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Un habitant de la planète Mars

Un habitant de la planète Mars

d’ Henri de Parville

PRÉFACE

Les lettres qui composent ce livre nous ont été adressées successivement et d’une façon tout au moins singulière.

Dès l’aube, à notre réveil et presque tous les quinze jours, régulièrement, nous trouvions sur notre table d etravail une nouvelle lettre toute grande ouverte et datée d’Amérique.

L’origine de cette mystérieuse correspondance nous resta inconnue, malgré les recherches les plus minutieuses.

Les deux premières furent insérées dans un journal du soir. Leur apparition causa alors dans tous les esprits une vive émotion qui n’est pas encore calmée en Angleterre et en Allemagne. Les détails quelles contenaient furent reproduits par presque toutes les feuilles d’Europe, qui les confirmèrent ou y ajoutèrent encore.

Nous nous décidons aujourd’hui à publier les autres. Comme elles complètent les précédentes et ont trait à des questions philosophiques et scientifiques très-controversées de nosjours, telles que l’origine des espèces, la transformation desêtres, les générations spontanées, la pluralité des mondes, nouspensons qu’elles seront lues avec quelque intérêt par tous lespenseurs et les esprits avancés.

Nous les reproduisons absolument comme nousles avons reçues, sans rien y retrancher ni rien y ajouter. Nousnous sommes permis seulement d’annoter les passages qui demandaientdes éclaircissements ou qui exigeaient des rectifications.

H. De P.

LETTRE I

Une correspondance de Richmond. – Découverte sansprécédents. – Grande rumeur en Amérique. – Où l’on cherche dupétrole et où l’on découvre une momie. – Un aérolithe enterré. – Lemonde savant en émoi. – Un homme pétrifié. – D’où sort-il ? –Une tombe fossilifiée. – Quatre planètes et une conclusion. – Unhabitant des autres mondes.

Une découverte scientifique d’une importancecapitale vient d’être faite dans le pays des Arrapahys à plusieursmilles du Pic James.

Un riche propriétaire des environs,M. Paxton, avait commencé des fouilles pour rechercher lepétrole ; un matin, le pic vint rebondir sur un roc d’unetrès-grande dureté ; la souche d’alluvion avait été traversée,on avait dépassé un affleurement carbonifère et l’on travaillaitdans le terrain paléozoïque[1]. On crutavoir rencontré un filon et l’on fit agir la sonde ; elleramena une sorte de conglomérat formé de trapp, de porphyre, decristaux de quartz et de composés métalliques.

M. Davis, géologue très-distingué dePittsbourg, pria M. Paxton de suivre ce singulier amas etaprès plus de quinze jours de travail, on mit à nu par la partiesupérieure une énorme masse un peu ovoïde de compositionnon-seulement distincte de toutes celles des terrains voisins, maisencore dont aucun spécimen n’avait été rencontré sur notre globejusqu’ici.

La masse mesure dans son plus grand diamètrequarante-cinq yards environ et dans son plus petit trente yards. Ony remarque des cassures saccharoïdes énormes, faisant anfractuositéet indiquant sans doute les places d’éclats qui ont dû s’endétacher. Toute la masse est enduite au pourtour d’une sorted’émail noir d’épaisseur variable constituée par des silicatesmétalliques. Au-dessous, d’après M. Davis, la roche est forméede silicates alcalins et terreux, de fer, de manganèse, de nickel,de cobalt, tungstène, cuivre, étain, arsenic, soufre, chloruresalcalins, chlorhydrate d’ammoniaque, traces de chlorure d’argent,traces de cœsium, graphite en grande quantité ; gaz interposésà 1 mètre d’épaisseur ; azote, acide carbonique, hydrogènesulfuré et arsénié.

La composition toute particulière de cet amasne pouvait laisser aucun doute aux géologues.

La masse rencontrée au bas du Pic Jamesn’avait pas une origine terrestre : c’était un aérolithe etcertainement le plus curieux que l’on ait vu, à cause de sacomposition et de son grand volume d’abord, mais surtout à cause desa position. Jamais encore on n’avait pu découvrir aucune traced’aérolithe dans la succession des terrains anciens.

Il est rare qu’un bonheur vienne seul. Uneseconde découverte devait suivre la première, et son importance esttelle qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes elle tient encore enémoi toute la partie intelligente du pays. On a presque oublié laguerre, et les curieux arrivent en foule au pays des Arrapahys.

