencerait ainsi la description de Paris :
Il y a ici une maison où l’on met les fous : on croirait d’abord qu’elle est
la plus grande de la ville. Non : le remède est bien petit pour le mal. Sans
doute que les Français, extrêmement décriés chez leurs voisins, enferment
quelques dans une maison pour persuader que ceux qui sont dehors ne le
sont pas.
Je laisse là mon Espagnol Adieu, mon cher Usbek.
De Paris, le 17 de la lune de Saphar, 1715.

LETTRE LXXIX

Le grand eunuque noir à Usbek

À Paris

Hier des Arméniens menèrent au sérail une jeune esclave de Circassie,

qu’ils voulaient vendre. Je la fis entrer dans les appartements secrets, la
déshabillai, je l’examinai avec les regards d’un juge ; et plus je l’examinai,
plus je lui trouvai de races. Une pudeur virginale semblait vouloir les dérober
à ma vue : je vis tout ce qu’il lui en coûtait pour obéir : elle rougissait de se
voir nue, même devant moi, qui, exempt des passions qui peuvent alarmer la
pudeur, suis inanimé sous l’empire de ce sexe, et qui, ministre de la modestie,
dans les actions les plus libres, ne porte que de chastes regards et ne puis
inspirer que l’innocence.
Dès que je l’eus jugée digne de toi, je baissai les yeux, je lui jetai un
manteau d’écarlate ; je lui mis au doigt un anneau d’or ; je me prosternai à
ses pieds ; je l’adorai comme la reine de ton cœur. Je payai les Arméniens :
je la dérobai à tous les yeux. Heureux Usbek, tu possèdes plus de beautés
que n’en renferment tous les palais d’Orient. Quel plaisir pour toi de trouver
à ton retour tout ce que la Perse a de plus ravissant, et de voir dans ton sérail
renaître les grâces à mesure que le temps et la possession travaillent à les
détruire !
Du sérail de Fatmé, le premier de la lune de Rebiab, 1,1715.

LETTRE LXXX
Usbek à Rhédi

À Venise

Depuis que je suis en Europe, mon cher Rhédi, vu bien des

gouvernements. Ce n’est pas comme en Asie, où les règles de la politique
se trouvent partout les mêmes.
J’ai souvent recherché quel était le gouvernement le plus conforme à la
raison. Il m’a semblé que le plus parfait est celui qui va à son but à moins de
frais ; de sorte que celui qui conduit les hommes de la manière qui convient
le plus à leur penchant et à leur inclination est le plus parfait.
Si, dans un gouvernement doux, le peuple est aussi soumis que dans un
gouvernement sévère, le premier est préférable, puisqu’il est plus conforme
à la raison, et que la sévérité est un motif étranger.
Compte, mon cher Rhédi, que dans un état les peines plus ou moins
cruelles ne font pas que l’on obéisse plus aux lois. Dans les pays où
les châtiments sont modérés, on les craint comme dans ceux où ils sont
tyranniques et affreux.
Soit que le gouvernement soit doux, soit qu’il soit cruel, on punit toujours
par degrés ; on inflige un châtiment plus ou moins grand à un crime plus ou
moins grand. L’imagination se plie d’elle-même aux mœurs du pays où l’on
est : huit jours de prison ou une légère amende frappent autant l’esprit d’un
Européen nourri dans un pays de douceur que la perte d’un bras intimide
un Asiatique. Ils attachent un certain degré de crainte à un certain degré
de peine, et chacun la partage à sa façon : le désespoir de l’infamie vient
désoler un Français condamné à une peine qui n’ôterait pas un quart d’heure
de sommeil à un Turc.
D’ailleurs je ne vois pas que la police, la justice et l’équité, soient mieux
observées en Turquie, en Perse, chez le Mogol, que dans les républiques
de Hollande, de Venise, et dans l’Angleterre même : je ne vois pas qu’on
y commette moins de crimes, et que les hommes, intimidés par la grandeur
des châtiments y soient plus soumis aux lois.
Je remarque au contraire une source d’injustices et de vexations au milieu
de ces mêmes états.
Je trouve même le prince, qui est la loi même, moins maître que partout
ailleurs.

