Pantagruel de Rabelais

(Il s’agit ici de la version, originale de Pantagruel de Rabelais)

Pantagruel
Les horribles et espouvantables
fai z et prouesses du tresrenommé
Pantagruel Roy des Dipsodes,
filz du grand geant Gargantua,
Composez nouvellement par
maistre Alcofrybas Nasier.
François Rabelais


  • On les vend a Lyon en la maison de Claude Nourry,
    di le Prince pres nostre dame de Confort.

Dizain de Maistre Hugues Salel à l’auteur de ce livre.
Si, pour mesler profit avec doulceur,
On me en pris un au eur grandement,
Prisé seras, de cela tien toy sceur ;
Je le congnois, car ton entendement
En ce livret, soubz plaisant fondement,
L’utilité a si très bien descripte,
Qu’il m’est advis que voy un Democrite
Riant les fai z de nostre vie humaine.
Or persevere, et, si n’en as merite
En ces bas lieux, l’auras au hault dommaine.

Prologue de l’auteur
Tres illustres et tres chevaleureux champions, gentilz
hommes et aultres, qui voluntiers vous adonnez à toutes
gentillesses et honnestetez, vous avez n’a gueres veu, leu
et sceu les Grandes et inestimables Chronicques de l’en-
orme geant Gargantua et, comme vrays fideles, les avez
creues gualantement, et y avez maintefoys passé vostre
temps avecques les honorables dames et damoyselles, leur
en faisans beaulx et longs narrez alors que estiez hors de
propos, dont estiez bien dignes de grande louange et me-
moire sempiternelle.
Et à la mienne volunté que chascun laissast sa propre
besoigne, ne se souciast de son mestier et mist ses affaires
propres en oubly, pour y vacquer entierement sans que son
esperit feust de ailleurs distrai ny empesché, jusques à ce
que l’on les tint par cueur, affin que, si d’adventure l’art de
l’imprimerie cessoit, ou en cas que tous livres perissent, on
temps advenir un chascun les peust bien au net enseigner à
ses enfans, et à ses successeurs et survivens bailler comme
de main en main, ainsy que une religieuse Caballe ; car
il y a plus de frui que par adventure ne pensent un tas
de gros talvassiers tous croustelevez, qui entendent beau-
coup moins en ces petites joyeusetés que ne fai Raclet en
l’Institute.
J’en ay congneu de haultz et puissans seigneurs en bon

nombre, qui, allant à chasse de grosses bestes ou voller
pour canes, s’il advenoit que la beste ne feust rencontrée
par les brisées ou que le faulcon se mist à planer, voyant la
proye gaigner à tire d’esle, ilz estoient bien marrys, comme
entendez assez ; mais leur refuge de reconfort, et affn de
ne soy morfondre, estoit à recoler les inestimables fai z
dudi Gargantua.
Aultres sont par le Monde (ce ne sont fariboles) qui, es-
tans grandement affligez du mal des dentz, après avoir tous
leurs biens despenduz en medicins sans en rien profiter, ne
ont trouvé remede plus expedient que de mettre lesdi es
Chronicques entre deux beaulx linges bien chaulx et les
appliquer au lieu de la douleur, les sinapizand avecques
un peu de pouldre d’oribus.
Mais que diray je des pauvres verolez et goutteux ? O,
quantes foys nous les avons veu, à l’heure que ilz estoyent
bien oingtz et engressez à poin , et le visaige leur reluysoit
comme la claveure d’un charnier, et les dentz leur tres-
sailloyent commefont les marchettes d’un clavier d’orgues
ou d’espinette quand on joue dessus, et que le gosier leur
escumoit comme à un verrat que les vaultres ont aculé
entre les toilles ! Que faisoyent-ilz alors ? Toute leur conso-
lation n’estoit que de ouyr lire quelque page dudi livre,
et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx
diables en cas que ilz n’eussent senty allegement manifeste
à la le ure dudi livre, lorsqu’on les tenoit es Iymbes,
ny plus ny moins que les femmes estans en mal d’enfant
quand on leurs leist la vie de sain e Marguerite. Est ce rien
cela ? Trouvez moy livre, en quelque langue, en quelque
faculté et science que ce soit, qui ayt telles vertus, proprié-

tés et prerogatives, et je poieray chopine de trippes. Non,
Messieurs, non. Il est sans pair. incomparable et sans parra-
gon. Je le maintiens jusques au feu exclusive. Et ceulx qui
vouldroient maintenir que si, reputés les abuseurs, presti-
nateurs, emposteurs et sedu eurs.
Bien vray est il que l’on trouve en aulcuns livres de haulte
fustaye certaines propriétés occultes, au nombre desquelz
l’on tient Fessepinte, Orlando furioso, Robert le Diable,
Fierabras, Guillaume sans paour, Huon de Bourdeaulx,
Montevieille et Matabrune ; mais ilz ne sont comparables
à celluy duquel parlons. Et le monde a bien congneu par
experience infallible le grand emolument et utilité qui
venoit de ladi e Chronicque Gargantuine : car il en a esté
plus vendu par les imprimeurs en deux moys qu’il ne sera
acheté de Bibles en neuf ans.
Voulant doncques je, vostre humble esclave, accroistre
vos passetemps dadvantaige, vous offre de present un aultre
livre de mesme billon, sinon qu’il est un peu plus equitable
et digne de foy que n’estoit l’aultre. Car ne croyez (si ne
voulez errer à vostre escient), que j’en parle comme les Juifz
de la Loy. Je ne suis nay en telle planette et ne m’advint
oncques de mentir, ou asseurer chose que ne feust veri-
table. J’en parle comme un gaillard Onocrotale, voyre, dy
je, crotenotaire des martyrs amans, et crocquenotaire de
amours : Quod vidimus testamur. C’est des horribles fai z
et prouesses de Pantagruel, lequel j’ay servy à gaiges dès
ce que je fuz hors de page jusques à présent, que par son
congié je m’en suis venu visiter mon païs de vache, et sça-
voir si en vie estoyt parent mien aulcun.
Pourtant, affin que je face fin à ce prologue, tout ainsi

comme je me donne à cent mille panerés de beaulx diables,
corps et ame, trippes et boyaul, en cas que j’en mente en
toute l’hystoire d’un seul mot, pareillement le feu sain
Antoine vous arde, mau de terre vous vire, le lancy, le
maulubec vous trousse, la caquesangue vous viengne,
Le mau fin feu de ricqueracque,
Aussi menu que poil de vache,
Tout renforcé de vif argent,
Vous puisse entrer au fondement,
et comme Sodome et Gomorre puissiez tomber en soulphre,
en feu et en abysme, en cas que vous ne croyez fermement
tout ce que je vous racompteray en ceste presente Chro-
nicque !

Chapitre I
De l’origine et antiquité du grand
Pantagruel.
Ce ne sera chose inutile ne oysifve, veu que sommes de
sejour, vous ramentevoir la premiere source et origine dont
nous est né le bon Pantagruel : car je voy que tous bons
hystoriographes ainsi ont trai é leurs Chronicques, non
seullement les Arabes, Barbares et Latins, mais aussi Gre-
goys, Gentilz, qui furent buveurs eternelz. Il vous convient
doncques noter que, au commencement du monde (je parle
de loing, il y a plus de quarante quarantaines de nuy z,
pour nombrer à la mode des antiques Druides), peu après
que Abel fust occis par son frere Caïn, la terre embue
du sang du juste fut certaine année si tres fertile en tous
frui z qui de ses flans nous sont produytz, et singulière-
ment en mesles, que on l’appella de toute memoire l’année
des grosses mesles, car les troys en faisoyent le boysseau.
En ycelle les Kalendes feurent trouvées par les breviaires
des Grecz. Le moys de mars faillit en Karesme, et fut la my
oust en may. On moys de o obre, ce me semble, ou bien
de septembre (affin que je ne erre, car de cela me veulx je
curieusement guarder) fut la sepmaine, tant renommée par
les annales, qu’on nomme la sepmaine des troys jeudis : car
il y en eut troys, à cause des irreguliers bissextes, que le

Chapitre I Pantagruel
soleil bruncha quelque peu, comme debitoribus, à gauche,
et la lune varia de son cours plus de cinq toyzes, et feut
manifestement veu le movement de trepidation on firma-
ment di aplane, tellement que la Pleiade moyene, laissant
ses compaignons, declina vers l’Equino ial, et l’estoille
nommé l’Espy laissa la Vierge, se retirant vers la Balance,
qui sont cas bien espoventables et matieres tant dures et
difficiles que les Astrologues ne y peuvent mordre ; aussy
auroient ilz les dens bien longues s’ilz povoient toucher
jusques là.
Fai es vostre compte que le monde voluntiers mangeoit
desdi es mesles, car elles estoient belles à l’œil et deli-
cieuses au goust ; mais tout ainsi comme Noë, le sain
homme (auquel tant sommes obligez et tenuz de ce qu’il
nous planta la vine, dont nous vient celle ne aricque, deli-
cieuse, precieuse, celeste, joyeuse et deïficque liqueur qu’on
nomme le piot), fut trompé en le beuvant, car il ignoroit
la grande vertu et puissance d’icelluy, semblablement les
hommes et femmes de celluy temps mangeoyent en grand
plaisir de ce beau et gros frui
Mais accidens bien divers leurs en advindrent, car à tous
survint au corps une enfleure très horrible, mais non à
tous en un mesme lieu. Car aulcuns enfloyent par le ventre,
et le ventre leur devenoit bossu comme une grosse tonne,
desquelz est escript : Ventrem omnipotentem, lesquelz furent
tous gens de bien et bon raillars, et de ceste race nasquit
sain Pansart et Mardy Gras.
Les aultres enfloyent par les espaules, et tant estoyent
bossus qu’on les appelloit montiferes, comme porte mon-
taignes, dont vous en voyez encores par le monde en divers

Chapitre I Pantagruel
sexes et dignités, et de ceste race yssit Esopet, duquel vous
avez les beaulx fai z et di z par escript.
Les aultres enfloyent en longueur, par le membre, qu’on
nomme le laboureur de nature, en sorte qu’ilz le avoyent
merveilleusement long, grand, gras, gros, vert et acresté à
la mode antique, si bien qu’ilz s’en servoyent de ceinture, le
redoublans à cinq ou à six foys par le corps ; et s’il advenoit
qu’il feust en poin et eust vent en pouppe, à les veoir
eussiez di que c’estoyent gens qui eussent leurs lances en
l’arrest pour jouster à la quintaine. Et d’yceulx est perdue
la race, ainsi comme disent les femmes, car elles lamentent
continuellement qu’
Il n’en est plus de ces gros, etc.
vous sçavez la reste de la chanson.
Aultres croissoient en matiere de couilles si enormement
que les troys emplissoient bien un muy. D’yceulx sont des-
cendues les couilles de Lorraine, lesquelles jamays ne ha-
bitent en braguette : elles tombent au fond des chausses.
Aultres croyssoient par les jambes, et à les veoir eussiez
di que c’estoyent grues ou flammans, ou bien gens mar-
chans sus eschasses, et les petits grimaulx les appellent en
grammaire Jambus.
Es aultres tant croissoit le nez qu’il sembloit la fleute
d’un alambic, tout diapré, tout estincelé de bubeletes, pul-
lulant, purpuré, à pompettes, tout esmaillé, tout boutonné
et brodé de gueules, et tel avez veu le chanoyne Panzoult et
Piédeboys, medicin de Angiers ; de laquelle race peu furent
qui aimassent la ptissane, mais tous furent amateurs de pu-
rée septembrale. Nason et Ovide en prindrent leur origine,
et tous ceulx desquelz est escript : « Ne reminiscaris. »

Chapitre I Pantagruel
Aultres croissoyent par les aureilles, lesquelles tant grandes
avoyent que de l’une faisoyent pourpoint, chausses et sayon,
de l’autre se couvroyent comme d’une cape à l’Espagnole,
et di on que en Bourbonnoys encores dure l’eraige, dont
sont di es aureilles de Bourbonnoys.
Les aultres croissoyent en long du corps. Et de ceulx là
sont venuz les Geans,
Et par eulx Pantagruel ;
Et le premier fut Chalbroth,
Qui engendra Sarabroth,
Qui engendra Faribroth,
Qui engendra Hurtaly, qui fut beau mangeur de souppes
et regna au temps du deluge,
Qui engendra Nembroth,
Qui engendra Athlas, qui avecques ses espaulles garda
le ciel de tumber,
Qui engendra Goliath,
Qui engendra Eryx, lequel fut inventeur du jeu des gobe-
letz,
Qui engendra Tite,
Qui engendra Eryon,
Qui engendra Polypheme,
Qui engendra Cace,
Qui engendra Etion, lequel premier eut la verolle pour
n’avoir beu frayz en esté, comme tesmoigne Bartachim,
Qui engendra Encelade,
Qui engendra Cée,
Qui engendra Typhoe,
Qui engendra Aloe,
Qui engendra Othe,

Chapitre I Pantagruel
Qui engendra Ægeon,
Qui engendra Briaré, qui avoit cent mains,
Qui engendra Porphirio,
Qui engendra Adamastor,
Qui engendra Antée,
Qui engendra Agatho,
Qui engendra Pore, contre lequel batailla Alexandre le
Grand,
Qui engendra Aranthas,
Qui engendra Gabbara, qui premier inventa de boire
d’autant,
Qui engendra Goliath de Secundille,
Qui engendra Offot, lequel eut terriblement beau nez à
boyre au baril,
Qui engendra Artachées,
Qui engendra Oromedon,
Qui engendra Gemmagog, qui fut inventeur des souliers
à poulaine,
Qui engendra Sisyphe,
Qui engendra les Titanes, dont nasquit Hercules,
Qui engendra Enay, qui fut très expert en matiere de
oster les cerons des mains,
Qui engendra Fierabras, lequel fut vaincu par Olivier,
pair de France, compaignon de Roland,
Qui engendra Morguan, lequel premier de ce monde
joua aux dez avecques ses bezicles,
Qui engendra Fracassus, duquel a escript Merlin Coccaie,
Dont nasquit Ferragus,
Qui engendra Happe mousche, qui premier inventa de
fumer les langues de beuf à la cheminée, car auparavant le

Chapitre I Pantagruel
monde les
saloit comme on fai les jambons,
Qui engendra Bolivorax,
Qui engendra Longys,
Qui engendra Gayoffe, lequel avoit les couillons de peuple
et le vit de cormier,
Qui engendra Maschefain,
Qui engendra Bruslefer,
Qui engendra Engolevent,
Qui engendra Galehault, lequel fut inventeur des flacons,
Qui engendra Mirelangault,
Qui engendra Galaffre,
Qui engendra Falourdin,
Qui engendra Roboastre,
Qui engendra Sortibrant de Conimbres,
Qui engendra Brushant de Mommiere,
Qui engendra Bruyer, lequel fut vaincu par Ogier le Dan-
noys, pair de France,
Qui engendra Mabrun,
Qui engendra Foutasnlon,
Qui engendra Hacqueebac,
Qui engendra Vitdegrain,
Qui engendra Grand gosier,
Qui engendra Gargantua,
Qui engendra le noble Pantagruel, mon maistre.
J’entens bien que, lysans ce passaige, vous fai ez en vous
mesmes un doubte bien raisonnable et demandez comment
est il possible que ainsi soit, veu que au temps du deluge
tout le monde perit, fors Noë et sept personnes avecques

Chapitre I Pantagruel
luy dedans l’Arche, au nombre desquelz n’est mis ledi
Hurtaly ?
La demande est bien fai e, sans doubte, et bien appa-
rente ; mais la responce vous contentera, ou j’ay le sens mal
gallefreté. Et, parce que n’estoys de ce temps là pour vous
en dire à mon plaisir, je vous allegueray l’autorité des Mas-
soretz, bons couillaux et beaux cornemuseurs Hebraïcques,
lesquelz afferment que veritablement ledi Hurtaly n’es-
toit dedans l’Arche de Noë ; aussi n’y eust il peu entrer, car
il estoit trop grand ; mais il estoit dessus à cheval, jambe
de sà, jambe de là, comme sont les petitz enfans sus les
chevaulx de boys et comme le gros Toreau de Berne, qui
feut tué à Marignan, chevauchoyt pour sa monture un gros
canon pevier ; c’est une beste de beau et joyeux amble, sans
poin de faulte. En icelle façon, saulva, après Dieu, ladi e
Arche de periller, car il luy bailloit le bransle avecques
les jambes, et du pied la tournoit où il vouloit, comme
on fai du gouvernail d’une navire. Ceulx qui dedans es-
toient luy envoyoient vivres par une cheminée à suffisance,
comme gens recongnoissans le bien qu’il leurs faisoit, et
quelquefoys parlementoyent ensemble comme faisoit Ica-
romenippe à Jupiter, selon le raport de Lucian.
Avés vous bien le tout entendu ? Beuvez donc un bon
coup sans eaue. Car, si ne le croiez, non foys je, fist elle.

Chapitre II
De la nativité du tres redoubté
Pantagruel.
Gargantua, en son eage de quatre cens quatre vingtz
quarante et quatre ans, engendra son filz Pantagruel de sa
femme, nommée Badebec, fille du roy des Amaurotes en
Utopie, laquelle mourut du mal d’enfant : car il estoit si
merveilleusement grand et si lourd qu’il ne peut venir à
lumière sans ainsi suffocquer sa mere.
Mais, pour entendre pleinement la cause et raison de son
nom, qui luy feut baillé en baptesme, vous noterez qu’en
icelle année fut seicheresse tant grande en tout le pays
de Africque que passerent XXXVI moys, troys sepmaines,
quatre jours, treze heures et quelque peu dadvantaige, sans
pluye, avec chaleur de soleil si vehemente que toute la
terre en estoit aride, et ne fut au temps de Helye plus es-
chauffée que fut pour lors, car il n’estoit arbre sus terre qui
eust ny fueille ny fleur. Les herbes estoient sans verdure,
les rivieres taries, les fontaines à sec ; les pauvres pois-
sons, delaissez de leurs propres elemens, vagans et crians
par la terre horriblement ; les oyseaux tumbans de l’air
par faulte de rosée; les loups, les regnars, cerfz, sangliers,
dains, lievres, connilz, belettes, foynes, blereaux et aultres
bestes, l’on trouvoit par les champs mortes, la gueulle baye.

Chapitre II Pantagruel
Au regard des hommes, c’estoit la grande pitié. Vous les
eussiez veuz tirans la langue, comme levriers qui ont couru
six heures ; plusieurs se gettoyent dedans les puys ; aultres
se mettoyent au ventre d’une vache pour estre à l’hombre,
et les appelle Homere Alibantes. Toute la contrée estoit
à l’ancre. C’estoit pitoyable cas de veoir le travail des hu-
mains pour se garentir de ceste horrificque alteration, car
il avoit prou affaire de sauver l’eaue benoiste par les eglises
à ce que ne feust desconfite ; mais l’on y donna tel ordre,
par le conseil de messieurs les cardinaulx et du Sain
Pere, que nul n’en osoit prendre que une venue. Encores,
quand quelc’un entroit en l’eglise, vous en eussiez veu à
vingtaines, de pauvres alterez qui venoyent au derriere de
celluy qui la distribuoit à quelc’un, la gueulle ouverte pour
en avoir quelque goutellete, comme le maulvais riche, affin
que rien ne se perdist. O que bienheureux fut en icelle
année celluy qui eust cave fresche et bien garnie !
Le Philosophe raconte, en mouvent la question pour
quoy c’est que l’eaue de la mer est salée, que, au temps que
Phebus bailla le gouvernement de son chariot lucificque
à son filz Phaeton, ledi Phaeton, mal apris en l’art et ne
sçavant ensuyvre la line ecliptique entre les deux tropiques
de la sphere du soleil, varia de son chemin et tant approcha
de terre qu’il mist à sec toutes les contrées subjacentes,
bruslant une grande partie du ciel que les Philosophes
appellent Via la ea et les lifrelofres nomment le chemin
Sain Jacques, combien que les plus huppez poetes disent
estre la part où tomba le lai de Juno lors qu’elle allai a
Hercules : adonc la terre fut tant eschaufée que il luy vint
une sueur enorme, dont elle sua toute la mer, qui par ce est

Chapitre II Pantagruel
salée, car toute sueur est salée ; ce que vous direz estre vray
si vous voulez taster de la vostre propre, ou bien de celles
des verollez quand on les fai suer ; ce me est tout un.
Quasi pareil cas arriva en ceste di e année, car, un jour
de vendredy que tout le monde s’estoit mis en devotion
et faisoit une belle procession avecques forces letanies et
beaux preschans, supplians à Dieu omnipotent les vouloir
regarder de son œil de clemence en tel desconfort, visible-
ment furent veues de terre sortir grosses gouttes d’eaue,
comme quand quelque personne sue copieusement. Et le
pauvre peuple commença à s’esjouyr comme si ce eust esté
chose à eulx proffitable, car les aulcuns disoient que de
humeur il n’y en avoit goute en l’air dont on esperast avoir
pluye et que la terre supplioit au deffault. Les aultres gens
sçavans disoyent que c’estoit pluye des Antipodes, comme
Senecque narre au quart livre Questionum naturalium, par-
lant de l’origine et source du Nil ; mais ilz y furent trompés,
car, la procession finie, alors que chascun vouloit recueillir
de ceste rosée et en boire à plein godet, trouverent que ce
n’estoit que saulmure, pire et plus salée que n’estoit l’eaue
de la mer.
Et parce que en ce propre jour nasquit Pantagruel, son
pere luy imposa tel nom : car panta en grec vault autant à
dire comme tout, et gruel en langue Hagarene, vault autant
comme alteré, voulent inferer que à l’heure de sa nativité, le
monde estoit tout alteré, et voyant, en esperit de prophetie,
qu’il seroit quelque jour dominateur des alterez. Ce que
luy fut monstré à celle heure mesmes par aultre signe plus
evident. Car, alors que sa mere Badebec l’enfantoit et que
les saiges femmes attendoyent pour le recepvoir, yssirent

Chapitre II Pantagruel
premier de son ventre soixante et huyt tregeniers, chascun
tirant par le licol un mulet tout chargé de sel, après lesquelz
sortirent neuf dromadaires chargés de jambons et langues
de beuf fumées, sept chameaulx chargés d’anguillettes,
puis xxv charretées de porreaulx, d’aulx, d’oignons et de
cibotz, ce que espoventa bien lesdi es saiges femmes, mais
les aulcunes d’entre elles disoyent :
« Voicy bonne provision. Aussy bien ne bevyons nous que
lachement, non en lancement. Cecy n’est que bon signe, ce
sont aguillons de vin. »
Et, comme elles caquetoyent de ces menus propos entre
elles, voicy sortir Pantagruel, tout velu comme un ours,
dont dist une d’elles en esperit propheticque :
« Il est né à tout le poil : il fera choses merveilleuses ; et,
s’il vit, il aura de l’eage. »

Chapitre III
Du dueil que mena Gargantua de la mort
de sa femme Badebec.
Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi et perplex ?
Ce fut Gargantua son pere. Car, voyant d’un cousté sa
femme Badebec morte et de l’aultre son filz Pantagruel né
tant beau et tant grand, ne scavoit que dire ny que faire.
Et le doubte que troubloit son entendement estoit assavoir
s’il devoit plorer pour le deuil de sa femme, ou rire pour
la joye de son filz. D’un costé et d’aultre il avoit argumens
sophisticques qui le suffocquoyent, car il les faisoit très
bien in modo et figura, mais il ne les povoit souldre, et, par
ce moyen demouroit empestré comme la souriz empeigée
ou un milan prins au lasset.
« Pleureray je ? disoit il. Ouy, car pourquoy ? Ma
tant bonne femme est morte, qui estoit la plus
cecy, la plus cela, qui feust au monde. Jamais
je ne la verray, jamais je n’en recouvreray une
telle ; ce m’est une perte inestimable ! O mon
Dieu, que te avoys je fai pour ainsi me punir ?
Que ne envoyas tu la mort à moy premier que
à elle, car vivre sans elle ne m’est que languir ?
Ha, Badebec, ma mignonne, m’amye, mon petit
con (toutesfois elle en avait bien troys arpens

Chapitre III Pantagruel
et deux sexterées), ma tendrette, ma braguette,
ma savate, ma pantofle, jamais je ne te verray!
Ha, pauvre Pantagruel, tu as perdu ta bonne
mere, ta doulce nourrisse, ta dame très aymée !
Ha, faulce mort, tant tu me es malivole, tant tu
me es oultrageuse, de me tollir celle à laquelle
immortalité appartenoit de droi !»
Et ce disant pleuroit comme une vache. Mais tout soub-
dain rioit comme un veau quand Pantagruel luy venoit en
memoire.
« Ho, mon petit filz (disoit il), mon coillon, mon
peton, que tu es joly ! et tant je suis tenu à
Dieu de ce qu’il m’a donné un si beau filz, tant
joyeux, tant riant, tant joly ! Ho, ho, ho, ho, que
suis aise ! Beuvons, ho ! laissons toute melan-
cholie ! Apporte du meilleur, rince les verres,
boute la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu,
allume la chandelle, ferme ceste porte, taille
ces souppes, envoye ces pauvres, baille leur
ce qu’ilz demandent ! Tiens ma robbe, que je
me mette en pourpoint pour mieux festoyer les
commeres. »
Ce disant, ouyt la letanie et les Mementos des prebstres
qui portoyent sa femme en terre, dont laissa son bon propos
et tout soubdain fut ravy ailleurs, disant :
« Seigneur Dieu, fault il que je me contriste en-
cores ? Cela me fasche ; je ne suis plus jeune,
je deviens vieulx, le temps est dangereux, je

Chapitre III Pantagruel
pourray prendre quelque fiebvre : me voylà af-
folé. Foy de gentil homme, il vault mieulx pleu-
rer moins et boire dadvantaige ! Ma femme est
morte, et bien, par Dieu (da jurandi), je ne la
resusciteray pas par mes pleurs ; elle est bien,
elle est en paradis pour le moins, si mieulx ne
est ; elle prie Dieu pour nous ; elle est bien heu-
reuse ; elle ne se soucie plus de nos miseres et
calamitez. Autant nous en pend à l’œil ! Dieu
gard le demourant ! Il me fault penser d’en trou-
ver une aultre.
Mais voicy que vous ferez, di il es saiges femmes
(où sont elles ? Bonnes gens, je ne vous peulx
veoyr) ; allez à l’enterrement d’elle, et ce pendent
je berceray icy mon filz, car je me sens bien fort
alteré, et serois en danger de tomber malade ;
mais beuvez quelque bon trai devant, car vous
vous en trouverez bien, et m’en croyez, sur mon
honneur. »
A quoy obtemperantz, allerent à l’enterrement et fune-
railles, et le pauvre Gargantua demoura à l’hostel. Et ce
pendent feist l’epitaphe pour estre engravé en la manière
que s’ensuyt :
Elle en mourut, la noble Badebec,
Du mal d’enfant, que tant me sembloit nice :
Car elle avoit visaige de rebec,
Corps d’Espaignole, et ventrede Souyce.
Priezà Dieu qu’à elle soit propice,
Luy perdonnant, s’en riens oultrepassa.


Chapitre III Pantagruel
Cy gist son corps, lequel vesquit sans vice,
Et mourut l’an et jour que trespassa.
-

Chapitre IV
De l’enfance de Pantagruel.
Je trouve, par les anciens historiographes et poetes, que
plusieurs sont nez en ce monde en façons bien estranges,
que seroient trop longues à racompter : lisez le VII livre de
Pline, si avés loysir. Mais vous n’en ouystes jamais d’une si
merveilleuse comme fut celle de Pantagruel : car c’estoit
chose difficile à croyre comme il creut en corps et en force
en peu de temps. Et n’estoit rien Hercules qui, estant au
berseau, tua les deux serpens, car lesdi z serpens estoyent
bien petitz et fragiles. Mais Pantagruel, estant encores au
berseau, feist cas bien espouventables. Je laisse icy à dire
comment à chascun de ses repas, il humoit le lai de quatre
mille six cens vaches et comment, pour luy faire un paes-
lon à cuire sa bouillie, furent occupez tous les paesliers
de Saumur en Anjou, de Villedieu en Normandie, de Bra-
mont en Lorraine, et luy bailloit on ladi e bouillie en un
grand timbre, qui est encores de present à Bourges, près du
palays ; mais les dentz luy estoient desjà tant crues et for-
tifiées qu’il en rompit, dudi tymbre, un grand morceau,
comme tres bien apparoist.
Certain jour, vers le matin, que on le vouloit faire tetter
une de ses vaches (car de nourrisses il n’en eut jamais aul-
trement, comme di l’hystoire), il se deffit des liens qui


Chapitre IV Pantagruel
le tenoyent au berceau un des bras, et vous prent ladi e
vache par dessoubz le jarret, et luy mangea les deux tetins
et la moytié du ventre, avecques le foye et les roignons, et
l’eust toute devorée, n’eust esté qu’elle cryoit horriblement
comme si les loups la tenoient aux jambes, auquel cry le
monde arriva, et osterent ladi e vache à Pantagruel ; mais
ilz ne sceurent si bien faire que le jarret ne luy en demou-
rast comme il le tenoit, et le mangeoit très bien, comme
vous feriez d’une saulcisse ; et quand on luy voulut oster
l’os, il l’avalla bien tost comme un cormaran feroit un petit
poisson, et après commença à dire : « Bon ! bon ! bon » car
il ne sçavoit encores bien parler, voulant donner à entendre
que il avoit trouvé fort bon, et qu’il n’en failloit plus que
autant. Ce que voyans, ceulx qui le servoyent le lierent à
gros cables, comme sont ceulx que l’on fai à Tain pour le
voyage du sel de Lyon, ou comme sont ceulx de la grand
nauf Françoyse qui est au port de Grace en Normandie.
Mais, quelquefoys que un grand ours, que nourrissoit
son pere, eschappa et luy venoit lescher le visage, (car les
nourrisses ne luy avoyent bien à point torché les babines),
il se deffist desdi z cables aussi facillement comme Sam-
son d’entre les Philistins, et vous print Monsieur de l’Ours,
et le mist en pieces comme un poulet, et vous en fist une
bonne gorge chaulde pour ce repas. Par quoy, craignant
Gargantua qu’il se gastast, fist faire quatre grosses chaisnes
de fer pour le lyer, et fist faire des arboutans à son berceau,
bien afustez. Et de ces chaisnes en avez une à La Rochelle,
que l’on leve au soir entre les deux grosses tours du havre ;
l’aultre est à Lyon, l’aultre à Angiers, et la quarte fut em-
portée des diables pour lier Lucifer, qui se deschaisnoit


Chapitre IV Pantagruel
en ce temps là, à cause d’une colicque qui le tormentoit
extraordinairement, pour avoir mangé l’ame d’un sergeant
en fricassée à son desjeuner. Dont povez biencroire ce que
di Nicolas de Lyra sur le passaige du Psaultier où il est
escript : Et Og regem Basan, que ledi Og, estant encores pe-
tit, estoit tant fort et robuste qu’il le failloit lyer de chaisnes
de fer en son berceau. Et ainsi demoura coy et pacificque,
car il ne pouvoit rompre tant facillement lesdi es chaisnes,
mesmement qu’il n’avoit pas espace au berceau de donner
la secousse des bras.
Mais voicy que arriva un jour d’une grande feste, que son
pere Gargantua faisoit un beau banquet à tous les princes
de sa court. Je croy bien que tous les officiers de sa court
estoyent tant occupés au service du festin que l’on ne se
soucyoit du pauvre Pantagruel, et demeuroit ainsi à recu-
lorum. Que fist-il ? Qu’il fist, mes bonnes gens ? Escoutez.
Il essaya de rompre les chaisnes du berceau avecques les
bras ; mais il ne peut, car elles estoyent trop fortes, adonc il
trepigna tant des piedz qu’il rompit le bout de son berceau,
qui toutesfoys estoit d’une grosse poste de sept empans en
quarré, et, ainsi qu’il eut mys les piedz dehors, il se avalla
le mieulx qu’il peut, en sorte que il touchoit les piedz en
terre ; et alors avecques grande puissance se leva, empor-
tant son berceau sur l’eschine ainsi lyé, comme une tortue
qui monte contre une muraille et à le veoir sembloit que
ce feust une grande carracque de cinq cens tonneaulx qui
feust debout. En ce point, entra en la salle où l’on banque-
toit, et hardiment, qu’il espoventa bien l’assistance ; mais,
par autant qu’il avoit les bras lyez dedans, il ne povoit rien
prendre à manger, mais en grande peine se enclinoit pour


Chapitre IV Pantagruel
prendre à tout la langue quelque lippée. Quoy voyant, son
pere entendit bien que l’on l’avoit laissé sans luy bailler à
repaistre, et commanda qu’il fut deslyé desdi es chaisnes,
car le conseil des princes et seigneurs assistans, ensemble
aussi que les medicins de Gargantua disoyent que, si l’on
le tenoit ainsi au berceau, qu’il seroit toute sa vie subje à
la gravelle.
Lors qu’il feust deschainé, l’on le fist asseoir, et repeut
fort bien, et mist son di berceau en plus de cinq cens
mille pieces d’un coup de poing qu’il frappa au milieu par
despit, avec protestation de jamais n’y retourner.