Une commission s’était rendue sur les lieuxpour examiner l’aérolithe de MM. Paxton et Davis ; elleeut l’heureuse idée de faire percer la masse suivant son granddiamètre. À 4 mètres de profondeur, la composition changeasensiblement ; jusque-là, la roche présentait des traces defusion ; dans sa course à travers notre atmosphère, le bolides’était échauffé et s’était fondu à la superficie ; mais audelà, la matière devenait porphyroïde avec des cristaux très-gros,atteignant le volume d’un œuf d’amphibole[2], de quartzou de feldspath, puis du quartzite avec veines de fer et de cuivre.À 7 mètres, la composition tournait au granit avec cristauxd’argent. À 20 mètres, on avançait lentement dans del’ophite[3], quand l’outil cria tout à coup enrebondissant ; il manqua d’appui en même temps et alla sauter,en rendant un bruit sonore, quelques mètres plus bas. Un jet de gazirrespirable monta jusqu’aux travailleurs.

On élargit le trou de sonde et on creusa unpuits ; il ne fallut pas moins de dix jours ; dix joursd’attente et de curiosité non satisfaite !

Enfin, M. John Paxton, le fils dupropriétaire, et M. Davis, descendirent au fond du trou. Il sepassa quelques minutes d’indécision avant qu’ils remontassent.

Ils étaient tous deux fort pâles.M. Paxton portait avec lui une sorte d’amphore grossière enmétal blanc (argent et zinc) toute criblée de petits trous et dedessins bizarres.

D’où venait ce vase ? Qu’y avait-il aufond du puits ? Telles étaient les questions qui se pressaientsur les lèvres de tout le monde.

À la base du trou, racontèrent les deuxexplorateurs, nous rencontrâmes l’amphore enfoncée horizontalementdans l’ophite ; la sonde l’avait touchée et l’avait détachéeen partie ; deux yards plus bas à peu près, nos pieds seposèrent sur un plancher métallique qui résonna sourdement et parutencaissé dans la roche ; au-dessus et à gauche, mais tropenfoncées dans le rocher pour qu’on pût les en détacher, nous avonsdistingué plusieurs amphores métalliques avec des espèces de bâtonsen métal jaune.

La curiosité était trop excitée pour que l’onen restât là. On élargit le trou à la base jusqu’à ce que lecouvercle métallique s’effondrât. Il était tout bossué, grenu,oxydé, noir par places et même fondu. On travailla la nuit, mais cene fut que le soir du troisième jour que la plaque métalliquecéda.

On avança avec précaution, à cause du gazinflammable, mais il ne se produisit aucune explosion, quand leslampes furent descendues. Deux ouvriers et MM. John Paxton,Davis et Murchison, dérangèrent la plaque très-lourde et large dedeux yards.

Les lampes envoyèrent une lumière jaunâtre surla fouille et l’éclairèrent. Les assistants ne purent retenir uncri d’étonnement. Ils avaient devant les yeux un espacerectangulaire de un yard de profondeur et de deux yards de largeurtaillé très-certainement dans le granit. Le vide était presquepartout comblé par des concrétions calcaires, des espèces destalagmites qui scintillaient à la lueur des lampes. Au centre sedétachaient très-nettement les formes d’un homme de très-petitetaille et comme enveloppé dans un linceul calcaire. Il était couchétout au long et mesurait à peine quatre pieds ; la têtelégèrement soulevée se perdait dans un coussin de carbonate dechaux et les jambes disparaissaient aussi sous l’enveloppecalcaire.

On eut beaucoup de peine à détacher cettetombe pierreuse des parois granitiques, et il fallut encore élargirle puits pour le ramener à la surface du sol. Le calcaire s’étaitmoulé sur la fosse et s’y était sans doute chimiquementprécipité.

On fit mordre à l’acide ; c’étaitévidemment de la chaux siliceuse de tous points semblable à lachaux terrestre. On scia à mi-corps et transversalement ; onparvint vite à mettre complètement à nu une véritable momieadmirablement conservée, bien qu’un peu carbonisée en différentspoints. Les pieds, très-courts, ne purent être retirés quetrès-endommagés ; la tête sortit à peu près intacte ; pasde cheveux ; peau lisse, plissée, passée à l’état decuir ; forme du cerveau triangulaire ; visage singulieren lame de couteau, une sorte de trompe partant presque du front,en guise de nez ; une bouche très-petite, avec quelques dentsseulement ; deux fosses orbitaires dont on avait sans douteretiré les yeux, car les cavités étaient pleines de concrétionscalcaires ; bras très-longs, descendant jusqu’au delà descuisses ; cinq doigts, dont le quatrième beaucoup plus courtque les autres. Apparence généralement grêle… La peau, calcinée unpeu partout, devait sans doute être jaune rougeâtre.

