INTRODUCTION
J'étais arrivé depuis peu de mois de Montpellier, et je suivais
à Paris la profession de la médecine, lorsque je fus appelé un
matin au faubourg Saint-Jacques, pour voir dans un couvent une
jeune religieuse malade. L’empereur Napoléon avait permis
depuis peu le rétablissement de quelques-uns de ces couvents220 :
celui où je me rendais était destiné à l’éducation de la jeunesse, et
appartenait à l’ordre des Ursulines. La Révolution avait ruiné une
partie de l’édifice ; le cloître était à découvert d’un côté par la
démolition de l’antique église, dont on ne voyait plus que
quelques arceaux. Une religieuse m’introduisit dans ce cloître que
nous traversâmes en marchant sur de longues pierres plates, qui
formaient le pavé de ces galeries : je m’aperçus que c’étaient des
tombes, car elles portaient toutes des inscriptions pour la plupart
effacées par le temps. Quelques-unes de ces pierres avaient été
brisées pendant la Révolution : la sœur me le fit remarquer, en me
disant qu’on n’avait pas encore eu le temps de les réparer. Je
n’avais jamais vu l’intérieur d’un couvent ; ce spectacle était tout
nouveau pour moi. Du cloître nous passâmes dans le jardin, où la
religieuse me dit qu’on avait porté la sœur malade : en effet, je
l’aperçus à l’extrémité d’une longue allée de charmille ; elle était
assise, et son grand voile noir l’enveloppait presque tout entière.
« Voici le médecin », dit la sœur, et elle s’éloigna au même
moment. Je m’approchais timidement, car mon cœur s’était serré
en voyant ces tombes, et je me figurais que j’allais contempler une
nouvelle victime des cloîtres : les préjugés de ma jeunesse
venaient de se réveiller, et mon intérêt s’exaltait pour celle que
j’allais visiter, en proportion du genre de malheur que je lui
supposais. Elle se tourna vers moi, et je fus étrangement surpris
en apercevant une négresse ! Mon étonnement s’accrut encore par
la politesse de son accueil et le choix des expressions dont elle se
servait. « Vous venez voir une personne bien malade, me dit-elle :
à présent je désire guérir, mais je ne l’ai pas toujours souhaité, et
c’est peut-être ce qui m’a fait tant de mal. » Je la questionnai sur
sa maladie. « J’éprouve, me dit-elle, une oppression continuelle ;
je n’ai plus de sommeil, et la fièvre ne me quitte pas. » Son aspect
ne confirmait que trop cette triste description de son état ; sa
maigreur était excessive, ses yeux brillants et fort grands, ses
dents, d’une blancheur éblouissante, éclairaient seuls sa
physionomie ; l’âme vivait encore, mais le corps était détruit, et
elle portait toutes les marques d’un long et violent chagrin.
Touché au-delà de l’expression, je résolus de tout tenter pour la
sauver ; je commençai à lui parler de la nécessité de calmer son
imagination, de se distraire, d’éloigner des sentiments pénibles.
« Je suis heureuse, me dit-elle ; jamais je n’ai éprouvé tant de
calme et de bonheur. »