Chapitre V
Des fai z du noble Pantagruel en son
jeune eage.
Ainsi croissoit Pantagruel de jour en jour et prouffitoit à
veue d’œil, dont son pere s’esjouyssoit par affe ion natu-
relle, et luy feist faire, comme il estoit petit, une arbaleste
pour s’esbatre après les oysillons, qu’on appelle de present
la grand arbaleste de Chantelle ; puis l’envoya à l’eschole
pour apprendre et passer son jeune eage.
De fai , vint à Poi iers pour estudier, et y proffita beau-
coup ; auquel lieu, voyant que les escoliers estoyent aul-
cunes foys de loysir et ne sçavoient à quoy passer temps,
il en eut compassion. Et un jour print, d’un grand rochier
qu’on nomme Passelourdin, une grosse roche, ayant en-
viron de douze toizes en quarré, et d’espesseur quatorze
pans, et la mist sur quatre pilliers au milieu d’un champ,
bien à son ayse, affin que lesdi z escoliers, quand ilz ne
sçauroyent aultre chose faire, passassent le temps à monter
sur ladi e pierre et là banqueter à force flacons, jambons et
pastez, et escripre leurs noms dessus avec un cousteau, et,
de present l’appelle on la Pierre levée. Et, en memoire de ce,
n’est aujourd’huy passé aulcun en la matricule de ladi e
université de Poi iers, sinon qu’il ait beu en la fontaine
Caballine de Croustelles, passé à Passelourdin et monté sur


Chapitre V Pantagruel
la Pierre levée.
En après, lisant les belles chronicques de ses ancestres,
trouva que Geoffroy de Lusignan, di Geoffroy à la grand
dent, grand pere du beau cousin de la seur aisnée de la
tante du gendre de l’oncle de la bruz de sa belle mere, es-
toit enterré à Maillezays; dont print un jour campos pour
le visiter comme homme de bien. Et, partant de Poi iers
avecques aulcuns de ses compaignons, passerent par Le-
gugé, visitant le noble Ardillon abbé, par Lusignan, par
Sansay, par Celles, par Colonges, par Fontenay le Comte,
saluant le do e Tiraqueau ; et de là arriverent à Maillezays,
où visita le sepulchre dudi Geoffroy à la grand dent, dont
il eut quelque peu de frayeur, voyant sa pourtrai ure, car
il y est en image comme d’un homme furieux, tirant à demy
son grand malchus de la guaine. Et demandoit la cause de
ce. Les chanoines dudi lieu luy dirent que n’estoit aultre
cause sinon que Pi oribus atque Poetis, etc. ; c’est à dire que
les pain res et poetes ont liberté de paindre à leur plaisir
ce qu’ilz veullent. Mais il ne se contenta de leur responce,
et dist :
« Il n’est ainsi pain sans cause. Et me doubte
que à sa mort on luy a fai quelque tord, du-
quel il demande vengeance à ses parens. Je m’en
enquesteray plus à plein, et en feray ce que de
raison. »
Puys non à Poi iers, mais voulut visiter les aultres uni-
versitez de France ; dont, passant à La Rochelle, se mist
sur mer et vint à Bourdeaulx, on quel lieu ne trouva grand
exercice, sinon des guabarriers jouans aux luettes sur la


Chapitre V Pantagruel
grave. De là vint à Thoulouse, où aprint fort bien à dan-
cer et à jouer de l’espée à deux mains, comme est l’usance
des escholiers de ladi e université ; mais il n’y demoura
gueres, quand il vit qu’ilz faisoyent brusler leurs regens
tout vifz comme harans soretz, disant : « Jà Dieu ne plaise
que ainsi je meure, car je suis de ma nature assez alteré
sans me chauffer davantaige ! »
Puis vint à Montpellier où il trouva fort bon vins de Mi-
revaulx et joyeuse compagnie ; et se cuida mettre à estudier
en medicine ; mais il considera que l’estat estoit fascheux
par trop et melancholicque, et que les medicins sentoyent
les clisteres comme vieulx diables. Pour tant vouloit es-
tudier en loix ; mais, voyant que là n’estoient que troys
teigneux et un pelé de legistes audi lieu, s’en partit. Et au
chemin fist le Pont du Guard et l’amphitheatre de Nimes en
moins de troys heures, qui toutesfoys semble œuvre plus
divin que humain ; et vint en Avignon, où il ne fut troys
jollrs qu’il ne devint amoureux : car les femmes y jouent
voluntiers du serre cropyere, parce que c’est terre papale.
Ce que voyant, son pedagogue, nommé Epistemon, l’en
tira et le mena à Valence au Daulphiné ; mais il vit qu’il
n’y avoit grand exercice et que les marroufles de la ville ba-
toyent les escholiers ; dont eut despit, et, un beau dimanche
que tout le monde dansoit publiquement, un escholier se
voulut mettre en dance, ce que ne permirent lesdi z mar-
roufles. Quoy voyant, Pantagruel leur bailla à tous la chasse
jusques au bort du Rosne, et les vouloit faire tous noyer ;
mais ilz se musserent contre terre comme taulpes, bien de-
mye lieue soubz le Rosne. Le pertuys encores y apparoist.
Après il s’en partit, et à troys pas et un sault vint àAn-


Chapitre V Pantagruel
giers, où il se trouvoit fort bien, et y eust demeuré quelque
espace, n’eust esté que la peste les en chassa.
Ainsi vint à Bourges, où estudia bien longtemps, et prof-
fita beaucoup en la faculté des loix, et disoit aulcunesfois
que les livres des loix luy sembloyent une belle robbe d’or,
triumphante et precieuse à merveilles, qui feust brodée de
merde :
« Car, disoit-il, au monde n’y a livres tant beaulx,
tant aornés, tant elegans comme sont les textes
des Pande es ; mais la brodure d’iceulx, c’est
assavoir la Close de Accurse, est tant salle, tant
infame et punaise, que ce n’est que ordure et
villenie. »
Partant de Bourges, vint à Orleans, et là trouva force
rustres d’escholiers qui luy firent grand chere à sa venue,
et en peu de temps aprint avecque eulx à jouer à la paulme,
si bien qu’il en estoit maistre, car les estudians dudi lieu
en font bel exercice. Et le menoyent aulcunesfoys es Isles
pour s’esbatre au jeu du Poussavant. Et, au regard de se
rompre fort la teste à estudier, il ne le faisoit mie, de peur
que la veue luy diminuast. Mesmement que un quidam
des regens disoit souvent en ses le ures qu’il n’y a chose
tant contraire à la veue comme est la maladie des yeulx. Et,
quelque jour que l’on passa licentié en loix quelc’un des
escholliers de sa congnoissance, qui de science n’en avoit
gueres plus que sa portée, mais en recompense scavoit fort
bien danser et jouer à la paulme, il fit le blason et divise
des licentiez en ladi e université, disant :
Un esteuf en la braguette,


Chapitre V Pantagruel
En la main une raquette,
Une loy en la cornette,
Une basse dance au talon,
Vous voylà passé coquillon.


Chapitre VI
Comment Pantagruel rencontra un
Limosin qui contrefaisoit le langaige
Francoys.
Quelque jour, je ne sçay quand, Pantagruel se pourme-
noit après soupper avecques ses compaignons par la porte
dont l’on va à Paris. Là rencontra ur escholier tout jolliet,
qui venoit par icelluy chemin ; et, après qu’ilz se furent
saluez, luy demanda :
« Mon amy, d’ont viens tu à ceste heure ?
L’escholier luy respondit :
« De l’alme, inclyte et celebre academie que l’on
vocite Lutece.
— Qu’est ce à dire ? dist Pantagruel à un de ses
gens ?
— C’est (respondit-il), de Paris.
— Tu viens doncques de Paris, dist il ? Et à quoy
passez vous le temps, vous aultres messieurs
estudiens, audi Paris ?
Respondit l’escolier :
« Nous transfretons la Sequane au dilucule et
crepuscule ; nous deambulons par les compites
-

Chapitre VI Pantagruel
et quadrivies de l’urbe ; nous despumons la ver-
bocination latiale, et, comme verisimiles amo-
rabonds, captons la benevolence de l’omnijuge,
omniforme, et omnigene sexe feminin. Certaines
diecules nous invisons les lupanares, et en ecs-
tase venereique, inculcons nos veretres es pe-
nitissimes recesses des pudendes de ces meri-
tricules amicabilissimes ; puis cauponizons es
tabernes meritoires de la Pomme de Pin, du
Castel, de la Magdaleine et de la Mulle, belles
spatules vervecines perforaminées de petrosil.
Et si, par forte fortune, y a rarité ou penurie de
pecune en nos marsupies, et soyent exhaustes
de metal ferruginé, pour l’escot nous dimittons
nos codices et vestes opignerées, prestolans les
tabellaires à venir des Penates et Lares patrio-
tiques. »
A quoy Pantagruel dist :
« Que diable de langaige est cecy ? Par Dieu, tu
es quelque heretique.
— Seignor, non, dit l’escolier, car libentissiment,
dès ce qu’il illucesce quelque minutule lesche
du jour, je demigre en quelc’un de ces tant bien
archite ez monstiers, et là, me irrorant de belle
eaue lustrale, grignotte d’un transon de quelque
missicque precation de nos sacrificules ; et, sub-
mirmillant mes precules horaires, elue et abs-
terge mon anime de ses inquinamens no urnes.
Je revere les Olimpicoles. Je venere latrialement


Chapitre VI Pantagruel
le supernel Astripotent. Je dilige et redame mes
proximes. Je serve les prescriptz Decalogiques
et, selon la facultatule de mes vires, n’en dis-
cede le late unguicule. Bien est veriforme que,
à cause que Mammone ne supergurgite goutte
en mes locules, je suis quelque peu rare et lend
à supereroger les eleemosynes à ces egenes que-
ritans leurs stipe hostiatement.
— Et bren, bren ! dist Pantagruel, qu’est ce que
veult dire ce fol ? Je croys qu’il nous forge icy
quelque langaige diabolique et qu’il nous cherme
comme enchanteur. »
A quoy dist un de ses gens :
« Seigneur, sans doubte, ce gallant veult contre-
faire la langue des Parisians ; mais il ne fai
que escorcher le latin, et cuide ainsi pindariser,
et luy semble bien qu’il est quelque grand ora-
teur en francoys, parce qu’il dedaigne l’usance
commun de parler. »
A quoi di Pantagruel :
« Est il vray ? »
L’escholier respondit :
« Signor Missayre, mon genie n’est poin apte
nate à ce que di ce flagitiose nebulon, pour es-
corier la cuticule de nostre vernacule Gallicque,
mais vice versement je gnave opere, et par veles
et rames je me enite de le locupleter de la re-
dundance latinicome.


Chapitre VI Pantagruel
— Par Dieu (dist Pantagruel) je vous apprendray
à parler. Mais devant, responds moy : dont es
tu ? »
A quoy dist l’escholier :
« L’origine primeves de mes aves et ataves fut
indigene des regions Lemovicques, où requiesce
le corpore de l’agiotate sain Martial.
— J’entens bien, dist Pantagruel ; tu es Lymosin,
pour tout potaige. Et tu veulx icy contrefaire le
Parisian. Or vien çza, que je te donne un tour
de pigne ! »
Lors le print à la gorge, luy disant :
« Tu escorche le latin ; par sain Jean, je te feray
escorcher le renard, car je te escorcheray tout
vif. »
Lors commença le pauvre Lymosin à dire :
« Vée dicou, gentilastre ! Ho, sain Marsault,
adjouda my! Hau, hau, laissas à quau, au nom
de Dious, et ne me touquas grou ! »
A quoy dist Pantagruel :
« A ceste heure parle tu naturellement. »
Et ainsi le laissa, car le pauvre Lymosin conchioit toutes
ses chausses, qui estoient fai es à queheue de merluz, et
non à plein fons ; dont dist Pantagruel :
« Sain Alipentin, quelle civette ! Au diable soit
le mascherabe, tant il put ! »


Chapitre VI Pantagruel
Et le laissa. Mais ce luy fut un tel remord toute sa vie, et
tant fut alteré qu’il disoit souvent que Pantagruel le tenoit
à la gorge, et, après quelques années, mourut de la mort
Roland, ce faisant la vengeance divine et nous demonstrant
ce que dit le philosophe et Aule Gelle : qu’il nous convient
parler selon le langaige usité, et, comme disoit O avian
Auguste, qu’il fault eviter les motz espaves en pareille
diligence que les patrons des navires evitent les rochiers de
mer.


Chapitre VII
Comment Pantagruel vint à Paris, et des
beaulx livres de la librairie de Sain
Vi or
Après que Pantagruel eut fort bien estudié en Aurelians,
il delibera visiter la grande université de Paris ; mais, de-
vant que partir, fut adverty que grosse et enorme cloche
estoit à Sain Aignan dudi Aurelians, en terre, passez
deux cens quatorze ans, car elle estoit tant grosse que par
engin aulcun ne la povoit on mettre seullement hors terre,
combien que l’on y eust applicqué tous les moyens que
mettent Vitruvius de Archite ura, Albertus De Re edifi-
catoria, Euclides, Theon, Archimedes, et Hero de Ingeniis,
tout n’y servit de rien. Dont, voluntiers encliné à l’humble
requeste des citoyens et habitans de la di ville, delibera
la porter au clochier à ce destiné.
De fai , vint au lieu où elle estoit et la leva de terre
avecques le petit doigt, aussi facillement que feriez une
sonnette d’esparvier. Et, devant que la porter au clochier,
Pantagruel en voulut donner une aubade par la ville, et la
faire sonner par toutes les rues en la portant en sa main ;
dont tout le monde se resjouyst fort; mais il en advint un
inconvenient bien grand, car, la portant ainsi et la faisant
sonner par les rues, tout le bon vin d’Orleans poulsa, et


Chapitre VII Pantagruel
se gasta. De quoy le monde ne se advisa que la nuy en-
suyvant : car un chascun se sentit tant alteré de avoir beu
de ces vins poulsez qu’ilz ne faisoient que cracher aussi
blanc comme cotton de Malthe, disans : « Nous avons du
Pantagruel, et avons les gorges sallées. »
Ce fai , vint à Paris avecques ses gens. Et, à son entrée
tout le monde sortit hors pour le veoir, comme vous sçavez
bien que le peuple de Paris est sot par nature, par bequare
et par bemol, et le regardoyent en grand esbahyssement, et
non sans grande peur qu’il n’emportast le Palais ailleurs,
en quelque pays a remotis, comme son père avoit emporté
les campanes de Nostre Dame, pour atacher au col de sa
jument. Et, après quelque espace de temps qu’il y eut de-
mouré, et fort bien estudié en tous les sept ars liberaulx,
il disoit que c’estoit une bonne ville pour vivre, mais non
pour mourir, car les guenaulx de Sain Innocent se chauf-
foyent le cul des ossements des mors. Et trouva la librairie
de Sain Vi or fort magnificque, mesmement d’aulcuns
livres qu’il y trouva, desquelz s’ensuit le repertoyre, et
primo :
Bigua Salutis.
Bragueta Juris.
Pantofla Decretorum.
Malogranatum Vitiorum.
Le Peloton de Theologie.
Le Vistempenard des Prescheurs, composé par
Turelupin.
Le Couillebarine des Preux.
Les Hanebanes des Evesques.


Chapitre VII Pantagruel
Marmotretus de Baboinis et Cingis, cum commento
d’Orbellis.
Decretum Universitatis Parisiensis super gorgiasi-
tate muliercularum ad placitum.
L’Apparition de sain e Geltrude à une nonnain
de Poissy estant en mal d’enfant.
Ars honeste petandi in societate, per M. Ortuinum.
Le Moustardier de Penitence.
Les Houseaulx, alias les Bottes de Patience.
Formicarium Artium.
De brodiorum usu et honestate chopinandi, per
Silvestrem Prieratem, Jacospinum.
Le Beliné en Court.
Le Cabat des Notaires.
Le Pacquet de Mariage.
Le Creziou de Contemplation.
Les Fariboles de Droi
L’Aguillon de vin.
L’Esperon de fromaige.
Decrotatorium Scholarium.
Tartaretus, De modo cacandi.
Les Fanfares de Rome.
Bricot, De differentiis soupparum.
Le Culot de Discipline.
La Savate de Humilité.
Le Tripier de bon Pensement.
Le Chaulderon de Magnanimité.
Les Hanicrochemens des Confesseurs.
La Croquignolle des Curés.
Reverendi Patris Fratris Lubini, Provincialis Ba-


Chapitre VII Pantagruel
vardie, De croquendis lardonibus libri fres.
Pasquili, Do oris marmorei, De capreolis cum
chardoneta comedendis, tempore papali ab Ec-
clesia interdi o.
L’Invention Sain e Croix, à six personnaiges,
jouée par les clercs de Finesse.
Les Lunettes des Romipetes.
Majoris, De modo faciendi boudinos.
La Cornemuse des Prelatz.
Beda, De optimitate triparum.
La Complainte des Advocatz sus la Reformation
des Dragées.
Le Chat fourré des Procureurs.
Des Poys au lart, cum commento.
La Profiterolle des Indulgences.
Praeclarissimi Juris Utriusque Do oris Maistre
Pilloti Racquedenari, De bobelinandis Glosse
Accursiane baguenaudis Repetitio enucidilu-
culidissima.
Stratagemata Francarchieri de Baignolet.
Fran opinus, De re militari, cum figuris Tevoti.
De usu et utilitate escorchandi equos et equas, au-
tore M. nostro de Quebecu.
La Rustrie des Prestolans.
M. n. Rostocostojambedanesse, De moustarda post
prandium servienda lib. quatuordecim, aposti-
lati per M. Vaurrillonis.
Le Couillaige des Promoteurs.
Questio subtillissima, utrum Chimera, in vacuo
bombinans, possit comedere secundas inten-


Chapitre VII Pantagruel
tiones, et fuit debatuta per decem hebdomadas
in concilio Constantiensi.
Le Maschefain des Advocatz.
Barbouilamenta Scoti.
Le Ratepenade des Cardinaulx.
De calcaribus removendis decades undecim, per M.
Albericum de Rosata.
Ejusdem, De castrametandis crinibus, lib. tres.
L’Entrée de Anthoine de Leive ès terres du Bre-
sil.
Marforii Bacalarii cubantis Rome, Dde pelendis
mascarendisque Cardinalium mulis.
Apologie d’icelluy, contre ceulx qui disent que
la Mule du Pape ne mange qu’à ses heures.
Pronostication que incipit, « Silvi Triquebille » ba-
lata per M. n. Songecrusyon.
Boudarini, episcopi, De emulgentiarum profe i-
bus enneades novem, cum privilegio Papali ad
triennium, et postea non.
Le Chiabrena des Pucelles.
Le Cul pelé des Vefves.
La Cocqueluche des Moines.
Les Brimborions des Padres Celestins.
Le Barrage de Manducité.
Le Clacquedent des Marroufles.
La Ratouère des Theologiens.
L’Ambouchouoir des Maistres en Ars.
Les Marmitons de Olcam à simple tonsure.
Magistri n. Fripesaulcetis, De grabellationibus hor-
rarum canonicarum, lib. quadraginta.


Chapitre VII Pantagruel
Cullebutatorium confratriarum, incerto autore.
La Cabourne des Briffaulx.
Le Faguenat des Hespaignolz, supercoquelican-
ticqué par Frai Inigo.
La Barbotine des Marmiteux.
Poiltronismus rerum Italicarum, autore magistro
Bruslefer.
R. Lullius, De batisfolagiis Principium.
Callibistratorium Caffardie, a ore M. Jacobo Hocs-
tratem, hereticometra.
Chaultcouillons, de Magistro nostrandorum Ma-
gistro nostratorumque beuvetis, lib. o o gua-
lantissimi.
Les Petarrades des Bullistes, Copistes, Scrip-
teurs, Abbreviateurs, Référendaires et Da-
taires, compillées par Regis.
Almanach perpetuel pour les Gouteux et Verol-
lez.
Maneries ramonandi fournellos, per M. Eccium.
Le Poulermart des Marchans.
Les Aisez de Vie monachale.
La Gualimaffrée des Bigotz.
L’Histoire des Farfadetz.
La Belistrandie des Millesouldiers.
Les Happelourdes des Officiaux.
La Bauduffe des Thesauriers.
Badinatorium Sophistarum.
Antipericatametanaparbeugedamphicribrationes mer-
dicantium.
Le Limasson des Rimasseurs.
-

Chapitre VII Pantagruel
Le Boutavent des Alchymistes.
La Nicquenocque des Questeurs, cababezacée
par frère Serratis.
Les Entraves de Religion.
La Racquette des Brimbaleurs.
L’Acodouoir de Vieillesse.
La Muselière de Noblesse.
La Patenostre du Cinge.
Les Grezillons de Devotion.
La Marmite des Quatre Temps.
Le Mortier de Vie politicque.
Le Mouschet des Hermites.
La Barbute des Penitenciers.
Le Tric trac des Freres Frapars.
Lourdaudus, De vita et honestate Braguardorum.
Lyripipii Sorbonici moralisationes, per M. Lupol-
dum.
Les Brimbelettes des Voyageurs.
Les Potingues des Evesques potatifz.
Tarraballationes Do orum Coloniensium adver-
sus Reuchlin.
Les Cymbales des Dames.
La Martingalle des Fianteurs.
Virevoustatorum Nacquettorum, per F. Pedebille-
tis.
Les Bobelins de Franc Couraige.
La Mommerie des Rebatz et Lutins.
Gerson, De Auferibilitate Pape ab Ecclesia.
La Ramasse des Nommez et Graduez.
Jo. Dytebrodii, De terribiliditate excommunicatio-


Chapitre VII Pantagruel
num libellus acephalos.
Ingeniositas invocandi Diabolos et Diabolas, per
M. Guinguolfum.
Le Hoschepot des Perpetuons.
La Morisque des Hereticques.
Les Henilles de Gaïetan.
Moillegroin, do oris cherubici, De origine pate-
pelutarum et torticollorum ritibus, lib. septem.
Soixante et neuf Breviaires de haulte gresse.
Le Godemarre des cinq Ordres des Mendians.
La Pelletiere des Tyrelupins, extrai e de la Bote
fauve incornifistibulée en la Somme Ange-
licque.
Le Ravasseur des Cas de conscience.
La Bedondaine des Presidens.
Le Vietdazouer des Abbez.
Sutoris, adversus quendam, qui vocaverat eum
fripponnatorem, et quod Fripponnatores non
sunt damnati ab Ecclesia.
Cacatorium medicorum.
Le Rammonneur d’astrologie.
Campi Clysteriorum, per S. C.
Le Tyrepet des apothecaires.
Le Baisecul de chirurgie.
Justinianus, De Cagotis tollendis.
Antidotarium anime.
Merlinus Coccaius, De Patria Diabolorum.
Desquelz aulcuns sont jà imprimez, et les aultres l’on
imprime maintenant en ceste noble ville de Tubinge.


Chapitre VIII
Comment Pantagruel, estant à Paris,
receut letres de son pere Gargantua, et la
copie d’icelles.
Pantagruel estudioit fort bien, comme assez entendez, et
proufitoit de mesmes, car il avoit l’entendement à double
rebras et capacité de memoire à la mesure de douze oyres et
botes d’olif. Et, comme il estoit ainsi là demourant, receut
un jour lettres de son pere en la maniere que s’ensuyt :
« Tres chier filz, entre les dons, graces et pre-
rogatives desquelles le souverain plasmateur,
Dieu tout puissant, a endouayré et aorné l’hu-
maine nature à son commencement, celle me
semble singuliere et excellente par laquelle elle
peut, en estat mortel, acquerir espece de immor-
talité et, en decours de vie transitoire, perpetuer
son nom et sa semence ; ce que est fai par li-
gnée yssue de nous en mariage legitime. Dont
nous est aulcunement instauré ce que nous feut
tollu par le peché de nos premiers parens, es-
quelz fut di que, parce qu’ilz n’avoyent esté
obeyssans au commendement de Dieu le crea-
teur, ilz mourroyent et, par mort, seroit redui e


Chapitre VIII Pantagruel
à neant ceste tant magnifcque plasmature en
laquelle avoit esté l’homme créé. Mais, par ce
moyen de propagation seminale, demoure es
enfans ce que estoit de perdu es parens, et es
nepveux ce que deperissoit es enfans, et ainsi
successivement jusques à l’heure du jugement
final, quand Jesuchrist aura rendu à Dieu le
pere son royaulme pacificque hors tout dan-
gier et contamination de peché : car alors cesse-
ront toutes generations et corruptions, et seront
les elemens hors de leurs transmutations conti-
nues, veu que la paix tant désirée sera consu-
mée et parfai e et que toutes choses seront re-
duites à leurfin et periode. Non doncques sans
juste et equitable cause je rends graces à Dieu,
mon conservateur, de ce qu’il m’a donné povoir
veoir mon antiquité chanue refleurir en ta jeu-
nesse ; car, quand, par le plaisir de luy, qui tout
regist et modere, mon ame laissera ceste habi-
tation humaine, je ne me reputeray totallement
mourir, ains passer d’un lieu en aultre, attendu
que, en toy et par toy, je demeure en mon image
visible en ce monde, vivant, voyant et conver-
sant entre gens de honneur et mes amys, comme
je souloys, laquelle mienne conversation a esté,
moyennant l’ayde et grace divine, non sans pe-
ché, je le confesse, (car nous pechons tous et
continuellement requerons à Dieu qu’il efface
noz pechez), mais sans reproche. Par quoy, ainsi
comme en toy demeure l’image de mon corps, si


Chapitre VIII Pantagruel
pareillement ne reluysoient les meurs de l’ame,
l’on ne te jugeroit estre garde et tresor de l’im-
mortallite de nostre nom ; et le plaisir que pren-
droys, ce voyant seroit petit, considerant que la
moindre partie de moy, qui est le corps, demou-
reroit, et que la meilleure, qui est l’ame et par
laquelle demeure nostre nom en benedi ion
entre les hommes, seroit degenerante et abas-
tardie ; ce que je ne dis par defiance que je aye
de ta vertu, laquelle m’a esté jà par cy devant
esprouvée, mais pour plus fort te encourager à
proffiter de bien en mieulx. Et ce que presente-
ment te escriz n’est tant affin qu’en ce train ver-
tueux tu vives, que de ainsi vivre et avoir vescu
tu te resjouisses et te refraischisses en courage
pareil pour l’advenir. A laquelle entreprinse
parfaire et consommer, il te peut assez souvenir
comment je n’ay rien espargné; mais ainsi te y
ay je secouru comme si je n’eusse aultre thesor
en ce monde que de te veoir une foys en ma
vie absolu et parfai , tant en vertu, honesteté
et preudhommie, comme en tout sçavoir libe-
ral et honeste, et tel te laisser après ma mort
comme un mirouoir representant la personne
de moy ton pere et, sinon tant excellent et tel
de fai comme je te souhaite, certes bien tel en
desir. Mais, encores que mon feu pere, de bonne
memoire, Grandgousier eust adonné tout son
estude à ce que je proffitasse en toute perfe ion
et sçavoir politique, et que mon labeur et estude


Chapitre VIII Pantagruel
correspondit très bien, voire encores oultrepas-
sast son desir, toutesfoys, comme tu peulx bien
entendre, le temps n’estoit tant idoine ne com-
mode es lettres comme est de present, et n’avoys
copie de telz precepteurs comme tu as eu. Le
temps estoit encores tenebreux et sentant l’infe-
licité et la calamité des Gothz, qui avoient mis
à destru ion toute bonne literature. Mais, par
la bonté divine, la lumiere et dignité a esté de
mon eage rendue es lettres, et y voy tel amende-
ment que de present à difficulté seroys je receu
en la premiere classe des petitz grimaulx, qui,
en mon eage virile, estoys (non à tord) reputé le
plus sçavant dudi siecle. Ce que je ne dis par
ja ance vaine, — encores que je le puisse loua-
blementfaire en t’escripvant, comme tu as l’au-
torité de Marc Tulle, en son livre de Vieillesse,
et la sentence de Plutarche au livre intitulé :
Comment on se peut louer sans envie, — mais
pour te donner affe ion de plus hault tendre.
Maintenant toutes disciplines sont restituées,
les langues instaurées : Grecque, sans laquelle
c’est honte que une personne se die sçavant, He-
braïcque, Caldaïcque, Latine ; les impressions,
tant elegantes et corre es, en usance, qui ont
esté inventées de mon eage par inspiration di-
vine, comme à contrefil, l’artillerie par sugges-
tion diabolicque. Tout le monde est plein de
gens savans, de precepteurs tres do es, de li-
brairies tres amples, qu’il m’est advis que, ny


Chapitre VIII Pantagruel
au temps de Platon, ny de Ciceron, ny de Papi-
nian, n’estoit telle commodité d’estude qu’on
y veoit maintenant. Et ne se fauldra plus do-
resnavant trouver en place ny en compaignie,
qui ne sera bien expoly en l’offcine de Minerve.
Je voy les brigans, les boureaulx, les avantu-
riers, les palefreniers de maintenant plus do es
que les do eurs et prescheurs de mon temps.
Que diray je ? Les femmes et filles ont aspiré à
ceste louange et manne celeste de bonne doc-
trine. Tant y a que, en l’eage où je suis, j’ay esté
contrain de apprendre les lettres Crecques,
lesquelles je n’avois contemné comme Caton,
mais je n’avoys eu loysir de comprendre en
mon jeune eage ; et voluntiers me dele e à lire
les Moraulx de Plutarche, les beaulx Dialogues
de Platon, les Monumens de Pausanias et An-
tiquitez de Atheneus, attendant l’heure qu’il
plaira à Dieu, mon createur, me appeller et
commander yssir de ceste terre. Parquoy, mon
filz, je te admoneste que employe ta jeunesse
à bien profiter en estudes et en vertus. Tu es
àParis, tu as ton precepteur Epistemon, dont
l’un par vives et vocables instru ions, l’aultre
par louables exemples, te peut endo riner. J’en-
tends et veulx que tu aprenes les langues par-
fai ement : premierement la Grecque, comme
le veult Quintilian, secondement la Latine, et
puis l’Hebraïcque pour les sain es letres, et
la Chaldaïcque et Arabicque pareillement ; et


Chapitre VIII Pantagruel
que tu formes ton stille, quand à la Grecque,
à l’imitation de Platon, quand à la Latine, àCi-
ceron. Qu’il n’y ait hystoire que tu ne tienne
en memoire presente, à quoy te aydera la Cos-
mographie de ceulx qui en ont escript. Des ars
liberaux, geometrie, arismeticque et musicque,
je t’en donnay quelque goust quand tu estoys
encores petit en l’eage de cinq à six ans ; pour-
suys la reste, et de astronomie saiche en tous
les canons ; laisse moy l’astrologie divinatrice
et l’art de Lullius, comme abuz et vanitez. Du
droit civil, je veulx que tu saiches par cueur
les beaulx textes et me les confere avecques
philosophie. Et, quand à la congnoissance des-
fai z de nature, je veulx que tu te y adonne
curieusement : qu’il n’y ayt mer, riviere ny fon-
taine, dont tu ne congnoisse les poissons ; tous
les oyseaulx de l’air, tous les arbres, arbustes
et fru ices des forestz, toutes les herbes de la
terre, tous les metaulx cachez au ventre des
abysmes, les pierreries de tout Orient et Midy,
rien ne te soit incongneu. Puis songeusement
revisite les livres des medicins Grecs, Arabes et
Latins, sans contemner les Thalmudistes et Ca-
balistes, et par frequentes anatomies, acquiers
toy parfai e congnoissance de l’aultre monde,
qui est l’homme. Et, par lesquelles heures du
jour commence à visiter les sain es lettres :
premierement, en Grec, le Nouveau Testament
et Epistres des Apostres, et puis, en Hebrieu,