On s’occupe du reste de faire mouler cesingulier habitant des mondes interplanétaires, et nous pourrons enenvoyer bientôt des dessins.

Il n’avait rien à côté de lui ; pas unearme, pas un objet d’ornement ; on retrouva seulement endehors de l’espace fossilifié une petite rondelle métalliquerecouverte d’argent sulfuré avec plusieurs lignes très-profondémentgravées.

Il était impossible de douter que l’on eût làsous les yeux une créature analogue à l’homme qui habite la Terreet venue de l’espace à une époque extrêmement reculée, puisquel’aérolithe a dû tomber à une période géologiquement très-ancienne.Mais d’où est tombé cet homme planétaire ? De la Lune, il n’yfallait pas songer sérieusement. Les aérolithes arrivent avec unevitesse telle qu’elle exclut une origine lunaire.

La discussion durait depuis longtemps lorsqueM. Murchison, en examinant les lignes qui sillonnaientl’envers de la plaque qu’on avait fini par desceller, reconnut ledessin très-net d’une sorte de rhinocéros, puis d’un palmier, etplus loin, au coin opposé, une représentation très-réussie d’unastre que l’on pouvait assimiler au Soleil tel que le dessinent lesenfants.

En examinant de plus près le métal noirci parles réactions chimiques ; en le lavant, la commissiondécouvrit à côté de l’astre qui paraissait représenter le Soleil unautre astre plus petit, puis plus loin une autre étoile, unetroisième, et enfin plus loin encore, un globe figuré beaucoup plusgros que le Soleil. En mesurant les distances, on trouvasensiblement celles qui séparent les planètes Mercure, Vénus, laTerre et Mars, du Soleil.

Il y avait là, un indice bien suffisant pouréclaircir la question. N’était-il pas permis de conclure, en effet,que l’animal dont on venait de trouver si étrangement un spécimen,connaissait les planètes et était par conséquent un êtrepensant ; donc un homme. La grosseur tout honorifique accordéeà la planète Mars au détriment des autres ne décèle-t-elle pasl’amour-propre de l’habitant, et en même temps les défauts morauxde l’espèce humaine interplanétaire ?

L’aérolithe, selon toute probabilité, provientdonc bien de la planète Mars, notre voisine, du reste. Nous pouvonsconsidérer comme hors de doute que les planètes sont bienréellement habitées et qu’elles le sont par des créatures quipeuvent se rapprocher beaucoup de celles qui sont sur Terre.

Scientifiquement, au surplus, c’est le milieuqui paraît faire l’espèce ; Mars se trouve à peu près dans lesmêmes conditions biologiques que la Terre : on y voit desmontagnes de glace, des océans, des continents ; il n’y adonc, en définitive, rien de si admissible que d’y soupçonnerl’existence d’hommes très-analogues à nous-mêmes.

Si le type qui vient d’être découvert est unpeu différent, il faut se rappeler que, biologiquement, Mars est enavance sur la Terre, que l’aérolithe est tombé depuis des milliersd’années, et qu’à cette période de sa vie, ses habitants pouvaientêtre distincts de l’espèce actuelle de la Terre. Il ne faut pas endéduire que Mars n’a pas eu ou n’a pas encore en ce moment deshabitants absolument semblables à ceux de la Terre.

Maintenant comment cet aérolithe est-il venusur Terre, comment est-il sorti de la sphère d’action deMars ? ce sont là tous points difficiles à comprendre et qu’ilfaut soumettre aux recherches de la science moderne.

L’aérolithe a entraîné avec lui une portion dusol renfermant sans aucun doute un tombeau ; ce qui nouspermet de savoir comment on exhume les morts dans cetteplanète.

On taille tout bonnement dans le rocher unefosse de grandeur voulue et on conserve le corps en le fossilifiantà l’aide d’un bain chargé de sel calcaire, absolument comme lafontaine Saint-Allyre que vous possédez près de Clermont le faitdes objets qu’on plonge dans ses eaux : le corps semétamorphose en pierre calcaire.

