SCENE X.
M. RAGOT, LUBIN.
M. RAGOT.
L’occasion s’offre à propos ;
Alons donc jetter par avance
Les fondemens de ma vengeance :
Je ne travailleray point mal
Si je puis chasser mon rival
D’auprés cette impudente femme.
Va n’as-tu point de honte infame,
Que les voisins entendent tous
Ta femme te roüer de coups ?
LUBIN.
Il est vray, voisin, mais q’y faire ?
Faut-il que je m’en desespere ?
Le maudit compere qu’elle a
Me hait, & l’oblige à cela.
M. RAGOT.
Que fait-il chez toy ce compere ?
LUBIN.
Il fait ce que j’y devrois faire.
M. RAGOT.
J’ay feint d’avoir adroittement
Besoin de luy pour un moment ;
Pour l’avertir qu’on le blasme
De voir trop librement ta femme :
Mais loin d’en estre inquieté
En se mocquant il m’a quitté ;
Il alloit troussant sa moustache
Te monter un vilain panache.
LUBIN.
Vous m’eussiez obligé beaucoup
Voisin, de détourner ce coup.
M. RAGOT.
Encor passe pour ce Compere,
Car nos femmes ont d’ordinaire
Pour nostre plus grand ennemy
Quelque Compere ou quelque amy ;
Mais on te croit sans raillerie
Chef de la grande Confrairie.
LUBIN.
Voisin, je suis ce que je suis,
Et d’estre autrement je ne puis ;
Ma femme est, & coquette, & belle,
Je m’en ry tout tombe sur elle,
C’est son affaire, brisons-là :
Mais le plus grand deffaut qu’elle a,
Au moins le plus insupportable,
C’est qu’elle me bat comme un diable,
Car ses coups me rendent la peau
Plus noir que vostre chapeau.
M. RAGOT.
Vois-tu voisin ! je suis un homme….
LUBIN.
Je le sçay, qui revient de Rome.
M. RAGOT.
J’ay bien esté dans d’autres lieux,
Et si je ne suis pas trop vieux.
LUBIN.
Peut-on aller plus loin que Rome ?
M. RAGOT.
Tu n’en as guere veu, pauvre homme !
LUBIN.
Guere ? J’ay pourtant veu Paris,
Et le thresor de saint Denis.
M. RAGOT.
C’est voir, sans voir toute la France
Ce qui s’y voit de consequence.
LUBIN.
Mais peste ! je m’amuse bien
J’auray tantost du rost de chien,
Je vay revenir.
M. RAGOT.
Non demeure,
Je m’en vay te ravir sur l’heure :
T’entretenir, estant pressé
De tous les lieux où j’ay passé,
Ces recits seroient incommodes.
Sçache qu’estant aux Antipodes
L’on me fit present d’unthresor
Qui vaut plus d’un million d’or,
Et si ce n’est qu’une racine,
Laquelle mise sur l’echine
D’une femme fut-ce un Demon,
La rend plus douce qu’un mouton.
LUBIN.
Peste ! l’admirable racine !
D’où peut venir son origine ?
M. RAGOT.
Du pied d’un arbre que j’ay veu
Qu’avoit planté Lusse-tu-cru
A ce qu’on dit, & puis fit Gilles.
LUBIN.
Peste ? il estoit des plushabilles :
Ce bois a cette faculté ?
M. RAGOT.
Si ta femme en avoit tasté.
LUBIN.
Vrayment je veux bien qu’elle entaste ;
Mais une autre fois, car j’ay haste.
M. RAGOT.
Attend, dans un quart d’heure, ou deux
Elle en tastera si tu veux ;
Ce ne seroit plus elle mesme,
Sa douceur deviendroit extresme
Par la faculté de ce bois.
LUBIN.
La baiserois-je quelque fois ?
Pourrois-je coucher avec elle ;
M. RAGOT.
He quoy donc ? la grandenouvelle !
N’y couches-tu pas quand tu veux ?
LUBIN.
Mort-bleu ! que je seroisheureux !
Ce seroit une bonne affaire !
Mais où coucheroit le Compere ?
M. RAGOT.
Qu’il couche au diable desormais.
LUBIN.
Elle ne le voudra jamais,
C’est un homme qu’elle idolatre.