Chapitre VIII Pantagruel
le Vieulx Testament. Somme, que je voy un
abysme de science. Car, doresnavant que tu
deviens homme et te fais grand, il te fauldra
yssir de ceste tranquillité et repos d’estude, et
apprendre la chevalerie et les armes pour de-
fendre ma maison, et nos amys secourir en tous
leurs affaires contre les assaulx des malfaisans.
Et veux que, de brief tu essaye combien tu as
proffité, ce que tu ne pourras mieulx faire que
tenent conclusions en tout sçavoir, publique-
ment, envers tous et contre tous, et hantant
les gens lettrez qui sont tant à Paris comme
ailleurs. Mais parce que, selon le saige Salo-
mon, sapience n’entre poin en ame malivole et
science sans conscience n’est que ruine de l’ame,
il te convient servir, aymer et craindre Dieu, et
en luy mettre toutes tes pensées et tout ton es-
poir, et par foy formée de charité, estre à luy ad-
join , en sorte que jamais n’en soys désamparé
par peché. Aye suspe z les abus du monde. Ne
metz ton cueur à vanité, car ceste vie est tran-
sitoire, mais la parolle de Dieu demeure eter-
nellement. Soys serviable à tous tes prochains
et les ayme comme toy mesmes. Revere tes pre-
cepteurs ; fuis les compaignies des gens esquelz
tu ne veulx point resembler, et, les graces que
Dieu te a données, icelles ne reçoipz en vain. Et,
quand tu congnoistras que auras tout le sçavoir
de par delà acquis, retourne vers moy, affin que
je te voye et donne ma benedi ion devant que


Chapitre VIII Pantagruel
mourir. Mon filz, la paix et grace de Nostre Sei-
gneur soit avecques toy. Amen. De Utopie. ce
dix septiesme jour du moys de mars.
Ton père,
Gargantua »
Ces lettres receues et veues, Pantagruel print nouveau
courage, et feut enflambé à proffiter plus que jamais, en
sorte que, le voyant estudier et proffiter, eussiez di que
tel estoit son esperit entre les livres comme est le feu parmy
les brandes, tant il l’avoit infatigable et strident.
-

Chapitre IX
Comment Pantagruel trouva Panurge,
lequel il ayma toute sa vie.
Un jour Pantagruel, se pourmenant hors la ville, vers
l’abbaye Sain Antoine, devisant et philosophant avecques
ses gens et aulcuns escholiers, rencontra un homme, beau
de stature et elegant en tous lineamens du corps, mais pi-
toyablement navré en divers lieux et tant mal en ordre qu’il
sembloit estre echappé es chiens, ou mieulx resembloit un
cueilleur de pommes du païs du Perche. De tant loing que
le vit Pantagruel, il dist es asistans :
« Voyez vous cest homme, qui vient par le che-
min du pont Charanton ? Par ma foy, il n’est
pauvre que par fortune, car je vous asseure que,
à sa physionomie, Nature l’a produi de riche
et noble lignée, mais les adventures des gens
curieulx le ont redui en telle penurie et indi-
gence. »
Et, ainsi qu’il fut au droi d’entre eulx, il luy demanda :
« Mon amy, je vous prie que un peu vueillez icy
arrester et me respondre à ce que vous deman-
deray, et vous ne vous en repentirez point, car
j’ay affe ion très grande de vous donner ayde


Chapitre IX Pantagruel
à mon povoir en la calamité où je vous voy, car
vous me fai es grand pitié. Pour tant, mon amy,
di es moy : Qui estes vous ? Dont venez vous ?
Où allez vous ? Que querez vous ? Et quel est
vostre nom ? »
Le compaignon luy respond en langue Germanicque :
« Juncker, Gott geb euch gluck unnd Hail. Zu-
vor, lieber Juncker, ich las euch wissen das da
ir mich von fragt, ist ein arm unnd erbarmglich
ding, unnd wer vil darvon zu sagen, welches
euch verdruslich zu hœren, unnd mir zu erze-
len wer, vievol die Poeten unnd Orators vorzei-
ten haben gesagt in irem Sprüchen unnd Sen-
tenzen, das die Gedechtnus des Ellends unnd
Armuot vorlangs erlitten ist ain grosser Lust. »
A quoy respondit Pantagruel :
« Mon amy, je n’entens poin ce barragouin ;
pour tant, si voulez qu’on vous entende, parlez
aultre langaige. »
Adoncques le compaignon luy respondit :
« Al barildim gotfano dech min brin alabo dor-
din falbroth ringuam albaras. Nin porth zadi-
kim almucathin milko prin al elmim enthoth
dal heben ensouim : kuthim al dum alkatim
nim broth dechoth porth min michais im en-
doth, pruch dal maisoulum hol moth danril-
rim lupaldas im voldemoth. Nin hur diavosth
mnarbotim dal gousch palfrapin duch im scoth


Chapitre IX Pantagruel
pruch galeth dal Chinon, min foulchrich al co-
nin butathen doth dal prim.
— Entendez vous rien là ? »
dist Pantagruel es assistans. A quoy dist Epistemon :
« Je croy que c’est langaige des antipodes ; le
diable n’y mordroit mie. »
Lors dist Pantagruel :
« Compere, je ne sçay si les murailles vous en-
tendront, mais de nous nul n’y entend note. »
Dont dist le compaignon :
« Signor mio, voi videte per exemplo che la cor-
namusa non suona mai s’ela non a il ventre
pieno. Cosi io parimente non vi saprei contare
le mie fortune, se prima il tribulato ventre non
a la solita refe ione. Al quale è adviso che le
mani et li denti abbui perso il loro ordine natu-
rale et del tuto annichillati. »
A quoy respondit Epistemon :
« Autant de l’un comme de l’aultre. »
Dont dist Panurge :
« Lord, ilf you be so vertuous of intelligence,
as you be naturelly releaved to the body, you
should have pity of me, for nature hath made
us equal, but fortune hath some exalted, and
others depreit ; non ye lesse is vertue often de-
prived, and the vertuous men despised, for be-
fore the last end iss none good.
— Encores moins, »


Chapitre IX Pantagruel
respondit Pantagruel.
Adoncques dist Panurge :
« Jona andie, guaussa goussyetan behar da erre-
medio beharde versela ysser lan da. Anbates, oy-
toyes nausu eyn essassu gourr ay proposian or-
dine den. Non yssena bayta fascheria egabe gen-
herassy badia sadassu noura assia. Aran hondo-
van gualde eydassu nay dassuna. Estou oussyc
eguinan soury hin er darstura eguy harm. Ge-
nicoa plasar vadu.
— Estez vous là, respondit Eudemon, Geni-
coa ? »
A quoy dist Carpalim :
« Sain Treignan, foutys vous d’Escoss, ou j’ay
failly à entendre ! »
Lors respondit Panurge :
« Prug frest strinst sorgdmand strochdt drhds
pag brledand Gravot Chavigny Pomardiere rusth
pkallhdracg Deviniere près Nays. Bouille kal-
much monach drupp delmeupplistrincq dlrnd
dodelb up drent loch minc stzrinquald de vins
ders cordelis hur jocststzampenards. »
A quoy dist Epistemon :
« Parlez vous christian, mon amy, ou langaige
Patelinoys ? Non, c’est langaige Lanternoys. »
Dont dist Panurge :


Chapitre IX Pantagruel
« Herre, ie en spreke anders gheen taele dan
kersten taele ; my dun nochtans, al en seg ie v
niet een wordt myuen noot verklaart ghenonch
wat ie beglere ; gheest my unyt bermherticheyt
yet waer un ie ghevoed mach zunch. »
A quoy respondit Pantagruel :
« Autant de cestuy là. »
Dont dist Panurge :
« Seignor, de tanto hablar yo soy cansado. Por
que supplico a Vostra Reverentia que mire a los
preceptos evangelicos, para que ellos movant
Vostra Reverentia a lo qu’es de conscientia ; y
sy ellos non bastarent para mover Vostra Reve-
rentia a piedad, supplico que mire a la piedad
natural, la qual yo creo que le movra como es
de razon, y con esto non digo mas. »
A quoy respondit Pantagruel :
« Dea, mon amy, je ne fais doubte aulcun que ne
sachez bien parler divers langaiges ; mais di es
nous ce que vouldrez en quelque langue que
puissions entendre. »
Lors dist le compaignon :
« Myn Herre, endog jeg med inghen tunge ta-
lede, lygesom boeen, ocg uksvvlig creatner !
Myne kleebon, och myne legoms magerhed uud-
viser allygue klalig huvad tyng meg meest be-
hoff girered som aer sandeligh mad och drycke :
hwarfor forbarme teg omsyder offvermeg ; och


Chapitre IX Pantagruel
bef ael at gyffuc meg nogeth ; aff huylket jeg
kand styre myne groeendes maghe, lygeruss
son mand Cerbero en soppe forsetthr. Soa shal
tue loeffve lenge och lyksaligth.
— Je croy, dist Eustenes que les Gothz parloient
ainsi. Et, si Dieu vouloit, ainsi parlerions nous
du cul. »
Adoncques, dist le compaignon :
« Adoni, scolom lecha : im ischar harob hal hab-
deca, bemeherah thithen li kikar lehem, chan-
cathub : laah al Adonai chonen ral. »
A quoy respondit Epistemon :
« A ceste heure ay je bien entendu : car c’est
langue Hebraïcque bien rhetoricquement pro-
nuncée. »
Dont dist le compaignon :
« Despota ti nyn panagathe, dioti sy mi uc ar-
todotis ? Horas gar limo analiscomenon eme
athlios. Ce en to metaxy eme uc eleis udamos,
zetis de par emu ha u chre, ce homos philologi
pantes homologusi tote logus te ce rhemeta per-
itta hyparchin, opote pragma afto pasi delon
esti. Entha gar anancei monon logi isin, hina
pragmata, (hon peri amphisbetumen), me phos-
phoros epiphenete. — Quoy, dist Carpalim, lac-
quays de Pantagruel, c’est Grec, je l’ay entendu.
Et comment ? As tu demouré en Grece ? »
Donc dist le compaignon :


Chapitre IX Pantagruel
« Agonou dont oussys vou denaguez algarou,
nou den farou zamist vous mariston ulbrou
fousquez vou brol tam bredaguez moupreton
den goul houst, daguez daguez nou croupys fost
bardounnoflist nou grou. Agou paston tol nal-
prissys hourtou los ecbatonous prou dhouquys
brol panygou den bascrou noudous caguons
goulfren goul oust troppassou.
— J’entends, se me semble, dist Pantagruel : car
ou c’est langaige de mon pays de Utopie, ou
bien luy ressemble quant au son. »
Et, comme il vouloit commencer quelque propos, le com-
paignon dist :
« Jam toties vos, per sacra, perque deos deasque
omnis obtestatus sum, ut, si qua vos pietas per-
movet, egestatem meam solaremini, nec hilum
proficio clamans et ejulans. Sinite, queso, sinite,
viri impii, Quo me fata vocant abire, nec ultra
vanis vestris interpellationibus obtundatis, me-
mores veteris illius adagii, quo venter famelicus
auriculis carere dicitur.
— Dea, mon amy, dist Pantagruel, ne sçavez
vous parler Françoys ?
— Si fai z tres bien, Seigneur, respondit le com-
paignon ; Dieu mercy, c’est ma langue naturelle
et maternelle, car je suis né et ay esté nourry
jeune au jardin de France, c’est Touraine.
— Doncques, dist Pantagruel, racomptez nous
quel est vostre nom, et dont vous venez, car, par


Chapitre IX Pantagruel
ma foy, je vous ay jà prins en amour si grand
que, si vous condescendez à mon vouloir, vous
ne bougerez jamais de ma compaignie, et vous
et moy ferons un nouveau pair d’amitié, telle
que feut entre Enée et Achates.
— Seigneur, dist le compaignon, mon vray et
propre nom de baptesme est Panurge, et à present
viens de Turquie, où je fuz mené prisonnier
lorsqu’on alla à Metelin en la male heure. Et
voluntiers vous racompteroys mes fortunes, qui
sont plus merveilleuses que celles de Ulysses,
mais puisqu’il vous plaist me retenir avecques
vous, (et je accepte voluntiers l’offre, protes-
tant jamais ne vous laisser ; et alissiez vous à
tous les diables), nous aurons, en aultre temps
plus commode assez loysir d’en racompter, car,
pour ceste heure, j’ay necessité bien urgente
de repaistre : dentz aguës, ventre vuyde, gorge
seiche, appetit strident, tout y est deliberé : si
me voulez mettre en ceuvre, ce sera basme de
me voir briber. Pour Dieu, donnez y ordre ! »
Lors commenda Pantagruel qu’on le menast en son logis
et qu’on luy apportast force vivres. Ce que fut fai , et
mangea tres bien à ce soir, et s’en alla coucher en chappon,
et dormit jusques au lendemain heure de disner, en sorte
qu’il ne feist que troys pas et un sault du li à table.


Chapitre X
Comment Pantagruel equitablement
jugea d’une contreverse merveilleusement
obscure et difficile si justement que son
jugement fut di fort admirable.
Pantagruel, bien records des lettres et admonitions de
son père, voulut un jour essayer son sçavoir. De fai , par
tous les carrefours de la ville mist conclusions en nombre
de neuf mille sept cens soixante et quatre, en tout sça-
voir, touchant en ycelles plus fors doubtes qui feussent en
toutes sciences. Et premierement, en la rue du Feurre, tint
contre tous les regens, artiens et orateurs, et les mist tous de
cul. Puis, en Sorbonne tint contre tous les theologiens, par
l’espace de six sepmaines, despuis le matin quatre heures
jusques à six du soir ; exceptez deux heures d’intervalle
pour repaistre et prendre sa refe ion. Et à ce assisterent la
plus part des seigneurs de la Court, maistres des requestres,
presidens, conseilliers, les gens des comptes, secretaires,
advocatz et aultres, ensemble les eschevins de ladi e ville
avecques les medicins et canonistes.
Et notez que d’iceulx la plus part prindrent bien le frain
au dentz ; mais, nonobstant leurs ergotz et fallaces, il les
feist tous quinaulx et leurs monstra visiblement qu’ilz n’es-


Chapitre X Pantagruel
toient que veaulx engiponnez.
Dont tout le monde commença à bruyre et parler de son
sçavoir si merveilleux, jusques es bonnes femmes, lavan-
dieres, courratieres, roustissieres, ganyvetieres et aultres,
lesquelles, quand il passoit par les rues, disoient : « C’est
luy ! » A quoy il prenoit plaisir comme Demosthenes, prince
des orateurs grecz, faisoit, quand de luy dist une vieille
acropie, le monstrant au doigt : « C’est cestuy là. »
Or, en ceste propre saison, estoit un procès pendent en la
court entre deux gros seigneurs, desquelz l’un estoit Mon-
sieur de Baysecul, demandeur, d’une part, l’aultre Mon-
sieur de Humevesne, defendeur, de l’aultre, desquelz la
controverse estoit si haulte et difficile en droi que la court
de Parlement n’y entendoit que le hault alemant. Dont,
par le commandement du roy, furent assemblez quatre
les plus sçavans et les plus gras de tous les parlemens de
France, ensemble le Grand Conseil, et tous les principaulx
regens des universitez, non seulement de France, mais aussi
d’Angleterre et Italie, comme Jason, Philippe Dece, Petrus
de Petronibus et un tas d’aultres vieulx Rabanistes. Ainsi
assemblez, par l’espace de quarente et six sepmaines n’y
avoyent sceu mordre ny entcndre le cas au net pour le
mettre en droi en façon quelconques, dont ilz estoyent si
desptiz qu’ilz se conchioyent de honte villainement.
Mais un d’entre eulx, nommé Du Douhet, le plus sçavant,
le plus expert et prudent de tous les aultres, un jour qu’ilz
estoyent tous philogrobolizez du cerveau, leur dist :
« Messieurs, jà long temps a que sommes icy
sans rien faire que despendre, et ne pouvons
-

Chapitre X Pantagruel
trouver fond ny rive en ceste matiere, et, tant
plus y estudions, tant moins y entendons, qui
nous est grand honte et charge de conscience,
et à mon advis que nous n’en sortirons que à
deshonneur, car nous ne faisons que ravasser en
noz consultations ; mais voicy que j’ay advisé.
Vous avez bien ouy parler de ce grand person-
naige, nommé Maistre Pantagruel, lequel on
a congneu estre sçavant dessus la capacité du
temps de maintenant es grandes disputations
qu’il a tenu contre tous publiquement? Je suis
d’opinion que nous l’apellons et conferons de
cest affaire avecques luy, car jamais homme n’en
viendra à bout si cestuy là n’en vient. »
A quoy voluntiers consentirent tous ces conseilliers et
do eurs.
De fai , l’envoyerent querir sur l’heure et le prierent
vouloir le procès canabasser et grabeler à poin , et leur
en faire le raport tel que de bon luy sembleroit en vraye
science legale, et luy livrerent les sacs et pantarques entre
ses mains, qui faisoyent presque le fais de quatre gros asnes
couillars. Mais Pantagruel leur dist :
« Messieurs, les deux seigneurs qui ont ce pro-
cès entre eulx sont ilz encore vivans ? »
A quoy luy fut respondu que ouy.
« De quoy diable donc (dist il) servent tant de fa-
trasseries de papiers et copies que me bailliez ?
N’est ce le mieux ouyr par leur vive voix leur
debat que lire ces babouyneries icy, qui ne sont


Chapitre X Pantagruel
que tromperies, cautelles diabolicques de Ce-
pola et subversions de droi ? Car je suis sceur
que vous et tous ceulx par les mains desquelz a
passé le procès y avez machiné ce que avez peu
Pro et Contra, et, au cas que leur controverse
estoit patente et facile à juger, vous l’avez obs-
curcie par sottes et desraisonnables raisons et
ineptes opinions de Accurse, Balde, Bartole, de
Castro, de Imola, Hippolytus, Panorme, Berta-
chin, Alexandre, Curtius et ces aultres vieulx
mastins qui jamais n’entendirent la moindre loy
des Pande es, et n’estoyent que gros veaulx de
disme, ignorans de tout ce qu’est necessaire à
l’intelligence des loix.
Car (comme il est tout certain) ilz n’avoyent
congnoissance de langue ny Grecque, ny La-
tine, mais seullement de Gothique et Barbare ;
et toutesfoys les loix sont premierement prinses
des Grecz, comme vous avez le tesmoignage de
Ulpian, l. posteriori De orig. juris, et toutes les
loiz sont pleines de sentences et motz Grecz ;
et secondement sont redigées en latin le plus
elegant et aorné qui soit en toute la langue La-
tine, et n’en excepteroys voluntiers ny Saluste,
ny Varron, ny Ciceron, ny Senecque, ny T. Live,
ny Quintilian. Comment doncques eussent peu
entendre ces vieulx resveurs le texte des loix,
qui jamais ne virent bon livre de langue Latine,
comme manifestement appert à leur stille, qui


Chapitre X Pantagruel
est stille de ramonneur de cheminée ou de cuy-
sinier et marmiteux, non de jurisconsulte ?
Davantaige, veu que les loix sont extirpées du
mylieu de philosophie moralle et naturelle, com-
ment l’entendront ces folz qui ont, par Dieu,
moins estudié en philosophie que ma mulle ?
Au regard des lettres de humanité et congnois-
sance des antiquitez et histoire, ilz en estoyent
chargez comme un crapault de plumes, dont
toutesfoys les droi z sont tous pleins et sans ce
ne pevent estre entenduz, comme quelque jour
je monstreray plus apertement par escript.
Par ce, si voulez que je congnoisse de ce pro-
cès, premierement fai ez moy brusler tous ces
papiers, et secondement fai ez moy venir les
deux gentilzhommes personnellement devant
moy, et, quand je les auray ouy, je vous en di-
ray mon opinion, sans fi ion ny dissimulation
quelconques. »
A quoy aulcuns d’entre eux contredisoient, comme vous
sçavez que en toutes compaignies il y a plus de folz que
de saiges et la plus grande partie surmonte tousjours la
meilleure, ainsi que di Tite Live parlant des Cartagiens.
Mais ledi Du Douhet tint au contraire virilement, contendent
que Pantagruel avoit bien di , que ces registres, enquestes,
replicques, reproches, salvations et aultres telles diable-
ries n’estoient que subversions de droi et allongement
de procès, et que le diable les emporteroit tous s’ilz ne
procedoient aultrement, selon equité evangelicque et phi-


Chapitre X Pantagruel
losophicque.
Somme, tous les papiers furent bruslez, et les deux gen-
tilzhommes personnellement convocquez. Et lors Panta-
gruel leur dist :
« Estez vous ceulx qui avez ce grand different
ensemble ?
— Ouy (dirent ilz), Monsieur.
— Lequel de vous est demandeur ?
— C’est moy, dist le seigneur de Baisecul.
— Or, mon amy, contez moy de poin en poin
vostre affaire selon la verité ; car, par le corps
bieu, si vous en mentés d’un mot, je vous os-
teray la teste de dessus les espaules et vous
monstreray que en justice et jugement l’on ne
doibt dire que verité. Par ce, donnez vous garde
de adjouster ny diminuer au narré de vostre cas.
Di es. »


Chapitre XI
Comment les seigneurs de Baisecul et
Humevesne plaidoient devant Pantagruel
sans advocatz.
Donc, commença Baisecul en la maniere que s’ensuyt :
« Monsieur, il est vray que une bonne femme
de ma maison portoit vendre des œufz au mar-
chez. . .
— Couvrez vous, Baisecul, dist Pantagruel.
— Grand mercy, Monsieur, dist le seigneur de
Baisecul. Mais, à propos, passoit entre les deux
tropicques, six blans vers le zenith et maille
par autant que les mons Rhiphées avoyent eu
celle année grande sterilité de happelourdes,
moyennant une sedition de Ballivernes meue
entre les Barragouyns et les Accoursiers pour la
rebellion des Souyces, qui s’estoyent assemblez
jusques au nombre de bon bies pour aller à
l’aguillanneuf le premier trou de l’an que l’on
livre la souppe aux bœufz et la clef du charbon
aux filles pour donner l’avoine aux chiens.
« Toute la nui l’on ne feist, la main sur le pot,
que despescher bulles à pied et bulles à cheval,


Chapitre XI Pantagruel
pour retenir les bateaulx, car les cousturiers
vouloyent faire des retaillons desrobez une sar-
bataine pour couvrir la mer Oceane, qui pour
lors estoit grosse d’une potée de chous selon
l’opinion des boteleurs de foin ; mais les physi-
ciens disoyent que à son urine ilz ne congnois-
soyent signe evident au pas d’ostarde de manger
bezagues à la moustarde, sinon que Messieurs
de la court feissent par bemol commandement
à la verolle de non plus allebouter apres les mai-
gnans, car les marroufles avoient jà bon com-
mencement à danser l’estrindore au diapason,
un pied au feu et la teste au mylieu, comme
disoit le bon Ragot.
« Ha, Messieurs, Dieu modere tout à son plaisir,
et contre fortune la diverse un chartier rom-
pit nazardes son fouet. Ce fut au retour de la
Bicoque, alors qu’on passa licentié Maistre Anti-
tus des Crossonniers en toute lourderie, comme
disent les canonistes : Beati lourdes, quoniam
ipsi trebuchaverunt.
« Mais ce que fai la quaresme si hault, par
sain Fiacre de Brye, ce n’est pour aultre chose
que
La Penthecoste
Ne vient foys qu’elle ne me couste ;
May, hay avant,
Peu de pluye abat grand vent.
« Entendu que le sergeant me mist si hault le


Chapitre XI Pantagruel
blanc à la butte que le greffier ne s’en leschast
orbiculairement ses doigtz empenez de jardz, et
nous voyons manifestement que chascun s’en
prent au nez, sinon qu’on regardast en perspec-
tive oculairement vers la cheminée, à l’endroit
où pend l’enseigne du vin à quarente sangles,
qui sont necessaire à vingt bas de quinquenelle.
A tout le moins, qui ne vouldroit lascher l’oy-
seau devant talemouses que le descouvrir, car
la memoire souvent se pert quand on se chausse
au rebours. Sa, Dieu gard de mal Thibault Mi-
taine ! »
Alors dist Pantagruel :
« Tout beau, mon amy, tout beau, parlez à trai
et sans cholere. J’entends le cas, poursuyvez.
— Or, Monsieur, dist Baisecul, ladi e bonne
femme, disant ses Gaudez et Audi nos, ne peut
se couvrir d’un revers faulx montant par la ver-
tuz guoy des privileges de l’université, sinon
par bien soy bassiner anglicquement, le cou-
vrant d’un sept de quarreaulx et luy tirant un
estoc vollant au plus pres du lieu où l’on vent
les vieux drapeaulx dont usent les paintres de
Flandres quand ilz veullent bien à droi ferrer
les cigalles, et m’esbahys bien fort comment le
monde ne pont, veu qu’il fai si beau couver. »
Icy voulut interpeller et dire quelque chose le seigneur
de Humevesne, dont luy dist Pantagruel :
« Et, ventre sain Antoine, t’appertient il de


Chapitre XI Pantagruel
parler sans commandement ? Je sue icy de haan
pour entendre la procedure de vostre different,
et tu me viens encore tabuster? Paix, de par le
diable, paix ! Tu parleras ton sou quand cestuy
cy aura achevé. Poursuyvez, dist il à Baisecul,
et ne vous hastez point.
— Voyant doncques, dist Baisecul, que la prag-
matique san ion n’en faisoit nulle mention et
que le pape donnoit liberté à un chascun de pe-
ter à son aise, si les blanchetz n’estoyent rayez,
quelque pauvreté que feust au monde, pourveu
qu’on se se signast de ribaudaille, l’arc an ciel,
fraischement esmoulu à Milan pour esclourre
les alouettes, consentit que la bonne femme es-
cullast les isciaticques par le protest des petitz
poissons couillatrys qui estoyent pour lors ne-
cessaires à entendre la constru ion des vieilles
bottes.
« Pour tant, Jan le Veau, son cousin Gervays,
remué d’une busche de moulle, luy conseilla
qu’elle ne se mist poin en ce hazard de secon-
der la buée brimballatoyre sans premier aluner
le papier à tant pille, nade, jocque, fore : car
Non de ponte vadit qui cum sapientia cadit,
attendu que Messieurs des Comptes ne conve-
noyent en la sommation des fleutes d’Allemant,
dont on avoit basty les Lunettes des Princes,
imprimée nouvellement à Anvers.
« Et voylà, Messieurs, que fai maulvais raport,


Chapitre XI Pantagruel
et en croy partie adverse in sacer verbo dotis :
car, voulant obtemperer au plaisir du roy, je me
estois arméde pied en cap d’une carrelure de
ventre pour aller veoir comment mes vendan-
geurs avoyent dechicqueté leurs haulx bonnetz
pour mieux jouer des manequins, et le temps
estoit quelque peu dangereux de la foire, dont
plusieurs francz archiers avoyent esté refusez
à la monstre, nonobstant que les cheminées
feussent assez haultes selon la proportion du
javart et des malandres l’ami Baudichon.
« Et par ce moyen fut grande année de quaque-
rolles en tout le pays de Artoys, qui ne feust
petit amandement pour Messieurs les porteurs
de cousteretz, quand on mangeoit, sans des-
guainer, cocques cigrues à ventre deboutonné.
Et à la mienne volunté que chascun eust aussi
belle voix : l’on en jourroit beaucoup mieulx
à la paulme, et ces petites finesses, qu’on fai
à etymologizer les pattins, descendroyent plus
aisement en Seine pour tousjours servir au Pont
aux Meusniers, comme jadis feut decreté par
le roy de Canarre et l’arrest en est au greffe de
ceans.
« Pour ce, Monsieur, je requiers que par vostre
seigneurie soit di et declairé sur le cas ce que
de raison, avecques despens, dommaiges et in-
terestz. »
Lors dist Pantagruel :


Chapitre XI Pantagruel
« Mon amy, voulez vous plus rien dire ? »
Respondit Baisecul :
« Non, Monsieur, car je ay di tout le tu autem,
et n’en ay en rien varié, sur mon honneur. Vous
doncques (dist Pantagruel), Monsieur de Hu-
mevesne, di es ce que vouldrez, et abreviez,
sans rien toutesfoys laisser de ce que servira au
propos. »
-

Chapitre XII
Comment le seigneur de Humevesne
plaidoie davant Pantagruel.
Lors commenca le seigneur de Humevesne ainsi que
s’ensuit :
« Monsieur et Messieurs, si l’iniquité deshommes
estoit aussi facilement veue en jugement catego-
ricque comme on congnoist mousches en lai ,
le monde, quatre beufz, ne seroit tant mangé de
ratz comme il est, et seroient aureilles maintes
sur terre qui en ont esté rongées trop lasche-
ment ; car, combien que tout ce que a dit par-
tie adverse soit de dumet bien vray quand à
la lettre et histoire du fa um, toutesfoys, Mes-
sieurs, la finesse, la tricherie, les petitz hanicro-
chemens sont cachez soubz le pot aux roses.
« Doibs je endurer que, à l’heure que je mange,
au pair, ma souppe, sans mal penser ny mal
dire, l’on me vienne ratisser et tabuster le cer-
veau, me sonnant l’antiquaille et disant :
Qui boit en mangeant sa souppe
Quand il est mort, il n’y voit goutte ?
Et, sain e Dame, combien avons nous veu de


Chapitre XII Pantagruel
gros cappitaines en plein camp de bataille, alors
qu’on donnoit les horions du pain benist de la
confrarie, pour plus honnestement se deliner,
jouer du luc, sonner du cul et faire les petiz
saulx en plate forme !
« Mais maintenant le monde est tout detravé
de louchetz des balles de Lucestre : l’un se des-
bauche, l’aultre cinq, quatre et deux, et, si la
court n’y donne ordre, il fera aussi mal glener
ceste année qu’il feist, ou bien fera des gou-
beletz. Si une pauvre personne va aux estuves
pour se faire enluminer le museau de bouzes de
vache ou acheter bottes de hyver, et de sergeans
passans, ou bien ceulx du guet, reçeuvent la de-
co ion d’un clystere ou la matiere fecale d’une
celle persée sur leurs tintamarres, en doibt l’on
pourtant roigner les testons et fricasser les es-
cutz elles de boys ?
« Aulcunes foys nous pensons l’un, mais Dieu
fai l’aultre, et, quand le soleil est couché, toutes
bestes sont à l’ombre. Je n’en veulx estre creu
si je ne le prouve hugrement par gens de plain
jour. L’an trente et six, j’avoys achapté un cour-
tault d’Alemaigne, hault et court, d’assez bonne
laine et tain en grene comme asseuroyent les
orfèvres, toutesfoys le notaire y mist du ce-
tera. Je ne suis poin clerc pour prendre la
lune avecques les dentz, mais, au pot de beurre
où l’on selloit les instruments vulcanicques,


Chapitre XII Pantagruel
le bruyt estoit que le bœuf salé faisoit trou-
ver le vin sans chandelle, et feust il caiché au
fond d’un sac de charbonnier, houzé et bardé
avecques le chanfrain et hoguines requises à
bien fricasser rusterie, c’est teste de mouton. Et
c’est bien ce qu’on di en proverbe qu’il fai
bon veoir vaches noires en boys bruslé quand
on jouist de ses amours. J’en fis consulter la ma-
tiere à Messieurs les clercs, et pour resolution
conclurent en frisesomorum qu’il n’est tel que
faucher l’esté en cave bien garnie de papier et
d’ancre, de plumes et ganivet de Lyon sur le
Rosne, tarabin tarebas : car, incontinent que
un harnoys sent les aulx, la rouille luy man-
geve le foye, et puis l’on ne fai que rebecquer
torty colli, fleuretant le dormir d’après disner.
Et voylà qui fai le sel tant cher.
« Messieurs, ne croyez que, au temps que ladi e
bonne femme englua la poche cuilliere pour le
record du sergeant mieulx apanager et que la
fressure boudinalle tergiversa par les bourses
des usuriers, il n’y eust rien meilleur à soy gar-
der des canibales que prendre une liasse d’oi-
gnons, lyée de trois cens naveaulx, et quelque
peu d’une fraize de veau, du meilleur alloy que
ayent les alchimistes, et bien luter et calciner ses
pantoufles, mouflin, mouflart, avecques belle
saulce de raballe, et soy mucer en quelque petit
trou de taulpe, salvant tousjours les lardons.