Encore un pas de fait dans la science, et quelpas ! Il y a un quart de siècle, on refusait de croire auxpierres qui tombent du ciel. L’Académie de France, les sociétésd’Angleterre et d’Allemagne ne se sont rendues que lorsque leursmembres ont failli être écrasés sur place par les aérolithes !Que va-t-on dire maintenant qu’un homme tout entier, parfaitementconservé, nous est tombé de Mars et est venu lui-même nous révélerl’admirable harmonie qui préside à l’évolution desmondes !…

À bientôt les dessins promis.

LETTRE II

Où les noms de deux Américains menacent de devenirimmortels. – Est-ce un canard ou une réalité ? – Avis de deuxfeuilles rivales. – Cancans à Indépendance et à Leawenworth. – Oùl’industrie humaine tire parti de tout. – Au bas de la Cordillère.– Dons et dames patronnesses. – Des académies. – Que penser de lamomie ? – Où l’on assure qu’elle nous arrive de Mars. – Sonportrait. – Singulières apparences. – Logogriphe àdéchiffrer.

Bien que vous ayez sans doute eu de nouveauxdétails sur l’aérolithe du Pic James par les journaux anglais, jevous transmets de la fouille même des renseignements plusexacts.

Que dit-on en France de la découverte deMM. Paxton et David ? ici le public est toujours enrumeur. Je suis arrivé, non sans difficultés, samedi soir, et j’aipu vérifier tout ce que je vous avais écrit de Richmond.

Si nous n’étions pas en guerre, et sans lalongueur du parcours, on ne pourrait plus tenir dans Leawenworth,la dernière station de la route. On se dispute déjà la nourritureet les guides. M. John Paxton a cependant eu l’heureuse idée,pour se débarrasser des importuns, de faire insérer dans les deuxfeuilles rivales de Saint-Louis et de Springfield que tout ce qu’onavait dit jusqu’ici n’était qu’une fable grossière et ridiculeinventée à plaisir par les gens de la localité pour écouler àmeilleur prix leur viande et leur grog. Mais les curieux ne sontpas tombés dans le piège, et tous ceux que la fatigue ou l’ennemin’effrayent pas dirigent leurs pérégrinations de ce côté.

Au fort de Mann, j’ai vu arrêter plusieursofficiers que l’importance de la découverte avait entraînés jusquedans les lignes ennemies.

Le chemin le plus direct est d’abandonner leMissouri à Indépendance ou à Leawenworth et de remonter en piroguejusqu’aux premiers rapides la rivière Bleue, qui prend sa sourcedans la Cordillère ; il faut ensuite continuer à dos de muletjusqu’au fort Mann, où les autorités ont bien voulu mettre à notredisposition le boat du commandant. On reprend la rivière Arkansaspendant deux jours de marche jusqu’au fort Bentz. Là, l’Arkansascesse d’être navigable, et il faut avancer dans la montagne aumilieu des forêts et des rocs.

Le Pic James a plus de 3000 mètresd’altitude ; c’est un soulèvement à travers le nouveau grèsrouge avec affleurement de terrain jurassique, injection de rochescristallines. L’exploitation de MM. Paxton est située sur leterrain carbonifère au contact des roches porphyroïdes. C’est làqu’on a trouvé l’aérolithe. La chute paraît être antérieure à celledu soulèvement de la Cordillère ; il est incliné effectivementdans le sens des couches avoisinantes.

Quand je l’aperçus, l’autre jour, pour lapremière fois, il me fit tout d’abord et de loin l’effet d’uneénorme boule noircie par le feu. On l’a à peu près dégagé desterres et des roches voisines ; il se montre en relief commeenchâssé dans le sol. Tout autour, on a fait une grande tranchée,mais on a laissé les arbres et les plantes, qui s’entrelacentconfusément depuis la forêt jusqu’à la fouille, et font encoremieux ressortir la teinte volcanique du bolide. Il est toutdentelé, tout crevassé ; quelquefois des facettes polies commedu verre réfléchissent les rayons du soleil et vous brûlent leregard.

On a laissé sur le quart environ de la fouilleles terres qui l’entouraient ; elles forment une sorte de pontde service pour les travaux. Au centre, en effet, a été creusé lepuits ; il a environ 12 mètres de profondeur sur 2 mètres àl’ouverture, et 1 mètre 25 centimètres à peu près à la base. Dureste, je n’ai pu descendre, car on travaille maintenanttrès-activement. Il a été décidé qu’on percerait la masse d’outreen outre, et qu’on ferait ensuite sauter à la poudre sur différentspoints pour compléter l’exploration.