M. RAGOT.
Mais tu la battras comme plastre
Si tu veux, & tu luy feras
Faire tout ce que tu voudras.
Elle viendra dans sa colere
Te traitter comme à l’ordinaire :
Comme elle prendra son haut ton,
Tu tiendras ferme ce baston,
Qui vaut mieux que deux vertesgaules :
Tu luy sangleras les espaules
Seulement de quinze ou vingt coups,
Tu la verras à tes genoux
Plus souple & plus obeïssante
Qu’une jeune & neufve servante,
Te dire en larmes, je promets
De n’aimer que toy desormais,
De ne plus souffrir le Compere.
LUBIN.
Ce seroit bien là mon affaire :
Mais l’homme qui l’avoit trouvé
Ce baston…
M. RAGOT.
L’avoit éprouvé :
Mais connoissois-tu pas ma femme ?
LUBIN.
Oüy, c’estoit une bonne lamme.
M. RAGOT.
Trois coups la rendirent d’abord
Plus douce qu’un enfant qui dort :
Mais il faut dedans ta memoire
Mettre quatre mots de Grimoire,
Et les dire, autrement, ma foy,
Les coups retourneroient sur toy.
LUBIN.
Ah ! je veux donc bien les apprendre.
Avant que de rien entreprendre.
M. RAGOT.
Oüy, car il les faut prononcer
Auparavant que commencer,
LUBIN.
Elle va revenir, je meure :
Apprenés les moy tout à l’heure
Et nous allons dans un moment
Voir un diable de changement
Pour elle & pour moy fort risible,
Si le secret est infaillible
Je ne vous épargneray rien,
Prenés mon honneur & mon bien,
J’ay fort peu de l’un & de l’autre,
Mais disposez comme de vostre.
M. RAGOT.
Va je ne te demande rien,
Voicy les mots retient les bien.
LUBIN.
Vrayment pour cesser d’estre esclave…
M. RAGOT.
Tasse rouzi friou titave.
LUBIN.
La peste ! quels diables demots !
Je ne trouve plus à propos
De les apprendre tout à l’heure,
Il me faut deux mois, ou je meure
Avant que de les bien sçavoir ;
Adieu, voisin, jusqu’au revoir.
M. RAGOT.
Demeure, il n’est rien plus facile :
Quand tu serois plus imbecile
Que la mesme imbecilité,
Je donne la facilité
D’apprendre en un jour une histoire.
LUBIN.
Mais donnez-vous de la memoire ?
Il faudroit viste m’en fournir
Car ma femme va revenir.
M. RAGOT.
Dy donc, tu n’as que de la bave :
Tasse rouzi friou titave.
LUBIN.
Tasse, rosty…
M. RAGOT.
Quoy ! quatre mots….
LUBIN.
Patience, un peu de repos.
M. RAGOT.
Tasse…
LUBIN.
Je sçay bien une tasse
Dans laquelle on boit.
M. RAGOT.
Je me lasse.
LUBIN.
Dites-les moy plus posement.
M. RAGOT.
Je parle assez distinctement
Tasse rouzi…
LUBIN.
Disons ensemble.
M. RAGOT.
Pourquoy m’interrompre ?
LUBIN.
Il me semble
Que quand nous parlerons toux deux
Je les diray peut-estre mieux.
M. RAGOT.
Tasse.
LUBIN.
Tasse.Dis-je pas bien ?
M. RAGOT.
Acheve,
LUBIN.
Je ne sçay plus rien.
M. RAGOT.
Et comment donc pretens-tu faire ?
LUBIN.
Il faut achever nostre affaire.
M. RAGOT.
Mais quoy ! si tu ne retiens pas.
LUBIN.
Mais que l’on parle mal là bas !
Le langage est bien incommode
Dedans la ville d’Antipode !
Cela me feroit detester.
M. RAGOTà part.
Je ne me veux point rebutter,
Il faut s’armer de patience
Pour bien asseurer sa vengeance,
Elle est tantost en mon pouvoir.
LUBIN.
Escoutez, je croy, les sçavoir :
Tasse rouzi friou titave.
M. RAGOT.
Les voilà, tu n’es plus esclave,
Ils te rendront Maistre chez toy.
Adieu.
