Un drame à Rio-de-Janeiro

Chapitre 4PRISONNIER DES INDIENS

Soudain, un cri terrible de femme traversal’espace : Maurice Hamard reconnut la voix d’Eva Brant.

– Allons, si je meurs, du moins je seraipleuré ! murmura-t-il en fermant les yeux.

Cependant, les canots remontant l’Amazone,s’éloignaient rapidement du théâtre du combat.

En peu d’instants, ils atteignirent unarchipel formé par de nombreuses petites îles couvertes de grandsarbres et s’engagèrent dans les méandres sinueux que décrivaientd’étroits canaux circulant entre les îlots.

Étendu au fond de la pirogue, Maurice Hamardregardait ces lieux, comprenant qu’en ce dédale inextricable, sesamis avaient peu de chance de retrouver sa trace.

Et qui sait ce que ces Indiens vont faire demoi ? songea le brave garçon. Bien certainement, Vérez va leurordonner de me mettre à mort. Une fois que je ne serai plus là, ilpourra sans crainte s’attaquer à la pauvre miss Eva.

Tandis qu’il se livrait à ces sombresréflexions, les barques indiennes avaient touché terre.

Le Français fut débarqué comme un colis.

On desserra sa corde liant ses jambes afinqu’il pût marcher.

Puis, la troupe s’enfonça sous les épaissesramures des arbres.

Parvenus dans une clairière, les Indiensattachèrent leur prisonnier au tronc d’un gommier et, sans motdire, s’étendirent sur le sol.

Le malheureux Français, désespéré, passa làdes heures épouvantables.

Évidemment, une mort atroce l’attendait.

Lorsque le jour parut, les Indienss’éveillèrent et Vérez qui, jusque-là, était demeuré caché,s’avança vers le prisonnier.

– Eh bien ! gouailla-t-il en venantse poster à quelques pas de lui, je vous avais prévenu àRio-de-Janeiro que nous nous reverrions ! Vous ensouvenez-vous ?

Maurice se contenta de hausser lesépaules.

Mais l’autre feignant de ne point avoirremarqué le geste méprisant du Français, poursuivait de sa voixrauque :

– Allons, il est impossible que vous nevous rappeliez plus cette promesse !

– Lâche, bandit ! jeta Hamard,exaspéré par tant d’impudence.

Pablo Vérez laissa entendre un sinistre éclatde rire :

– Vous n’espérez pas, je suppose, unsecours quelconque de la part de vos amis ? Leur naviresillonne en ce moment l’Amazone, mais cette île est une retraitesûre, qu’ils ne découvriront pas.

– Que m’importe ! gronda leFrançais, si je meurs, ce sera en brave !

– Oh ! pour cela, vous êtesperdu ! sourit Pablo qui, feignant de réfléchir durant uneseconde, ajouta l’air insinuant :

– À moins que vous n’écriviez à missBrant de me rendre les papiers indiquant l’endroit où est caché letrésor du Rio Malès, papiers que vous a remis Dick Brant.

Et comme Maurice secouait négativement latête, il affirma :

Inutile de nier, je vous ai vu prendre leportefeuille du mort.

« Mais ce ne sera pas tout ; missEva renonçant à tous ses droits sur la plantation, repartira àl’instant pour New-York ! À vous de choisir !

Tant d’audace, de cynisme, révoltèrent leFrançais.

– Jamais ! s’écria-t-il avec force,je ne commettrai pas une pareille trahison.

Pablo Vérez dissimula une grimace dehaine.

Puis, s’approchant encore du jeune homme, ilrépliqua, la voix assourdie par la rage :

– Alors, écoutez bien ceci ; autourde vous, nous allons amasser des fagots, auxquels nous mettrons lefeu.

– Misérable !

– La mort ne viendra que lentement, maispeut-être aurez-vous encore le temps de revenir sur votreparole.

– La mort est préférable à une lâcheté,bandit ! lança Maurice Hamard. Je te méprise mais je ne tecrains pas.

– Bah ! tu ne parleras pas de lasorte dans quelques instants. Déjà, sur un signe du forban, desIndiens amassaient du bois autour du gommier auquel le Françaisétait attaché.

Puis ils y mirent le feu.