Je vois que, dans ces moments rigoureux, il y a toujours des mouvements

tumultueux où personne n’est le chef, et que, quand une fois l’autorité
violente est méprisée, il n’en reste plus assez à personne pour la faire
revenir :
Que le désespoir même de l’impunité confirme le désordre, et le rend
plus grand :
Que, dans ces états, il ne se forme point de petite révolte, et qu’il n’y a
jamais d’intervalle entre le murmure et la sédition :
Qu’il ne faut point que les grands événements y soient préparés par
de grandes causes ; au contraire, le moindre accident produit une grande
révolution souvent aussi imprévue de ceux qui la font pie de ceux qui la
souffrent.
Lorsqu’Osman, empereur des Turcs, fut déposé, aucun de ceux qui
commirent cet attentat ne songeait à le commettre : ils demandaient
seulement en suppliants qu’on leur fit justice sur quelque grief : une voix,
qu’on n’a jamais connue, sortit de la foule par hasard ; le nom de Mustapha
fut prononcé, et soudain Mustapha fut empereur.
De Paris, le 2 de la lune de Rebiab, 1,1715.

LETTRE LXXXI
Nargum, envoyé de Perse
en Moscovie, à Usbek

À Paris

De toutes les nations du monde, mon cher Usbek, il n’y en pas qui ait

surpassé celle des Tartares par gloire ou par la grandeur des conquêtes. Ce
peuple est le vrai dominateur de l’univers tous les autres semblent être faits
pour le servir ; il est également le fondateur et le destructeur des empires :
dans tous les temps il a donné sur la terre des marques de sa puissance ; dans
tous les âges il a été le fléau des nations.
Les Tartares ont conquis deux fois la Chine, et ils la tiennent encore sous
leur obéissance. Ils dominent les vastes pays qui forment l’empire du Mogol.
Maîtres de la Perse, ils sont assis sur le trône de Cyrus et de Gustaspe.
Ils ont soumis la Moscovie. Sous le nom de Turcs ils ont fait des conquêtes
immenses dans l’Europe, l’Asie et l’Afrique ; et ils dominent sur ces trois
parties de l’univers.
Et, pour parler de temps plus reculés, c’est d’eux que sont sortis quelques-
uns des peuples qui ont renversé l’empire romain.
Qu’est-ce les conquêtes d’Alexandre comparaison de celle de
Gengiskan ?
Il n’a manqué à cette victorieuse nation que des historiens pour célébrer
la mémoire de ses merveilles.
Que d’actions immortelles ont été ensevelies dans l’oubli ! que d’empires
par eux fondés dont nous ignorons l’origine ! Cette belliqueuse nation,
uniquement occupée de sa gloire présente, sûre de vaincre dans tous les
temps, ne songeait point se signaler dans l’avenir par la mémoire de ses
conquêtes passées.
De Moscou, le 4 de la lune de Rebiab, 1,1715.

LETTRE LXXXII
Rica à Ibben

À Smyrne

Quoique les Français parlent beaucoup, il y a cependant parmi eux une
espèce de dervis taciturnes qu’on appelle chartreux. On dit qu’ils se coupent
la langue en entrant dans le couvent ; et on souhaiterait fort que tous les
autres dervis se retranchassent de même tout ce que leur profession leur rend
inutile.
À propos de gens taciturnes, il y en a de bien plus singuliers que ceux-là,
et qui ont un talent bien extraordinaire ; ce sont ceux qui savent parler sans
rien dire, et qui amusent une conversation pendant deux heures de temps,
sans qu’il soit possible de les déceler, d’être leur plagiaire, ni de retenir un
mot de ce qu’ils ont dit.
Ces sortes de gens sont adorés des femmes ; mais ils ne le sont pas tant que
d’autres qui ont reçu de la nature l’aimable talent de sourire à propos, c’est-
à-dire à chaque instant, et qui portent la grâce d’une joyeuse approbation sur
tout ce qu’elles disent.
Mais ils sont au comble de l’esprit lorsqu’ils savent entendre finesse
à tout, et trouver mille petits traits ingénieux dans les choses les plus
communes.
J’en connais d’autres qui se sont bien trouvés d’introduire dans les
conversations des choses inanimées, et d’y faire parler leur habit brodé,
leur perruque blonde, leur tabatière, leur canne, et leurs gants. Il est bon de
commencer de la rue à se faire écouter par le bruit du carrosse, et du marteau
qui frappe rudement la porte : cet avant-propos prévient pour le reste du
discours : et quand l’exorde est beau, il rend supportables toutes les sottises
qui viennent ensuite, mais qui par bonheur arrivent trop tard.
Je te promets que ces petits talents, dont on ne fait aucun cas chez nous,
servent bien ici ceux qui sont assez heureux pour les avoir, et qu’un homme
de bon sens ne brille guère devant eux.
De Paris, le 6 de la lune de Rebiab, 2,1715.