L’Académie des sciences de Saint-Louis amontré un empressement qui l’honore. Elle a voté à l’unanimité uneallocation de deux mille dollars pour l’exécution des recherches.Votre Académie des sciences montrerait-elle plus de zèle et delibéralité ?

Les habitants de Leawenworth, de Batesville,deKarkabia et d’Indinapolis font une souscription. MM. Paxtonont déjà reçu mille dollars. C’est à qui participera suivant sesressources à l’œuvre commune. M. Paxton a également envoyé enéchange aux dames patronnesses des colliers et des coupes enpierres du bolide.

On commence à vendre, du reste, à très-hautprix, des échantillons de la masse, des petites figurinesreprésentant grossièrement la momie trouvée au milieu del’aérolithe. On m’en a fait une quatre dollars à mon passage àIndinapolis. C’est une source de richesse inattendue pour lesouvriers et les habitants de l’intérieur.

On bâtit de petites maisons de bois le long duchemin, depuis le fort Bentz jusqu’à l’exploitation, et on élargitle passage à travers la forêt James.

Évidemment on ira là cet été comme vosParisiens vont à Biarritz, à Ems, à Bade. J’ai déjà rencontré audelà du premier rapide de l’Arkansas un groupe de touristes deSaint-Louis, composé en partie de femmes, et des plus élégantes dela ville ; j’ai reconnu la fameuse mistress Howard, dont voussavez sans doute l’histoire.

Elle a joué un grand rôle dans la dernièrecampagne. Emmenée prisonnière par deux officiers de Grant, elles’est fait aimer du premier aide de camp ; deux duels s’ensont suivis, et elle a fini par ramener au camp de Lee, enchaînépar sa beauté, le chef d’état-major de la cavalerie fédérale. Ellehabite Saint-Louis depuis l’hiver.

L’exploitation de MM. Paxton etCie est peu considérable. Située sur le versant ouest dela montagne, très-loin des villes, elle n’était guère connuejusqu’ici que des officiers du fort Bentz, qui poussaientquelquefois leurs promenades jusque-là.

Deux grands corps de bâtiments, reliés par unpavillon central, plusieurs magasins en planche noircie par lesintempéries, une ferme et au loin les hangars destinés àemmagasiner le schiste carbonifère, et les cabanes des ouvriers,voilà toute la propriété.

En ce moment, M. Paxton fait construirepour les voyageurs une grande maison en planches analogue auxhaciendas de l’Amérique du Sud.

La commission scientifique est déjà nombreuse.On lui a réservé l’aile gauche de l’habitation ; on attend dureste de Philadelphie et de Richmond deux de nos zoologistes lesplus autorisés : MM. Wintow et Zeigler. Ils ont étéarrêtés à Pétersburg mais une lettre apportée ce matin annonce leurarrivée prochaine.

M. Murchison, qui était présent au momentde la découverte, a bien voulu se charger, avec M. Davis, dela direction des recherches.

On creuse au pic, en donnant au trou undiamètre de 1 mètre 50 centimètres. La roche est toujoursporphyroïde, très-analogue d’aspect aux éjections de même naturequi se font jour au milieu de nos schistes métamorphiques, on ytrouve des cristaux métalliques en abondance.

Tout ouvrier qui rapportera un indice curieux,un vestige d’objet ouvré, recevra une récompense de deux dollars.Ils ont ordre de n’avancer que très-doucement et avecprécaution.

On a retrouvé dans la masse et au niveau de laplaque métallique qui recouvrait le tombeau calcaire plusieursautres petits bâtons d’environ 50 centimètres de longueur, formésselon toute apparence du même alliage que l’amphore.M. Sawton, professeur de chimie à Indinapolis, arrive cesjours-ci. Les analyses très-précises d’ailleurs de M. Davisvont pouvoir être contrôlées.

L’homme ou animal interplanétaire a été déposédans le cabinet minéralogique de M. Paxton.

On l’a placé horizontalement dans la positionoù il a été découvert au sein de la masse rocheuse. M. Davisn’a pas voulu qu’on y touchât et qu’on le débarrassât de sa gangueavant que les savants aient pu l’examiner à loisir ; aussiest-il resté comme dans son sépulcre.

