PHÉDON de Platon

— Maintenant je vais recommencer à te faire des
questions; et toi ne me fais pas des réponses qui soient
identiques à mes demandes, mais des réponses
différentes, ainsi que je vais t’en donner l’exemple. Outre
la manière de répondre, dont nous avons parlé d’abord,
et qui est sûre, ce que nous venons de dire m’en fait
découvrir une autre, qui ne l’est pas moins. Si tu me
demandais ce qui dans le corps fait qu’il est chaud, je ne
te ferai pas cette réponse à-la-fois très sûre et très
ignorante, que c’est la chaleur; mais de tout ce que nous
venons de dire, je tirerai une réponse plus savante, et je
te dirai que c’est le feu; et si tu me demandes ce qui fait
que le corps est malade, je ne te répondrai pas que c’est
la maladie, mais la fièvre; et si tu me demandes ce qui
fait le nombre impair, je ne te répondrai pas l’imparité,
mais l’unité, et ainsi du reste. Vois si tu as entendu
suffisamment ce que je veux?
— Je t’ai parfaitement entendu.
— Réponds-moi donc continua-t-il. Qui fait que le corps
est vivant?
— C’est l’âme.
— Et en est-il toujours ainsi?
— Comment en serait-il autrement, dit Cébès.
— L’âme apporte donc avec elle la vie partout où elle
entre
— Cela est certain.
— Y a-t-il quelque chose de contraire à la vie, ou n’y a-
t-il rien?
— Oui, il y a quelque chose.
— Qu’est-ce?
— La mort.

— L’âme n’admettra donc jamais ce qui est contraire à
ce qu’elle apporte toujours avec elle; cela suit
nécessairement de nos principes.
— J’en conviens, dit Cébès.
— Mais comment appelons-nous ce qui ne reçoit jamais
l’idée du pair?
— L’impair.
— Comment appelons-nous ce qui n’admet pas la
justice, et ce qui n’admet pas l’ordre?
— L’injustice et le désordre.
— Soit. Et ce qui ne reçoit jamais la mort, comment
l’appelons-nous?
— Immortel.
— L’âme ne reçoit point la mort?
— Non.
— L’âme est donc immortelle?
— Immortelle.
— Dirons-nous que cela est démontré, ou trouvons-
nous qu’il manque quelque chose à la démonstration?
— Cela est très suffisamment démontré, Socrate.
— Quoi donc, dit-il, ô Cébès! si c’était une nécessité
que l’impair fût périssable, le trois ne le serait-il pas
aussi?
— Qui en doute?
— Si ce qui est sans chaleur était aussi nécessairement
impérissable, toutes les fois que quelqu’un approcherait
le feu de la neige, la neige ne subsisterait-elle pas saine
et sauve? car elle ne périrait point, et l’on aurait beau
l’exposer au feu, elle ne recevrait jamais de chaleur.
— Très vrai.
— Tout de même, si ce qui n’est point susceptible de

froid était nécessairement exempt de périr, lorsque
quelque chose de froid approcherait du feu il ne
s’éteindrait pas, il ne périrait pas, mais il sortirait de là
dans toute sa force.
— Nécessairement.
— Il faut donc nécessairement aussi dire la même
chose de ce qui est immortel. Si ce qui est immortel est
aussi impérissable, il est impossible que l’âme, quand la
mort approche d’elle, puisse périr; car, selon ce que
nous venons de dire, l’âme ne recevra jamais la mort,
elle ne sera jamais morte, comme le trois, ni aucun autre
nombre impair, ne peut jamais être pair; comme le feu,
ni la chaleur du feu, ne peut jamais devenir froideur. On
me dira peut-être: Que l’impair ne puisse devenir pair
par l’arrivée du pair: nous en sommes convenus; mais
qui empêche que l’impair venant à périr, le pair ne
prenne sa place? Je ne pourrais pas répondre à cette
objection, que l’impair ne périt point, puisque l’impair
n’est point impérissable. Mais si nous l’avions trouvé
impérissable, nous pourrions soutenir aisément que le
pair aurait beau survenir, l’impair et le trois se tireraient
d’Affaire, et nous soutiendrions la même chose du feu,
du chaud et des autres choses semblables.
N’est-ce pas?
— Assurément, dit Cébès.
— Et par conséquent, sur l’immortel dont il s’agit
présentement, si nous convenons que tout ce qui est
immortel est impérissable, il faut nécessairement que
l’âme soit non-seulement immortelle; mais absolument
impérissable; si nous n’en convenons pas, il faut
chercher d’autres preuves.