LETTRE LXXXIII
Usbek à Rhédi

À Venise

S’il y a un Dieu, mon cher Rhédi, il faut nécessairement qu’il soit juste ;

car s’il ne l’était pas, il serait le plus mauvais et le plus imparfait de tous
les êtres.
La justice est un rapport de convenance qui se trouve réellement entre
deux choses : ce rapport est toujours le même, quelque être qui le considère,
soit que ce soit Dieu, soit que ce soit un ange, ou enfin que ce soit un homme.
Il est vrai que les hommes ne voient pas toujours ces rapports ; souvent
même lorsqu’ils les voient, ils s’en éloignent ; et leur intérêt est toujours ce
qu’ils voient le mieux. La justice élève sa voix ; mais elle a peine à se faire
entendre dans le tumulte des passions.
Les hommes peuvent faire des injustices, parce qu’ils ont intérêt de les
commettre, et qu’ils préfèrent leur propre satisfaction à celle des autres.
C’est toujours par un retour sur eux-mêmes qu’ils agissent : nul n’est
mauvais gratuitement ; il faut qu’il y ait une raison qui détermine et cette
raison est toujours une raison d’intérêt.
Mais il n’est pas possible que Dieu fasse jamais rien d’injuste : dès qu’on
suppose qu’il voit la justice, il faut nécessairement qu’il la suive ; car, comme
il n’a besoin de rien et qu’il se suffit à lui-même, il serait le plus méchant de
tous les êtres, puisqu’il le serait sans intérêt.
Ainsi, quand il n’y aurait pas de Dieu, nous devrions toujours aimer la
justice, c’est-à-dire faire nos efforts pour ressembler à cet être dont nous
avons une si belle idée, et qui, s’il existait, serait nécessairement juste. Libres
que nous serions du joug de la religion, nous ne devrions pas l’être de celui
de l’équité.
Voilà, Rhédi, ce qui m’a fait penser que la justice est éternelle, et ne
dépend point des conventions humaines ; et, quand elle en dépendrait, ce
serait une vérité terrible qu’il faudrait se dérober à soi-même.
Nous sommes entourés d’hommes plus forts que nous ; ils peuvent nous
nuire de mille manières différentes ; les trois quarts du temps ils peuvent le
faire impunément. Quel repos pour nous de savoir qu’il y a dans le cœur de
tous ces hommes un principe intérieur qui combat en notre faveur et nous
met à couvert de leurs entreprises !

Sans cela nous devrions être dans une frayeur continuelle ; nous

passerions devant les hommes comme devant les lions, et nous ne serions
jamais assurés un moment de notre bien, de notre honneur et de notre vie.
Toutes ces pensées m’animent contre ces docteurs qui représentent Dieu
comme un être qui fait un exercice tyrannique de sa puissance ; qui le font
agir d’une manière dont nous ne voudrions pas agir nous-mêmes de peur de
l’offenser, qui le chargent de toutes les imperfections qu’il punit en nous,
et, dans leurs opinions contradictoires, le représentent tantôt comme un être
mauvais, tantôt comme un être qui hait le mal et le punit.
Quand un homme s’examine, quelle satisfaction pour lui de trouver qu’il
a le cœur juste ! ce plaisir, tout sévère qu’il est, doit le ravir : il voit son être
autant au-dessus de ceux qui ne l’ont pas, qu’il se voit au-dessus des tigres
et des ours. Oui, Rhédi, si j’étais sûr de suivre toujours inviolablement cette
équité que j’ai devant les yeux, je me croirais le premier des hommes.
De Paris le premier de la lune de Gemmadi , 1,1715.

