Olympe de Gouges, « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne »

Olympe de Gouges
DECLARATION DES DROITS DE LA FEMME ET DE LA CITOYENNE

Les droits de la femme
Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui
ôteras pas moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon
sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature
dans sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses,
l’exemple de cet empire tyrannique*. Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie
les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière
organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens. Cherche, fouille et
distingue, si tu le peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout, tu les
trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-
d’œuvre immortel.
L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de
sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus
crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés
intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne
rien dire de plus.
DECLARATION DES DROITS DE LA
FEMME ET DE LA CITOYENNE
A décréter par l’Assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celles de la prochaine
législature
PREAMBULE
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent d’être
constituées en Assemblée nationale ; considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des
droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des
gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels,
inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous
les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les
actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant

  1. Rédigée en septembre 1791, publiée dans Les Droits de la femme, adressée à la reine, s.n., p. 5-17.
  • De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome,
    Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme. [Boileau, Satire VIII, note de l’autrice]

Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les
réclamations des Citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables,
tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.
En conséquence le sexe supérieur en beauté, comme en courage dans les souffrances
maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les
Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne :
ARTICLE PREMIER
La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales
ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
II
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté
et surtout la résistance à l’oppression.
III
Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que
la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité,
qui n’en émane expressément.
IV
La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi
l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que
l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la
raison.
V
Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société :
tout ce qui n’est pas défendu par ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne
peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.
VI
La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens
doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être
la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux,
doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs
capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.
VII
Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée et détenue dans les cas
déterminés par la Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.
VIII
La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne
peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et
légalement appliquée aux femmes.
IX
Toute femme étant déclarée coupable, toute rigueur est exercée par la Loi.
X
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes fondamentales ; la femme a le
droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune :
pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.
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Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

XI
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus
précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants.
Toute Citoyenne peut donc dire librement : « Je suis mère d’un enfant qui vous appartient »,
sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette
liberté dans les cas déterminés par la Loi.
XII
La garantie des Droits de la Femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ;
cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de
celles à qui elle est confiée.
XIII
Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses de l’administration, les
contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes
les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des
emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.
XIV
Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs
représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer
que par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans
l’administration publique, et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée
de l’impôt.
XV
La masse des femmes, coalisées pour la contribution à celle des hommes, a le droit de
demander compte, à tout agent public, de son administration.
XVI
Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution : la Constitution est nulle, si la majorité
des individus qui composent la Nation n’a pas coopéré à sa rédaction.
XVII
Les propriétés sont à tous les sexes, réunis ou séparés ; elles sont pour chacun un
droit inviolable et sacré ; nul ne peut en être privé, comme vrai patrimoine de la nature, si ce
n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la
condition d’une juste et préalable indemnité.
POSTAMBULE
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ;
reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de
fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les
nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de
recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa
compagne. O femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les
avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain
plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des
hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de
l’homme ; la réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature.
Qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du législateur des noces
de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale
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Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous
répètent : « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? — Tout », auriez-vous à
répondre. S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en
contradiction avec leurs principes, opposez courageusement la force de la raison aux vaines
prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez
toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles
adorateurs rampant à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Etre
suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les
affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. Passons maintenant à l’effroyable tableau de ce que
vous avez été dans la société ; et puisqu’il est question, en ce moment, d’une éducation
nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l’éducation des femmes.
Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été
leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes
les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer,
tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement
français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes ;
le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion : ambassade, commandement,
ministère, présidence, pontificat, cardinalat, enfin tout ce qui caractérise la sottise des
hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois
méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé.
Dans cette sorte d’antithèse, que de remarques n’ai-je point à offrir ! Je n’ai qu’un
moment pour les faire, mais ce moment fixera l’attention de la postérité la plus reculée. Sous
l’ancien régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir
l’amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n’avait besoin que
d’être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à
ses pieds. Si elle n’en profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu
commune qui la portait aux mépris des richesses ; alors elle n’était plus considérée que
comme une mauvaise tête. La plus indécente se faisait respecter avec de l’or, le commerce
des femmes était une espèce d’industrie reçue dans la première classe, qui, désormais, n’aura
plus de crédit. S’il en avait encore, la révolution serait perdue, et sous de nouveaux rapports,
nous serions toujours corrompus. Cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout autre
chemin à la fortune est fermé à la femme que l’homme achète comme l’esclave sur les côtes
d’Afrique ? La différence est grande, on le sait. L’esclave commande au maître ; mais si le
maître lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l’esclave a perdu tous ses
charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes mêmes de la
bienfaisance lui sont fermées ; « Elle est pauvre et vieille, dit-on, pourquoi n’a-t-elle pas su
faire fortune ? » D’autres exemples encore plus touchants s’offrent à la raison. Une jeune
personne sans expérience, séduite par un homme qu’elle aime, abandonnera ses parents
pour le suivre ; l’ingrat la laissera après quelques années, et plus elle aura vieilli avec lui,
plus son inconstance sera inhumaine ; si elle a des enfants, il l’abandonnera de même. S’il est
riche, il se croira dispensé de partager sa fortune avec ses nobles victimes. Si quelque
engagement le lie à ses devoirs, il en violera la puissance en espérant tout des lois. S’il est
marié, tout autre engagement perd ses droits. Quelles lois reste-t-il donc à faire pour extirper
le vice jusque dans la racine ? Celle du partage des fortunes entre les hommes et les femmes,
et de l’administration publique. On conçoit aisément que celle qui est née d’une famille riche
gagne beaucoup avec l’égalité des partages. Mais celle qui est née d’une famille pauvre, avec
du mérite et des vertus, quel est son lot ? La pauvreté et l’opprobre. Si elle n’excelle pas
précisément en musique ou en peinture, elle ne peut être admise à aucune fonction publique,
quand elle en aurait toute la capacité. Je ne veux donner qu’un aperçu des choses, je les
approfondirai dans la nouvelle édition de tous mes ouvrages politiques, que je me propose
de donner au public dans quelques jours, avec des notes.
Je reprends mon texte quant aux mœurs. Le mariage est le tombeau de la confiance et
de l’amour. La femme mariée peut impunément donner des bâtards à son mari, et la fortune
qui ne leur appartient pas. Celle qui ne l’est pas n’a qu’un faible droit : les lois anciennes et
inhumaines lui refusaient ce droit sur le nom et sur le bien de leur père pour ses enfants, et
l’on n’a pas fait de nouvelles lois sur cette matière. Si tenter de donner à mon sexe une

consistance honorable et juste est considéré dans ce moment comme un paradoxe de ma
part, et comme tenter l’impossible, je laisse aux hommes à venir la gloire de traiter cette
matière ; mais, en attendant, on peut la préparer par l’éducation nationale, par la restauration
des mœurs et par les conventions conjugales.

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