On ne l’a pas encore moulé, comme je vousl’avais dit, mais on a fait des photographies et des dessins. Jevous adresse avec ces lignes une vue cavalière de l’aérolithe queje viens de prendre sur place, et un croquis de l’habitant de Mars,si tant est que ce singulier personnage vienne bien de là ;considérez-le comme une esquisse enlevée aux notes de monagenda ; il est cependant assez exact pour que votre graveuren tire parti. Vous reconnaîtrez à peu près le portrait que je vousen avais tracé.

Il semble que l’on ait devant soi un de cesvieux sépulcres qui ornent les chapelles des basiliques. Lesconcrétions calcaires font sculpture et la momie elle-même faitstatue. La masse de carbonate de chaux siliceuse dans laquelle lesingulier individu est enclavé affecte la forme quadrangulaire.Elle mesure à peu près 2 mètres de longueur sur 75 centimètres delargeur et 50 centimètres de hauteur. On a scié le calcairetransversalement au tiers environ pour mieux apercevoir la momie,en sorte que l’on peut à volonté la détacher du bloc ou la remettredans sa position première. On a enlevé par places une grande partiede la gangue, ce qui permet de juger de la véritableforme.

Il semble au premier coup d œil que l’on aitdevant soi un gros singe de 1 mètre 35 centimètres de hauteurcouché tout au long et à moitié blanchi à la chaux. Ce n’est qu’enapprochant que les détails font repousser cette premièreimpression. Il n’est, en effet, rien de si étrange que la figure.Cela tient tout à la fois du singe, de l’homme et del’éléphant.

Prenez une tête humaine ; frappez lederrière du crâne avec un battoir jusqu’à ce qu’il s’aplatisse demanière à présenter une surface de 30 centimètres ; puiscontinuez en aplatissant les deux joues obliquement. Vous aurezderrière un plan, sur les côtés deux faces triangulaires ;c’est là très-exactement la conformation de la tête.

Du haut de cette espèce de lame triangulairepend une trompe large à la partie supérieure, mince à la partieinférieure ; elle a été très-endommagée ; elle mesureencore 15 centimètres sur 4 à 5 de diamètre. Elle recouvre à moitiéune toute petite bouche à très-grosses lèvres ; un peu lemuseau d’un rongeur comme petitesse avec trois dents en bas et deuxdents en haut. Au-dessous un menton fuyant et un cou très-long.Épaules étroites. Bras de 80 centimètres. Mains de 30 centimètres.Doigts effilés et pointus, le quatrième plus court que lesautres.

C’est par erreur que j’avais dit que les piedsétaient courts. Ils sont plus longs que les mains et assezétroits.

Le crâne est dépourvu de cheveux, mais on nesaurait rien affirmer à cet égard, car il est légèrement carbonisé.La poitrine est velue ou du moins laisse apercevoir dans la ganguequelques poils grisâtres ou rougeâtres. Là où la peau n’a pas étédécomposée par la chaleur, elle est brune tirant sur le rouge.

La grande plaque qui recouvrait ce tombeau esttrès-curieuse. Le métal dont elle est composée n’a pas encore étéexaminé ; il a les apparences de l’argent noirci par lesacides. Il est tout grenu, tout soufflé. La face qui regardait letombeau est plus unie ; on y distingue un très-grand nombre delignes qui resteront à étudier ; des dessins d’animauxfantastiques et d’objets aux formes bizarres.

Dans un coin, près d’une sorte de rhinocéros,on voit très-bien les astres dont j’ai précédemment parlé.

Hasard ou non, c’est bien le Soleil, Vénus, laTerre et Mars, avec leurs distances respectives, puis plus loinJupiter, Saturne, avec des erreurs dans les distances telles quenous les admettons ici.

Mars a sur le dessin 3 centimètres dediamètre, le Soleil 1, Mercure 1, Vénus 1/2, la Terre 1/2, Jupiter2, et Saturne 2. Au-dessus, et un peu effacés, on trouve des signestrès-serrés qui pourraient bien être des chiffres. Mais jen’anticipe pas aujourd’hui. La commission doit commencer ladiscussion après-demain ; je lui laisserai touteresponsabilité.

En haut et à gauche de la plaque, sous unesorte de palmier, M. Davis m’a fait observer plusieurs dessinsqui semblent représenter des hommes en tout analogues à celui quiest tombé sur terre ; c’est très-certainement cette plaque quinous permettra d’éclaircir ce mystère, s’il peut être éclairci.

Je vous envoie à la hâte ces lignes. Par lepremier courrier je vous rendrai compte des discussions qui vonts’élever ici.