LETTRE LXXXIV
Rica à ***

Je fus hier aux Invalides : j’aimerais autant avoir fait cet établissement, si

j’étais prince, que d’avoir gagné trois batailles. On y trouve partout la main
d’un grand monarque. Je crois que c’est le lieu le plus respectable de la terre.
Quel spectacle de voir assemblées dans un même lieu toutes ces victimes
de la patrie, qui ne respirent que pour la défendre, et qui, se sentant le même
cœur et non pas la même force, ne se plaignent que de l’impuissance où elles
sont de se sacrifier encore pour elle !
Quoi de plus admirable que de voir ces guerriers débiles, dans cette
retraite, observer une discipline aussi exacte que s’ils y étaient contraints
par la présence d’un ennemi, chercher leur dernière satisfaction dans cette
image de la guerre, et partager leur cœur et leur esprit entre les devoirs de
la religion et ceux de l’art militaire !
Je voudrais que les noms de ceux qui meurent pour la patrie fussent
conservés dans les temples, et écrits dans des registres qui fussent comme
la source de la gloire et de la noblesse.
De Paris, le 15 de la lune de Gemmadi, 1,1715.

LETTRE LXXXV
Usbek à Mirza

À Ispahan

Tu sais, Mirza, que quelques ministres de Cha-Soliman avaient formé le

dessein d’obliger tous les Arméniens de Perse de quitter le royaume ou de
se faire mahométans, dans la pensée que notre empire serait toujours pollué
tandis qu’il garderait dans son sein ces infidèles.
C’était fait de la grandeur persane si dans cette occasion l’aveugle
dévotion avait été écoutée.
On ne sait comment la chose manqua. Ni ceux qui firent la proposition ni
ceux qui la rejetèrent n’en connurent les conséquences : le hasard fit l’office
de la raison et de la politique, et sauva l’empire d’un péril plus grand que
celui qu’il aurait pu courir de la perte d’une bataille et de la prise de deux
villes.
En proscrivant les Arméniens on pensa détruire en un seul jour tous les
négociants et presque tous les artisans du royaume. Je suis sûr que le grand
Cha-Abas aurait mieux aimé se faire couper les deux bras que de signer un
ordre pareil, et qu’en envoyant au mogol et aux autres rois des Indes ses
sujets les plus industrieux, il aurait cru leur donner la moitié de ses états.
Les persécutions que nos mahométans zélés ont faites aux guèbres les
ont obligés de passer en foule dans les Indes, et ont privé la Perse de cette
nation si appliquée au labourage, et qui seule, par son travail, était en état
de vaincre la stérilité de nos terres.
Il ne restait à la dévotion qu’un second coup à faire : c’était de ruiner
l’industrie ; moyennant quoi l’empire tombait de lui-même, et avec lui, par
une suite nécessaire, cette même religion qu’on voulait rendre si florissante.
S’il faut raisonner sans prévention, je ne sais, Mirza, s’il n’est pas bon
que, dans un état, il y ait plusieurs religions.
On remarque que ceux qui vivent dans des religions tolérées se rendent
ordinairement plus utiles à leur patrie que ceux qui vivent dans la religion
dominante, parce que, éloignés des honneurs, ne pouvant se distinguer que
par leur opulence et leurs richesses, ils sont portés à en acquérir par leur
travail, et à embrasser les emplois de la société les plus pénibles.

