Notre Dame de Paris – 1482 de Victor Hugo

III – MARIAGE DE PHŒBUS
Vers le soir de cette Journée, quand les officiers judiciaires de l’évêque vinrent relever sur le pavé du Parvis le cadavre disloqué de l’archidiacre, Quasimodo avait disparu de Notre-Dame.
Il courut beaucoup de bruits sur cette aventure. On ne douta pas que le jour ne fût venu où, d’après leur pacte, Quasimodo, c’est-à-dire le diable, devait emporter Claude Frollo, c’est-à-dire le sorcier. On présuma qu’il avait brisé le corps en prenant l’âme, comme les singes qui cassent la coquille pour manger la noix.
C’est pourquoi l’archidiacre ne fut pas inhumé en terre sainte.
Louis XI mourut l’année d’après, au mois d’août 1483. Quant à Pierre Gringoire, il parvint à sauver la chèvre,
et il obtint des succès en tragédie. Il paraît qu’après avoir goûté de l’astrologie, de la philosophie, de l’architecture, de l’hermétique, de toutes les folies, il revint à la tragédie, qui est la plus folle de toutes. C’est ce qu’il appelait avoir fait une fin tragique. Voici, au sujet de ses triomphes dramatiques, ce qu’on lit dès 1483 dans les comptes de l’ordinaire : « À Jehan Marchand et Pierre Gringoire, charpentier et compositeur, qui ont fait et composé le

mystère fait au Châtelet de Paris à l’entrée de monsieur le légat, ordonné des personnages, iceux revêtus et habillés ainsi que audit mystère était requis, et pareillement, d’avoir fait les échafauds qui étaient à ce nécessaires ; et pour ce faire, cent livres. »
Phœbus de Châteaupers aussi fit une fin tragique, il se maria.