— Cela n’est pas nécessaire, dit Cébès; car qui serait
impérissable, si ce qui est immortel et éternel est sujet à
périr?
— Que Dieu, reprit Socrate, que l’essence et l’idée de la
vie, et s’il y a quelque autre chose encore d’immortel,
que tout cela soit exempt de périr; c’est ce que personne
ne pourra nier.
Par Jupiter, tous les hommes en conviendront; et les
dieux bien plus encore, je pense.
Or, puisque l’immortel est impérissable, l’âme, si elle
est immortelle, peut-elle n’être pas impérissable?
— Il faut qu’elle le soit nécessairement.
— Lors donc que la mort approche de l’homme, ce qu’il
y a de mortel en lui meurt, à ce qu’il paraît; ce qu’il y a
d’immortel et d’incorruptible se retire intact et cède la
place à la mort.
Cela est évident.
— Si donc il y a quelque chose d’immortel et
d’impérissable, l’âme, ô Cébès, doit l’être; et nos âmes
existeront réellement dans l’autre monde.
— Je n’ai rien à dire contre cela, ô Socrate, je ne puis
que me rendre à tes raisons; mais si Simmias ou les
autres ont quelque chose à objecter, ils feront fort bien
de ne pas se taire; car quel autre temps pourront-ils
jamais trouver pour s’entretenir et pour s’éclairer sur ces
matières?
— Ni moi non plus, dit Simmias, je n’ai rien à opposer à
Socrate; mais j’avoue que la grandeur du sujet et le
sentiment de la faiblesse naturelle à l’homme me laissent
toujours malgré moi un peu d’incrédulité.
— Non-seulement ce que tu dis là est fort bien dit,

Simmias, reprit Socrate, mais quelque sûrs que nous
paraissent les principes dont nous sommes partis, il faut
encore les reprendre pour les examiner avec plus de
soin; quand vous vous en serez bien pénétrés, vous
concevrez mes raisons, je crois, autant qu’il est possible
à des hommes de comprendre ces matières; et quand
vous les aurez bien conçues, vous ne chercherez rien au-
delà.
— Fort bien, dit Cébès.
— Mes amis, une chose qu’il est juste de penser, c’est
que si l’âme est immortelle, il faut en avoir soin, non-
seulement pour ce temps que nous appelons le temps de
la vie, mais encore pour le temps qui la suit; et peut-être
trouvera-t-on que le danger auquel on s’expose en la
négligeant, est très grave. Car si la mort était la
cessation absolue de toute existence, ce serait un grand
gain pour les méchants après leur mort d’être délivrés à-
la-fois de leur corps, de leur âme et de leurs vices, mais
puisque l’âme est immortelle, elle n’a d’autre moyen de
prévenir les maux qui l’attendent, et il n’y a d’autre salut
pour elle, que de devenir éclairée et vertueuse. En effet,
l’âme se rend dans l’autre monde n’emportant avec elle
que des habitudes contractées pendant la vie, et qui, à
ce qu’on dit, lui rapportent de grands biens ou de grands
maux dès le premier instant de son arrivée. Voici ce qui
se passe, dit-on, lorsque quelqu’un est mort: le même
génie qui a été chargé de lui pendant sa vie, le conduit
dans un certain lieu où les morts se rassemblent pour
être jugés avant d’aller dans l’autre monde avec le même
conducteur auquel il a été ordonné de les conduire d’ici
jusque-là, et après qu’ils ont reçu là les biens ou les

maux qu’ils méritent, et qu’ils y ont demeuré tout le
temps prescrit, un autre conducteur les ramène dans
cette vie après de longues et nombreuses révolutions de
siècles. Ce chemin n’est pas tel que Télèphe le
décrit dans Eschyle; car il dit que le chemin qui conduit à
l’autre monde est simple: et il me paraît qu’il n’est ni
unique ni simple; s’il l’était, on n’aurait pas besoin de
guides; il est impossible de se tromper de chemin, quand
il n’y en a qu’un: au contraire, il paraît qu’il a plusieurs
détours et plusieurs traverses, comme je le conjecture de
ce qui se pratique dans nos sacrifices et dans nos
cérémonies religieuses. L’âme tempérante et sage suit
volontiers son guide, et avec la conscience du sort qui
l’attend, mais celle qui tient à son corps par ses
passions, comme je le disais précédemment, y reste
longtemps attachée ainsi qu’au monde visible, et ce n’est
qu’après beaucoup de résistances et beaucoup de
souffrances, par force et à grand’peine, qu’elle est
entraînée par le guide qui lui a été assigné. Quand l’âme
est arrivée au rendez-vous des âmes, si elle est impure,
souillée, par exemple, de meurtres injustes ou d’autres
actions semblables, que des âmes semblables à la sienne
peuvent seules avoir commises, toutes les autres la
fuient et l’ont en horreur; aucune ne veut être sa
compagne ni sa conductrice, et elle erre dans un
abandon total, jusqu’à ce que, après un certain temps, la
nécessité l’entraîne dans le séjour qui lui convient. Mais
celle qui a passé sa vie avec pureté et avec tempérance,
a les dieux mêmes pour compagnons et pour guides, et
va habiter le lieu qui lui a été réservé; car la terre a bien
des lieux différents et admirables, et elle-même n’est