Chapitre XII Pantagruel
« Et, si le dez ne vous veult aultrement ambe-
zars, ternes du gros bout, guare d’az, mettez la
dame au coing du li , fringuez la, toureloura
la la, et bevez à oultrance, depiscando grenoilli-
bus, à tout beaulx houseaulx coturnicques ; ce
sera pour les petitz oysons de mue, qui s’es-
batent au jeu de foucquet, attendant battre le
metal et chauffer la cyre aux bavars de godale.
« Bien vrai est il que les quatre beufz desquelz
est question avoyent quelque peu la memoire
courte ; toutesfoys, pour sçavoir la game, ilz
n’en craignoyent courmaran ny quanard de Sa-
voye, et les bonnes gens de ma terre en avoyent
bonne esperance, disant : « Ces enfants devien-
dront grands en algorisme ; ce nous sera une
rubrique de droi . » Nous ne pouvons faillir
à prendre le loup, faisons nos hayes dessus le
moulin à vent, duquel a esté parlé par partie
adverse. Mais le grand diole y eut envie et mist
les Allemans par le derriere, qui firent diables
de humer : « Her, tringue, tringue ! » de dou-
blet en case, car il n’y a nulle apparence de dire
que à Paris sur Petit Pont geline de feurre, et
fussent ilz aussi huppez que duppes de marays,
sinon vrayement qu’on sçacrifiast les pompetes
au moret fraichement esmoulu de lettres ver-
salles ou coursives, ce m’est tout un, pourveu
que la tranchefille n’y engendre les vers. « Et,
posé le cas que au coublement des chiens cou-


Chapitre XII Pantagruel
rans les marmouzelles eussent corné prinse de-
vant que le notaire eust baillé sa relation par
art cabalisticque, il ne s’ensuit (saulve meilleur
jugement de la court) que six arpens de pré à
la grand laize feissent troys bottes de fine ancre
sans soufffler au bassin, consideré que aux fune-
railles du roy Charles l’on avoit en plain marché
la toyson pour deux et ar, j’entens, par mon ser-
ment, de laine.
« Et je voy ordinairement en toutes bonnes cor-
nemuses que, quand l’on va à la pipée, faisant
troys tours de balay par la cheminée et insi-
nuant sa nomination, l’on ne fai que bander
aux reins et soufler au cul, si d’adventure il est
trop chault, et quille luy bille,
Incontinent les lettres veues,
Les vaches luy furent rendues.
« Et en fut donné pareil arrest à la Martingalle
l’an dix et sept pour le maulgouvert de Louze-
fougerouse, à quoy il plaira à la Court d’avoir
esguard.
« Je ne dy vrayement qu’on ne puisse pas equité
desposseder en juste tiltre ceulx qui de l’eaue
beniste beuvroyent, comme on fai d’un ran-
çon de tisserant, dont on fai les suppositoires
à ceulx qui ne voulent resigner, sinon à beau
jeu bel argent.
« Tunc, Messieurs, quid juris pro minoribus ?
Car l’usance comme de la loy Salicque est telle


Chapitre XII Pantagruel
que le premier boute feu qui escornifle la vache,
qui mousche en plein chant de musicque sans
solfier les poin z des savatiers, doibt, en temps
de godemarre, sublimer la penurie de son membre
par la mousse cuillie alors qu’on se morfond à
la messe de minui , pour bailler l’estrapade
à ces vins blancs d’Anjou qui font la jambette,
collet à collet, à la mode de Bretaigne.
« Concluent comme dessus, avecques despens,
dommaiges et interestz. »
Après que le seigneur de Humevesne eut achevé, Panta-
gruel dist au seigneur de Baisecul :
« Mon amy, voulez vous rien replicquer ? »
A quoi respondit Baisecul :
« Non, Monsieur, car je n’en ay di que la vérité,
et, pour Dieu, donnons fin à nostre different, car
nous ne sommes icy sans grand frais. »


Chapitre XIII
Comment Pantagruel donna sentence sus
le different des deux seigneurs.
Alors Pantagruel se leve et assemble tous les presidens,
conseilliers et do eurs là assistans, et leur dist :
« Or, çza, Messieurs, vous avez ouy, vive vocis
oraculo, le different dont est question. Que vous
en semble ? »
A quoy respondirent :
« Nous l’avons veritablement ouy, mais nous n’y
avons entendu, au diable, la cause. Par ce, nous
vous prions una voce et supplions par grace que
vueilliez donner la sentence telle que verrez, et
ex nunc prout ex tunc nous l’avons aggreable et
ratifions de nos pleins consentemens.
— Eh bien, Messieurs, dist Pantagruel, puisqu’il
vous plaist, je le feray ; mais je ne trouve le
cas tant difficile que vous le fai es. Votre pa-
raphe Caton, la loy Frater, la loy Gallus, la loy
Quinque pedum, la loy Vinum, la loy Si do-
minus, la loy Mater, la loy Mulier bona, la loy
Si quis, la loy Pomponius, la loy Fundi, la loy
Emptor, la loy Pretor, la loy Venditor et tant


Chapitre XIII Pantagruel
d’aultres, sont bien plus difficiles en mon oppi-
nion. »
Et, apres ce di , il se pourmena un tour ou deux par
la sale, pensant bien profundement, comme l’on povoit
estimer, car il gehaignoyt comme un asne qu’on sangle
trop fort, pensant qu’il failloit à un chascun faire droi ,
sans varier ny accepter personne ; puis retourna s’asseoir
et commença pronuncer la sentence comme s’ensuyt :
« Veu, entendu et bien calculé le different d’entre
les seigneurs de Baisecul et Humevesne, la Court
leur di : Que, considerée l’orripilation de la
ratepenade declinent bravement du solstice es-
tival pour mugueter les billesvesées qui ont eu
mat du pyon par les males vexations des luci-
fuges qui sont au climat dia Rhomès d’un ma-
tagot à cheval bendant une arbaleste au reins,
le demandeur eut juste cause de callafater le
gallion que la bonne femme boursouffloit, un
pied chaussé et l’aultre nud, le remboursant bas
et roidde en sa conscience d’aultant de bague-
naudes comme y a de poil en dix huit vaches,
et autant pour le brodeur.
« Semblablement est declairé innocent du cas
privilegié des gringuenaudes qu’on pensoit qu’il
eust encouru de ce qu’il ne pouvoit baudement
fianter, par la decision d’une paire de gands,
parfumés de petarrades à la chandelle de noix,
comme on use en son pays de Mirebaloys, la-
schant la bouline avecques les bouletz de bronze,


Chapitre XIII Pantagruel
dont les houssepailleurs pastissoyent conesta-
blement ses legumaiges interbastez du Loyrre
à tout les sonnettes d’esparvier fai es à poin
de Hongrie que son beau frere portoit memo-
riallement en un penier limitrophe, brodé de
gueulles à troys chevrons hallebrenez, de ca-
nabasserie, au caignard angulaire dont on tire
au papeguay vermiforme avecques la vistempe-
narde.
« Mais, en ce qu’il met sus au defendeur qu’il
fut rataconneur, tyrolageux et goildronneur de
mommye, que n’a esté en brimbalant trouvé
vray, comme bien l’a debastu ledi defendeur,
la court le condemne en troys verrassées de
caillebottes assimentées, prelorelitantées et gau-
depisées comme est la coustume du pays, en-
vers ledi defendeur, payables à la my d’oust,
en may ;
« Mais ledi defendeur sera tenu de fournir de
foin et d’estoupes à l’embouchement des chasse
trapes gutturales, emburelucocquées de guil-
verdons, bien grabelez à rouelle.
« Et amis comme devant. sans despens, et pour
cause. »
Laquelle sentence pronuncée, les deux parties depar-
tirent toutes deux contentes de l’arrest, qui fust quasi chose
increable : car venu n’estoyt despuys les grandes pluyes et
n’adviendra de treze jubilez que deux parties, contendentes
en jugement contradi oires, soient egualement contentez


Chapitre XIII Pantagruel
d’un arrest diffinitif.
Au regard des conseilliers et aultres do eurs qui là as-
sistoyent, ilz demeurerent en ecstase esvanoys bien troys
heures, et tous ravys en admiration de la prudence de Pan-
tagruel plus que humaine, laquelle avoyent congneu clere-
ment en la decision de ce jugement tant difficile et espineux,
et y feussent encores, sinon qu’on apporta force vinaigre
et eaue rose pour leur faire revenir le sens et entendement
acoustumé, dont Dieu soit loué partout.
-

Chapitre XIV
Comment Panurge racompte la maniere
comment il eschappa de la main des
Turcqs.
Le iugement de Pantagruel fut incontinent sceu et en-
tendu de tout le monde, et imprimé à force, et redigé es
Archives du Palays, en sorte que tout le monde commença
à dire :
« Salomon qui rendit par soubson l’enfant à
sa mere, jamais ne monstra tel chef d’œuvre
de prudence comme a fai ce bon Pantagruel,
nous sommes heureux de l’avoir en ce pays. »
Et de fai l’on le voulut faire maistre des resquestes, et
president en la court : mais il refusa tout, les remerciant
gracieusement :
« Car il y a (dist il) trop grand servitude à ces
offices, et à trop grand peine peuvent estre saul-
vez ceulx qui les exercent, veu la corruption des
hommes. Mais si avez quelque bon poinsson de
vin, voulentiers jen recepvray le present. »
Ce qu’ilz firent voulentiers, et luy envoyerent du meilleur
de la ville, et beut assez bien. Mais le pouvre Panurge en
beut vaillament, car il estoit exime comme un harang soret.


Chapitre XIV Pantagruel
Aussi alloit il du pied comme un chat maigre. Et quelqu’un
l’admonesta en disnant, disant.
« Compere tout beau, vous fai es rage de hu-
mer.
— Je donne au diesble ! (dist il). Tu n’as pas
trouvé tes petitz beuvreaux de Paris, qui ne
beuvent en plus q’un pinson et ne prenent leur
bechée sinon qu’on leurs tape la queue à la
mode des passereaux. O, compaing, si je mon-
tasse aussi bien comme je avalle, je feusse desjà
au dessus la sphere de la lune avecques Empe-
docles ! Mais je ne sçay que diable cecy veult
dire : ce vin est fort bon et bien delicieux, mais
plus j’en boy, plus j’ay de soif. Je croy que l’ombre
de Monseigneur Pantagruel engendre les alte-
rez, comme la lune fai les catharres. »
A quoy se prindrent à rire les assistans. Ce que voyant
Pantagruel, dist. Panurge qu’est ce que avez à rire.
« Seigneur (dist il) je leur contoys, comment ces
diables de Turcqs sont bien malheureux de ne
boire point de vin. Si aultre mal n’y avoit en l’Al-
choran de Mahumet, encores ne me mettroys je
pas de la foy.
— Mais or me di es comment, dist Pantagruel,
vous eschappates de leurs mains ?
— Par dieu seigneur, dist Panurge, je ne vous
en mentiray de mot. Les paillards Turcqs mes
avoient mys en broche tout lardé, comme un
connil, car jestoys tant exime que aultrement


Chapitre XIV Pantagruel
de ma chait eust esté fort maulvaise viande,
pour me faire roustir tout vif. Et ainsi comme
ilz me roustissoient, je me recommandoys à la
grace divine, ayant en memoire le bon sain
Laurent, et tousjours esperoys en Dieu, qu’il me
delivreroit de ce torment, ce qui fut fai bien
estrangement.
« Car ainsi que me recommandoys bien de bon
cueur à dieu, cryant. Seigneur Dieu ayde moy.
Seigneur Dieu saulve moy. Saigneur Dieu oste
moy de ce torment, auquel ces traitres chiens
me detiennent, pour la maintenance de ta foy.
Le roustisseur s’endormyt cautement, ou bien
de quelque bon Mercure qui endormit caute-
ment Argus qui avoit cent yeulx. Or quand je
vy qu’il ne me tournoit plus en routissant, je
le regarde, et voy qu’il s’endort, ainsi je prens
avecques les dens un tyson par le bout, où il
n’estoit point bruslé, et vous le gette au gyron de
mon routisseur, et un aultre le gette le mieulx
que je peuz soubz un li de camp, qui estoit
aupres de la cheminée, où y il avoit force paille.
« Incontinent le feu se print à la paille, et de
la paille au li , et du li au solies qui estoit
embrunché de sapin fai à quehues de lampes.
Mais bon fut, que le feu que je avoys getté au gy-
ron de mon paillard routisseur luy brusla tout
le penil et se prenoit aux couillons, sinon qu’il
n’estoit point tant punays qu’il ne le sentit plus


Chapitre XIV Pantagruel
tost que le jour, et debouq estourdy se levant
crya à la fenàtre tant qu’il peult dal baroth, dal
baroth, qui vault autant à dire comme, au feu,
au feu : et vint droi à moy pour me getter du
tout au feu, et desjà avoyt couppé les cordes
dont on m’avoit lyé les mains, et il couppoit les
lyens des pieds, mais le maistre de la maison
ouyant le cry du feu, et en sentant la fumée de
la rue où il se pourmenoit avecques quelques
aultres Baschatz et Musaffiz, courut tant qu’il
peult y donner secours et pour emporter ses
bagues. Et de pleine arrivée il tyre la broche
ou jestoys embroché, et tua tout roidde mon
routisseur, dont il mourut là par faulte de gou-
vernement ou aultrement : car il luy passa la
broche un peu au dessus du nombril vers le flan
droi , et luy percea la tierce lobe du foy, et le
coup haussant luy penetra le diaphragme et par
atravers la capsule du cueur luy sortit la broche
par le hault des espaules entre les spondyles et
l’omoplate senestre.
« Vray est que en tirant la broche de mon corps
je tumbe à terre pres des landiers, et me fys
un peu de mal à la cheute, toutesfoys non pas
grand : car les lardons soustindrent le coup.
Puis voyant mon Baschaz, que le cas estoit de-
sesperé, et que la maison estoit bruslée sans
remission, et tout son bien perdu, se donna à
tous les diables, appelant Grilgoth, Astaroth,


Chapitre XIV Pantagruel
et Rapallus par neuf foys. Quoy voyant jeuz
de peur pour plus de cinq solz, craignant les
diables viendront à ceste heure pour emporter
ce fol icy, seroient ilz bien gens pour m’empor-
ter aussi? je suis jà demy rousty, mes lardons
seront cause de mon mal : car ces diables icy
sont fryans de lardons, comme vous avez l’auc-
torité du Philosophe Iamblicque et Murmault
en l’apologie de bossutis et contrefa is per Ma-
gistros nostros, mais je fys le signe de la croix,
cryant agyos, athanatos, ho theos, et nul ne ve-
noit. Ce que congnoissant mon villain Baschaz
se vouloit tuer de ma broche, et s’en percer le
cueur : et de fai la mist contre sa poitrine,
mais elle ne povoit oultre passer car elle n’es-
toys pas assez agée, et poussoit tant qu’il povoit,
mais ne proffitoit riens.
« Alors je m’en vins à luy, disant :
« Missaire bougrino tu pers icy ton
temps : car tu ne te tueras jamais
ainsi, mais bien te blesseras quelque
hurte, dont tu languiras toute ta vie
entre les mains des barbiers : mais si
tu veulx je te tueray icy tout franc en
sorte que tu n’en sentiras rien, et m’en
croys : car jen ay tué bien d’aultres
qui s’en sont bien trouvez.
— Ha mon amy (dist il) je t’en prie,
et ce faisant je te donne ma bougette,


Chapitre XIV Pantagruel
tien voylà, il y a six cens seraph de-
dans, et quelques dyamens et rubys
en perfe ion.
— Et où sont ilz ? dist Epistemon.
— Par sain Jehan, dist Panurge, ilz sont bien
loin s’ilz sont tousjours.
— Acheve, dist Pantagruel, je te pry que nous
saichons comment tu acoustras ton Baschaz.
— Foy d’homme de bien, dist Panurge, je n’en
mens de mot. Je le bende d’une meschante braye
que je trouve là demy bruslée, et vous le lye
rustrement pieds et mains de mes cordes, si
bien qu’il n’eust sceu regimber : puis luy passe
ma broche à travers la gargamelle, et aussi le
pendys acrochant la broche à deux gros cram-
pons, qui soustenoient des alebardes. Et vous
atise un beau feu au dessoubz et vous flamboys
mon milourt comme on fai des harans soretz
à la cheminée, puis prenant sa bougette et un
petit javelot qui estoit sur les crampons m’en
fuys le beau galot. Et dieu sçait comme je sen-
toys mon espaule de mouton. Quand je fuz des-
cendu en la rue, je trouvay tout le monde qui es-
toit acouru au feu à force d’eau pour l’estaindre.
Et me voyans ainsi à demy rousti eurent pitié
de moy naturellement, et me getterent toute
leur eau sur moy, et me refraischirent joyeuse-
ment, ce que me feist fort grand bien, puis me
donnerent quelque peu à repaistre, mais je ne


Chapitre XIV Pantagruel
mangeoys gueres : car ilz ne me bailloient que
de l’eau à boire à leur mode. Et aultre mal ne
me firent.
« Sinon un villain petit Turcq bossu par devant,
qui furtivement me crocquoit mes lardons, mais
je luy baillys si vert dronos sur les doigs à tout
mon javelot qu’il n’y retourna pas deux fois. Et
une jeune Tudesque, qui m’avoit aporté un pot
de mirobalans emblicz confi z à leur mode,
laquelle regardoit mon pouvre haire esmou-
cheté, comment il s’estoit retiré au feu : car il
ne me alloit plus que jusques sur les genoulx.
Or ce pendant qu’ilz se amusoient à moy, le
feu triumphoit ne demandez pas comment à
prendre en plus de deux mille maisons, tant
que quelqu’un d’entre eulx l’avisa et s’escrya,
disant : « Ventre Mahom toute la ville brusle, et
nous amusons icy. » Ainsy chascun s’en va à sa
chascuniere. De moy je prens mon chemin vers
la porte. Et quand je fuz sur un petit tucquet
qui est aupres, je me retourne arriere, comme
la femme de Loth, et vys toute la ville bruslant
comme Sodome et Gomorre dont je fuz tant
ayse que je me cuyde conchier de joye, mais
dieu m’en punit bien.
— Comment ? dit Pantagruel.
— Ainsi que je regardoys en grand liesse ce beau
feu et me gabelant, et disant. Ha pauvres pusses,
ha pauvres souritz, vous aurez mauvais hyver,


Chapitre XIV Pantagruel
le feu est en vostre paillier, sortirent plus de
six cens chiens gros et menutz tous ensemble
de la ville, fuyans le feu. Et de premiere venue
accoururent droi à moy, sentant l’odeur de ma
paillarde chair à demy roustie, et me eussent
devoré à l’heure, si mon bon ange ne m’eust
point inspiré.
— Et que fys tu pouvret ? dist Pantagruel.
— Soubdain je me advise de mes lardons, et les
leur gettoys au meillieu d’entre eulx, et chiens
d’aller, et se entrebattre l’un l’aultre à belles
dentz, à qui auroit le lardon. Par ce moyen me
laisserent, et je les laisse aussi se pelaudant l’un
l’aultre, et ainsi eschappe gaillard et dehayt.


Chapitre XV
Comment Panurge enseigne une maniere
bien nouvelle de bastir les murailles de
Paris.
Pantagruel quelque jour pour se recreer de son estude se
pourmenoit vers les faulxbourgs sain Marceau voulant
veoir la follie Gobelin, et Panurge estoit avecques luy, ayant
tousjours le flaccon soubz la robbe, et quelque morceau de
jambon : car sans cela jamais ne alloit il, disant que c’estoit
son garde corps : et aultre espée ne portoit il. Et quand
Pantagruel luy en voulut baillier une, il respondit, qu’elle
luy eschaufferoit la ratelle.
« Voire mais, dist Epistemon, si l’on se assailloit
comment te defendroys tu ?
— A grands coups de brodequin, respondit il,
pourveu que les estocz feussent descenduz. »
A leur retour Panurge consideroit les murailles de la ville
de Paris, et en irrision dist à Pantagruel :
« Voy ne cy pas de belles murailles, pour gar-
der les oysons en mue ? Par ma barbe, elles sont
competentement meschantes pour une telle ville
comme est ceste cy, car une vasche avecques un
pet en abattroit plus de six brasses.


Chapitre XV Pantagruel
— O mon amy, dist Pantagruel, scez tu pas bien
ce que dist Agesilaus, quand on luy demanda :
« Pourquoy la grande cité de Lacedemone n’es-
toit pas cein e de murailles ? » Car monstrant
les habitans et citoyens de la ville tant bien ex-
pers en discipline militaire, tant forz et bien
armez. Voicy, dist il, les murailles de la cité. Si-
gnifiant qu’il n’est murailles que de os, et que
les villes ne sçauroient avoir muraille plus seure
et plus forte que de la vertuz des habitans. Ainsi
ceste ville est si forte par la multitude du peuple
bellicqueux qui est dedans, qu’ilz ne se soucient
point de faire aultres murailles. Et davantaige,
qui la vouldroit emmurailler comme Strasbourg
ou Orleans, ou Carpentras, il ne seroit possible,
tant les frays seroient excessifz.
— Voire mais, dist Panurge, si fai il bon avoir
quelque visaige de pierre quand on est envahy
de ses ennemys, et ne feust ce que pour deman-
der, qui est là bas ? Et au regard des frays en-
ormes que di es estre necessaires si l’on la vou-
loit murer, si messieurs de la ville me veullent
bien donner quelque bon pot de vin, je leur en-
seigneray une maniere bien nouvelle, comment
ilz pourront bastir à bon marché.
— Et comment ? dist Pantagruel.
— Ne le di es donc pas, respondit Panurge, si
je vous l’enseigne. Je voy que les callibistrys
des femmes de ce pays, sont à meilleur mar-
-

Chapitre XV Pantagruel
ché que les pierres. D’iceulx fauldroit bastir les
murailles en les arrangeant en bonne symme-
trie d’archite ure, et mettant les plus grans au
premiers rancz, et puis en taluant à doz d’asne
arrangeant les moyens et finablement les pe-
titz. Et puis faire un beau petit entrelardement
à poin es de diamens comme la grosse tour
de Bourges, de tant de vitz qu’on couppa en
ceste ville es pouvres Italiens à l’entrée de la
Reyne. Quel diable desferoit une telle muraille ?
Il n’y a metal qui tant resistat aux coups. Et puis
que les couillevrines se y vinssent froter. Vous
en verriez par dieu incontinent distiller de ce
benoist frui de grosse verolle menu comme
pluye. Sec au nom des diables. Davantaige la
fouldre ne tomberoit jamais dessus. Car pour-
quoy ? ilz sont tous benitz ou sacrez. Je n’y voys
qu’un inconvenient.
— Ho ho ha ha ha, dist Pantagruel. Et lequel ?
— C’est que les mousches en sont tant friandes
que merveilles, et se y cueilleroient facillement
et y feroient leur ordure, et voilà l’ouvrage gasté
et diffamé. Mais voicy comme l’on y remedroit.
Il fauldroit tresbien les esmoucheter avecques
belles quehues de renards, ou bons gros vietz
d’azes de Provence. Et à ce propos je vous veulx
dire, nous en allant pour soupper un bel exemple.
« Au temps que les bestes parloient (il n’y a
pas troys jours) un pouvre lyon par la forest de


Chapitre XV Pantagruel
Biere se pourmenant et disant ses menus suf-
frages passa par dessoubz un arbre auquel es-
toit monté un villain charbonnier pour abattre
du boys. Lequel voyant le lyon, luy getta la coi-
gnée, et le blessa enormement en une cuysse.
Dont le lyon cloppant tant courut et tracassa
par la forest pour trouver ayde, qu’il rencon-
tra un charpentier, lequel voulentiers regarda
la playe, et la nettoyat le mieulx qu’il peust,
et l’emplyt de mousse, luy disant, qu’il esmou-
chast bien la playe, que les mousches ne y cuyl-
lassent point, attendant qu’il yroit chercher de
l’herbe au charpentier. Ainsi le lyon guery, se
pourmenoit par la forest, à quelle heure une
vieille sempiternelle ebuschetoit et amassoit du
boys par ladi e forest, laquelle voyant le lyon
venir, tumbat de peur à la renverse de telle fa-
çon, que le vent luy renversa la robbe, cotte, et
chemise jusques au dessus des espaules. Ce que
voyant le lyon, accourut de pitié, veoir si elle
s’estoit point fai mal, et consyderant son com-
ment à nom dist « O pouvre femme, qui t’a ainsi
blessée : » et ce disant, apperceut un regnard,
lequel il appella, disant. Compere regnard, hau
ça ça, et pour cause.
« Quand le regnard fut venu, il luy dist. « Com-
pere mon amy, l’on a blessé ceste bonne femme
icy entre les jambes bien villainement et y a
solution de continuité manifeste, regarde que


Chapitre XV Pantagruel
la playe est grande, depuis le cul jusques au
nombril mesure quatre, mais bien cinq empans
et demy : c’est un coup de coignée, je me doubte
que la playe soit vieille, pourtant affin que les
mousches n’y prennent, esmouche la bien fort,
je t’en pry, et dedans et dehors, tu as bonne que-
hue et longue, esmouche mon amy, esmouche
je t’en supply, et ce pendant je voys querir de la
mousse, pour y mettre. Car ainsi nous fault il
secourir et ayder l’un l’autre, dieu le commande.
Esmouche fort, ainsi mon amy esmouche bien :
car ceste playe veult estre esmouchée souvent,
autrement la personne ne peult estre à son ayse.
Or esmouche bien mon petit compere, esmouche,
dieu t’a bien pourveu de quehue, tu l’as grande
et grosse à l’advenant, esmouche fort et ne t’en-
nuye point, je n’arresteray gueres. »
« Puis s’en va chercher force mousse, et quand
il fut quelque peu loin il s’escrya parlant au
regnard : « Esmouche bien tousjours compere,
esmousche, et ne te fasche jamais de bien es-
moucher, par dieu mon petit compere je te feray
estre à gaiges, esmoucheteur de la reyne Marie
ou bien de dom Pietro de Castille. Esmouche
seulement, esmouche et riens plus. »
« Le pouvre regnard esmouchoit fort bien et
deça et delà et dedans et dehors, mais la saulve
vieille vesnoit et vessoit puant comme cent diables,
et le pouvre regnard estoit bien mal à son ayse :


Chapitre XV Pantagruel
car il ne sçavoit de quel cousté se virer, pour
evader le parfum des vesses de la vieille : et
ainsi qu’il se tournoit il veit qu’il y avoit au
derriere encores un aultre pertuys, non pas si
grand que celluy qu’il esmouchoit, dont luy ve-
noit ce vent tant puant et infe . Le lyon finable-
ment retourne portant plus de troys balles de
mousse : commença en mettre dedans la playe,
à tout un baston qu’il aporta, et y en avoit jà
bien mys deux balles et demye, et s’esbahys-
soit que diable ceste playe est parfonde, il y
entreroit de mousse plus de deux charretées, et
bien puisque dieu le veult, et tousjours fourroit
dedans.
« Mais le regnard l’advisa : « O compere lyon
mon amy, je te pry ne metz pas icy toute la
mousse, gardes en quelque peu, car il y a en-
cores icy dessoubz un aultre petit pertuys, qui
put comme cinq cens diables. Jen suis empoi-
sonné de l’odeur tant il est punays. »
« Ainsi fauldroit il garder ces murailles des mousches,
et mettre des esmoucheteurs à gaiges.
— Lors dit Pantagruel. Et comment scez tu, que
les membres honteux des femmes sont à si bon
marché : car en ceste ville il y a force preude-
femmes chastes et pucelles.
— Et ubi prenus ? dist Panurge. Je vous en diray
non pas mon opinion, mais vraye certitude et
asseurance. Je ne me vante pas d’en avoir em-


Chapitre XV Pantagruel
bourré quatre cens dix et sept depuys que suis
en ceste ville, et s’il n’y a que neuf jours, voire
de mangeresses d’ymaiges et de theologiennes.
Mais à ce matin jay trouvé un bon homme, qui
en un bissac tel comme celluy de Esopet, portoit
deux petites fillotes de l’aage de deux ou troys
ans au plus, l’une devant, l’aultre derriere. Il me
demanda l’aulmosne, mais je luy feis responce
que javoys beaucoup plus de couillons que de
deniers. Et apres luy demande. Bonhomme ces
deux filles sont elles pucelles ? Frere dist il. Jà
deux ans a que ainsi les porte et au regard de
ceste cy devant, laquelle je voy continuellement
en mon advis qu’elle est pucelle, toutesfois je
n’en vouldroys pas metre mon doigt au feu :
quant est de celle que je porte derriere, je n’en
sçays sans faulte riens.
— Vrayment dist Pantagruel, tu es gentil com-
paignon, je te veulx habiller de ma livrée.
Et le feist vestir galantement selon la mode du temps
qui couroit : excepté que Panurge voulut que la braguette
de ses chausses feust longue de troys pieds, et quarrée
non pas ronde, ce que feut fai , et la faisoit bon veoir. Et
disoit souvent, que le monde n’avoit point encores congneu
l’esmolument et utilité qui est de porter grande braguette,
mais le temps leur enseigneroit quelque jour, comme toutes
choses ont esté inventées en temps. Dieu gard de mal, disoit
il, le compaignon à qui la longue braguette a saulvé la vie,
Dieu gard de mal à qui la longue braguette a valu pour


Chapitre XV Pantagruel
un jour cent escuz, Dieu gard de mal, qui par sa longue
braguette a saulvé toute une ville de mourir de faim. Et
par dieu jen feray un livre de la commodité des longues
braguettes, quand jauray un peu plus de loysir. Et de fai
en composa un beau et grand livre avecques les figures,
mais il n’est encores imprimé, que je saiche.