LETTRE III

À Paxton-House. – Une commission de savants. –Mauvaises photographies de MM. Newbold et Greenwight. – Parlezdonc plus haut ! monsieur le Président. – Un grand géologue. –Un grand astronome. – M. Greenwight à propos de la planète LeVerrier. – Influence de l’éditeur sur l’auteur. – WilliamSeringuier et la réclame. – Les châles Biétry et l’Oléine. –M. Stek (de l’Institut).

La commission a été décidément constituéemercredi dernier et la discussion a commencé dès le lendemain. Lebruit a couru ici que Lyell, le géologue anglais, traversaitl’Océan, envoyé par la Société de géologie de Londres. Aucunenotification officielle ne nous ayant été faite de ce voyage, etcomme il est d’ailleurs impossible de garder ici indéfiniment cessavants qui y sont depuis plus de quinze jours en prévision de ceuxqui surviendront encore, il a été décidé à l’unanimité que l’on semettrait au travail sans aucun retard.

La salle des séances se trouve dans l’aileprincipale de la maison de M. Paxton ; elle peut contenirlargement cent personnes. On a déposé au centre la momie dans sonlinceul calcaire, les bâtons métalliques, les amphores, et en facede la fenêtre au grand jour la plaque métallique. Tout autour sontrangés des chaises, des escabeaux, puis des banquettes faites pourla circonstance, car les sièges étaient rares à James-House. Enface de la porte d’entrée, MM. Paxton ont fait élever unesorte d’estrade pour le bureau.

Au-dessous on a placé une longue table muniede la serge verte sacramentelle pour les secrétaires. Enfin, enarrière, en face du bureau et au delà des sièges de la commission,MM. Paxton ont eu la complaisance de réserver une enceintepour les journalistes ; il y a ici des représentants de lapresse du Nord et du Sud : Washington, Philadelphie, Boston.Nous vivons tous à peu près en bonne intelligence à l’ombre dudrapeau scientifique.

Voici les noms des commissaires. Vousretrouverez parmi eux plusieurs de nos célébrités. Je les prendscomme je les vois groupés devant moi.

Au bureau, occupant le fauteuil de laprésidence, M. Newbold, peut-être le géologue du Sud qui a leplus servi la science ; homme de soixante ans environ, formé àl’école des Buchs, Humboldt, etc., qui n’a qu’un tort pour nous,c’est de parler trop bas. Physionomie profonde, œil vif, presquetoujours les deux coudes appuyés sur la table et les mains croiséesà hauteur de nez ; au demeurant, excellent président habitué àmanier la sonnette.

À sa droite, le vice-président,M. Greenwight, l’astronome le plus marquant de Philadelphie.Grand, blond, énergique, bien constitué, Yankee d’apparence et defait. Sa réputation date de longtemps déjà. Sorti de l’École desofficiers de New-York, il s’adonna d’abord à la chimie, étudial’eau oxygénée et s’éprit tout à coup d’un vif amour pourl’astronomie. Appelé par les circonstances à Philadelphie, ildécouvrit deux petites planètes et retrouva à plusieurs joursd’intervalle la fameuse planète Neptune de M. Le Verrier.

Il est d’un caractère droit et loyal, bien queYankee. Et le jour où les journaux français vinrent lui annoncerque sa planète avait été déjà trouvée par un astronome de Paris, ilcourut de suite à l’Académie et prononça cette phrase qui fitbeaucoup sourire la gauche :

« Messieurs, qu’on ne s’y trompe pas, LeVerrier le premier a découvert sans télescope et par les seulesforces du calcul l’astre que j’ai aperçu le 27 septembre. C’estunique, c’est merveilleux. Le Verrier est désormais le ChristopheColomb du ciel. Pour moi, messieurs, je n’en serai jamais l’AméricVespuce. Il faut rendre à César ce qui appartient àCésar. »

On n’a pas oublié à Philadelphie, néanmoins,que si M. Le Verrier avait été malade quelques jours ou s’ils’était trompé dans une addition, l’honneur de la grande découverterevenait à l’Amérique. À quoi tiennent les honneurs !

M. Greenwight parle bien. Sa voix estpuissante et nerveuse… mais quelquefois trop riche en heu,heueueu ! vous savez ce heu qui sert de traitd’union à deux paroles boiteuses. Nonobstant, c’est un orateur, etmême un orateur qui occupe un bon rang dans nos assembléespolitiques. Très-considéré à Philadelphie, il est évidemment deceux qui, à Paris, seraient grand’croix de la Légion d’honneur.