Le bûcher ainsi formé était placé à quelquedistance du jeune homme.

Déjà une fumée âcre le prenait à la gorge, lefaisant suffoquer. Soudain, la voix de Pablo Vérez retentit ànouveau :

– Eh bien ! chien de Français, tedécides-tu à écrire la missive que je t’ai demandée ?

Maurice ne répondit pas.

Il était bien décidé à mourir et ce n’étaitpoint la proposition que lui faisait le bandit qui lui feraitchanger d’avis.

– Ainsi, tu refuses ? rugit leBrésilien. Eh bien ! le feu dévorera ta carcasse maudite.

Et se tournant vers les Indiens qui semblaientobéir au moindre de ses ordres, il jeta :

– Qu’on active la flamme ! Je veuxqu’avant une heure, il ne reste plus rien de ce misérable.

Le commandement fut exécuté rapidement.

Bientôt le brasier flamba plus ardent.

À quelques pas de là, Vérez se tenait,ricanant et moqueur.

Tout à coup, des coups de feu éclatèrent dansles fourrés voisins et, avant que les Indiens fussent revenus deleur surprise, une troupe de marins de la« Généreuse » débouchait, carabines en mains,dans la clairière.

À leur tête, marchait le capitaine Jacobsainsi que miss Eva Brant.

– En avant, garçons, et pas dequartier ! s’écria l’officier en prêchant l’exemple.

Sur son passage, quatre Indiens tombèrent.

Maintenant, il s’élançait vers Maurice,renversant du pied le bûcher improvisé.

Quant à Eva, elle faisait merveille, abattantson homme à chacun de ses coups de feu.

Les Indiens, surpris par cette brusqueattaque, s’enfuyaient déjà dans toutes les directions en hurlant deterreur.

Quant à Pablo Vérez, on eut beau le chercher,on ne le trouva point. Bien certainement, il avait fui l’un depremiers !

Quelques instants plus tard, Maurice, délivré,étreignait avec émotion les mains loyales de ses sauveteurs.

– Merci capitaine ! balbutia-t-ilému.

– Bah ! il n’y a pas de quoi, mongarçon… C’est à charge de revanche !

– Merci, miss…

Eva allait répondre, mais, à cet instant, leFrançais à bout de résistance, s’évanouit dans les bras du bonJacobs.

Quand le jeune homme revint à la vie, ilvoguait dans l’un des canots de la Généreuse.

Bientôt, on accosta le bâtiment qui croisaithors du dédale des îles et l’on reprit la route vers l’Ouest.

– Ma foi, mon cher Hamard, je crois quenous sommes arrivés à temps ! dit le capitaine Jacobs.

Le Français lui tendit la main.

Puis, se tournant vers miss Eva qui luisouriait doucement, il répliqua d’une voix vibranted’émotion :

– Oui, grâce à vous est à miss Brant, jesuis sauvé. Merci, merci, mes chers amis, Mais dites-moi, commentvous avez découvert la retraite des Peaux-Rouges ?

– Oh ! de manière fortsimple !

– Pourtant, Pérez m’avait dit quel’endroit où il m’avait entraîné était à peu près inaccessible etje croyais bien ne plus jamais vous revoir.

Le capitaine Jacobs répondit :

– Nous explorions les îles pensant bienqu’ils vous avaient amené par là ; quand miss Brant me montraun panache de fumée s’élevant du centre de l’archipel.

« Il n’y a pas de fumée sans feu,pensâmes-nous, et nous filâmes de ce coté, Vous savez le reste.

Mais Maurice ne l’écoutait plus.

Il pressait entre les siennes les mains d’EvaBrant, aussi émue que lui.

– Pourvu que ce misérable ne reviennepoint à la charge : soupira la jeune fille.

– Bah ! nous sommes là pour lerecevoir ! répliqua Maurice. Quelques jours plus tard, LaGénéreuse arrivait à Soledo, petite ville située auconfluent de l’Amazone et du Rio Males.

On approchait du but.

Maintenant il allait falloir user plus quejamais de prudence. Les voyageurs tinrent conseil.

– À mon avis, dit le Français, le mieuxest que miss Eva se rende avec vous, capitaine, chez legouverneur.

– Et ensuite.