Chapitre XVI
Des meurs et conditions de Panurge.
Panurge estoit de stature moyenne ne trop grand ny trop
petit, et avoit le nez un peu aquillin fai à manche de
rasouer. Et pour lors estoit de l’aage de trente et cinq ans
ou environ, fin à dorer comme une dague de plomb, bien
galand homme de sa personne, sinon qu’il estoit quelque
peu paillard, et subje de nature à une maladie qu’on
appeloit en ce temps là, faulte d’argent, c’est douleur non
pareille : toutesfois il avoit soixante et troys manieres d’en
trouver tousjours à son besoing, dont la plus honnorable et
la plus commune estoit par façon de larrecin furtivement
fai , malfaisant, bateur de pavez, ribleur s’il y en avoit
en Paris : et tousjours machinoit quelque chose contre les
sergeans et contre le guet.
A l’une foys il assembloit troys ou quatre de bons rustres
et les faisoit boire comme Templiers sur le soir, et apres les
menoit au dessoubz de sain e Geneviefve, ou aupres du
colliege de Navarre, et à l’heure que le guet montoit par
là, ce que il congnoissait en mettant son espée sur le pavé
et l’oreille aupres, et lors qu’il ouyoit son espée bransler,
c’estoit signe infaillible que le guet estoit pres : à l’heure
doncques luy et ses compaignons prenoient un tombereau,
et luy bailloient le bransle le ruant de grand force contre la


Chapitre XVI Pantagruel
vallée, et ainsi mettoit tout le pouvre guet par terre comme
porcs, et puys s’en fuyoient de l’aultre cousté : car en moins
de deux jours, il sceut toutes les rues, ruelles et traverses
de Paris comme son Deus det.
A l’aultre fois il faisoit en quelque belle place par ou
ledi guet debvoit passer une trainée de pouldre de canon,
et à l’heure que le guet passoit, il mettoit le feu dedans, et
puis prenoit son passetemps à veoir la bonne grace qu’ilz
avoient en s’en fuyant, pensans le feu sain Antoine les
tint aux jambes. Et au regard des pouvres maistres es ars
et theologiens, il les persecutoit sur tous aultres, quand il
rencontroit quelqu’un d’entre eulx par la rue, jamais ne
failloit de leur faire quelque mal, maintenant leurs mettant
un estronc dedans leur chaperons à bourlet, maintenant
leur atachant petites quehues de regnard, ou des oreilles
de lievres par derriere, ou quelque aultre mal.
Et un jour que l’on avoit assigné à tous les theologiens de
se trouver en Sorbone pour examiner les articles de la foy,
il fist une tartre bourbonnoyse composée de force de hailz,
de galbanum, de assa fetida, de castoreum, d’estroncs tous
chaux, et la destrampit de sanie de bosses chancreuses, et
de fort bon matin engressa et oignit theologalement tout le
treilliz de Sorbonne, en sorte que le diable n’y eust pas duré.
Et tous ces bonnes gens rendoient là leurs gorges devant
tout le monde, comme s’ilz eussent escorché le regnard, et
en mourut dix ou douze de peste, mais il ne s’en soucioit
pas.
Et en son saye y avoit plus de vingt et six petites bou-
gettes et fasques tousjours pleines, l’une d’un petit deaul
de plomb, et d’un petit cousteau affilé comme une aiguille


Chapitre XVI Pantagruel
de peletier, dont il couppoit les bourses, l’aultre de aigrest,
qu’il gettoit aux yeulx de ceulx qu’il trouvoit, l’aultre de
glaterons empennés de petites plumes de oysons ou de
chappons, qu’il gettoit sur les robbes et bonnetz des bonnes
gens, et aulcunesfois leur en faisoit de belles cornes qu’ilz
portoient par toute la ville, aulscunesfois toute leur vie.
Aux femmes aussi par dessus leurs chapperons au der-
riere aulcunesfois en mettoit fai z en forme d’un membre
d’homme.
En l’aultre un tas de cornetz tous plains de pusses et de
poux, qu’il empruntoit des guenaulx de sain Innocent et
les gettoit à tout belles petites cannes ou plumes dont on
escript, sur les colletz des plus sucrées damoiselles qu’il
trouvoit, et mesmement en l’esglise : car jamais ne se met-
toit au cueur au hault, mais tousjours demouroit en la nef
entre les femmes, tant à la messe, à vespres, comme au
sermon. En l’aultre, force provision de haims et claveaux,
dont il acouploit souvent les hommes et les femmes en
compaigniez où ilz estoient serrez : et mesmement celles
qui portoient robbe de taffetas armoisy, et à l’heure qu’elles
se vouloient departir elles rompoient toutes leurs robbes.
En l’aultre un fouzil garny d’esmorche, d’allumettes, de
pierre à feu, et tout aultre appareil à ce requis.
En l’aultre deux ou troys mirouers ardens, dont il faisoit
enrager aulcunesfois les hommes et les femmes, et leur
faisoit perdre contenance à l’esglise, car il disoit qu’il n’y
avoit qu’un antistrophe entre femme folle à la messe, et
femme molle à la fesse.
En l’aultre avoir provision de fil, et d’aiguilles dont il fai-
soit mille petites diableries. Une fois à l’issue du Palays à la

  • 

Chapitre XVI Pantagruel
grant salle que un cordelier disoit sa messe de messieurs il
luy ayda à soy habiller et revestir, mais en l’acoustrant il luy
cousit l’aulbe avecques sa robbe et chemise, et puis se retira
quant messieurs de la court se vindrent asseoir pour ouyr
messe. Mais quant ce fust à l’ite missa est, que le pouvre
frater se voulut devestir son aulbe, il emporta ensemble
et habit et chemise qui estoient bien cousuz ensemble, et
se rebrassit jusques aux espaules monstrant son callibistris
à tout le monde, qui n’estoit pas petit : sans doubte. Et
le frater tousjours tiroit, mais tant plus ce descouvroit il,
jusques à qu’un de messieurs de la court dist : « Et quoy ce
beaupere nous veult il icy faire l’offrande et bayser son cul ?
le feu sain Antoine le bayse. » Et des lors feut ordonné
que les pouvres beatzperes ne se despouilleroyent plus de-
vant le monde, mais en leur sacrifice, mesmement quand il
y auroit des femmes, car ce leur seroit occasion de pecher
du peché d’envie.
Et le monde demandoit, « Pourquoy est ce que ces fraters
avoient la couille si longue ? » mais ledi Panurge soulut
tresbien le probleme, disant ce que fai les oreilles des
asnes si grandes, ce n’est sinon par ce que leurs meres ne
leur mettoyent point de beguin en la teste comme dit de
Alliaco en ses suppositions. A pareille raison, ce que fai
la couille des pouvres beatz peres tant sain Antoine large,
c’est qu’ilz ne portent point de chausses foncées, et leur
pouvre membre s’estend à sa liberté à bride avallée, et leur
va ainsi triballant sur les genoulx comme font les pate-
nostres aux femmes? Mais la cause pourquoy ilz l’avoient
gros à l’equipollent, c’estoit que en ce triballement les hu-
meurs du corps descendent audit membre, car selon les

  • -

Chapitre XVI Pantagruel
Legistes agitation et motion continuelle est cause de attrac-
tion.
Item avoit un aultre poche toute pleine de alun de plume
dont il gettoit dedans le doz des femmes, qu’il voyoit les
plus acrestées, et les faisoit despouiller devant tout le
monde, les aultres dancer comme iau sur breze ou bille
sur tambour, les aultres courir les rues, et luy apres couroit,
et à celles qui se despouilloyent, il mettoit sa cappe sur le
doz, comme homme courtoys et gracieux.
Item en un aultre il avoit une petite guedoufle plaine de
vieille huyle, et quand il trouvoit ou homme ou femme qui
luy semblissent bien glorieux, et qui eussent quelque belle
robbe, il leur engraissoit et guastoit tous les plus beaulx
endroi z de leurs habillemens soubz le semblant de les
toucher et dire : « Voicy de bon drap, voicy bon satin, bon
tafetas, ma dame dieu vous doint ce que vostre noble cueur
desire, vous avez robbe neufve, nouvel amy, dieu vous y
maintienne, » et ce disant leur mettoit la main sur le collet,
et ensemble la male tache y demouroit perpetuellement,
que le diable n’eust pas ostée, puis à la fin leur disoit : « Ma
dame donnez vous guarde de tumber : car il y a icy un
grand trou devant vous. »
En un aultre avoit tout plain de Euphorbe pulverisé bien
subtilement, et là dedans mettoit un mouschenez beau
et bien ouvré qu’il avoit desrobé à la belle lingiere des
Galleries de la sain e chappelle, en luy ostant un poul
dessus son sain, lequel toutesfoys il y avoit mis. Et quand
il se trouvoit en compaignie de quelques bonnes dames, il
leur mettoit sus propos de lingerie, et leur mettoit la main
au sain, demandant, et cet ouvraige est il de Flandres ou

  • 

Chapitre XVI Pantagruel
de Haynault : et puis tiroit son mouschenez disant, tenez
tenez, voy en cy de l’ouvrage, elle est de Fonterabie, et le
secouoit bien fort à leurs nez, et les faisoit esternuer quatre
heures sans repos.
Et ce pendant il petoit comme un roussin, et les femmes
se ryoient luy disant, comment :
« vous petez Panurge ? — Non fois, disoit il,
madame : mais je accorde au contrepoint de la
musicque que sonnez du nez. »
En l’aultre un daviet, un pellican, un crochet, et quelques
aultres ferremens dont il n’y avoit porte ny coffre qu’il ne
crochetast.
En l’aultre tout plain de petitz goubeletz, dont il jouoit
fort artificiellement : car il avoit les doigs fai z à la main
comme Minerve ou Arachné.
Et avoit aultrefois cryé le theriacle.
Et quand il changeoit un teston, ou quelque aultre piece,
le changeur n’eust esté plus fin que maistre mousche, si
Panurge n’eust fai evanouyr à chascune fois cinq ou six
grands blancs visiblement, appertement, manifestement,
sans faire lesion ne blesseure aulcune, dont le changeur
n’en eust senty que le vent.

  • 

Chapitre XVII
Comment Panurge guaingnoylt les
pardons et maryoit les vieilles, et des
procès qu’il eut à Paris.
Un jour je trouvay Panurge quelque peu escorné et taci-
turne, et me doubte bien qu’il n’avoit denare, dont je luy
dys.
« Panurge vous estes malade à ce que je voy à
vostre physionomie, et jentens le mal, vous avez
un fluz de bourse : mais ne vous souciez. Jay
encores six sols et maille, qui ne virent oncques
pere ny mere, qui ne vous fauldront non plus
que la verolle, en vostre necessité. »
A quoy il me respondit :
« Et bren pour l’argent. Je n’en auray quelque
jour que trop : car jay une pierre philosophalle
qui me attire l’argent des bourses, comme l’ay-
mant attire le fer. Mais voulez vous venir gai-
gner les pardons ? dist il.
— Et par ma foy je luy respons, Je ne suis pas
grand pardonneur en ce monde icy, je ne sçay
si je le seray en l’aultre : et bien allons au nom
de dieu, pour un denier ny plus ny moins.

  • 

Chapitre XVII Pantagruel
— Mais (dist il) prestez moy doncques un denier
à l’interest.
— Rien rien, dis je, Je vous le donne de bon
cueur,
— grates vobis dominos, dist il.
Ainsi allasmes commençant à sain Gervays, et je gaigne
les pardons au premier tronc seulement : car je me contente
de peu en ces matieres, et puis me mis à dire mes menuz
suffrages, et oraisons de sain e Brigide : mais il gaigna à
tous les troncz, et tousjours bailloit argent à chascun des
pardonnaires. De là nous transportasmes à nostre Dame, à
sain Jehan, à sain Antoine, et ainsi des aultres esglises
ou avoit bancque de pardons, de ma part je n’en gaignoys
plus : mais luy à tous les troncz, il baysoit les relicques, et
à chascun donnoit. Brief quand nous fusmes de retour il
me mena boire au cabaret du chasteau et me montra dix ou
douze de ses bougettes plaines d’argent.
A quoy je me seigny faisant la croix, disant :
« Dont avez vous tant recouvert d’argent en si
peu de temps ? »
A quoy il me respondit, que il l’avoit prins des pardons :
« car en leur baillant le premier denier (dist
il) je le mis si soupplement, que il sembla que
feust un grand blanc, par ainsi d’une main je
prins douze deniers, voire bien douze liards ou
doubles pour le moins, et de l’aultre troys ou
quatre douzains : et ainsi par toutes les esglises
où nous avons esté.

  • 

Chapitre XVII Pantagruel
— Voire mais (dis je) vous vous damnez comme
une sarpe et estes larron et sacrilege.
— Ouy bien, dist il, comme il vous semble, mais
il ne me le semble pas quand à moy. Car les par-
donnaires me le donnent, quand ilz me disent
en presentant les relicques à bayser, centuplum
accipies, que pour un denier jen prene cent : car
accipies est dit selon la maniere des Hebrieux
qui vient du futur en lieu de l’imperatif, comme
avez en la loy, dominum deum tuum adorabis et
illi foli servies, diliges proximuum tuum, et sic de
aliis. Ainsi quand le pardonnigere me dit, centu-
plum accipies, il veult dire, centupluim accipe, et
ainsi l’expose rabi Quimy et rabi Aben Ezra, et
tous les Massoretz. Et davantaige le pape Sixte
me donna quinze cens livres de rente sur son
dommaine et tresor ecclesiasticque, pour luy
avoir guery une bosse chancreuse, qui tant le
tourmentoit, qu’il en cuyda devenir boyteux
toute sa vie. Ainsi je me paye par mes mains :
car il n’est tel, sur ledi tresor ecclesiasticque.
« Ho mon amy disoit il, si tu sçavoys comment
je fis mes choux gras de la croysade, tu seroys
tout esbahy. Elle me valut plus de six mille fleu-
rins. »
— Et où diable sont ils allez ? dis je, car tu n’en
as pas une maille.
— Dont ilz estoient venuz (dist il) ilz ne firent
seulement que changer de maistre. Mais jen

  • 

Chapitre XVII Pantagruel
employai bien troys mille à marier non pas les
jeunes filles : car elles ne trouvent que trop ma-
rys, mais de grand vieilles sempiternelles qui
n’avoient dentz en gueulle. Consyderant, ces
bonnes femmes icy ont tresbien employé leur
temps en jeunesse et ont joué du serrecropiere
à cul levé à tous venans, jusques à ce qu’on n’en
a plus voulu. Et par dieu je les feray saccader
encores une foys devant qu’elles meurent. Et
par ainsi à l’une donnoit cent flourins, à l’aultre
six vingtz, à l’aultre troys cens, selon qu’elles
estoient bien infames, detestables, et abhomi-
nables : car d’autant qu’elles estoient plus hor-
ribles et execrables, d’autant il leur failloit don-
ner davantaige, aultrement le diable ne les eust
pas voulu besoigner. Incontinent je m’en alloys
à quelque porteur de coustretz gros et gras, et
faysois moy mesmes le mariage, mais premier
que luy monstrer les vieilles, je luy monstroys
les escuz, disant : « Compere, voicy qui est à
toy, si tu veulx fretinfretailler un bon coup. »
Des lors les pouvres hayres arressoient comme
vieulx mulletz, et ainsi leur faisoys bien apres-
ter et bancqueter, et boire du meilleur et force
espiceryes pour mettre les vieilles en appetit
et en chaleur. Fin de compte ilz besoignoient
comme toutes bonnes ames, sinon que à celles
qui estoient horriblement villaines et defai es,
je leur faisoys mettre un sac sur le visaige. Da-
vantaige jen ay perdu beaucoup en proces.

  • 

Chapitre XVII Pantagruel
— Et quelz proces as tu peu avoir ? disoys je, tu
ne as ny terre ny maison.
— Mon amy (dist il) les damoiselles de ceste
ville avoient trouvé par instigation de diable
d’enfer, une maniere de colletz ou cachecoulx
à la haulte façon, qui leur cachoient si bien les
seins, que l’on n’y povoit plus mettre la main
par dessoubz : car la fente d’iceulx elles avoient
mise par derriere, et estoient tous clos par de-
vant, dont les pouvres amans dolens contempla-
tifs n’estoient pas bien contens, un beau jour de
Mardy jen presentay resqueste à la court, me for-
mant partye contre lesdi es damoyselles et re-
monstrant les grans interestz que je pretendoys
protestant que à mesme raison je feroys coudre
la braguette de mes chausses au derriere, si la
court n’y donnoit ordre, somme toute les damoi-
selles formerent syndicat et passerent procura-
tion à defendre leur cause, mais je les poursuivy
si vertement que par arrest de la court y fut dist,
que ces haulx cachecoulx ne seroient plus por-
tez, sinon qu’ilz feussent quelque peu fenduz
par devant. Mais il me cousta beaucoup. Jeuz
un aultre proces bien ord et bien sale contre
maistre Fify et ses suppotz, à ce qu’ilz n’eussent
point à lire clandestinement les livres de Sen-
tences de nuy , mais de beau plain jour et ce es
escholles de Sorbonne, en face de tous les theo-
logiens, ou je fuz condemné es despens pour

  • 

Chapitre XVII Pantagruel
quelque formalité de la relation du sergeant.
Une aultre foys je formay complain e à la court
contre les mulles des Presidens, Conseilliers, et
aultres : tendant à fin que quand en la basse
court du Palays l’on les mettroit à ronger leur
frain, que les Conseilleres leur feissent de belles
baverettes affin que de leur bave elles ne gas-
tassent point le pavé en sorte que les paiges du
palays peussent jouer dessus à beaulx detz, ou
au reniguedieu à leur ayse, sans y rompre leurs
chausses aux genoux. Et de ce en euz bel arrest :
mais il me couste bon. Or sommez à ceste heure
combien me coustent les petitz bancquetz que
je fays aux paiges du palays de jour en jour.
— Et à quelle fin ? dis je.
— Mon amy (dist il) tu ne as nul passetemps en
ce monde. Jen ay moy plus que le roy. Et si tu
vouloys te rallier avecques moy, nous serions
diables.
— Non non (dis je) par sain Adauras : car tu
seras une foys pendu.
— Et toy (dist il) tu seras une foys enterré, le-
quel est plus honorable ou l’air ou la terre ? He
grosse pecore, Jesuchrist ne fut il pas pendu en
l’air. Mais à propos ce pendant que ces paiges
bancquettent je garde leurs mulles, et tousjours
je couppe à quelqu’une l’estriviere du cousté
montouer qu’elle ne tient que à un fillet. Et
quand le gros enflé de Conseillier ou aultre a

  • 

Chapitre XVII Pantagruel
prins son bransle pour monter sus, ilz tombent
tous platz comme porcs devant tout le monde :
et aprestent à rire pour plus de cent frans. Mais
je me rys encores davantaige, c’est que eulx ar-
rivez au logis ilz font foueter monsieur du page
comme seigle vert, par ainsi je ne plains point
ce que m’avoit cousté à les bancqueter.
Fin de compte il avoit (comme ay dit dessus) soixante et
troys manieres de recouvrer argent : mais il en avoit deux
cens quatorze de le despendre, hors mis la reparation de
dessoubz le nez.

  • – 

Chapitre XVIII
Comment un grand clerc de Angleterre
vouloit arguer contre Pantagruel, et fut
vaincu par Panurge.
En ces mesmes jours un grandissime clerc nommé Thau-
maste ouyant le bruyt et renommée du sçavoir incompa-
rable de Pantagruel vint du pays de Angleterre en ceste
seule intention de veoir icelluy Pantagruel et le congnoistre,
et esprouver si tel estoit son sçavoir comme en estoit la re-
nommée. Et de fai arrivé à Paris se transporta vers l’hostel
dudi Pantagruel qui estoit logé à l’hostel sain Denys,
et pour lors se pourmenoit par le jardin avecques Panurge,
philosophant à la mode des Peripateticques. Et de premiere
entrée le voyant tressaillit tout de peur, le voyant si grand
et si gros : puis le salua, comme est la façon, courtoysement
luy disant :
« Bien vray est il ce que dit Platon le prince
des philosophes, que si l’ymage de science et
sapience estoit corporelle et spe able es yeulx
des humains, elle exciteroit tout le monde en ad-
miration de foy. Car seulement le bruyt d’icelle
espandu par l’air, s’il est receu es oreilles des
studieux et amateurs d’icelle, qu’on nomme


Chapitre XVIII Pantagruel
Philosophes, ne les laisse dormir ny reposer à
leur ayse, tant les stimule et embrase de acourir
au lieu, et veoir la personne, en qui est di e
science avoir estably son temple, et depromer
les oracles. Comme il nous feut manifestement
demonstré en la Reyne de Saba, qui vint des
limites d’Orient et mer Persicque pour veoir
l’ordre de la maison du saige Salomon et ouyr
sa sapience.
« En Anatharsis qui de Scythie alla jusques en
Athenes pour veoir Solon.
« En Pythagoras, qui visita les Vaticinateurs
Memphiticques.
« En Platon qui visita les Mages de Egypte et
Architas de Tarente,
« et en Apollonius Tyraneus qui alla jusques
au mont Caucasus, passa les Scythes, les Mas-
sagetes, les Indiens, transfeta le vaste fleuve
de Physon, iusques es Brachmanes, pour veoir
Hiarchas. Et en Babyloine, Chaldée, Mede, As-
syrie, Parthie, Syrie, Phoenice, Arabie, Palestine,
Alexandrie, iusques en Ethipie, pour veoir les
Gymnosophistes. Pareil exemple avons nous de
Tite Live, pour lequel veoir et ouyr plusieurs
gens studieux vindrent en Rome, des fins limi-
trophes de France et Hespaigne.
« Je ne me ause pas recenser au nombre et ordre
de ces gens tant parfai z : mais bien je veulx
estre dit studieux, et amateur, non seulement

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
des letres, mais aussi des gens letrez. Et de fai
ouyant le bruyt de ton sçavoir tant inestimable,
ay delaissé pays, parens, maison, et me suis icy
transporté, riens ne estimant la longueur du
chemin, l’attediation de la mer, la nouveaulté
des contrées, pour seullement te veoir, et confe-
rer avecques toy d’aulcuns passaiges de Philo-
sophie, de Magie, de Alkymie, et de Caballe,
desquelz je doubte, et ne m’en puis contenter
mon esprit, lesquelz si tu me peulx souldre, je
me rens des à present ton esclave moy et toute
ma posterité : car aultre don ne ay je que assez
je estimasse pour la recompense.
« Je les redigeray par escript et demain le fe-
ray assavoir à tous les gens sçavans de la ville,
affin que devant eulx publicquement nous en
disputons.
« Mais voicy la maniere comment jentens que
nous disputerons. Je ne veulx point disputer,
pro et contra, comme font ces folz sophistes de
ceste ville et d’ailleurs. Semblablement je ne
veulx point discuter en la maniere des Acade-
micques par declamations, ny aussi par nombres,
comme faisoit Pythagoras, et comme voulut
faire Picus Mirandula à Rome. Mais je veulx
disputer par signes seulement, sans parler : car
les matieres sont tant ardues que les parolles
humaines ne seroient suffisantes à les explic-
quer à mon plaisir.

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
« Par ce il plaira à ta magnificence de soy y trou-
ver, ce sera en la grande salle de Navarre à sept
heures de matin. »
Ces parolles achevées, Pantagruel luy dist honnorable-
ment :
« Seigneur, des graces que Dieu m’a donné, Je ne
vouldroys denier à nully en departir à mon po-
voir : car tout bien vient de luy de lassus, et son
plaisir est que soit multiplié quand on se trouve
entre gens dignes ydoines de recepvoir ceste ce-
leste manne de honneste sçavoir. Au nombre
desquelz par ce que en ce temps, comme jà bien
apperçoy, tu tiens le premier ranc. Je te notifie
que à toutes heures tu me trouveras prest à ob-
temperer à une chascune de tes requestes, selon
mon petit povoir. Combien que plus de toy je
deusse apprendre que toy de moy, mais comme
as protesté nous confererons de tes doubtes en-
semble, et en chercherons la resolution, dont il
la fault trouver toy à moy.
« Et loue grandement la maniere d’arguer que as
proposée, c’est assavoir par signes sans parler :
car ce faisant toy et moy, nous nous entendrons,
et serons hors de ces frappemens de mains, que
font ces sophistes quand on argue : alors qu’on
est au bon de l’argument. Or demain je ne faul-
dray à me trouver au lieu et heure que me as
assigné : mais je te pry que entre nous n’y ait
point de tumulte, et que ne cherchons point

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
l’honneur ny applausement des hommes, mais
la serenité seule. »
A quoy respondit Thaumaste,
« Seigneur : dieu te maintienne en sa grace te
remerciant de ce que ta haulte magnificence
tant se veult condescendre à ma petite vilité. Or
a dieu jusques à demain.
— A dieu dist Pantagruel. »
Messieurs vous aultres qui lisez ce present escript, ne
pensez pas que jamais il y eut de gens plus elevez et trans-
portez en pensée, que furent tout celle nuy , tant Thau-
maste que Pantagruel. Car ledi Thaumaste dist au concierge
de l’hostel de Cluny, auquel il estoit logé, que de sa vie ne
s’estoit trouvé tant alteré comme il estoit celle nuy
« Il m’est (disoit il) advis que Pantagruel me
tient à la gorge : donnez ordre que beuvons je
vous prie, et fai es tant que ayons de l’eaue
fresche pour me guarguariser le palat. »
De l’aultre cousté Pantagruel entra en la haulte game
et de toute la nuy ne faisoit que ravasser apres le livre
de Beda de numeris et signis, et le livre de Plotin de inenar-
rabilibus, et le livre de Proclus de magia, et les livres de
Artemidoras perionirocriticon, de Anaxagoras peri semion,
Dynarius peri aphaton, et les livres de Philistion, et Hippo-
nax peri anecphoneton, un tas d’aultres, tant que Panurge
luy dist,
« Seigneur laissez toutes ces pensées et vous
allez coucher : car je vous sens tant esmeu en

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
voz espritz, que bien tost tomberiez en quelque
fiebvre ephemere par c’est exces de pensement :
mais premier beuvant vingt et cinq ou trente
bonnes foys retirez vous et dormez à votre aise,
car de matin je respondray et argueray contre
monsieur l’Angloys, et au cas que je ne le mette
ad meta non loui, di es mal de moy, »
dont dist Pantagruel.
« Voire mais mon amy Panurge, il est merveilleu-
sement sçavant, comment luy pourras tu satis-
faire ?
— Tresbien, respondit Panurge, Je vous pry n’en
parlez plus, et m’en laissez faire, y a il homme
tant sçavant que sont les diables ?
— Non vrayement dist Pantagruel, sans grace
divine speciale.
— Et toutesfoys, dist Panurge, jay argué maintes-
foys contre eulx, et les ay fai z quinaulx et mys
de cul. Par ce soyez asseuré de cet Angloys, que
je vous le feray demain chier vinaigre devant
tout le monde. »
Ainsi passa la nuy Panurge à chopiner avecques les
paiges et jouer toutes les aiguillettes de ses chausses à
primus et secundus, ou à la vergette. Et quand ce vint à
l’heure assignée il conduysit son maistre Pantagruel au lieu
constitué. Et hardiment qu’il n’y eut petit ny grand dedans
Paris qu’il ne se trouvast au lieu : pensant, ce diable de
Pantagruel, qui a convaincu tous les Sorbonicoles, à cest
heure aura son vin, acr cest Angloys est un aultre diable de

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
Vauvert, nous verrons qui en gaignera. Ainsi tout le monde
assemblé, Thaumaste les attendoit.
Et lors que Pantagruel et Panurge arriverent à la salle,
tous ces grymaulx, artiens, et intrans commencerent à frap-
per des mains, comme est leur badaude coustume, mais
Pantagruel s’escrya à haulte voix, comme si ce eust esté le
son d’un double canon, disant.
« Paix de par le le diable paix, par dieu coquins
si vous me tabustez icy, je vous coupperay la
teste à trestous. »
A laquelle parolle ilz demourent tous estonnez comme
cannes, et ne osoient seulement tousser, voire eussent ilz
mangé quinze livres de plume. Et feurent tant alterez de
ceste seule voix qu’ilz tiroient la langue demy pied hors de
la gueule : comme si Pantagruel leur eust gorge sallé.
Lors commença Panurge à parler disant à l’Angloys :
« Seigneur tu es icy venu pour disputer conten-
tieusement de ces propositions que tu as mis, ou
bien pour apprendre et en sçavoir la verité ? »
A quoy respondit Thaumaste :
« Seigneur, aultre chose ne me ameine sinon
bon desir de apprendre et sçavoir ce, dont jay
doubté toute ma vie, et n’ay trouvé ny livre ny
homme qui me ayt contenté en la resolution
des doubtes que jay proposez. Et au regard de
disputer par contention, je ne le veulx faire,
aussi est ce chose trop vile, et la laisse à ces
maraulx de Sophistes.

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
— Doncques dist Panurge, si moy qui suis petit
disciple de mon maistre monsieur Pantagruel,
te contente et te satisfoys en tout et par tout, ce
seroit chose indigne d’en empescher mondi
maistre, par ce mieulx vauldra qu’il soit cathe-
drant, jugeant de noz propos, et te contentent
au parsus, s’il te semble que je ne aye satisfai
à ton studieux desir.
— Vrayement, dist Thaumaste, c’est tresbien dit.
Commence doncques. »
Or notez, que Panurge avoit mis au bout de sa longue bra-
guette un beau floc de soye rouge, blanche, verte, et bleue,
et dedans avoit mis une belle pomme d’orange. Adoncques,
tout le monde assistant et escoutant en bonne silence, l’An-
gloys leva hault en l’air les deux mains separement, clouant
toutes les extremitez des doigtz en forme qu’on nomme en
Chinonnoys cul de poulle, et frappa de l’une l’aultre par
les ongles quatre foys ; puys les ouvrit, et ainsi à plat de
l’une frappa l’aultre en son strident. Une foys de rechief les
joignant comme dessus, frappa deux foys, et quatre foys de
rechief les ouvrant ; puys les remist join es et extendues
l’une jouxte l’aultre, comme semblant devotement Dieu
prier.
Panurge soubdain leva en l’air la main dextre, puys
d’ycelle mist le poulse dedans la narine d’ycelluy cousté,
tenant les quatre doigtz estenduz et serrez par leur ordre
en ligne parallele à la pene du nez, fermant l’œil gausche
entierement et guaignant du dextre avecques profonde
depression de la sourcile et paulpiere ; puys la gausche

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
leva hault, avecques fort serrement et extension des quatre
doigtz et elevation du poulse, et la tenoyt en ligne direc-
tement correspondente à l’assiette de la dextre, avecques
distance entre les deux d’une couldée et demye. Cela fai ,
en pareille forme baissa contre terre l’une et l’aultre main ;
finablement les tint on mylieu, comme visant droi au nez
de l’Angloys.
« Et si Mercure. . . » dist l’Angloys.
Là, Panurge interrompt, disant : « Vous avez parlé, masque ! »
Lors feist l’Angloys tel signe. La main gausche toute
ouverte il leva hault en l’air, puys ferma on poing les quatre
doigts d’ycelle, et le poulse extendu assist suz la pinne du
nez. Soubdain après, leva la dextre toute ouverte et toute
ouverte la baissa, joignant le poulse on lieu que fermoyt
le petit doigt de la gausche, et les quatre doigtz d’ycelle
mouvoyt lentement en l’air ; puys, au rebours, feist de la
dextre ce qu’il avoyt fai de la gausche et de la gausche ce
que avoyt fai de la dextre.
Panurge, de ce non estonné, tyra en l’air sa tresmegiste
braguette de la gausche, et de la dextre en tira un transon
de couste bovine blanche et deux pieces de boys de forme
pareille, l’une de ebene noir, l’aultre de bresil incarnat, et
les mist entre les doigtz d’ycelle en bonne symmetrie, et,
les chocquant ensemble, faisoyt son tel que font les ladres
en Bretaigne avecques leurs clicquettes, mieulx toutesfoys
resonnant et plus harmonieux, et de la langue, contra e
dedans la bouche, fredonnoyt joyeusement, tousjours re-
guardant l’Angloys.
Les theologiens, medicins et chirurgiens penserent que
par ce signe il inferoyt l’Angloys estre ladre.

  • – 

Chapitre XVIII Pantagruel
Les conseilliers, legistes et decretistes pensoient que ce
faisant, il vouloyt conclurre quelque espece de felicité hu-
maine consister en estat de ladrye, comme jadys mainte-
noyt le Seigneur.
L’Angloys pour ce ne s’effraya, et, levant les deux mains
en l’air, les tint en telle forme que les troys maistres doigtz
serroyt on poing et passoyt les poulses entre le doigtz indice
et moien, et les doigtz auriculaires demouroient en leurs
extendues ; ainsi les presentoyt à Panurge, puys les acoubla
de mode que le poulse dextre touchoyt le gausche et le
doigt petit gausche touchoyt le dextre.
A ce, Panurge, sans mot dire, leva les mains et en feist
tel signe. De la main gauche il joingnit l’ongle du doigt
indice à l’ongle du poulse, faisant au meillieu de la distance
comme une boucle, et de la main dextre serroit tous les
doigts au poing, excepté le doigt indice, lequel il mettoit
et tiroit souvent par entre les deux aultres susdi es de la
main gauche. Puis de la dextre estendit le doigt indice et
le mylieu, les esloignant le mieulx qu’il povoit et les tirans
vers Thaumaste. Puis mettoit le poulce de la main gauche
sus l’anglet de l’œil gauche, estendant toute la main comme
une aesle d’oyseau ou une pinne de poisson, et la meuvant
bien mignonnement de czà et de là ; autant en faisoit de la
dextre sur l’anglet de l’œil dextre.
Thaumaste commençza paslir et trembler, et luy feist
tel signe. De la main dextre il frappa du doigt meillieu
contre le muscle de la vole qui est au dessoubz le poulce,
puis mist le doigt indice de la dextre en pareille boucle de
la senestre ; mais il le mist par dessoubz, non par dessus
comme faisoit Panurge.

