Salvette et Bernadou

II

Ces deux Français s’appellent Salvette etBernadou. Ce sont deux chasseurs à pied, deux Provençaux du mêmevillage, enrôlés au même bataillon et blessés par le même obus.Seulement Salvette avait la vie plus dure, et déjà il commence à selever, à faire quelques pas de son lit à la fenêtre. Bernadou, lui,ne veut pas guérir. Dans les rideaux blafards de son lit d’hospice,sa figure paraît plus maigre, plus languissante de jour enjour ; et quand il parle du pays, du retour, c’est avec cesourire triste des malades, où il y a bien plus de résignation qued’espérance. Aujourd’hui cependant il s’est animé un peu, enpensant à cette belle fête de Noël qui dans nos campagnes deProvence ressemble à un grand feu de joie allumé au milieu del’hiver, en se rappelant les sorties des messes de minuit, l’égliseparée et lumineuse, les rues du village toutes noires, pleines demonde, puis la longue veillée autour de la table, les troisflambeaux traditionnels, l’aïoli, les escargots et la joliecérémonie du cacho fio (bûche de Noël) que le grand-pèrepromène autour de la maison et arrose avec du vin cuit.

« Ah ! mon pauvre Salvette, queltriste Noël nous allons faire cette année !… Si seulement onavait eu de quoi se payer un petit pain blanc et une fiole de vinclairet !… Ça m’aurait fait plaisir, avant de passer l’arme àgauche, d’arroser encore une fois le cacho fio avectoi… »

Et en parlant de pain blanc et de vin clairet,le malade a ses yeux qui brillent. Mais comment faire ? Ilsn’ont plus rien, les malheureux, ni argent, ni montre. Salvettegarde bien encore dans la doublure de sa veste un bon de poste dequarante francs. Seulement c’est pour le jour où ils seront libres,et la première halte qu’on fera dans une auberge de France. Cetargent-là est sacré. Pas moyen d’y toucher…. Pourtant ce pauvreBernadou est si malade ! Qui sait s’il pourra jamais seremettre en route pour retourner là-bas ? Et puisque voilà unbeau Noël qu’on peut encore fêter ensemble, est-ce qu’il nevaudrait pas mieux en profiter ?

Alors, sans rien dire à son paysSalvette a décousu sa tunique pour prendre le bon de poste, etquand le vieux Cahn est venu comme tous les matins faire sa tournéedans les salles, après de longs débats, des discussions à voixbasse, il lui a glissé dans la main ce carré de papier, raide etjauni, sentant la poudre et taché de sang.

Depuis ce moment, Salvette a pris un air demystère. Il se frotte les mains et rit tout seul en regardantBernadou. Et maintenant que le jour tombe, il est là à guetter, lefront collé aux vitres, jusqu’à ce qu’il ait vu dans le brouillardde la place déserte le vieil Augustus Cahn tout essoufflé, quiarrive, un petit panier au bras.

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