– Grâce à ses papiers de famille, elleprouvera facilement ses droits de propriété sur la plantation etportera plainte contre Vérez. Naturellement, vous prierez lesautorités de vous appuyer, ce qu’elles ne manqueront pas defaire.

– Mais vous, mon ami ? interrogeamiss Brant.

– Hélas ! je ne pourrai vous êtred’aucune utilité, puisque vous le savez, je suis accusé du meurtrede ce pauvre Dick. Je ne ferais, par ma présence à vos côtés, quecompliquer les choses.

– C’est vrai !

– Je resterai donc caché à bord, bienmalgré moi, croyez-le, conclut le Français.

– Certes !

Se rangeant à l’avis de Hamard, miss Eva etJacobs se rendirent chez le gouverneur de Soledo.

Celui-ci était un grand vieillard aux cheveuxblancs, dont le visage révélait la bonté.

De plus, on le disait parfaitement juste etrempli d’indulgence. Tout de suite, il reçut miss Brant.

Dès les premiers mots de la jeune fille, ill’interrompit :

– Je me rappelle fort bien vos parents,miss. Ils comptaient au nombre de mes amis.

Commencé sur ce ton, l’entretien se poursuivittrès affectueusement.

L’examen des titres de propriété de la jeunefille convainquit vite gouverneur de la légitimité de sesrevendications.

– Dès demain, dit-il, je me mettraimoi-même à la tête d’un détachement de police et me rendrai auxenvirons de la plantation, prêt à vous appuyer.

– Je vous remercie, señor…

– Bah ! je ne fais là que mondevoir. Si j’en crois ce que vous me dite ce Vérez est un fieffécoquin et nous ne serons jamais trop pour le réduire à merci.

– En tous cas, murmura Eva, je suisheureuse de voir que la justice habite encore ce pays.

– Soyez tranquille, nous saurons la fairetriompher.

Le lendemain, dès l’aube, la goélette,quittant Soledo, s’engageait dans le Rio Males.

Ainsi qu’on le sait, c’était sur les bords decette rivière que s’étendait la plantation Brant.

Trois jours s’écoulèrent durant lesquels lanavigation se poursuivit sans incident.

Enfin, un matin, on atteignit le domaine desmalheureux parents d’Eva.

Ce fut Miyala qui, du pont où elle se tenait,reconnut les parages où s’était écoulée une grande partie de sonexistence.

Bien certainement Pablo Vérez doit nous yattendre ! murmura le capitaine Jacobs.

– Cela ne fait pas de doute, surenchéritEva.

Cependant, miss Brant, le capitaine et douzematelots de la Généreuse, dans les rangs desquels secachait Maurice Hamard, débarquèrent à l’ombre d’une superbe futaiede palissandres.

Tout le monde était armé jusqu’aux dents.

Après un dernier conciliabule, la petitetroupe s’avança avec prudence dans les terres, se dirigeant vers lamaison d’habitation distante de plusieurs milles et guidée par lavieille Miyala qui, seule, connaissait le pays, à travers lessentiers étroits serpentant entre les troncs et les lianesenchevêtrées.

Durant plus d’une heure, on marcha ainsi.

Enfin, on atteignit une plaine cultivée,succédant à la forêt.

Au loin, se dressaient des constructionsblanches, surmontées de toits de tuiles rouges, qui étincelaientsous le soleil radieux de midi.

Parmi ces bâtiments, une maison plus hauteapparaissait, entourée de grands arbres.

C’était la demeure édifiée jadis par le pèred’Eva.

En revoyant ces lieux où s’était écoulée satoute petite enfance, une émotion indicible étreignit la jeunefille.

Et puis, c’était là aussi que tous les siensavaient si mystérieusement péri.

Cependant le capitaine Jacobs, la main enabat-jour sur les yeux, examinait le paysage avec attention.

Enfin, se retournant vers ses amis, ilobserva :

– Cet endroit semble inhabité. Cela sentle guet-apens d’une lieue. Ne trouvez-vous pas ?

– Si fait ! répliqua Maurice Hamardqui s’était approché. Pourtant, nous ne pouvons rester iciindéfiniment.

– Certes !

– Alors, avançons ; nous verronsbien.

Et prêchant d’exemple, le brave garçon prit latête de la colonne.

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