  • 

Chapitre XVIII Pantagruel
Adoncques Panurge frappa la main l’une contre l’aultre
et souffle en paulme. Ce fai , met encores le doigt indice
de la dextre en la boucle de la gauche, le tirant et mettant
souvent. Puis estendit le menton, regardant intentement
Thaumaste.
Le monde, qui n’entendoit rien à ces signes, entendit
bien que en ce il demandoit sans dire mot àThaumaste :
« Que voulez vous dire là ? »
De fai , Thaumaste commença suer à grosses gouttes et
sembloit bien un homme qui feust ravy en haulte contem-
plation. Puis se advisa et mist tous les ongles de la gauche
contre ceulx de la dextre, ouvrant les doigts comme si ce
eussent esté demys cercles, et elevoit tant qu’il povoit les
mains en ce signe.
A quoy Panurge soubdain mist le poulce de la main
dextre soubz les mandibules, et le doigt auriculaire d’icelle
en la boucle de la gauche, et en ce poin faisoit sonner ses
dentz bien melodieusement les basses contre les haultes.
Thaumaste, de grand hahan, se leva, mais en se levant
fist un gros pet de boulangier, car le bran vint après, et
pissa vinaigre bien fort, et puoit comme tous les diables.
Les assistans commencerent se estouper les nez, car il se
conchioit de angustie. Puis leva la main dextre, la clouant
en telle faczon qu’il assembloit les boutz de tous les doigts
ensemble, et la main gauche assist toute pleine sur la poic-
trine.
A quoy Panurge tira sa longue braguette avecques son
floc, et l’estendit d’une couldée et demie, et la tenoit en
l’air de la main gauche, et de la dextre print sa pomme

  • -

Chapitre XVIII Pantagruel
d’orange, et, la gettant en l’air par sept foys, à la huytiesme
la cacha au poing de la dextre, la tenant en hault tout coy ;
puis commença secouer sa belle braguette, la monstrant à
Thaumaste.
Après cella, Thaumaste commença enfler les deux joues,
comme un cornemuseur, et souffloit comme se il enfloit
une vessie de porc.
A quoy Panurge mist un doigt de la gauche ou trou du
cul, et de la bouche tiroit l’air comme quand on mange des
huytres en escalle ou quand on hume sa soupe ; ce fai ,
ouvre quelque peu de la bouche, et avecques le plat de la
main dextre frappoit dessus, faisant en ce un grand son et
parfond comme s’il venoit de la superficie du diaphragme
par la trachée artere, et le feist par seize foys.
Mais Thaumaste souffloit tousjours comme une oye.
Adoncques Panurge mist le doigt indice de la dextre
dedans la bouche, le serrant bien fort avecques les muscles
de la bouche. Puis le tiroit, et, le tirant, faisoit un grand
son, comme quand les petitz garsons tirent d’un canon de
sulz avecques belles rabbes, et le fist par neuf foys.
Alors Thaumaste s’escria :
« Ha, Messieurs, le grand secret ! Il y mis la
main jusques au coulde. »
Puis tira un poignard qu’il avoit, le tenant par la poin e
contre bas.
A quoy Panurge print sa longue braguette et la secouoit
tant qu’il povoit contre ses cuisses ; puis mist ses deux
mains, lyez en forme de peigne, sur sa teste, tirant la langue
tant qu’il povoit et tournant les yeulx en la teste comme

  • 

Chapitre XVIII Pantagruel
une chievre qui meurt.
« Ha, j’entens, dist Thaumaste, mais quoy ? »
faisant tel signe qu’il mettoit le manche de son poignard
contre sa poi rine, et sur la poin e mettoit le plat de la
main, en retournant quelque peu le bout des doigts.
A quoy Panurge baissa sa teste du cousté gauche et mist
le doigt mylieu en l’aureille dextre, eslevant le poulce
contremont. Puis croisa les deux bras sur la poi rine, tous-
sant par cinq foys, et à la cinquiesme frappant du pied droit
contre terre. Puis leva le bras gauche, et, serrant tous les
doigtz au poing, tenoit le poulse contre le front, frappant
de la main dextre par six foys contre la poi rine.
Mais Thaumaste, comme non content de ce, mist le poulse
de la gauche sur le bout du nez, fermant la reste de ladi e
main.
Dont Panurge mist les deux maistres doigtz à chascun
cousté de la bouche, le retirant tant qu’il pouvoit et mons-
trant toutes ses dentz, et des deux poulses rabaissoit les
paulpiers des yeulx bien parfondement, en faisant assez
layde grimace, selon que sembloit es assistans.

  • 

Chapitre XIX
Comment Thaumaste racompte les vertus
et sçavoir de Panurge.
Adoncques se leva Thaumaste et ostant son bonnet de
la teste, remercia ledi Panurge doulcement : puis di à
haulte voix à toute l’assistence :
« Seigneurs à ceste heure puis je bien dire le
mot evangelicque : Et ecce plusquam Solomon
hic. Vous avez icy un tresor incomparable en
vostre presence, c’est monsieur Pantagruel, du-
quel la renommée me avoit icy attiré du fin
fonds de Angleterre, pour conferer avecques
luy des doubtes inexpugnables tant de Magie,
de Caballe, de Geomantie, de Astrologie, que
de Philosophie, lesquelz je avoys en mon esprit.
« Mais de present je me courrouce contre la
renommée, laquelle me semble estre envieuse
contre luy : car elle n’en raconte point la mil-
liesme partie, de ce que en est par efficace.
« Vous avez veu, comment son seul disciple me
a contenté et m’en a plus dit que je ne deman-
doys, et d’abundant m’a ouvert et ensemble
soulu d’aultres doubtes inestimables. En quoy
je vous puys asseurer qu’il m’a ouvert le vray

  • 

Chapitre XIX Pantagruel
puys et abysme de Encyclopedie, voire en une
sorte que je ne pensoys pas trouver homme qui
en sceut les premiers elemens seulement, est
quand nous avons disputé par signes sans dire
mot ny demy. Mais à tant je redigeray par es-
cript ce que avons dit et resolu, affin que l’on
ne pense point que ce ayent esté mocqueries et
le feray imprimer à ce que chascun y apreigne
comme je ay fai . Dont povez juger, ce qu’eust
peu dire le maistre, veu que le disciple a fai
telle prouesse : car Non est discipulus supra ma-
gistrum.
« En tout cas dieu soit loué, et bien humble-
ment vous remercie de l’honneur que nous avez
fai à cest a e, dieu vous le retribue eternelle-
ment. »
Semblables a ions de graces rendit Pantagruel à toute
l’assistence, et de là partant mena disner Thaumaste avecques
luy et croyez qu’ilz beurent comme toutes bonnes ames le
jour des mortz, le ventre contre terre, jusques à dire, dont
venez vous ?
Sain e dame comment ilz tiroient au chevrotin, et flac-
cons d’aller, et eulx de corner :
« Tyre !
— Baille !
— Paige, vin !
— Boute de par le dyable boute. »
Il n’y eut par sans faulte celluy qui n’en beust xxv. ou xxx
muys. Et sçavez vous comment : sicut terra sine aqua : car il

  • 

Chapitre XIX Pantagruel
faisoit chault, et davantaige se estoient alterez.
Et au regard de l’exposition des propositions mises par
Thaumaste, et des significations des signes desquelz ils
userent en disputant je vous les exoseroys selon la relation
de entre eulx mesmes : mais l’on m’a dit que Thaumaste en
feist un grand livre imprimé à Londre, auquel il declaire
tout sans riens laisser : par ce je m’en deporte pour le
present.

  • 

Chapitre XX
Comment Panurge fut amoureux d’une
haulte dame de Paris, et du tour qu’il luy
fist.
Panurge commença à estre en reputation en la ville de
Paris par ceste disputation qu’il obtint contre l’Angloys, et
faisoit des lors bien valoir sa braguette, et la feist au dessus
esmoucheter de broderie à la Tudesque. Et le monde le
louoit publicquement, et en fut fai une chanson, dont les
petitz enfans alloient à la moustarde : et estoit bien venu en
toutes compaignies de dames et damoyselles, en sorte qu’il
devint glorieux, si bien qu’il entreprint de venir au dessus
d’une des grandes dames de la ville. De fai laissant un tas
de longs prologues et protestations que font ordinairement
ces dolens contemplatifz amoureux de quaresme, luy dit
un jour :
« Ma dame, ce seroit un bien fort utile à toute
la republicque, dele able à vous, honneste à
vostre lignée, et à moy necessaire, que feussiez
couverte de ma race, et le croyez, car l’expe-
rience vous le demonstrera. »
La dame à ceste parolle le reculla plus de cent lieues,
disant :

  • 

Chapitre XX Pantagruel
« Meschant fou vous appertient il de me tenir
telz propos ? Et à qui pensez vous parler ? allez,
ne vous trouvez jamais devant moy car si n’es-
toit pour un petit, je vous feroys coupper bras
et jambes !
— Or (dist il) ce me seroit tout un d’avoir bras et
jambes couppez, en condition que nous fissions
vous et moy un transon de chere lie jouant des
manequins à basses marches : car (monstrant
sa longue braguette) voicy maistre Jehan jeudy,
qui vous sonneroit une antiquaille, dont vous
vous sentiriez jusques à la mouelle des os : car
il esrt galland, et vous sçait bien trouver les
alibitz forains et petitz poullains grenez en la
ratouere, que apres luy il n’y a qu’espousseter. »
A quoy respondit la dame :
« Allez meschant allez, si vous m’en di es en-
cores un mot, je appelleray le monde, et vous
feray icy assommer de coups.
— Ho (dist il) vous n’estes pas si male que vous
di es, non : ou je suis bien trompé à vostre
physionomie : car plus tost la terre monteroit
es cieulx et les haulx cieulx descendroient en
l’abysme et tout ordre de nature seroit perverty,
qu’en si grande beaulté et elegance comme la
vostre, y eust une goutte de fiel, ny de malice.
L’on dit bien que à grand peine veit on jamais
femme belle, qui aussi ne feust rebelle : mais
cella est dit de ces beautez vulgaires. Toutes-

  • 

Chapitre XX Pantagruel
fois la vostre est tant excellente tant singuliere,
tant celeste, que je croy que nature l’a mise en
vous comme en parangon pour nous donner à
entendre combien elle peult faire, quand elle
veult employer toute sa puissance et tout son
sçavoir. Ce n’est que miel, ce n’est que sucre,
ce n’est que manne celeste, de tout ce qu’est en
vous. C’estoit à vous à qui Paris debvoit adjuger
la pomme d’Or, non à Venus non, ny à Iuno, ny
à Minerve : car oncques n’y eut tant de magni-
ficence en Iuno, tant de prudence en Minerve,
tant de elegance en Venus, comme il y a en vous.
O dieux desses celestes, que heureux sera celluy
à qui ferez ceste grace de vous accoller, de vous
bayser, et de frotter son lart avecques vous. Par
deiu ce sera moy, je le voy bien : car desjà vous
me aimez tout plain je le congnoys. Doncques
pour gaigner temps, faisons : »
et la vouloit embrasser, mais elle fist semblant de se mettre
à la fenestre pour appeller les voisins à la force.
Adoncques s’en sortit Panurge bien tost et luy dit en
fuyant :
« Ma dame attendez moy icy, je les voye querir
moy mesme, n’en prenez pas la peine. »
Ainsi s’en alla, sans grandement se soucier du refus qu’il
avoit eu, et n’en fist oncques pire chere. Le lendemain il
se trouva à l’esglise à l’heure qu’elle alloit à la messe, et à
l’entrée luy bailla de l’eaue beniste se enclinant parfonde-
ment devant elle, et apres se alla agenouiller aupres d’elle

  • 

Chapitre XX Pantagruel
familierement, et luy dist :
« Madame saichez que je suis tant amoureux de
vous, que je n’en peuz ny pisser ny fianter, je
ne sçay comment l’entendez. Si m’en advenoit
quelque mal, qu’en seroit il ?
— Allez allez, dist elle, je ne m’en soucie pas :
laissez moy icy prier dieu.
— Mais (dist il) equivoquez sur A beau mont le
vicomte.
— Je ne sçauroys, dist elle.
— C’est (dist il) à beau con le vit monte. Et sur
cella priez dieu qu’il me doint ce que vostre
noble cueur desyre, et me donnez ces patenostres
par grace ?
— Tenez, dit elle, et ne me tabustez plus. »
Et ce dit luy vouloit tirer ses patenostres qui estoient
de cestrin avecques grosses manches d’or. Mais Panurge
promptement tira un de ses cousteaulx, et les couppa tres-
bien et les emporta à la fryperie luy disant,
« voulez vous mon cousteau ?
— Non non, dist elle.
— Mais (dist il) à propos, il est bien à vostre com-
mandement corps et biens, tripez et boyaulx. »
Ce pendant la dame n’estoit pas fort contente de ses
patenostres : car c’estoit une de ses contenances à l’esglise.
Et pensoit,
« ce bavart icy est quelque esventé, homme d’es-
trange pays, je ne recouvreray jamais mes pate-

  • 

Chapitre XX Pantagruel
nostres, que m’en dira mon mary ? Il s’en cour-
roucera à moy : mais je luy diray qu’un lar-
ron me les a couppées dedans l’esglise, ce qu’il
croira facillement, voyant encores le bout du
ruban à ma ceinture. »
Apres disner Panurge l’alla veoir portant en sa manche
une grande bourse pleine de gettons, et luy commença à
dire.
« Lequel des deux ayme plus l’aultre ou vous
moy, ou moy vous ? »
A quoy elle respondit :
« Quant est de moy je ne vous hays point :
car comme dieu le commande, je ayme tout
le monde.
— Mais à propos (dist il) n’estes vous pas amou-
reuse de moy ?
— Je vous ay (dist elle) jà dit tant de foys que
vous ne me tenissiez plus telles parolles, si vous
m’en parlez encores je vous monstreray que ce
n’est pas à moy à qui vous debvez ainsi parler
de deshonneur allez vous en, et me rendez mes
patenostres, que mon mary ne me les demande.
— Comment (dist il) ma dame voz patenostres ?
non feray par mon segreant, mais je vous en
veulx bien donner d’aultres, en aymerez vous
mieulx d’or bien esmaillé en forme de grosses
spheres, ou de beaux laz d’amours, ou bien
toutes massifves comme gros lingotz d’or ? ou

  • -

Chapitre XX Pantagruel
si en voulez de Ebene, ou de gros Iyacinthes
taillez, avecques les marches de fines Turquoyses,
ou de beaulx Topazes marchez de dyamans à
vingtehuyt quarres. Non non, c’est trop peu. Jen
sçay un beau chappelet de fines Esmerauldes
marchées de Ambre gris, et à la boucle un Union
Persicque gros comme une pomme d’orange :
elles ne coustent que vingt et cinq mille ducatz,
je vous en veulx faire un present, car jen ay du
content. »
Et ce disoit faisant sonner ses gettons comme si ce feussent
escuz au soleil.
Voulez vous une piece de veloux violet cramoysi
tain en grene, une piece de satin broché ou
bien cramoysi. Voulez vous chainez, doreures,
templettes, bagues, il ne fault que dire ouy.
Jusques à cinquante mille ducatz, ce ne m’est
riens cela. »
Par la vertuz desquelles parolles il luy faisoit venir l’eau
à la bouche. Mais elle luy dist :
« Non, je vous remercie je ne veulx riens de
vous.
— Par dieu (dist il) si veulx bien moy de vous :
mais c’est chose qui ne vous coustera riens, et
n’en aurez de riens moins, tenez : monstrant sa
longue braguette, voicy maistre Jehan chouart
qui demande logis. »
et apres la vouloit accoller. Mais elle commença à s’escryer,
toutesfoys non pas trop hault. Et adoncques Panurge tourna

  • 

Chapitre XX Pantagruel
son faulx visaige, et luy di :
« Vous ne voulez doncques aultrement me lais-
ser un peu faire ? Bren pour vous. Il ne vous
appartient pas tant de bien ny de honneur, mais
par Dieu je vous feray chevaucher aux chiens, »
et ce di , s’en fouyt le grand pas de peur des coups.
Or notez que le lendemain estoit la grand feste du corps
dieu, à laquelle toutes les femmes se mettent en leur triumphe
de habillemens, et pour ce jour ladi e dame s’estoit vestue
d’une tresbelle robbe de satin cramoysi, et d’une cotte
de veloux blanc bien precieux. Ce jour de la vigile Pa-
nurge chercha tant d’un cousté et d’aultre, qu’il trouva
une chienne qui estoit en chaleur, laquelle il lya avecques
sa cein ure et la mena en sa chambre, et la nourrit tresbien
cedit jour et toute la nuy , et au matin la tua, et en prit ce
que sçavent les Geomantiens Gregeoys, et le mist en pieces
le plus menu qu’il peut, et les emporta bien cachées, et
s’en alla à l’esglise ou la dame debvoit aller pour suyvre
la procession, comme c’est de coustume à ladi e feste. Et
alors qu’elle entra Panurge luy donna de l’eau beniste bien
courtoisement la saluant, et quelque peu de temps apres
qu’elle eut dit les menuz suffrages il s’en va joingdre à elle
en son banc, et luy bailla un Rondeau par escript en la
forme que s’ensuyt.
Rondeau.
Pour ceste foys, que à vous dame tresbelle
Mon cas disoit, par trop feutes rebelle
De me chasser, sans espoir de retour :

  • 

Chapitre XX Pantagruel
Veu que à vous oncq ne feis austere tour
En di ny fai , en soubson ny libelle.
Si tant à vous desplaisait ma querelle,
Vous povyez par vous sans maquerelle
Me dire, amy partez d’icy entour
Pour ceste foys.
Tort ne vous foys, si mon cueur vous decelle
En remonstrant, comme le ard l’etincelle
De la beaulté que vouvre vostre atour :
Car riens ny quiers, sinon qu’en vostre tour
Me faciez dehait la combrecelle
Pour ceste foys.
Et ainsi qu’elle ouvroit le papier pour veoir que c’estoit,
Panurge promptement sema la drogue qu’il avoit sur elle
en divers lieux et mesmement au repliz de ses manches et
de la robbe, et puis luy dist :
« Ma dame, les pouvres amans ne sont pas tous-
jours à leur ayse. Quant est de moy jespere que
les malles nuy s, les travaulx et ennuytz, aux-
quelz me tient l’amour de vous, me seront en
dedu ion d’autant des peines de purgatoire. A
tout le moins priez dieu qu’il me doint mon
mal en patience. »
Panurge n’eut pas achevé ce mot, que tous les chiens
qui estoient en l’esglise ne s’en vinssent à ceste dame pour
l’odeur des drogues qu’il avoit espandues sur elle, petitz et
grans, gros et menuz tous y venoient tirant le membre et
la sentant et pissant partout sur elle. Et Panurge les chassa
quelque peu et print congié d’elle, et s’en alla en quelque

  • 

Chapitre XX Pantagruel
chapelle pour veoir le deduyt : car ces villains chiens la
conchioent toute et compissoient tout ses habillemens, tant
qu’il y eut un grand levrier qui luy pissa sur la teste et luy
culletoit son collet par derriere, les aultres aux manches,
les aultres à la crope : et les petitz culletoient ses patins. En
sorte que toutes les femmes de là autour avoient beaucoup
affaire à la saulver. Et Panurge de rire, dist à quelqu’un des
seigneurs de la ville :
« Je croy que ceste dame là est en chaleur, ou
bien que quelque levrier l’a couverte fraische-
ment. »
Et quand il veit que tous les chiens grondoient bien à l’en-
tour d’elle comme ilz font autour d’une chienne chaulde, il
s’en partit, et alla querir Pantagruel, et par toutes les rues
où il trouvoit des chiens, il leur bailloit un coup de pied,
disant :
« Et ne yrez vous point à voz compaignons aux
nopces, devant devant. »
Et arrivé au logis dist à Pantagruel,
« maistre je vous pry venez veoir tous les chiens
de ceste ville qui sont assemblez à l’entour d’une
dame la plus belle de ceste ville et la veullent
jocqueter. »
A quoy voulentiers consentit Pantagruel, et veit le mys-
tere qu’il trouva fort beau et nouveau. Mais le bon fut à
la procession : car il se trouva plus de six cens chiens à
l’entour d’elle, qui lui faisoient muille hayres : et partout
où elle passoit les chiens frays venuz la suyvoient à la trace,

  • 

Chapitre XX Pantagruel
pissans par le chemin ou ses robbes avoient touché. Et tout
le monde se arrestoit à ce spe acle consyderant les conte-
nances de ces chiens qui luy montoient jusques au col, et
luy gasterent tout ses beaulx acoustremens, qu’elle ne sceut
y trouver remede, sinon s’en aller à son hostel. Et chiens
d’aller apres, et quand elle fut entrée en sa maison et fermé
la porte apres elle, tous les chiens y accouroient de demy
lieue, et compisserent si bien la porte de sa maison, qu’ilz
y feirent un ruysseau de leurs urines, ou les cannes eussent
bien nagé, et c’est celluy ruysseau qui de present passe à
Sain Vi or, auquel Guobelin tain l’escarlatte, pour la
vertu specificque de ses pisse chiens, comme jadis prescha
publicquement nostre maistre d’Oribus. Ainsi vous aist
Dieu, un moulin y eust peu mouldre; non tant toutesfoys
que ceulx du Bazacle à Thoulouse.

  • 

Chapitre XXI
Comment Pantagruel partit de Paris
ouyant nouvelles que les Dipsodes
envahissoient le pays des Amaurotes. Et la
cause pourquoy les lieues sont tant petites
en France.
Peu de temps apres Pantagruel ouyt nouvelles que son
pere Gargantua avoit esté translaté au pays des phées par
Morgue, comme fut jadis Enoch et Helye, ensemble que le
bruyt de sa translation entendu, les Dipsodes estoient issuz
de leurs limites, avoient gasté un grand pays de Utopie, et
tenoient de present la grande ville des Amaurotes assiegée,
dont partit de Paris sans dire adieu à nully : car l’affaire
requeroit diligence, et s’en vint à Rouen. Or en cheminant
voyant Pantagruel que les lieues de France estoient petites
par trop au regard des aultres pays, en demanda la cause
et raison à Panurge, lequel luy dit une histoires que met
Marotus du Lac monachus es gestes des roys de Canarre.
Disant que d’ancienneté les pays n’estoient poin distin z
par lieues miliaires, ny parasanges, jusques à ce que le roy
Pharamond les distingue, ce que fut fai en la maniere que
s’ensuyt.
Car il print dedans Paris cent beaux jeunes et gallans

  • 

Chapitre XXI Pantagruel
compaignons bien deliberez, et cent belles garses picardes :
et les feit bien trai er et bien penser par hui jours puis
les appella et à un chascun sa garse avecques force argent
pour les despens, leur faisant commandement qu’ilz s’en
allassent en divers lieux par cy et par là. Et à tous les pas-
saiges qu’ilz chevaucheroient leurs garses qu’ilz missent
une pierre, et ce feroit une lieue. Par ainsi les compaignons
joyeusement partirent, et pour ce qu’ilz estoient frays et
de sejour ilz chevauchoient à chasque bout de champ et
voylà pourquoi les lieues de France sont tant petites. Mais
quand ilz eurent long chemin parfai et estoient ilz las
comme pouvres diables et qu’il n’y avoit plus d’olif en ly
caleil, ilz ne chevauchoient pas si souvent et se conten-
toient bien (jentends quant aux hommes) de quelque mes-
chante paillarde foys le jour. Et voylà qui fai les lieues
de Bretaigne, d’Elanes, d’Allemaignes, et aultres pays plus
esloignez, si grandes. Les aultres mettent d’aultres raisons
mais celle là me semble la meilleure. A quoy consentit
voulentiers Pantagruel.
Partans de Rouen arriverent à Hommefleur où se mirent
sur mer Pantagruel, Panurge, Epistemon, Eusthenes, et Car-
palim. Auquel lieu attendant le vent propice et calfretant
leur nef receut d’une dame de Paris (laquelle il avoit en-
tretenu bonne espace de temps) unes lettres inscrites au
dessus. Au plus aymé des belles, et moins loyal des preux,
P N T G R L. Laquelle inscription leue il fut bien esbahy, et
demandant au messagier le nom de celle qui l’avoit envoyé,
ouvrit les lettres et riens ne trouva dedans escript, mais
seulement un aneau d’or avecques un Dyament en table. Et
lors appella Panurge et luy monstra le cas.

  • 

Chapitre XXI Pantagruel
A quoy Panurge luy dist, que la feuille de papier estoit
escripte, mais c’estoit par telle subtilité que l’on n’y veoit
point d’escripture. Et pour le sçavoir, la mist aupres du
feu pour veoir si l’escripture estoit fai e avecques du sel
Ammoniac destrempé en eau. Puis la mist dedans de l’eau
pour sçavoir si la letre estoit escripte du suc de Tithymalle.
Puis la monstra à la chandelle, si elle estoit point escripte
du ius d’oingnons blans. Puis en frotta une partie de huyle
de noix, pour veoir si elle estoit point escripte de lexif de
figuyer. Puis en frotta un coing de cendres d’un nic de
Arondelles, pour veoir si elle estoit escripte de la rousée
qu’on trouve dedans les pommes de Alicacabut. Puis en
frotta un aultre bout de la sanie des oreilles, pour veoir si
elles estoit escripte de fiel de corbeau. Puis les trempa en
vinaigre pour veoir si elle estoit escripte de lai d’espurge.
Puis les greffa d’ayunge de souriz chauves, pour veoir si elle
estoit escripte avecques sperme de baleine qu’on appelle
ambre grys. Puis la mist tout doulcement dedans un bassin
d’eau fraische, et soubdain la tira pour veoir si elle estoit
escripte avecques alum de plume.
Et voyant qu’il n’y congnoissoit riens, appella le messa-
gier et luy demanda :
« Compaing la dame qui t’a icy envoyé, t’a elle
point baillé de baston pour apporter ? »
pensant que ce feut la finesse que met Aulle Gelle, et le
messagier luy respondit « Non monsieur. » Adoncques Pa-
nurge luy voulut faire raire les cheveulx pour sçavoir si
la dame avoit point fai escrire avecques fort moret sur
sa teste raise, ce qu’elle vouloit mander : mais voyant que

  • 

Chapitre XXI Pantagruel
ses cheveulx estoient fort grans, il s’en desista, considerant
qu’en si peu de temps ses cheveulx n’eussent pas creuz si
longs.
Alors dit à Pantagruel :
« Maistre par les vertuz dieu je n’y sçauroys que
faire ny dire. Je ay employé pour congnoistre si
rien y a icy esté escript, une partie de ce qu’en
met Messere Francesco di Nianto le Thuscan
qui a escript la maniere de lire lettres non ap-
parentes : et ce que escript Zoroaster peri gram-
maton acriton. Et Calphurnius bassus de literis
illegibilibus, mais je n’y voy riens, et croy qu’il
n’y a aultre chose que l’aneau. Or le voyons. »
Lors en le regardant trouverent escript par le dedans
en hebrieu Lamah hazabtani, dont appellerent Epistemon,
luy demandant que c’estoit à dire ? A quoy respondit que
c’estoit un nom hebraicque signifiant, pourquoy me as tu
laissé : dont soubdain replicque Panurge,
« Jentends le cas, voyez vous ce dyament, c’est
un dyament faulx. Telle est doncques l’exposi-
tion de ce que veult dire la dame. Dy amant
faulx pourquoy m’as tu laissée ? »
Laquelle exposition entendit Pantagruel incontinent : et
luy souvint comment à son departir il n’avoit point dit
à dieu à la dame et s’en contristoit, et voulentiers feust
retourné à Paris pour faire la paix avecques elle. Mais
Epistemon luy reduyt à memoire le departement de Eneas
d’avecques Dido, et le di de Heraclides Tarentin, qu’à la
navire restant à l’ancre, quand la necessité presse, il fault

  • 

Chapitre XXI Pantagruel
coupper la chorde plus tost que perdre temps à la delyer.
Et qu’il debvoit laisser tous pensemens pour parvenir à la
ville de sa nativité, qui estoit en dangier.
De fai une heure apres se leva le vent nommé Nord-
nordwest auquel ilz donnerent pleines voilles et prindrent
la haulte mer, et en briefz jours passans par Porto san o, et
par Medere, firent scalle es isles de Canarre. De là partant
passerent par Cap blanco, par Senege, par Cap Virido, par
Gambre, par Sagres, par Melli, par le Cap de bona spe-
rantza, piedsmont scalle au royaulme de Melinde, de là
partant firent voile au vent de la transmontane, et passant
par Meden, par Uti, par Uden, par Gelasim, par les isles
des phées, iouxte le royaulme de Achorie, distant de la ville
des Amaurotes de troys lieues, et quelque peu davantaige.
Et quand ilz furent en terre quelque peu refraischiz. Pan-
tagruel dist :
« Enfans la ville n’est pas si loing d’icy, devant
que marcher oultre il feroit bon de deliberer ce
qu’est à faire, affin que ne semblons es Athe-
niens qui ne consultoient jamais sinon apres
le cas. N’estes vous pas deliberez de vivre et
mourir avecques moy ?
— Seigneur ouy, dirent ilz tous, et vous tenez
asseuré de nous, comme de voz doigts propres.
— Or (dist il) il n’y a qu’un poin que me tiengne
suspend et doubteux, c’est que je ne sçay en
quel ordre, ny en quel nombre sont les enne-
mys qui tinnent la ville assiegée : car quand je
le sçauroys, je m’y en iroys en plus grande as-

  • -

Chapitre XXI Pantagruel
seurance, par ce advisons ensemble du moyen
comment nous le pourrons sçavoir. »
A quoy tous ensemble dirent,
« Laissez nous y aller veoir, et nous attendez
icy : car pour tout le jourd’huy nous vous en
apporterons nouvelles certaines.
— Moy, dist Panurge, Jentreprends d’entrer en
leur camp par le meillieu des gardes et du guet,
et bancqueter avecques eulx à leurs despens,
sans estre congneu de nully, et de visiter l’ar-
tillerie, les tentes de tous les capitaines et me
prelasser par les bandes sans jamais estre des-
couvert car le diable ne m’affineroit pas, car je
suis de la lignée de Zopyrus.
— Moy, dist Epistemon, je sçay tous les strata-
gemates et prouesses des vaillans capitaines et
champions du temps passé, et toutes les ruses
et finesses de discipline militaire, je iray, et en-
cores que feusse descouvert et decelé, jeschap-
peray en leur faisant croire de vous tout ce que
me plaira : car je suis de la lignée de Sinon.
— Moy, dist Eusthenes, je entreray par atra-
vers leurs tranchées, maulgré le guet et tous
les gardes : car je leur passeroy sur le ventre
et leur rompray bras et jambes, et feussent ilz
aussi fors que le diable : car je suis de la lignée
de Hercules.
— Moy, dist Carpalim, je y entreray si les oy-
seaulx y entrent : car jay le corps tant allaigre

  • 

Chapitre XXI Pantagruel
que je auray saulté leurs tranchées et percé
oultre tout leur camp, devant qu’ilz me ayent
apperceu. Et ne crains ny trai , ny flesche, ny
cheval tant fois legier et feusse Pegasus de Per-
seus, ou Pacollet, que devant eulx je n’eschappe
guaillart et sauf. Jentreprens de marcher sur les
espiz de bled, sur l’herbe des prez, sans qu’elle
flechisse dessoubz moy : car je suis de la lignée
de Camille Amazone. »

  • 

Chapitre XXII
Comment Panurge, Carpalim, Eusthenes,
et Epistemon,compaignons de Pantagruel,
desconfirent six cent soixante chevaliers
bien subtilement.
Ainsi qu’il disoit cela ils vont adviser six cent soixante
chevaliers montez à l’advantage sur chevaux legers, qui
accouroient là veoir quelle navire c’estoit qui estoit de nou-
veau abordée au port, et couroient à bride avallée pour les
prendre s’ilz eussent peu. Lors dist Pantagruel :
« Enfans retirez vous en la navire : car voicy
de noz ennemys qui accourent, mais je vous les
tueray icy comme bestes et feussent ilz dix foys
autant : ce pendant retirez vous, et en prenez
vostre passe temps. »
Adonc respondit Panurge :
« Non seigneur, il n’est pas de raison que ainsi
faciez : mais au contraire retirez vous en la na-
vire et vous et les aultres. Car moy tout seul
les desconfiray icy : mais y ne fault pas tarder,
avancez vous. »
A quoy dirent les aultres,

  • 

Chapitre XXII Pantagruel
« c’est bien dist. Seigneur retirez vous, et nous
ayderons icy Panurge, et vous congnoistrez que
nous sçavons faire. »
Adoncq Pantagruel dist :
« Or je le veulx bien, mais au cas que feussiez
les plus foybles, je ne vous fauldray. »
Alors Panurge tira deux grandes chordes de la nef, et les
atacha au tour qui estoit sur le tillac, et les mist en terre et
en fist un long circuyt, l’un plus loin, l’aultre dedans cestuy
là. Et dist à Epistemon,
« entre vous en dedans la navire, et quand je
vous sonneray tournez le tour diligentement en
ramenant à vous ces deux chordes. »
Puis dist à Eusthenez et à Carpalim :
« Enfans attendez icy et vous offrez à ces en-
nemys franchement, et obtemperez à eulx et
fai es semblant de vous rendre : mais advisez,
que n’entrez point au cerne de ces chordes, reti-
rez vous tousjours hors. »
Et incontinent entra dedans la navire, et print un fes
de paille et une botte de pouldre de canon et l’espandit
par le cerne des chordes, et à tout une migraine de feu se
tint aupres. Tout soubdain arriverent à grande force les
chevaliers, et les premiers chocquerent jusques au pres de
la navire, et par ce que le rivage glissoit, tumberent eulx et
leurs chevaulx jusques au nombre de quarante et quatre.
Quoy voyans les aultres approcherent pensans qu’on leur
eust resisté à l’arrivée. Mais Panurge leur dist :

