Ourika de Claire de Duras

L’accent de sa voix était sincère ; cette
douce voix ne pouvait tromper ; mais mon étonnement
s’accroissait à chaque instant. « Vous n’avez pas toujours pensé
ainsi, lui dis-je, et vous portez la trace de bien longues
souffrances. – Il est vrai, dit-elle, j’ai trouvé bien tard le repos de
mon cœur, mais à présent je suis heureuse. – Eh bien ! s’il en est
ainsi, repris-je, c’est le passé qu’il faut guérir ; espérons que nous
en viendrons à bout : mais ce passé, je ne puis le guérir sans le
connaître. – Hélas ! répondit-elle, ce sont des folies ! » En
prononçant ces mots, une larme vint mouiller le bord de sa
paupière. « Et vous dites que vous êtes heureuse ! m’écriai-je. –
Oui, je le suis, reprit-elle avec fermeté, et je ne changerais pas
mon bonheur contre le sort qui m’a fait autrefois tant d’envie. Je
n’ai point de secret : mon malheur, c’est l’histoire de toute ma vie.
J’ai tant souffert jusqu’au jour où je suis entrée dans cette maison,
que peu à peu ma santé s’est ruinée. Je me sentais dépérir avec
joie ; car je ne voyais dans l’avenir aucune espérance. Cette
pensée était bien coupable ! vous le voyez, j’en suis punie ; et
lorsque enfin je souhaite de vivre, peut-être que je ne le pourrai
plus. » Je la rassurai, je lui donnai des espérances de guérison
prochaine ; mais en prononçant ces paroles consolantes, en lui
promettant la vie, je ne sais quel triste pressentiment m’avertissait
qu’il était trop tard et que la mort avait marqué sa victime.
Je revis plusieurs fois cette jeune religieuse ; l’intérêt que je
lui montrais paraissait la toucher. Un jour, elle revint d’elle-même
au sujet où je désirais la conduire. « Les chagrins que j’ai
éprouvés, dit-elle, doivent paraître si étranges, que j’ai toujours
senti une grande répugnance à les confier : il n’y a point de juge
des peines des autres, et les confidents sont presque toujours des
accusateurs. – Ne craignez pas cela de moi, lui dis-je ; je vois
assez le ravage que le chagrin a fait en vous pour croire le vôtre
sincère. – Vous le trouverez sincère, dit-elle, mais il vous paraîtra
déraisonnable. – Et en admettant ce que vous dites, repris-je, cela
exclut-il la sympathie ? – Presque toujours, répondit-elle : mais
cependant, si, pour me guérir, vous avez besoin de connaître les
peines qui ont détruit ma santé, je vous les confierai quand nous
nous connaîtrons un peu davantage. »
Je rendis mes visites au couvent de plus en plus fréquentes ;
le traitement que j’indiquai parut produire quelque effet. Enfin, un
jour de l’été dernier, la retrouvant seule dans le même berceau, sur
le même banc où je l’avais vue la première fois, nous reprîmes la
même conversation, et elle me conta ce qui suit.

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