point telle que se la figurent ceux qui ont coutume de
vous en faire des descriptions, d’après ce que j’ai
entendu dire par quelqu’un.

Alors Simmias:
— Comment dis-tu, Socrate? J’ai aussi entendu dire
plusieurs choses de la terre, mais ce ne sont pas les
mêmes que tu as adoptées: je t’entendrais volontiers là-
dessus.
— Pour t’en faire le récit, ô Simmias, je ne crois pas
qu’on ait besoin de l’art de Glaucus ; mais t’en
prouver la vérité est plus difficile, et je ne sais si tout l’art
de Glaucus y suffirait. Peut-être même cette entreprise
est-elle au-dessus de mes forces; et quand elle ne le
serait pas, le peu de temps qu’il me reste à vivre ne
souffre pas que nous entamions un si long discours.
Quand à te donner une idée de la terre et de ses
différents lieux, comme je me figure que la chose est,
rien n’empêche que j’essaie de la faire.
— Cela nous suffira, dit Simmias.
— Premièrement, reprit Socrate, je suis persuadé que la
terre est au milieu du ciel et de forme sphérique, elle n’a
besoin ni de l’air, ni d’aucun autre appui pour
s’empêcher de tomber, mais que le ciel même, qui
l’environne également, et son propre équilibre suffisent
pour la soutenir; car toute chose qui est en équilibre au
milieu d’une autre qui la presse également, ne saurait
pencher d’aucun côté, et par conséquent demeure fixe et
immobile; voilà de quoi je suis persuadé.
— Et avec raison, dit Simmias.
De plus, je suis convaincu que la terre est fort grande,

et que nous n’en habitons que cette petite partie qui
s’étend depuis la Phase jusqu’aux colonnes d’Hercule,
répandus autour de la mer comme des fourmis ou des
grenouilles autour de marais: et je suis convaincu qu’il y
a plusieurs autres peuples qui habitent d’autres parties
semblables; car partout sur la face de la terre il y a des
creux de toutes sortes de grandeur et de figure, où se
rendent les eaux, les nuages et l’air grossier, tandis que
la terre elle-même est au-dessus dans ce ciel pur où sont
les astres, et que la plupart de ceux qui s’occupent de
ces matières appellent l’éther, dont tout ce qui afflue
perpétuellement dans les cavités que nous habitons n’est
proprement que le sédiment. Enfoncés dans ces
cavernes sans nous en douter, nous croyons habiter le
haut de la terre, à-peu-près comme quelqu’un qui,
faisant son habitation dans les abîmes de l’Océan,
s’imaginerait habiter au-dessus de la mer; et qui, pour
voir au travers de l’eau le soleil et les autres astres,
prendrait la mer pour le ciel, et n’étant jamais monté au-
dessus, à cause de sa pesanteur et de sa faiblesse, et
n’ayant jamais avancé la tête hors de l’eau, n’aurait
jamais vu lui-même combien le lieu que nous habitons
est plus pur et plus beau que celui qu’il habite, et
n’aurait jamais trouvé personne qui pût l’en instruire.
Voilà l’état où nous sommes. Confinés dans quelques
creux de la terre, nous croyons en habiter les hauteurs;
nous prenons l’air pour le ciel, et nous croyons que c’est
là le véritable ciel dans lequel les astres font leur cours;
c’est-à-dire que notre pesanteur et notre faiblesse nous
empêchent de nous élever au-dessus de l’air; car si
quelqu’un allait jusqu’au haut, et qu’il pût s’y élever avec