  • 

Chapitre XXII Pantagruel
« Messieurs je croy que vous soyez fai mal,
pardonnez le nous : car ce n’est pas de nous,
mais c’est de la lubricité de l’eau de mer, qui
est tousjours un ueuse. Nous nous rendons à
vostre bon plaisir : »
autant en dirent les deux compaignons et Epistemon qui
estoit sur le tillac, et ce pendant Panurge s’esloignoit et
veoit que tous estoient dedans le cerne des chordes, et que
ses deux compaignons s’en estoient esloignez faisant place
à tous ces chevalliers qui à foulle alloient pour veoir la
nef et qui estoit dedans, dont tout soubdain crya à Epis-
temon, « tire tire. » A quoy Epistemon commença de tirer
au tour, et les deux chordes se se vont empestrer entre les
chevaulx et les ruyoent par terre bien aysement avecques
les chevaucheurs : mais eulx ce voyant tirerent à l’espée et
les vouloient desfaire, dont Panurge met le feu en la trainée
et les fist tous là brusler comme ames damnées, hommes
et chevaulx nul n’en eschappa, exepté un qui estoit monté
sur un cheval turcq, qui gaingnoit à fuyr : mais quand
Carpalim l’apperceut, il courut apres en telle hastiveté et
allaigresse qu’il le attraipa en moins de cent pas, et saul-
tant sur la croupe de son cheval l’embrassa par derriere et
l’amena en la navire.
Ceste desconfiture parachevée Pantagruel fut bien joyeux,
et loua merveilleusement l’industrie de ses compaignons, et
les fit refraischir et bien repaistre sur le rivage joyeusement
et boire d’autant le ventre contre terre, et leur prisonnier
avecques eulx familierement : sinon que le pouvre diable
n’estoit point asseuré que Pantagruel ne le devorast tout

  • 

Chapitre XXII Pantagruel
entier, ce qu’il eust fai , tant il avoit la gorge large, aussi
facilement que feriez un grain de dragée, et ne luy eust
monstré en sa bouche non plus qu’un grain de mil en la
gueulle d’un asne.
Ainsi qu’ilz bancquetoient Carpalim dist :
« Et ventre sain Quenet ne mangerons nous
jamais de venaison ? Ceste chair sallée me altere
tout. Je m’en voys vous apporter icy une cuysse
de ces chevaulx que avons fai brusler, elle sera
assez bien roustie. »
Tout ainsi qu’il se levoit pour ce faire apperceut à l’orée
du boys un beau grand gras chevreul, qui estoit yssu du
fort voyant le feu de Panurge, à mon advis. Et incontinent
se mist apres à courir de telle roiddeur, qu’il sembloit que
feust un carreau d’arbaleste, et l’atrapa en moins d’un riens,
et en courant print de ses mains en l’air quatre grandes
otardes, six bitars, vingt et six perdrix grises, et trente et
deux pigeons ramiers, et en courant tua des pieds dix ou
douze que chevraulx que lapins qui jà estoient hors de page.
Doncq il frappa le chevreul de son malcus à travers la teste
et le tua, et en l’apportant recueillit ses levraulx.
Et de tant loing que peust estre ouy, il s’escrya, disant.
« Panurge mon amy, vinaigre vinaigre. » Dont pensoit le
bon Pantagruel, que le cueur luy fit mal, et commanda
qu’on luy apprestat du vinaigre : mais Panurge entendit
bien, qu’il y avoit levrault au croc, et de fai le monstra au
noble Pantagruel comment il portoit à son col un beau che-
vreul et toute sa ceinture brodée de levraulx. Incontinent
Epistemon fist deux belles broches de boys à l’anticque et

  • 

Chapitre XXII Pantagruel
Eusthenes aydoit à escorcher. Et Panurge mist deux belles
selles d’armes des chevaliers en tel ordre qu’elles servirent
de landiers, et firent leur roustisseur de leur prisonnier :
et au feu où brusloient les chevaliers, firent roustir leur
venaison. Et apres grand chere à force vinaigre, au diable
l’un qui se faignoit, c’estoit triumphe de les veoir bauffrer.
Lors dist Pantagruel,
« pleut à dieu que chascun, de vous eussent
deux paires de sonnettes de sacre au menton,
et que je eusse au mien les grosses horologes
de Renes, de Poi iers, de Tours, et de Cambray,
pour veoir l’aubade que nous donnerions au
remuement de noz badigoinces.
— Mais, dist Panurge, il vault mieulx penser de
nostre affaire un peu, et par quel moyen nous
pourrons venir au dessus de noz ennemys.
— C’est bien advisé, dist Pantagruel. »
Et pourtant demanda à leur prisonnier.
« Mon amy, dys nous icy la verité et ne nous
mens en riens, si tu ne veulz estre escorché tout
vif : car c’est moy qui mange les petitz enfans.
Contes nous entierement l’ordre, le nombre, et
la forteresse de l’armée. »
A quoy respondit le prisonnier.
« Seigneur sachez pour la verité qu’en l’armée y
a troys cens geans tous armez de pierre de taille
grans à merveilles, toutesfoys non tant du tout
que vous, excepté un qui est leur chef, et a nom

  • 

Chapitre XXII Pantagruel
Loupgarou, et est tout armé d’enclumes Cyclo-
picques. Il y a cent soixante et troys mille pie-
tons tout armez de peaulx de lutins, gens fors
et courageux : troys mille quatre cens homme
d’armes, troys mille six cens doubles canons, et
d’espingarderie sans nombre : quatre vingt qua-
torze mille pionniers : quatre cens cinquante
mille putains belles comme deesses (voylà pour
moy dist Panurge) dont les aulcunes sont Ama-
zones, les autres Lyonneses, les aultres Pari-
siennes, Tourangelles, Angevines, Poi evines,
Normandes, Allemandes, de tous pays et toutes
langues y en a.
— Voire mais (dist Pantagruel) le roy y est il ?
— Ouy seigneur, dist le prisonnier, il y est en
personne : et nous le nommons Anarche roy
des Dipsodes, qui valent autant à dire comme
gens alterez : car vous ne veistes oncques gens
tant alterez, ny beuvans plus voulentiers. Et a
sa tente en la garde des geans.
— C’est assez, dist Pantagruel. Sus enfans n’estes
vous pas deliberez d’y venir avecques moy ? »
A quoy respondit Panurge.
« Dieu confonde qui vous laissera. Jay jà pensé
comment je vous les rendray tous mors comme
porcs, qu’il n’en eschappera au diable le jarret.
Mais je me soucye quelque peu d’un cas.
— Et qu’est ce ? dist Pantagruel.

  • 

Chapitre XXII Pantagruel
— C’est, dist Panurge, comment je pourray avan-
ger à braquemarder toutes les putains qui y
sont en ceste apres disnée, qu’il n’en eschappe
pas une, que je ne passaige en forme commune.
— Ha ha ha, dist Pantagruel. »
Et Carpalim dist.
« Au diable de biterne, par dieu jen embourre-
ray quelqu’une.
— Et moy, dist Eusthenes, quoy ? qui ne dres-
say oncques puis que bougeasmes de Rouen,
au moins que l’agueille montast sur les dix ou
unze heures, voire encores que l’aye dur et fort
comme cent diables.
— Vrayment, dist Pantagruel, tu en auras des
plus grasses et des plus refai es.
— Comment dist Epistemon, tout le monde che-
vauchera et je meneray l’asne, le diable em-
port qui en fera riens. Nous ferons du droi
de guerre, qui potest capere capiat. »
Et le bon Pantagruel ryoit à tout, puis leur dist.
« Vous comptez sans vostre hoste. Jay grand
peur que devant qu’il soit nui , je ne vous voye
en estat, que n’aurez pas grand envie d’arres-
ser, et qu’on vous chevauchera à grand coup de
picque et de lance.
— Non non, dist Epistemon. Je vous les rends
à roustir ou bouillir, à fricasser ou mettre en
pasté. Ilz ne sont pas si grand nombre comme

  • 

Chapitre XXII Pantagruel
estoit Xerces : car il avoit trente cens mille com-
batans si croyez Herodote et Troge Pompone.
Et toutesfois Themistocles à peu de gens les
desconfit. Ne vous souciez pour dieu.
— Merde merde, dist Panurge. Ma seule bra-
guette espoussetera tous les hommes, et sain
Balletrou qui dedans y repose, decrottera toutes
les femmes.
— Sur doncques enfans, dist Pantagruel, com-
mençons à marcher. »

  • -

Chapitre XXIII
Comment Pantagruel erigea un Trophée
en memoire de leur prouesse, et Panurge
un aultre en memoire des levraulx. Et
comment Pantagruel de ses petz
engendroit les petiz hommes, et de ses
vesnes les petites femmes. Et comment
Panurge rompit un gros baston sur deux
verres.
« Devant que partons d’icy, dist Pantagruel, en
memoire de la prouesse que avez presentement
fai je veulx eriger en ce lieu un beau Tro-
phée. »
Adoncques un chascun d’entre eulx en grand liesses
et petites chansonnettes villaticques dresserent un grand
boys, auquel y pendirent une selle d’armes, un chamfrain
de cheval, des pompes, des estrivieres, des esperons, un
haubert, un hault appareil asseré, une hasche, un estoc
d’armes, un gantelet, une masse, des goussetz, des greues,
un gorgery, et aussi de tout appareil requis à un Arc trium-
phal ou Trophée. Puis en memoire eternelle escrivit Panta-
gruel le di on vi orial, comme s’ensuyt.

  • 

Chapitre XXIII Pantagruel
Ce fut icy que apparut la vertuz
De quatre preux et vaillans champions,
Qui non d’harnoys, mais de bon sens vestuz
Comme Fabie, ou les deux Scipions,
Firent six cens soixante morpions
Puissans ribaulx, brusler comme une escorce :
Prenez y tous roys, ducz, rocz, et pions
Enseignement, que engin mieulx vault que force.
Car la vi oire
Comme est notoire,
Ne gist qu’en heur.
Du consistoire,
Où regne en gloire
Le hault seigneur,
Vient, non au plus fort ou greigneur :
Mais à qui luy plaist, com fault croire :
Doncq a et chevance et honneur
Cil qui par foy en luy espoire.
En ce pendant que Pantagruel escrivoit les carmes sus-
di z Panurge emmancha en un grand Pal les cornes du
chevreul, et la peau, et le pied droi de devant d’iceluy.
Puis les oreilles de troys levraulx, et le rable d’un lapin, les
manidbules d’un lievre, les aesles de deux bitars, les piedz
de quatre ramiers, une guedofle de vinaigre, une corne où
ilz mettoient le sel, leur broche de boys, une lardouere,
un meschant chaudron tout pertuysé, une breusse où ilz
saulsoient, une saliere de terre, et un goubelet de Beauvoys.
Et en imitation des vers et Trophée de Pantagruel escrivit
ce que s’ensuyt.

  • 

Chapitre XXIII Pantagruel
Ce fut icy, que à l’honneur de Bacchus
Fut bancqueté par quatre bons pyons :
Qui gayement, tous mirent abaz culz
Soupples de rains comme beaux carpions :
Lors y perdit rables et cropions
Maistre levrault, quand chascun si efforce :
Sel et vinaigre, ainsi que Scorpions
Le poursuyvoient, dont en eurent l’escorce.
Car l’inventoire
D’un defensoire
En la chaleur,
Ce n’est qu’à boire
Droit et net, boire
Et du meilleur :
Mais manger levrault, c’est malheur
Sans de vinaigre avoir memoire :
Vinaigre est son ame et valeur,
Retenez le en point peremptoire.
Lors dist Panstagruel.
« Allons enfans, c’est trop musé icy à la viande :
car à grand peine voit on arriver, que grans
bancqueteurs facent beaux fai z d’armes. Il
n’est umbre que d’estandart, il n’est fumée que
de chevaulx, et n’est clycquetis que de harnoys. »
A quoy respondit Panurge.
« Il n’est umbre que de cuysine. Il n’est fumée
que de tetins, et n’est clycquetis que de couillons. »
Puis se levant fist un pet, un sault, et un sublet, et crya à
haulte voix joyeusement : « vive tousjours Pantagruel. »

  • 

Chapitre XXIII Pantagruel
Ce que voyant Pantagruel en voulut autant faire, mais
du pet qu’il fist, il engendra plus de cinquante mille petitz
hommes nains et contrefai z : et d’une vesne engendra
autant de petties femmes acropies comme vous en voyez
en plusieurs lieux, qui jamais ne croissent, sinon comme
les quehues de vache, contre bas, ou bien comme les rabbes
de Lymousin, en rond.
« Et quoy, dist Panurge, vos petz sont ilz tant
fru ueux ? Par dieu voicy de belles savates d’hommes,
et de belles vesses de femmes, il les fault ma-
rier ensemble. Ils engendreront des mousches
bovynes. »
Ce que fist Pantagruel : et les nomma Pygmées. Et les
envoya vivre en une ville là aupres, où ilz se sont fort mul-
tipliez depuis. Mais les Grues leur font continuellement la
guerre. Desquelles ilz se defendent courageusement, car
ces petitz boutz d’hommes (lesquelz en Escosse l’on ap-
pelle manches d’estrilles) sont voulentiers cholericques. La
raison physicale est par ce qu’ilz ont le cueur pres de la
merde.
En ceste mesme heure Panurge print deux verres qui là
estoient tous deux d’une grandeur, et en mist l’un sur une
escabelle, et l’aultre sur une aultre les esloignant à part
par la distance de cinq pieds puis apres print le futz d’une
javeline de la grandeur de cinq pieds et demy, et le mist
dessus les deux verres, en sorte que les deux boutz du futz
touchoient justement les bors des verres. Cela fai print
un gros pau, et dist à Pantagruel et es aultres.
« Messieurs considerez comment nous aurons

  • 

Chapitre XXIII Pantagruel
vi oire facilement de nos ennemys. Car tout
ainsi comme je rompray ce futz icy dessus les
verres sans que les verres en soient en riens
rompuz ny brisez, encores qui plus est, sans
qu’une seulle goutte d’eau en sorte dehors : tout
ainsi nous romprons la teste à nos Dipsodes,
sans ce que nul de nous soit blessé, et sans perte
aulcune de noz besoignes. Mais affin que ne
pensez qu’il y ait enchantement, tenez, dist il à
Eusthenes, frappez de ce pau tant que pourrez
au meillieu. »
Ce que fist Eusthenes, et le futz rompit en deux pieces
tout net, sans qu’une goutte d’eau tombast des verres. Puis
dist, « jen sçay bien d’aultres, allons seulement en asseu-
rance. »

  • 

Chapitre XXIV
Comment Pantagruel eut vi oire bien
estrangement des Dipsodes, et des geans.
Apres tous ces propos Pantagruel appella leur prisonnier
et le renvoya, disant.
« Va t’en à ton roy en son camp, et luy dys nou-
velles de ce que tu as veu, et qu’il delibere de
me festoyer demain sur le midy : car inconti-
nent que mes galleres seront venues, qui sera
de matin au plus tard. Je luy prouveray par dix
huy cens mille combatans et sept mille geans
tous plus plus grans que tu ne me veoys, qu’il a
fai follement et contre raison de affaiblir ainsi
mon pays. »
En quoy faingnoit Pantagruel qu’il eust son armée sur
mer. Mais le prisonnier respondit qu’il se rendoit son es-
clave et qu’il estoit content de jamais ne retourner à ses
gens, mais plus tost combatre avecques Pantagruel contre
eulx, et pour dieu qu’ainsi le permist. A quoy Pantagruel
ne voulut consentir, ains luy commanda que partist de là
briesvement et allast ainsi qu’il avoit dist : et luy bailla
une boette pleine de euphorbe et de grains de coccognide,
luy commandant la porter à son roy et luy dire que s’il en
povoit manger une once sans boire, qu’il pourroit à luy

  • 

Chapitre XXIV Pantagruel
resister sans peur. Adonc le prisonnier le supplya à join es
mains qu’à l’heure de la bataille il eust de luy pitié, dont
luy dist Pantagruel.
« Apres que tu auras annoncé à ton roy, Je ne
te dys pas comme les caphars Ayde toy dieu te
aydera : car c’est au rebours ayde toi, le diable
te rompra le col. Mais je te dys, metz tout ton
espoir en dieu, et il ne te delaissera point. Car
de moy encores que soye puissant comme tu
peuz veoir, et aye gens infiniz en armes, toutes-
fois je n’espere point en ma force, ny en mon
industrie : mais toute ma fiance est en dieu mon
prote eur, lequel jamais ne delaisse ceulx qui
en luy ont mys leur espoir et pensée. »
Ce fai , le prisonnier s’en alla : et Pantagruel dist à ses
gens.
Enfans jay donné à entendre à ce prisonnier que
nous avons armée sur mer, ensemble que nous
ne leur donnerons l’assault que jusques à de-
main sur le midy, à celle fin qu’eulx doubtans la
grande venue de gens, cette nuy se occupent
à mettre en ordre et soy remparer : mais en ce
pendant mon intention est que nous chargeons
sur eulx environ l’heure du premier somme. »
Mais laissons icy Pantagruel avecques les Apostoles. Et
parlons du roy Anarche et de son armée.
Quand doncques le prisonnier fut arrivé il se transporta
vers le Roy, et luy compta comment il estoit venu un grand
geant nommé Pantagruel qui avoit desconfit et fai roustir

  • 

Chapitre XXIV Pantagruel
cruellement tous les six cens cinquante et neuf chevaliers,
et luy seul estoit saulve pour en porter les nouvelles. Da-
vantaige avoit charge dudi geant de luy dire qu’il luy
aprestast au lendemain sur le midy à disner : car il se deli-
beroit de le envahir à ladi e heure.
Puis luy bailla celle boette ou estoient les confi ures.
Mais tout soubdain qu’il en eut avallé une cueillerée il luy
vint un tel chauffement de gorge avecques ulceration de la
luette, que la langue luy pela. Et pour le remede ne trouva
allegement quiconques sinon de boire sans remission : car
incontinent qu’il ostoit le goubelet de la bouche, la langue
luy brusloit. Par ainsi l’on ne faisoit que luy entonner vin
avecques un embut. Ce que voyans les capitaines Baschatz,
et gens de garde, tastirent desdi es drogues pour esprou-
ver si elles estoient tant alteratives : mais y leur en print
comme à leur Roy. Et tous se mirent si bien à flaconner, que
le bruyt en vint par tout le camp, comment le prisonnier
estoit de retour, et qu’ilz debvoient avoir au lendemain
l’assault, et qu’à ce jà se preparoit le roy et les capitaines
ensemble les gens de la garde, et ce par boire à tyrelarigot.
Parquoy un chascun de l’armée se mist à martiner, cho-
piner, et tringuer de mesmes. Somme ilz beurent si bien,
qu’ilz s’endormirent comme porcz sans nul ordre parmy le
camp.
Or maintenant retournons au bon Pantagruel, et racomp-
tons comment il se porta en cest affaire. Partant du lieu du
Trophée, print le mast de leur navire en sa main comme un
bourdon, et mist dedans la hune deux cens trente et sept
poinsons de vin blanc d’Aniou du reste de Rouen, et atacha
à sa cein ure la barque tout pleine de sel aussi aysement

  • 

Chapitre XXIV Pantagruel
comme les lansquenests portent leurs petitz peniers. Et
ainsi se mist à chemin avecques ses compaignons. Et quand
il fut pres du camp des ennemys, Panurge luy dist.
« Seigneur voulez vous bien faire? Devallez ce
vin blanc d’Aniou de la hune, et beuvons icy à
la Tudesque. »
A quoy se condescendit voulentiers Pantagruel, et beurent
si bien qu’il n’y demoura la seule goutte des deux cens
trente et sept poinsons excepté une ferriere de cuir bouilly
de Tours que Panurge emplyt pour soy : Car il l’appeloit
son vademecum, et quelques meschantes baissieres pour le
vinaigre.
Apres qu’ilz eurent bien tiré au chevrotin, Panurge donna
à manger à Pantagruel quelque diable de drogues compo-
sées de trochitz d’alkekangi et de cantharides, de lithon-
tripon, nephrocatariicon, coudinar cantharidize et aultres
especes diureticques.
Ce fai Pantagruel dist à Carpalim,
« Allez vous en la ville en gravant comme un
rat la muraille, comme bien sçavez faire, et leur
di es qu’à heure presente ilz sortent et donnent
sur les ennemys tant roiddement qu’ilz pour-
ront : et ce dit, descendez vous en, prenant une
torche allumée, avecques laquelle vous mettrez
le feu dedans toutes les tentes et pavillons du
camp : et ce fai , vous cryerez tant que pourrez
de vostre grosse voix, qui est plus espovantable
que n’estoit celle de Stentor qui fut ouy par sur
tout le bruit de la bataille des Troyans, et vous

  • 

Chapitre XXIV Pantagruel
en partez dudi camp.
— Voire mais, dist Carpalim, seroit ce pas bon
que je enclouasse toute leur artillerie ?
— Non non, dist Pantagruel, mais bien mettez
le feu en leur pouldres. »
A quoy obtemperant Carpalim partit soubdain et fist
comme avoit esté decreté par Pantagruel, et sortirent de la
ville tous les combatans qui y estoient.
Et lors qu’il eut mys le feu par les tentes et pavillons,
passoit legierement par sur eulx sans qu’ilz en sentissent
rien tant ilz ronfloient et dormoient parfondement. Il vint
au lieu où estoit l’artillerie et mist le feu en leurs munitions.
Mais, o la pitié, le feu fut si soubdain qu’il cuyda embraser
le pouvre Carpalim. Et n’eust esté sa merveilleuse hastiveté
et celerité, il estoit fricassé : mais il s’en partit si roiddement
qu’un carreau d’arbaleste ne va pas plus tost.
Et quand il fut hors des tranchées il s’escrya si espo-
vantablement, qu’il sembloit que tous les diables feussent
deschainés. Auquel son s’esveillerent les ennemys, mais
sçavez vous comment ? aussi estourdys que le premier son
de matines, qu’on appelle en Lussonoys, frotecouille.
Et ce pendant Pantagruel commença à semer le sel qu’il
avoit en sa barque, et par ce qu’ilz dormoient la gueule
baye et ouverte, il leur en remplit tout le gouzier, tant que
ces pouvres haires toussissoient comme regnards, cryans.
« Ha Pantagruel, tant tu nous chauffes le tizon. »
Mais tout soubdain print envie à Pantagruel de pisser,
à cause des drogues que luy avoit baillé Panurge, et pissa
parmy leur camp si bien et copieusement qu’il les noya

  • -

Chapitre XXIV Pantagruel
tous : et y eut deluge particulier dix lieues à la ronde. Et dit
l’histoire, que si la grand jument de son pere y eust esté et
pissé pareillement, qu’il y eust eu deluge plus enorme que
celluy de Deucalion : car elle ne pissoit foys qu’elle ne fist
une riviere plus grande que n’est le Rosne. Ce que voyans
ceulx qui estoient issuz de la ville, disoient.
Ilz sont tous mors cruellement, voyez le sang courir.
Mais ilz y estoient trompez, pensans de l’urine de Panta-
gruel que feust le sang des ennemys : car ilz ne le veoyent
sinon au lustre du feu des pavillons et quelque peu de
clarté de la lune. Les ennemys apres soy estre reveillez
voyans d’un cousté le feu en leur camp, et l’inundation et
deluge urinal, ne sçavoient que dire ny que penser. Aulcuns
disoient que c’estoit la fin du monde et le jugement final,
qui doibt estre consommé par le feu : les aultres, que les
dieux marins, Neptune et les aultres, les persecutoient : et
de fai c’estoit eau marine et sallée.
O qui pourra maintenant racompter comment se porta
Pantagruel contre les troys cens geans. O ma muse, ma
Calliope, ma thalye, inspire moy à ceste heure, restaure mes
espritz : car voicy le pont aux asnes de Logicque, voicy le
tresbuchet, voicy la difficulté de povoir exprimer l’horrible
bataille qui fut fai e. A la mienne voulenté que je eusse
maintenant un boucal du meilleur vin que beurent jamais
ceulx qui liront ceste histoire tant veridicque.

  • 

Chapitre XXV
Comment Pantagruel deffit les troys cens
geans armez de pierre de taille, Et
Loupgarou leur capitaine.
Les geans voyans que tout leur camp estoit submergé,
emporterent leur roy Anarche à leur col le mieulx qu’ilz
peurent hors du fort, comme fist Eneas son pere Anchises
de la conflagration de Troye. Lesquelz quand Panurge ap-
perceut, dist à Pantagruel.
Seigneur voilà les geans qui sont issuz, don-
nez dessus de vostre mast gualantemment à la
vieille escrime. Car c’est à ceste heure qu’il se
fault monstrer homme de bien. Et de nostre
cousté nous ne vous fauldrons point. Et har-
diment que je vous en tueray beaucoup. Car
quoy ? David tua bien Goliath facillement. Moy
doncques qui en battroys douze telz qu’estoit
David : car en ce temps là ce n’estoit qu’un petit
chiart, n’en defferay je pas bien une douzaine.
Et puis ce gros paillard de Eusthenes qui est
fort comme quatre bœufz, ne s’y espargnera
pas. Prenez courage, chocquez à travers d’estoc
et de taille.

  • 

Chapitre XXV Pantagruel
— Or, dist Pantagruel, de couraige jen ay pour
plus cinquante frans. Mais quoy ? Hercules ne
osa jamais entreprendre contre deux.
— C’est, dist Panurge, bien chien chié en mon
nez, vous comparez vous à Hercules ? vous avez
plus de force aux dentz, et plus de sens au cul,
que n’eut jamais Hercules en tout son corps et
ame. Autant vault l’homme comme il s’estime. »
Et ainsi qu’ilz disoient ces parolles, voicy arriver Loupga-
rou avecques tous ses geans. Lequel voyant Pantagruel tout
seul fut esprins de temerité et oultrecuydance, par espoir
qu’il avoit de occire le pouvre Pantagruel, dont dist à ses
compaignons geans.
« Paillars de plat pays, par Mahon si nul de vous
entreprent de combatre contre ceulx qui sont
icy, je vous feray mourir cruellement. Je veulx
que me laissez combatre tout seul : ce pendant
vous aurez vostre passetemps à nous regarder. »
Adonc se retirerent tous les geans avecques leur roy là
aupres où estoient les flaccons, et Panurge et ses compai-
gnons avecques eulx, qui contrefaisoit ceulx qui ont eu la
verolle : car il tortoit la gueule et retiroit les doigts, et en
parolle enrouée leur dist.
« Je renye dieu compaignons, nous ne faisons
point la guerre, donnez nous à repaistre avecques
vous ce pendant que nos maistres s’entrebattent. »
A quoy voulentiers le roy et les geans se consentirent,
et les firent bancqueter avecques eulx. Et ce pendant Pa-
nurge leur contoit des fables, et les exemples de sain

  • 

Chapitre XXV Pantagruel
Nicolas. Alors Loupgarou s’adressa à Pantagruel avecques
une masse toute d’acier pesante neuf mille sept cens quin-
taux d’acier de Calibbes, au bout de laquelle y avoit treize
poin es de dyamens, dont la moindre estoit aussi grosse
comme la plus grand cloche de nostre dame de Paris, il s’en
failloit par avanture l’espesseur d’un ongle, ou au plus que
je mente, d’un do de ces couteaulx qu’on appelle couppeo-
reille : mais pour un petit, ne avant ne arriere. Et estoit
phée en la maniere que jamais ne povoit rompre, mais au
contraire, tout ce qu’il en touchoit rompait incontinent.
Ainsi doncques comme il approchoit en grand fierté,
Pantagruel je ant les yeulx au ciel se recommanda à dieu
de bien bon cueur, faisant veu tel comme s’ensuyt.
« Seigneur dieu qui tousjours a esté mon pro-
te eur et mon servateur, tu voys la destresse
en laquelle je suis maintenant. Riens icy ne me
amene, sinon zele naturel comme tu as concedé
es humains de garder et defendre soy, leurs
femmes, enfans, pays, et famille en cas que ne
seroit ton negoce propre, qui est la foy : car en
tel affaire tu ne veulx nul coadiuteur : sinon
de confession catholicque, et ministere de ta
parolle : et nous as defenduz toutes armes et
defenses : car tu es le tout puissant, qui en ton
affaire propre, et où ta cause propre est tirée
en a ion, te peulx defendre trop plus qu’on
ne sçauroit estimer : toy qui as milliers de cen-
taines de millions de legions d’anges, duquel le
moindre peut occire tous les humains, et tour-

  • 

Chapitre XXV Pantagruel
ner le ciel et la terre à son plaisir, comme bien
appareut en l’armée de Sennacherib. Doncques
s’il te plaist à ceste heure me estre en ayde
comme en toy seul est ma totalle confiance et es-
poir, Je te fays veu que par toutes contrées tant
de ce pays de Utopie que d’ailleurs où je au-
ray puissance et au orité, Je feray prescher ton
sain Evangile, purement, simplement, et en-
tierement, si que les abuz d’un tas de papelars
et faulx prophetes, qui ont par constitutions hu-
maines et inventions depravées envenimé tout
le monde, seront d’entour moy exterminées. »
Et alors fut ouye une voix du ciel, disant.
« Hoc fac, et vinces : »
c’est à dire.
« Fays ainsi, et tu auras vi oire. »
Ce fai voyant Pantagruel que Loupgarou approchoit la
gueulle ouverte, vint contre luy hardiment et s’escrya tant
qu’il peut. « A mort ribault à mort, » pour luy faire peur,
selon la discipline des Lacedemoniens, par son horrible cry.
Puis luy getta la barque, qu’il portoit à sa cein ure, plus
de dix et huit cacques de sel, dont il luy emplit et gorge et
gouzier, et le nez et les yeulx. Dont irrité Loupgarou luy
lancea un coup de sa masse, luy voulant rompre la cervelle.
Mais Pantagruel fut abille et eut tousjours bon pied et bon
oeil, par ce demarcha du pied gauche un pas en arriere,
mais il ne sceut si bien faire que le coup ne tombast sur sa
barque, laquelle rompit en six pieces et versa le reste du

  • 

Chapitre XXV Pantagruel
sel en terre. Quoy voyant Pantagruel desploya ses bras et
comme est l’art de la hasche, luy donna du gros bout de
son mast, en estoc au dessus de la mamelle, et retirant le
coup à gauche en taillade luy frapa entre col et collet, puis
avanceant le pied droi luy donna sur les couillons un pied
du hault bout de son mast, à quoy rompi la hune, et versa
troys ou quatre poinssons de vin qui estoient de reste. Dont
Loupgarou pensa qu’il luy incisé la vessie, et du vin que ce
feut son urine qui en sortit. De ce non content Pantagruel
vouloit redoubler au coulouer : mais Loupgarou haulsant
sa masse avancea son pas sur luy, et de toute sa force la
vouloit enfoncer sur Pantagruel, et de fai en donna si
vertement que si Dieu n’eust secouru le bon Pantagruel, il
l’eust fendu despuis le sommet de la teste jusques au fond
de la ratelle : mais le coup declina à droi par la brusque
hastiveté de Pantagruel. Et entra sa masse plus de soixante
pieds en terre à travers un gros rochier dont il feit sortir
le feu plus gros qu’un tonneau. Ce que voyant Pantagruel,
qu’il s’amusoit à tirer ladi e masse qui tenoit en terre entre
le roc, luy court sus, et luy vouloit avaler la teste tout net :
mais son mast de male fortune toucha un peu au fust de
la masse de Loupgarou qui estoit phée (comme avons dit
devant) par ce moyen son mast luy rompit à troys doigts
de la poignée. Dont il feut plus estonné qu’un fondeur de
cloches, et s’escrya.
« Ho Panurge où es tu ? »
Ce que ouyant Panurge, dist au roy et aux geans.
« Par dieu ilz se feront mal, qui ne les despar-
tira. »

  • 

Chapitre XXV Pantagruel
Mais les geans en estoient ayses comme s’ilz feussent de
nopces. Lors Carpalim se voulut lever de là pour secourir
son maistre : mais un geant luy dist.
« Par Goulfarin nepveu de Mahon, si tu bouges
d’icy je te mettray au fons de mes chausses
comme on fai d’un suppositoire, aussi bien
suis je constipé du ventre, et ne peulx gueres
cagar : sinon à force de grincer des dentz. »
Puis Pantagruel ainsi destitué de baston, reprint le bout
de son mast, en frappant torche lorgne, dessus le geant,
mais il ne luy faisait mal en plus que feriez baillant une
chiquenaude sus un mail de forgeron : et ce pendant Loup-
garou tiroit de terre sa masse et l’avoit jà tirée et la paroit
pour en ferir Pantagruel : mais Pantagruel qui estoit soub-
dain au remuement declinoit tous les coups, jusques à ce
qu’une foys voyant que Loupgarou le menassoyt, disant.
« Meschant à ceste heure te hascheray je comme
chair à patez. Jamais tu ne altereras les pouvres
gens, »
luy frappa du pied un grand coup contre le ventre, qu’il
le getta en arriere à jambes redindaines, et vous le trainoit
ainsi à l’escorche cul plus d’un trait d’arc. Et Loupgarou
s’escryoit rendant le sang par la gorge, « Mahon, Mahon,
Mahon. »
A laquelle voix se leverent tous les geans pour le secourir.
Mais Panurge leur dist,
« Messieurs n’y allez pas si m’en croyez : car
nostre maistre est fol et frappe à tors et à tra-

  • 

Chapitre XXV Pantagruel
vers, et ne regarde point où, il vous donnera
malencontre. »
Mais les geans n’en tindrent contre, voyans que Panta-
gruel estoit sans baston : et comme ilz approchoient, Pan-
tagruel print Loupgarou par les deux pieds, et du corps
de Loupgarou armé d’enclumes frappoit parmy ces geans
armez de pierre de taille, et les abattoit comme un maçon
fai de couppeaulx, que nul n’arrestoit devant luy qu’il
ne ruast contre terre, dont à la rupture de ces harnoys
pierreux fut fai un si horrible tumulte, qu’il me souvint,
quand la grosse tour de beurre qui estoit à sain Estienne
de Bourges, fondit au soleil.
Et Panurge ensemble Carpalim et Eusthenes ce pendant
esgorgetoient ceux qui estoient portez par terre. Fai es
vostre compte qu’il n’en eschappa un seul et à veoir Panta-
gruel sembloit un faulcheur, qui de la faulx (c’estoit Loup-
garou) abbatoit l’herbe d’un pré (c’estoient les geans). Mais
à ceste escrime, Loupgarou perdit la teste, ce feut, quand
Pantagruel en abbatit un, qui avoit nom Moricault Riflan-
douille, qui estoit armé à hault appareil, c’estoit de pierres
de gryphon, dont un esclat couppa la gorge tout oultre à
Epistemon : car aultrement la plus part d’entre eulx es-
toient armez à la legiere, c’estoit de pierres de tuffe, et les
aultres de pierre ardoysine.
Finablement voyant que tous estoient mors, getta le corps
de Loupgarou tant qu’il peut contre la ville, et en tombant
du coup tua un chat bruslé, une chatte mouillée, une canne
petiere, et un oyson bridé.

