MÉNON de Platon

SOCRATE.
Et qu’elles ont des pores dans lesquels et au travers
desquels passent ces écoulements?

MÉNON.
Assurément.

SOCRATE.
Et que certains écoulements sont proportionnés à certains
pores, au lieu que pour d’autres ils sont trop grands
ou trop petits?

MÉNON.
Cela est vrai.

SOCRATE.
Et tu appelles quelque chose la vue?

MÉNON.
Oui.

SOCRATE.
Cela posé, comprends ce que je dis, comme parle
Pindare . La couleur n’est autre chose qu’un
écoulement de figures, correspondant à la vue et sensible.

MÉNON.
Cette réponse me paraît parfaitement belle, Socrate.

SOCRATE.
Cela vient peut-être de ce qu’elle ne t’est point étrangère;
et puis tu vois, je pense, qu’il te serait aisé sur cette
réponse d’expliquer ce que c’est que la voix, l’odorat,
et beaucoup d’autres choses semblables.

MÉNON.
Sans doute.

SOCRATE.
Elle a je ne sais quoi de tragique, Ménon ; c’est
pourquoi elle te plaît plus que la réponse touchant la
figure.

MÉNON.
Je l’avoue.

SOCRATE.
Elle n’est pourtant pas si bonne, fils d’Alexidemos, à ce que

je me persuade; mais l’autre vaut mieux. Je pense que tu
en jugerais de même, si, comme tu disais hier, tu n’étais
point obligé de partir avant les mystères, mais que tu
pusses rester et te faire initier.

MÉNON.
Je resterais volontiers, Socrate, si tu consentais à me dire
beaucoup de choses pareilles.

SOCRATE.
Du côté de la bonne volonté je ne négligerai rien, tant à
cause de toi qu’à cause de moi. Mais je crains bien de
n’être point capable de te dire beaucoup de choses
semblables. Mets-toi en devoir présentement de remplir ta
promesse, et de me dire ce que c’est que la vertu prise en
général. Cesse de faire plusieurs choses d’une seule,
comme on dit d’ordinaire en raillant à ceux qui broient;
mais laissant la vertu dans sa totalité et son intégrité,
explique -moi en quoi elle consiste. Je t’ai donné des
modèles pour te diriger.

MÉNON.
Il me paraît donc, Socrate, que la vertu consiste, comme
dit le poète , à se plaire aux belles choses et à pouvoir
se les procurer. Ainsi j’appelle vertueux celui qui désire les
belles choses, et peut s’en procurer la jouissance.

SOCRATE.
Entends-tu que désirer les belles choses ce soit désirer les
bonnes?

MÉNON.
Précisément.

SOCRATE.
Est-ce qu’il y aurait des hommes qui désirent les mauvaises
choses, tandis que les autres désirent les bonnes? Ne
te semble-t-il pas, mon cher, que tous désirent ce qui est
bon?

MÉNON.
Nullement.

SOCRATE.
Mais, à ton avis, quelques-uns désirent ce qui est mauvais?

MÉNON.
Oui.

SOCRATE.
Veux-tu dire qu’ils regardent alors le mauvais comme bon;
ou que le connaissant pour mauvais, ils ne laissent pas de
le désirer?

MÉNON.
L’un et l’autre, ce me semble.

SOCRATE.
Quoi! Ménon, juges-tu qu’un homme connaissant le mal
pour ce qu’il est, puisse se porter à le désirer?

MÉNON.

Très fort.

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