des ailes, il n’aurait pas plus tôt mis la tête hors de cet
air grossier, qu’il verrait ce qui se passe dans cet
heureux séjour, comme les poissons en s’élevant au-
dessus de la surface de la mer voient ce qui se passe
dans l’air que nous respirons: et s’il était d’une nature
propre à une longue contemplation, il connaîtrait que
c’est le véritable ciel, la véritable lumière, la véritable
terre; car cette terre, ces roches, tous les lieux que nous
habitons, sont corrompus et calcinés, comme ce qui est
dans la mer est rongé par l’âcreté des sels: aussi dans la
mer on ne trouve que des cavernes, du sable, et, partout
où il y a de la terre, une vase profonde; il n’y naît rien de
parfait, rien qui soit d’aucun prix, rien enfin qui puisse
être comparé à ce que nous avons ici. Mais ce qu’on
trouve dans l’autre séjour est encore plus au-dessus de
ce que nous voyons dans le nôtre; et pour vous faire
connaître la beauté de cette terre pure, située au milieu
du ciel, je vous dirai, si vous voulez, une belle fable qui
mérite d’être écoutée.
— Et nous, Socrate, nous l’écouterons avec un très
grand plaisir, dit Simmias.
— On raconte, dit-il, que la terre, si on la regarde d’en
haut, paraît comme un de nos ballons couverts de douze
bandes de différentes couleurs, dont celles que nos
peintres emploient ne sont que les échantillons; mais les
couleurs de cette terre sont infiniment plus brillantes et
plus pures, et elles l’environnent tout entière. L’une est
d’un pourpre merveilleux; l’autre, de couleur d’or; celle-
là, d’un blanc plus brillant que le gypse et la neige; et
ainsi des autres couleurs qui la décorent, et qui sont plus
nombreuses et plus belles que toutes celles que nous

connaissons. Les creux même de cette terre, remplis
d’eau et d’air, ont aussi leurs couleurs particulières, qui
brillent parmi toutes les autres; de sorte que dans toute
son étendue cette terre a l’aspect d’une diversité
continuelle. Dans cette terre si parfaite, tout est en
rapport avec elle, plantes, arbres, fleurs et fruits; les
montagnes même et les pierres ont un poli, une
transparence, des couleurs incomparables; celles que
nous estimons tant ici, les cornalines, les jaspes, les
émeraudes, n’en sont que de petites parcelles. Il n’y en a
pas une seule, dans cette heureuse terre, qui ne les
vaille, ou ne les surpasse encore: et la cause en est que
là les pierres précieuses sont pures; qu’elles ne sont ni
rongées, ni gâtées comme les nôtres par l’âcreté des sels
et par la corruption des sédiments qui descendent et
s’amassent dans cette terre basse, où ils infectent les
pierres et la terre, les plantes et les animaux. Outre
toutes ces beautés, cette terre est ornée d’or, d’argent et
d’autres métaux précieux, qui, répandus en tous lieux en
abondance, frappent les yeux de tous côtés, et font de la
vue de cette terre un spectacle de bienheureux. Elle est
aussi habitée par toutes sortes d’animaux et par des
hommes, dont les uns sont répandus au milieu des
terres, et les autres autour de l’air, comme nous autour
de la mer, et d’autres dans des îles que l’air forme près
du continent; car l’air est là ce que sont ici l’eau et la
mer pour notre usage; et ce que l’air est pour nous, pour
eux est l’éther. Leurs saisons sont si bien tempérées,
qu’ils vivent beaucoup plus que nous, toujours exempts
de maladies; et pour la vue, l’ouïe, l’odorat et tous les
autres sens, et pour l’intelligence même, ils sont autant

au-dessus de nous, que l’air surpasse l’eau en pureté, et
que l’éther surpasse l’air. Ils ont des bois sacrés, des
temples, que les dieux habitent réellement; des oracles,
des prophéties, des visions, toutes les marques du
commerce des dieux: ils voient aussi le soleil et la lune
et les astres tels qu’ils sont; et tout le reste de leur
félicité suit à proportion.
Voilà quelle est cette terre à sa surface; elle a tout
autour d’elle plusieurs lieux, dont les uns sont plus
profonds et plus ouverts que le pays que nous habitons;
les autres plus profonds, mais moins ouverts, et d’autres
moins profonds et plus plats. Tous ces lieux sont percés
par dessous en plusieurs points, et communiquent entre
eux par des conduits, tantôt plus larges, tantôt plus
étroits, à travers lesquels coule, comme dans des bassins
une quantité immense d’eau, des masses surprenantes
de fleuves souterrains qui ne s’épuisent jamais; des
sources d’eaux froides et d’eaux chaudes; des fleuves de
feu et d’autres de boue, les uns plus liquides, les autres
plus épais, comme en Sicile ces torrents de boue et de
feu qui précèdent la lave, et comme la lave elle-même.
Ces lieux se remplissent de l’une ou de l’autre de ces
matières, selon la direction qu’elles prennent chaque fois
en se débordant. Ces masses énormes se meuvent en
haut et en bas, comme un balancier placé dans
l’intérieur de la terre. Voici à-peu-près comment ce
mouvement s’opère: parmi les ouvertures de la terre, il
en est une, la plus grande de toutes, qui passe tout au
travers de la terre; c’est celle dont parle Homère, quand
il dit:

Bien loin, là où sous la terre est le plus profond abîme;

et que lui-même ailleurs, et beaucoup d’autres appellent
le Tartare. C’est là que se rendent, et c’est de là que
sortent de nouveau tous les fleuves, qui prennent chacun
le caractère et la ressemblance de la terre sur laquelle ils
passent. La cause de ce mouvement en sens contraire,
c’est que le liquide ne trouve là ni fond ni appui; il s’agite
suspendu, et bouillonne sens dessus dessous; l’air et le
vent font de même tout à l’entour, et suivent tous ses
mouvements et lorsqu’il s’élève et lorsqu’il retombe; et
comme dans la respiration, où l’air entre et sort
continuellement, de même ici l’air, emporté avec le
liquide dans deux mouvements opposés, produit des
vents terribles et merveilleux, en entrant et en sortant.
Quand donc les eaux s’élançant avec force, arrivent vers
le lieu que nous appelons le lieu inférieur, elles forment
des courants qui vont se rendre, à travers la terre, vers
des lits de fleuves qu’ils rencontrent, et qu’ils remplissent
comme avec une pompe. Lorsque les eaux abandonnent
ces lieux et s’élancent vers les nôtres, elles les
remplissent de la même manière, de là elles se rendent,
à travers des conduits souterrains, vers les différents
lieux de la terre, selon que le passage leur est frayé, et
forment les mers, les lacs, les fleuves et les fontaines;
puis s’enfonçant de nouveau sous la terre, et parcourant
des espaces, tantôt plus nombreux et plus longs, tantôt
moindres et plus courts, elles se jettent dans le Tartare,
les unes beaucoup plus bas, d’autres seulement un peu
plus bas, mais toutes plus bas qu’elles n’en sont sorties.
Les unes ressortent et retombent dans l’abîme

précisément du côté opposé à leur issue; quelques
autres, du même côté: il en est aussi qui ont un cours
tout-à-fait circulaire, et se replient une ou plusieurs fois
autour de la terre comme des serpents, descendent le
plus bas qu’elles peuvent, et se jettent de nouveau dans
le Tartare. Elles peuvent descendre de part et d’autre
jusqu’au milieu, mais pas au-delà; car alors elles
remonteraient: elles forment plusieurs courants fort
grands; mais il y en a quatre principaux, dont le plus
grand, et qui coule le plus extérieurement tout autour,
est celui qu’on appelle Océan. Celui qui lui fait face, et
coule en sens contraire, est l’Achéron, qui, traversant
des lieux déserts, et s’enfonçant sous la terre, se jette
dans le marais Achérusiade, où se rendent les âmes de
la plupart des morts qui, après y avoir demeuré le temps
ordonné, les unes plus, les autres moins, sont renvoyées
dans ce monde pour y animer de nouveaux êtres. Entre
ces deux fleuves coule un troisième, qui non loin de sa
source, tombe dans un lieu vaste, rempli de feu, et y
forme un lac plus grand que notre mer, où l’eau
bouillonne mêlée avec la boue. Il sort de là trouble et
fangeux, et continuant son cours en spirale, il se rend à
l’extrémité du marais Achérusiade, sans se mêler avec
ses eaux; et après avoir fait plusieurs tours sous terre, il
se jette vers le plus bas du Tartare; c’est ce fleuve qu’on
appelle le Puriphlégéton, dont les ruisseaux enflammées
saillent sur la terre, partout où ils trouvent une issue. Du
côté opposé, le quatrième fleuve tombe d’abord dans un
lieu affreux et sauvage, à ce que l’on dit, et d’une
couleur bleuâtre. On appelle ce lieu Stygien, et Styx le
lac qui forme le fleuve en tombant. Après avoir pris dans

les eaux de ce lac des vertus horribles, il se plonge dans
la terre, où il fait plusieurs tours; et se dirigeant vis-à-vis
du Puriphlégéton, il le rencontre dans le lac de
l’Achéron, par l’extrémité opposée. Il ne mêle ses eaux
avec les eaux d’aucun autre fleuve; mais, après avoir fait
le tour de la terre, il se jette aussi dans le Tartare, par
l’endroit opposé au Puriphlégéton. Le nom de ce fleuve
est le Cocyte, comme l’appellent les poètes.

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