  • 

Chapitre XXVI
Comment Epistemon qui avoit la teste
tranchée, fut guery habillement par
Panurge. Et des nouvelles des diables, et
de damnez.
Ceste desconfite gygantale parachevée Pantagruel se re-
tira au lieu des flaccons, et appela Panurge et les aultres,
lesquelz se rendirent à luy sains et saulves, excepté Eus-
thenes qu’un des geans avoit esgratigné quelque peu au
visaige, ainsi qu’il l’esgorgetoit. Et Epistemon qui ne com-
paroit point.
Dont Pantagruel fut si dolent qu’il se voulut tuer soy-
mesmes, mais Panurge luy dist.
« Dea seigneur attendez un peu, nous le cher-
cherons entre les mors, et verrons la verité du
tout. »
Ainsi doncques comme ilz cherchoient, ilz le trouverent
tout roidde mort et la teste entre ses bras toute sanglante.
Dont Eusthenes s’escrya.
« Ha male mort, nous as tu tollu le plus parfai
des hommes. »
A laquelle voix se leva Pantagruel au plus grand deuil
qu’on veit jamais au monde : mais Panurge dist.

  • 

Chapitre XXVI Pantagruel
« Enfans ne pleurez point, il est encores tout
chault. Je vous le gueriray aussi sain qu’il fut
jamais. »
Et ce disant print la teste et la tint sus sa braguette chaul-
dement qu’elle ne print vent, et Eusthenes et Carpalim
porterent le corps au lieu où ilz avoient bancquetté : non
par espoir que jamais guerist, mais affin que Pantagruel le
veist. Toutesfois Panurge les reconfortoit, disant.
« Si je ne le guerys je veulx perdre la teste (qui
est le gaige d’un fol) laissez ces pleurs et me
aydez. »
Adonc nettoya tresbien de beau vin blanc le col, et puis la
teste : et y synapiza de pouldre de diamerdys de Aloes qu’il
portoit tousjours en une de ses fasques : apres les oignit
de je ne sçay quel oingnement, et les ajusta justement vene
contre vene, nerf contre ner, spondyle contre spondyle,
affin qu’il ne feut torty colly (car telz gens il hayssoit de
mort) et ce fai luy fist deux ou troys poins de agueille,
affin qu’elle ne tombast de rechief : puis mist à l’entour un
peu de unguent, qu’il appelloit resuscitatif.
Et soubdain Epistemon commença à respirer, puis à ou-
vrir les yeulx, puis à baisler, puis à esternuer, puis feist un
gros pet de mesnage, dont dist Panurge, « à ceste heure il
est guery asseurement : » et luy bailla à boire d’un grand
villain vin blanc avecques tout une roustie succrée.
En ceste façon fut Epistemon guery habilement, excepté
qu’il fut enroué plus de troys sepmaines, et eut un toux
seiche, dont il ne peut oncques guerir, sinon à force de
boire.

  • -

Chapitre XXVI Pantagruel
Et là commença parler, disant. Qu’il avoit veu les diables,
et avoit parlé à Lucifer familierement, et fai grand chere
en enfer, et par les champs Elisées. Et asseuroit devant tous
que les diables estoient bons compaignons. Et au regard des
damnez, il dist, qu’il estoit bien marry de ce que Panurge
l’avoit si tost revocqué en vie.
« Car je prenoys, dist il, un singulier passetemps
à les veoir.
— Comment ? dist Pantagruel.
— L’on ne les trai e pas, dist Epistemon, si
mal que vous penseriez, mais leur estat est
changé en estrange façon. Car je veis Alexandre
le grand qui repetassoit de vieilles chausses, et
ainsi gaignoit sa vie. Xerces cryoit la moustarde.
Darius estoit cureur de retrai z. Scipion Afri-
cain cryoit la lye en un sabot. Pharamond es-
toit lanternier. Hannibal estoit coquetier. Priam
vendoit les vieulx drapeaulx. Lancelot du lac
estoit escorcheur de chevaulx mors. Tous les
chevaliers de la table ronde estoient pouvres
gaignedeniers à tirer à la ramer et passer les
rivieres de Coccytus, Phlegeton, Styx, Acheron,
Lethé, quand messieurs les diables se veulent
esbattre sur l’eau comme font les bastelieres
de Lyon et Venize. Mais pour chascune pas-
sade ilz n’en ont qu’une nazarde, et sus le soir
quelque morceau de pain chaumeny. Les douze
pers de France sont là et ne font riens que je
aye veu, mais ilz gaignent leur vie à endurer

  • 

Chapitre XXVI Pantagruel
force plameuses, chinquenaudes, alouettes, et
grans coups de poing sus les dentz. He or, es-
toit fripesaulse. Paris estoit pouvre loqueteux.
Achile boteleur de foing. Cambyses muletier.
Ataxerces escumeur de potz. Neron estoit viel-
leux, et Fierabras estoit son varlet mais il luy
faisoit mille maulx, et luy faisoit manger le pain
bis, et boire le vin poulsé : et luy mangeoit et
buvoit du meilleur. Jason et Pompée estoient
goildronneurs de navires. Valentin et Orson ser-
voient aux estuves d’enfer, et estoient racleto-
retz. Giglan et Gauvain estoient pouvres por-
chiers. Geoffroy à la grand dent estoit allume-
tier. Godeffroy de Billon estoit dominotier. Dom
Pietre de Castille porteur de rogatons. Morgant
brasseur de byere. Huon de Bourdeaulx estoit
relieur de tonneaulx. Julles Cesar souillart de
cuisine. Antiochus estoit ramonneur de che-
minées. Romulus estoit rataconneur de bobe-
lins. O avien estoit ratisseur de papier. Char-
lemaigne estoit houssepaillier. Le pape Jules
crieur de petitz pastez. Jehan de Paris gresseur
de botes. Artus de Bretaigne degresseur de bon-
netz. Perceforest portoit une hotte : je ne sçay
pas s’il estoit porteur de coustretz. Nicolas pape
tiers estoit papetier. Le pape Alexandre estoit
preneur de ratz. Le pape Sixte estoit gresseur
de verolle.
— (Comment ? dist Pantagruel, y a il des verollez

  • 

Chapitre XXVI Pantagruel
de par delà ?
— Certes, dist Espitemon, Je n’en veiz oncques
tant, il y en a plus cent millons. Car croyez que
ceulx qui n’ont eu la verolle en ce monde icy,
l’ont en l’aultre.
— Cor dieu, dist Panurge, jen suis doncques
quitte : Car je ay esté jusques au trou de Ju-
bathar et remply les bondes d’Hercules, et ay
abatu des plus meures).
— Ogier de le dannoys estoit frobisseur de har-
noys. Le roy Pepin estoit recouvreur. Galien
Restauré estoit preneur de taulpes. Les quatre
filz Aymon estoient arracheurs de dentz. Me-
lusine estoit souillarde de cuisine. Matabrune
lavandiere de buées. Cleopatra estoit revende-
resse d’oignons. Helene esttoit courratiere de
chambrieres. Semyramis estoit espouilleresse
de bellistres. Dido vendoit des mousserons. Pen-
thasilée estoit croissonniere.
« En ceste façon ceulx qui avoient esté gros
seigneurs en ce monde icy, gaingnoient leur
pouvre meschante et paillarde vie là bas. Et au
contraire les philosophes, et ceulx qui avoient
esté indigens en ce monde, de par delà estoient
gros seigneurs en leur tout. Je veiz Diogenez qui
se prelassoit en magnificence avec une grand
robbe de pourpre, et un sceptre : et faisoit en-
rager Alexandre le grand, quand il n’avoit pas
bien repetassé les chausses, et le payoit en grans

  • 

Chapitre XXVI Pantagruel
coups de baston. Je veiz Patelin thresorier de
Rhadamantus qui marchandoit des petitz pas-
tez que cryoit le pape Jules : et luy demanda
combien la douzaine ?
« troys blancs, dit le pape.
— Mais dist Patelin, trois coups de
barre, baillez icy villain baillez, et en
allez querir d’aultres : »
et le pouvre pape s’en alloit pleurant, et quand
il fut devant son maistre patissier, il luy dist,
qu’on luy avoit ostez les pastez. Adonc le patis-
sier luy bailla l’anguillade si bien que la peau
n’eust riens vallu à faire cornemuses. Je veiz
maistre Jehan le mayre qui contrefaisoit du
pape, et à tous ces pouvres roys et papes de
ce monde faisoit baiser ses pieds : et en faisant
du grobis leur donnoit la benedi ion, disant.
« Gaingnez les pardons coquins, gaignez, ilz
sont à bon marché. Je vous absouz de pain et de
souppe : et vous dispense de ne valoir jamais
riens, et ne faire jamais nul bien. » Adoncq il
appela Caillete et Triboulet, et d’aultres qui leur
sembloient, disant. « Messieurs les cardinaulx
depeschez leurs bulles, et chascun un coup de
pau sus les reins : » ce que fut fai incontinent.
Je veiz maistre François Villon qui demanda à
Xerces combien la denrée de moustarde ? « un
denier, » dist Xerces, à quoy dist ledi de Vil-
lon : « Tes fiebvres quartaines villain, la blan-

  • 

Chapitre XXVI Pantagruel
chée n’en vault qu’un pinart, et tu nous faiz
icy les vivres : » et adoncques pissa dedans son
bacq, comme font les moustardiers à Paris.
— Or, dist Pantagruel, reserve nous ces beaulx
comptes à une aultre foys. Seulement dys nous
comment y sont trai ez les usuriers :
— Adoncq dist Epistemon, Je les veiz tous occu-
pez à chercher les espingles rouillées et vieulx
clous, parmy les ruisseaux des rues, comme
vous voyez que font les coquins en ce monde.
Mais le quintal de ses quinquailleries ne vault
qu’un boussin de pain, encores y en a il maul-
vaise depesche : par ainsi les pouvres malautruz
sont aulcunesfoys plus de troys sepmaines sans
manger morceau ny miette : et à travailler jour
et nui attendant la foire à venir : mais de ce
travail et de malheureté y ne leur souvient point
tant ilz sont mauldi z et inhumains, pourveu
qu’au bout de l’an ilz gaingnent quelque mes-
chant denier.
— Or, dist Pantagruel, faisons un transon de
bonne chere, et beuvons je vous en prie enfans :
car il fait beau boire. »
Lors degainnerent flaccons à tas, et des munitions du
camp feirent grand chere. Mais le pouvre roy Anarche ne
se povoit esiouyr.
« Dont dist Panurge, et de quel mestier ferons
nous monsieur du Roy icy ? affin que il soit jà
tout expert à l’art quand il sera de par delà à

  • 

Chapitre XXVI Pantagruel
tous les diables.
— Vrayment, dist Pantagruel, c’est bien advisé à
toy, or fays en à ton plaisir : je te le donne.
— Grant mercy, dist Panurge, le present n’est
pas de refus et l’ayme de vous. »

  • 

Chapitre XXVII
Comment Pantagruel entra en la ville des
Amaurotes. Et comment Panurge maria le
roy Anarche, et le feist cryeur de saulce
vert.
Apres celle vi oire merveilleuse Pantagruel envoya Car-
palim en la ville des Amaurotes dire et annoncer comment
le roy Anarche estoit prins, et tous leurs ennemys defai z.
Laquelle nouvelle entendue, sortirent au devant de luy tous
les habitans de la ville en bon ordre et en pompe trium-
phale avecques une liesse divine le conduisirent en la ville.
Et furent fai z beaulx feux de joye par toute la ville, et
belles tables rondes garnies de force vivres dressées par les
rues. Ce fut un renouvellement du temps de Saturne, tant
il fut fai alors grand chere.
Mais Pantagruel tout le Senat assemblé dist,
« Messieurs ce pendant que le fer est chault il le
fault battre, aussi devant que nous desbauscher
davantaige, je veux que allions prendre d’as-
sault tout le royaulme des Dipsodes. Par ainsi
ceulx qui avecques moy vouldront venir, se
aprestent à demain apres boire : car lors je com-
menceray à marcher. Non pas qu’il me faille

  • 

Chapitre XXVII Pantagruel
gens davantaige pour me ayder à le conquester :
car autant vaudrait il que je le tinsse desjà, mais
je voy que ceste ville est tant pleine des habi-
tans qu’ilz ne peuvent se tourner par les rues.
Docnques je les meneray comme une colonie en
Dipsodie, et leur donneray tout le pays, qui est
beau, salubre, fru ueux, et plaisant sus tous
les pays du monde, comme plusieurs de vous
sçavent qui y estes allez aultrefoys. Un chascun
de vous qui y vouldroit venir soit prest comme
jay dit. »
Ce conseil et deliberation fut divulgué par la ville, et
le lendemain se trouverent en la place devant le palays
jusques au nombre de dix huyt cens cinquante mille, sans
les femmes et petitz enfans. Ainsi commencerent à marcher
droi en Dipsodie en si bon ordre qu’ilz ressembloient es
enfans d’Israel quand ilz partirent d’Egypte pour passer la
mer rouge.
Mais devant que poursuyvre ceste entreprinse je vous
veulx dire comment Panurge trai a son prisonnier le roy
Anarche.
Il luy souvint de ce que avoit raconté Epistemon com-
ment estoient trai ez les roys et riches de ce monde par
les champs Elisées, et comment ilz gaingnoient pour lors
leur vie à vilz et salles mestiers. Pourtant un jour habilla
son di roy d’un beau petit pourpoint de toille tout des-
chiquetté comme la cornette d’un Albanoys, et de belles
chausses à la mariniere, sans soulliers : « car (disoit il) ilz
luy gasteroient la veue, » et un petit bonnet pers avecques

  • 

Chapitre XXVII Pantagruel
un grand plume de chappon. Je faux, car il m’est advis
qu’il y en avoit deux : et une belle cein ure de pers et vert,
disant que ceste livrée luy advenoit bien, veu qu’il avoit
esté pervers.
En tel point l’amena devant Pantagruel, et luy dist.
« Congnoissez vous ce rustre ?
— Non certes, dist Pantagruel.
— C’est monsieur du Roy de troys cuittes. Je
le veulx faire homme de bien : ces diables de
roys icy ne sont que beaulx, et ne sçavent ny ne
valent riens, sinon à faire des maulx es pouvres
subie z, et à troubler tout le monde par guerre
pour leur inique et detestable plaisir. Je le veulx
mettre à mestier, et le faire cryeur de saulce
vert. Or commence à cryer, Vous fault il point
de saulce vert ? »
Et le pouvre diable cryoit. « C’est trop bas, » dist Panurge,
et le print par l’oreille, disant.
« Chante plus hault, en g sol ré ut. Ainsi diable
tu as bonne gorge, tu ne fuz jamais si heureux
que de n’estre plus roy. »
Et Pantagruel prenoit tout à plaisir. Car je ose bien dire
que c’estoit le meilleur homme qui fut d’icy au bout d’un
baston. Ainsi fut Anarche bon cryeur de saulce vert. Et
deux jours apres Panurge le maria avecques une vieille
lanterniere, luy mesmes fist les nopces à belles testes de
mouton, bonnes hastilles à la moustarde, et beaulx tribars
aux ailz, dont il en envoya cinq sommades à Pantagruel,

  • 

Chapitre XXVII Pantagruel
lesquelles il mangea toutes, tant il les trouva appetissantes :
et à boire belle biscantine et beau corme. Et pour les faire
dancer, loua un aveugle qui leur sonnoit la note avecques
la vielle. Et apres disner les maena au palays et les monstra
à Pantagruel, et luy dist monstrant la mariée.
« Elle n’a garde de péter.
— Pourquoy ? dist Pantagruel.
— Par ce, dist Panurge, qu’elle est bien entom-
mée.
— Quelle parabolle est cela ? dist Pantagruel.
— Ne voyez vous pas, dist Panurge, que les chas-
taignes qu’on fai cuyre au feu, si elles sont
entieres elles petent que c’est raige : et pour les
engarder de peter l’on les entomme. Aussi ceste
mariée est bien entommée par le bas, ainsi elle
ne petera point. »
Et Pantagruel leur donna une petite loge aupres de la
basse rue, et un mortier de pierre à piller la saulce. Et frient
en ce point leur petit mesnage : et fut aussi gentil cryeur
de saulce vert que feust oncques veu en Utopie. Mais l’on
m’a dit despuis que sa femme le bat comme plastre, et le
pouvre sot ne se ose desfendre, tant il est nies.

  • -

Chapitre XXVIII
Comment Pantagruel de sa langue couvrit
toute une armée, et de ce que l’auteur veit
dedans sa bouche.
Ainsi que Pantagruel avecques toute sa bande entrerent
es terres des Dipsodes, tout le monde se rendoit à luy : et
de leur franc vouloir luy apportoient les clefz de toutes
les villes où il alloit, excepté les Almyrodes, qui voulurent
tenir contre luy, et feirent response à ses heraulx, qu’ilz ne
se rendroient point, sinon à bonnes enseignes.
« Et quoy, dist Pantagruel, en demandent ilz de
meilleures que la main au pot, et le verre au
poing ? Allons, et qu’on me les mette à sac. »
Adoncq tous se mirent en ordre comme deliberez de
donner l’assault. Mais au chemin passans une grande cam-
paigne, furent saisys d’une grosse houzée de pluye. A quoy
ilz commencerent à se tremousser et se serrer l’un l’aultre.
Ce que voyant Pantagruel leur fist dire par les capitaines
que ce n’estoit riens, et qu’il voyait bien au dessus des nues
que ce ne seroit qu’une petite venue : mais à toutes fins
qu’ilz se missent en ordre et qu’il les vouloit couvrir. Lors
se mirent en bon ordre et bien serrez. Adoncques Panta-
gruel tira la langue seulement à demy, et les en couvrit

  • 

Chapitre XXVIII Pantagruel
comme une gelline fai ses poulletz.
Ce pendant je qui vous fays ces tant veritables contes,
m’estoys caché dessoubz une feuille de Bardane, qui n’estoit
point moins large que l’arche du pont de Monstrible : mais
quand je les veiz ainsi bien couverts je m’en allay à eulx
rendre à l’abrit : ce que je ne peuz tant ilz estoient comme
l’on dit, au bout de l’aulne fault le drap. Doncques le mieux
que je peu je montay dessus et cheminay bien deux lieues
sus sa langue, tant que je entray dedans sa bouche. Mais o
dieux et desses, que veiz je là ? Juppiter me confonde de la
fouldre trisulque si jen mens. Je y cheminois comme l’on
fai en Sophie à Constantinople, et y veiz de grans rochiers,
comme les monts des Dannoys, je croy que c’estoient les
dentz : et de grans prez, de grans foretz, et de fortes et
grosses villes non moins grandes que Lyon ou Poi iers. Et
le premier que y trouvay, ce fut un bon homme qui plantoit
des choulx. Dont tout esbahy luy demanday.
« Mon amy que fays tu icy ?
— Je plante, dist il, des choux.
— Et à quoy ny comment ? dys je.
— Ha monsieur, dist il, nous ne povons pas estre
tous riches. Je gaigne ainsi ma vie : et les porte
vendre au marché en la cité qui est icy derriere.
— Jesus (dys ie) il y a icy un nouveau monde.
— Certes (dist il) il n’est mie nouveau : mais l’on
dit bien que hors d’icy il y a une terre neufve
où ilz ont et soleil et lune et tout plain de belles
besoingnes, mais cestuy cy est plus ancien.
— Voire mais (dis je) mon amy, comment a nom

  • 

Chapitre XXVIII Pantagruel
ceste ville où tu portes tes choulx.
— Elle a (dist il) nom Alpharage, et sont Chres-
tiens gens de bien, et vous feront grang chiere. »
Brief je me deliberay d’y aller. Or en mon chemin je trou-
vay un compaignon, qui tendoit aux pigeons. Auquel je
demanday.
« Mon amy dont vous viennent ces pigeons icy ?
— Sire (dist il) ilz viennent de l’aultre monde. »
Lors je pensay que quand Pantagruel baisloit, les pigeons
à pleines vollées entroient dedans sa gorge, pensant que
feust un columbier. Puis m’en entray à la ville, laquelle je
trouvay belle, bien forte, et en bel air, mais à l’entrée les
portiers me demanderent mon bulletin, de quoy je fuz fort
esbahy, et leur demanday,
« messieurs y a il icy dangier de peste ?
—Oseigneur(direntilz)l’onsemeurticyaupres
tant que le chariot court par les rues.
— Jesus (dys je) et où ? »
A quoy me dirent, que c’estoit en Laryngues et Pha-
ryngues, qui sont deux grosses villes telles comme sont
Rouen et Nantes riches et bien marchandes. Et la cause de
la peste a esté pour une puante et infe e exhalation qui est
sortie des abysmes despuis na guieres, dont ilz sont mors
plus xxi. cens mille personnes, despuis huy jours. Lors je
pense et calcule, et trouve que c’estoit une puante alaine
qui estoit venue de l’estomach de Pantagruel alors qu’il
mangea tant d’aillade, comme nous avons dit dessus.

  • 

Chapitre XXVIII Pantagruel
De là partant passay par entre les rochiers, qui estoient
ses dentz, et feis tant que je montay sus une, et là trou-
vay les plus beaulx lieux du monde, beaulx grans jeux de
paulme, belles galleries, belles prariez, force vignes, et une
infinité de cassines à la mode Italicques par les champs
plains de delices : et là demouray bien quatre moys et ne
feis oncques telle chere que pour lors. Puis me descendis
par les dentz du derriere pour m’en venir aux baulievres :
mais en passant je fuz destroussé des brigans par une grand
forest qui est vers la partie des oreilles : puis trouvay une
petite bourgade à la devallée, jay oublyé son nom, où je feis
encores meilleure chere que jamais, et gaignay quelque peu
d’argent pour vivre. Et sçavez vous comment ? à dormir :
car l’on loue les gens à journée pour dormir, et gaignent
cinq à six solz par jour, mais ceulx qui ronflent bien fort
gaignent bien sept solz et demy.
Et contoys aux senateurs comment on m’avait destroussé
par la vallée : lesquelz me dirent que pour tout vray les
gens de par delà les dentz estoient mal vivans et brigans de
nature. A quoy je congneu que ainsi comme nous avons les
contrées de deça et de delà les monts, aussi ont ilz deça et
delà les dentz. Mais il fai beaucoup meilleur de deça et y
a meilleur air.
Et là commençay à penser qu’il est bien vray ce que l’on
dit, que la moitié du monde ne sçay comment l’aultre vit.
Veu que nul n’avoit encores escript de ce pays là où il y a
plus de xxv. royaulmes habitez, sans les devers, et un gros
bras de mer : mais jen ay composé un grand livre intitulé
l’Histoire de Guorgias : car ainsi les ay je nommez par ce
qu’ilz demouroient en la gorge de mon maistre Pantagruel.

  • 

Chapitre XXVIII Pantagruel
Finablement je m’en vouluz retourner et passant par la
barbe me gettay sus ses espaules, et de là me devalle en
terre et tumbe devant luy. Et quand il me apperceut, il me
demanda.
« Dont viens tu Alcofrybas ?
— Et je luy responds, de vostre guorge monsieur.
— Et despuis quand y es tu ? dist il.
— Despuis (dis je) que vous alliez contre les
Almyrodes.
— Il y a (dist il) plus de six moys. Et de quoy
vivoys tu ? que mangeoys tu ? que beuvoys tu ?
— Je responds. Seigneur de mesmes vous, et des
plus fryans morceaux qui passoient par vostre
guorge je prenoys le barraige.
— Voire mais (dist il) où chyois tu ?
— En vostre guorge monsieur, dys je.
— Ha ha tu es gentil compaignon, dist il. Nous
avons avecques l’ayde de dieu conquesté tout
le pays des Dipsodes je te donne la chastellenie
de Salmigondin.
— Grant mercy (dys je) monsieur vous me fai es
du bien plus que n’ay desservy envers vous. »

  • 

Chapitre XXIX
Comment Pantagruel fut malade, et la
façon comment il guerit.
Peu de temps apres le bon Pantagruel tumba malade, et
fut tant prins de l’estomach qu’il ne povoit boire ny manger,
et par ce qu’un malheur ne vient jamais seul, il luy print
une pisse chaulde, qui le tormenta plus que ne penseriez :
mais ses medecins le secoururent tresbien et avecques force
de drogues lenitives et diureticques le feirent pisser son
malheur.
Et son urine estoit si chaulde que despuis ce temps là
elle n’est point encores refroidye. Et en avez en france en
divers lieux selon qu’elle print son cours : et l’on l’appelle
les bains chaulx, comme à Coderetz, à Limous, à Dast, à
Balleruc, à Neric, à Bourbonensy, et ailleurs. En Italie à
Mons grot, à Appone, à San o Pedro dy Padua, à Sain e
Helene, à Casa Nova, à San o Bartholomeo. En la comté de
Bouloigne à la Porrette, et mille aultres lieux. Et m’esbahys
grandement d’un tas de folz philosophes et medecins, qui
perdent temps à disputer dont vient la chaleur de cesdi es
eaux, ou si c’est à cause du Baurach, ou du Soulphre, ou
l’Allun, ou du Salpestre qui est dedans la minere : car ilz
n’y font que ravasser, et mieulx leur vauldroit se aller froter
le cul au panicault, que de perdre ainsi le temps à disputer

  • 

Chapitre XXIX Pantagruel
de ce dont ilz ne sçavent l’origine, que lesdi s bains sont
chaulx par ce qu’ilz sont issuz par une chauldepisse du bon
Pantagruel.
Or pour vous dire comment il guerit de son mal principal
je laisse icy comment pour une minorative il print quatre
quintaulx de Scammonée Colophaniacque, six vingtz et
dix huyt chartées de Casse. Onze mille neuf cens livres
de Reubarbe, sans les aultres barbouillemens. Il vous fault
entendre que par le conseil des medecins fut decreté qu’on
osteroit ce que luy faisoit le mal à l’estomach. Et de fai
l’on fist xvii. grosses pommes de cuyvre plus grosses que
celle qui est à Romme à l’aiguille de Virgile, en telle façon
qu’on les ouvroit par le meillieu et fermoit à un ressort.
En l’une entra un de ses gens portant une lanterne et
un flambeau allumé. Et ainsi l’avalla Pantagruel comme
une petite pillule. En cinq aultres entrerent d’aultres gros
varletz chascun portant un pic à son col. En troys aultres
entrerent troys paysans chascun ayant une pasle à son
col. Es sept aultres entrerent sept porteurs de coustretz
chascun ayant une gourbeille à son col. Et ainsi furent
avallées comme pillules. Et quand furent en l’estomach,
chascun desfit son ressort et sortirent de leurs cabanes, et
premier celluy qui portoit la lanterne, et ainsi chercherent
plus de demye lieue où estoient les humeurs corrumpues.
Finablement trouverent une montioye d’ordures : alors
les pionniers fraperent sus pour les desrocher et les aultres
avecques les pasles en emplirent les gourbeilles : et quand
tout fut bien nettoyé, chascun se retira en sa pomme. Et
ce fai Pantagruel se parforce de rendre sa guorge, et fa-
cillement les mist dehors, et ne monstroient en sa guorge

  • 

Chapitre XXIX Pantagruel
en plus qu’un pet en la vostre, et là sortirent hors de leurs
pillules joyeusement. Il me souvenoit quand les Gregeoys
sortirent du cheval en Troye. Et par ce moyen fut guery
et reduyt à sa premiere convalescence. Et de ces pillules
d’arain en avez une en Orleans sus le clochier de l’esglise
de sain e Croix.

  • 

Chapitre XXX
La conclusion du present livre et l’excuse
de l’auteur.
Or messieurs vous avez ouy un commencement de l’his-
toire horrificque de mon maistre et seigneur Pantagruel.
Icy je feray fin à ce premier livre : car la teste me fai un
peu mal, et sens bien que les registres de mon cerveau sont
quelque peu brouillez de ceste purée de Septembre.
Vous aurez le reste de l’histoire à ces foires de Francfort
prochainement venantes : et là vous verrez comment Pa-
nurge fut marié et coqu des le premier moys de ces nopces,
et comment Pantagruel trouva la pierre philosophalle et la
maniere pour la trouver, et la maniere d’en user. Et com-
ment il passa les monts Caspiens, comment il naviga par la
mer Athlanticque et desfit les Caniballes et conquesta les
isles de Perlas. Comment il espousa la fille du roy de Inde
dit Prestre Jehan. Comment il combatit contre les diables,
et feist brusler cinq chambres d’enfer et mit à sac la grant
chambre noire, et getta Proserpine au feu, et rompit iiii.
dentz à Lucifer et une corne au cul. Comment il visita les
regions de la lune, pour sçavoir si à la verité la lune n’estoit
pas entiere : mais que les femmes en avoient iii. quartiers en
la teste. Et mille aultres petites joyeusetez toutes veritables :
ce sont beaux textes d’evangilles en françoys.

Chapitre XXX Pantagruel
Bonsoir messieurs, pardonnate my, et ne pensez pas tant
à mes faultes que vous ne pensez bien es vostres.
Si vous me di es :
« Maistre, il sembleroit que ne feussiez gran-
dement saige de nous escrire ces balivernes et
plaisantes mocquettes, »
je vous responds que vous ne l’estes gueres plus de vous
amuser à les lire. Toutesfoys, sy pour passe temps joyeulx
les lisez comme passant temps les escripvoys, vous et moy
sommes plus dignes de pardon q’un grand tas de sarra-
bovittes, cagotz, escargotz, hypocrites, caffars, frappars,
botineurs, et aultres telles se es de gens, qui se sont des-
guisez comme masques pour tromper le monde.
Car, donnans entendre au populaire commun qu’ilz ne
sont occupez sinon à contemplation et devotion, en jeusnes
et maceration de la sensualité, sinon vrayement pour sus-
tenter et alimenter la petite fragilité de leur humanité, au
contraire font chiere, Dieu sçait quelle,
Et Curios simulant, sed bacchanalia vivunt.
Quant est de leur estude, elle est toute consummée à la
le ure de livres Pantagruelicques, non tant pour passer
temps joyeusement que pour nuyre à quelc’un meschan-
tement, sçavoir est articulant, monorticulant, torticulant,
culletant, couilletant et diabliculant, c’est à dire callum-
niant. Ce que faisans, semblent es coquins de village qui
fougent et echarbottent la merde des petitz enfans, en la
saison des cerises et guignes, pour trouver les noyaulx et
iceulx vendre es drogueurs qui font l’huille de Maguelet.
Iceulx fuyez, abhorrissez et haissez autant que je foys,

  • -

Chapitre XXX Pantagruel
et vous en trouverez bien, sur ma foy, et, si desirez estre
bons Pantagruelistes (c’est à dire vivre en paix, joye, santé,
faisans tousjours grande chere), ne vous fiez jamais en gens
qui regardent par un pertuys.
Fin des cronicques de Pantagruel, roy des Dipsodes,
restituez à leur naturel, avec ses fai z et prouesses
espoventables composez par feu M. ALCOFRIBAS,
abstra eur de quinte essence.

Auteurs::

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