D’ailleurs, comme toutes les religions contiennent des préceptes utiles à

la société, il est bon qu’elles soient observées avec zèle : or qu’y a-t-il de
plus capable d’animer ce zèle que leur multiplicité ?
Ce sont des rivales qui ne se pardonnent rien. La jalousie descend
jusqu’aux particuliers ; chacun se tient sur ses gardes, et craint de faire des
choses qui déshonoreraient son parti et l’exposeraient aux mépris et aux
censures impardonnables du parti contraire.
Aussi a-t-on toujours remarqué qu’une secte nouvelle, introduite dans un
état, était le moyen le plus sûr pour corriger tous les abus de l’ancienne.
On a beau dire qu’il n’est pas de l’intérêt du prince de souffrir plusieurs
religions dans son état : quand toutes les sectes du monde viendraient s’y
rassembler, cela ne lui porterait aucun préjudice, parce qu’il n’y en a aucune
qui ne prescrive l’obéissance et ne prêche la soumission.
J’avoue que les histoires sont remplies de guerres de religion : mais,
qu’on y prenne bien garde, ce n’est point la multiplicité des religions qui
a produit ces guerres, c’est l’esprit d’intolérance qui animait celle qui se
croyait la dominante.
C’est cet esprit de prosélytisme que les Juifs ont pris des Égyptiens,
et qui d’eux est passé, comme une maladie épidémique et populaire, aux
mahométans et aux chrétiens.
C’est enfin cet esprit de vertige dont les progrès ne peuvent être regardés
que comme une éclipse entière de la raison humaine.
Car enfin, quand il n’y aurait pas de l’inhumanité à affliger la conscience
des autres, quand il n’en résulterait aucun des mauvais effets qui en germent
à milliers, il faudrait être fou pour s’en aviser. Celui qui veut me faire
changer de religion ne le fait sans doute que parce qu’il ne changerait pas la
sienne quand on voudrait l’y forcer : il trouve donc étrange que je ne fasse
pas une chose qu’il ne ferait pas lui-même peut-être pour l’empire du monde.
De Paris, le 26 de la lune de Gemmadi, 1,1715.

LETTRE LXXXVI
Rica à ***

Il semble ici que les familles se gouvernent toutes seules. Le mari n’a

qu’une ombre d’autorité sur sa femme, le père sur ses enfants, le maître sur
ses esclaves. La justice se mêle de tous leurs différents ; et sois sûr qu’elle
est toujours contre le mari jaloux, le père chagrin, le maître incommode.
J’allai l’autre jour dans le lieu où se rend la justice. Avant d’y arriver,
il faut passer sous les armes d’un nombre infini de jeunes marchandes qui
vous appellent d’une voix trompeuse. Ce spectacle d’abord est assez riant ;
mais il devient lugubre lorsqu’on entre dans les grandes salles, où l’on ne
voit que des gens dont l’habit est encore plus grave que la figure. Enfin on
entre dans le lieu sacré où se révèlent tous les secrets des familles, et où les
actions les plus cachées sont mises au grand jour.
Là, une fille modeste vient avouer les tourments d’une virginité trop
longtemps gardée, ses combats et sa douloureuse résistance : elle est si peu
fière de sa victoire qu’elle menace toujours d’une défaite prochaine ; et, pour
que son père n’ignore plus ses besoins, elle les expose à tout le peuple.
Une femme effrontée vient ensuite exposer les outrages qu’elle a faits à
son époux comme une raison d’en être séparée.
Avec une modestie pareille, une autre vient dire qu’elle est lasse de porter
le titre de femme sans en jouir ; elle vient révéler les mystères cachés dans
la nuit du mariage ; elle veut qu’on la livre aux regards des experts les plus
habiles, et qu’une sentence la rétablisse dans tous les droits de la virginité.
Il y en a même qui osent défier leurs maris, et leur demander en public un
combat que les témoins rendent si difficile ; épreuve aussi flétrissante pour
la femme qui la soutient que pour le mari qui y succombe.
Un nombre infini de filles, ravies ou séduites, font les hommes beaucoup
plus mauvais qu’ils ne sont. L’amour fait retentir ce tribunal, on n’y entend
parler que de pères irrités, de filles abusées, d’amants infidèles et de maris
chagrins.
Par la loi qui y est observée, tout enfant né pendant le mariage est censé
être au mari : il a beau avoir de bonnes raisons pour ne le pas croire, la loi
le croit pour lui, et le soulage de l’examen et des scrupules.
Dans ce tribunal on prend les voix à la majeure : mais on dit qu’on a
reconnu par expérience qu’il vaudrait mieux les recueillir à la mineure : et

cela est assez naturel ; car il y a très peu d’esprits justes, et tout le monde
convient qu’il y en a une infinité de faux.
De Paris, le premier de la lune de Gemmadi, 1715.

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