IV – MARIAGE DE QUASIMODO
Nous venons de dire que Quasimodo avait disparu de Notre-Dame le jour de la mort de l’égyptienne et de l’archidiacre. On ne le revit plus en effet, on ne sut ce qu’il était devenu.
Dans la nuit qui suivit le supplice de la Esmeralda, les gens des basses œuvres avaient détaché son corps du gibet et l’avaient porté, selon l’usage, dans la cave de Montfaucon.
Montfaucon était, comme dit Sauval, « le plus ancien et le plus superbe gibet du royaume ». Entre les faubourgs du Temple et de Saint-Martin, à environ cent soixante toises des murailles de Paris, à quelques portées d’arbalète de la Courtille, on voyait au sommet d’une éminence douce, insensible, assez élevée pour être aperçue de quelques lieues à la ronde, un édifice de forme étrange, qui ressemblait assez à un cromlech celtique, et où il se faisait aussi des sacrifices humains.
Qu’on se figure, au couronnement d’une butte de plâtre, un gros parallélépipède de maçonnerie, haut de quinze pieds, large de trente, long de quarante, avec une porte, une rampe extérieure et une plate-forme ; sur cette plate-forme seize énormes piliers de pierre brute, debout, hauts de trente pieds, disposés en colonnade autour de trois des quatre côtés du massif qui les supporte, liés entre eux à leur sommet par de fortes poutres où pendent des chaînes d’intervalle en intervalle ; à toutes ces chaînes, des squelettes ; aux alentours dans la plaine, une croix de pierre et deux gibets de second ordre qui semblent pousser de bouture autour de la fourche centrale ; au-dessus de tout cela, dans le ciel, un vol perpétuel de corbeaux. Voilà Montfaucon.
À la fin du quinzième siècle, le formidable gibet, qui datait de 1328, était déjà fort décrépit. Les poutres étaient vermoulues, les chaînes rouillées, les piliers verts de moisissure. Les assises de pierre de taille étaient toutes refendues à leur jointure, et l’herbe poussait sur cette plate-forme où les pieds ne touchaient pas. C’était un horrible profil sur le ciel que celui de ce monument ; la nuit surtout, quand il y avait un peu de lune sur ces crânes blancs, ou quand la bise du soir froissait chaînes et squelettes et remuait tout cela dans l’ombre. Il suffisait de ce gibet présent là pour faire de tous les environs des lieux sinistres.
Le massif de pierre qui servait de base à l’odieux édifice était creux. On y avait pratiqué une vaste cave, fermée d’une vieille grille de fer détraquée, où l’on jetait non seulement les débris humains qui se détachaient des chaînes de Montfaucon, mais les corps de tous les malheureux exécutés aux autres gibets permanents de Paris. Dans ce profond charnier où tant de poussières humaines et tant de crimes ont pourri ensemble, bien des grands du monde, bien des innocents sont venus successivement apporter leurs os, depuis Enguerrand de Marigni, qui étrenna Montfaucon et qui était un juste, jusqu’à l’amiral de Coligni, qui en fit la clôture et qui était un juste.
Quant à la mystérieuse disparition de Quasimodo, voici tout ce que nous avons pu découvrir.
Deux ans environ ou dix-huit mois après les événements qui terminent cette histoire, quand on vint rechercher dans la cave de Montfaucon le cadavre d’Olivier le Daim, qui avait été pendu deux jours auparavant, et à qui Charles VIII accordait la grâce d’être enterré à Saint-Laurent en meilleure compagnie, on trouva parmi toutes ces carcasses hideuses deux squelettes dont l’un tenait l’autre singulièrement embrassé. L’un de ces deux squelettes, qui était celui d’une femme, avait encore quelques lambeaux de robe d’une étoffe qui avait été blanche, et on voyait autour de son cou un collier de grains d’adrézarach avec un petit sachet de soie, orné de verroterie verte, qui était ouvert et vide. Ces objets avaient si peu de valeur que le bourreau sans doute n’en avait pas voulu. L’autre, qui tenait celui-ci étroitement embrassé, était un squelette d’homme. On remarqua qu’il avait la colonne vertébrale déviée, la tête dans les omoplates, et une jambe plus courte que l’autre. Il n’avait d’ailleurs aucune rupture de vertèbre à la nuque, et il était évident qu’il n’avait pas été pendu. L’homme auquel il avait appartenu était donc venu là, et il y était mort. Quand on voulut le détacher du squelette qu’il embrassait, il tomba en poussière.

NOTE I.
Sur la page du titre, on lit dans le manuscrit de Notre- Dame de Paris la note suivante :
J’ai écrit les trois ou quatre premières pages de Notre- Dame de Paris le 25 Juillet 1830. La révolution de juillet m’interrompit. Puis ma chère petite Adèle vint au monde (Qu’elle soit bénie !). Je me remis à écrire Notre-Dame de Paris le 1er Septembre, et l’ouvrage fut terminé le 15 Janvier 1831.

Le chapitre I, la Grand’Salle, commençait ainsi dans le manuscrit :
« Il y a aujourd’hui, vingt-cinq Juillet 1830, trois cent quarante-huit ans six mois et dix-neufs jours, etc. »
Les mots vingt-cinq Juillet 1830 ont été biffés.
La date 1er septembre, se trouve avant l’alinéa : « S’il pouvait nous être donné, à nous hommes de 1830, etc. »
Au bas de la dernière page, on lit : 15 janvier 1831, 6 heures ½ du soir.

NOTE II.
Le manuscrit de Notre-Dame de Paris n’a presque pas de ratures. Il n’y a guère à y signaler de variantes que dans quelques titres de chapitres.
Le chapitre Histoire d’une galette au levain de maïs était d’abord intitulé : Histoire de l’enfant de la fille de joie.
Le chapitre Qu’un prêtre et un philosophe sont deux,
Le philosophe marié.
Le chapitre Le petit soulier, La chèvre est sauvée.

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