À gauche du président sont assisMM. Wintow et Ring, un zoologiste et un ethnologiste.

M. Wintow est le plus singulier petithomme que l’on puisse voir : professeur a Washington, décorédes ordres de Russie, d’Italie et d’Espagne, il n’en paraît pasmoins mécontent et grinchu. Il s’est fait naturaliser Américain,car il était Anglais de naissance. Il occupe la chaire de zoologiede Washington depuis plus de vingt ans ; je crois que c’est ledoyen des zoologistes.

Très-bien avec tous les pouvoirs, avecl’Église, il a couvert l’Amérique de petits traités à deuxschellings et de grands traités à quatre et même cinq dollars,édités chez Nossamm et fils, le libraire de l’École de médecine dela ville. Il est très-connu des étudiants et leur examinateur. Ilest membre de l’Académie de Philadelphie et porté comme membrecorrespondant de l’Institut de France. C’est un homme arrivé et quin’a plus qu’à faire arriver son fils Alphonse.

M. Rink est plus grand de quelquesdécimètres que M. Wintow, son illustre confrère ; il estcependant plus petit dans l’opinion des académies de province. Il ala parole facile, mais épineuse et grinçante. Il professe depuisnombre d’années l’anthropologie, et personne ne s’en plaint,surtout ceux qui s’occupent d’économie politique. Il collabore à laNew-Review et fait la cour aux journalistes.

On le dit très-bien avec William Seringuier,qui siège à quelque pas de moi, par parenthèse. Ce nom-là vous aurasans doute agacé les nerfs plus d’une fois ; on le voit auxquatre coins de l’horizon des réclames, comme chez vous les châlesBiétry ou l’Oléine pour attraper plus vite les poissons.

William Seringuier a fini, grâce à l’annonce,à la maison Hacken et Cie, de New-York, certainement laplus puissante d’Amérique, grâce surtout à la bêtise dequelques-uns de ses confrères, il a fini par se faire uneréputation dans le gros public des marchands, affriandé de gravureset de mots soufflés. Il est reçu chez M. Rink, qui lui rendses visites.

M. Rink est à tout prendre un homme dumonde et un excellent naturaliste. Le président M. Newbold leregarde quelquefois du coin de l’œil entre ses doigts croisés.M. Newbold en effet n’a jamais voulu entendre parler del’homme fossile, c’est pourquoi il est accouru voir l’habitant dela planète Mars, et M. Rink est le défenseur le plusénergique, le plus grand, après M. Shafford, du même hommefossile. Ici, comme chez vous, nos savants ne sont pas toujoursd’accord.

À gauche, au bout de l’estrade, se tient unpetit être gris, des cheveux jusqu’aux talons, admirablement rasé,pas beaucoup plus grand que l’habitant de Mars, mais mieux detournure. C’est le secrétaire perpétuel de la Société d’agriculturede Boston, ici secrétaire-adjoint, un agronome greffé d’un chimisteet d’un industriel. Il a un peu de Méphistophélès dans le regard etdans le sourire. Il est dit-on, l’auteur, avec un poëte célèbre,d’un traité sur les Coprolithes qui fit certain bruit enson temps.

Au-dessous de l’estrade sont plus ou moinscommodément assis devant la serge verte deux de nos anciennesconnaissances, M. Paxton et M. Davis, et un troisièmesavant que je me fais un plaisir de vous présenter ; vous leconnaissez de réputation : M. Stek.

Il est astronome, journaliste, naturaliste,officier, bibliophile, poëte, érudit, helléniste, météorologiste,géologue, chimiste, physicien, professeur, examinateur, ingénieur,courriériste, modiste…, et j’en passe. Grand ami du désordre, c’estde lui le paradoxe : « Le désordre, c’estl’ordre. »

Il porte soixante-dix ans. Il ressemble un peuà Quasimodo, à votre Quasimodo, et cependant il est beau.

Il a du Dante dans l’expression, du Byron dansla démarche ; il est tout courbé, et pourtant il paraît grandet fier. Il a le visage pommelé, et je sais qu’il fait rêver lescaractères romanesques. Sa chevelure est grise-brune, tournant à lavoie lactée ; elle flotte au vent et abrite ses yeuxrenfoncés ; il ne les peigne jamais : car le désordre,c’est l’ordre, et encore une fois l’opinion publique lui donneraison.

Il ne tient pas toujours ses yeux ouverts.Lorsqu’il prépare un distique, il les entr’ouvre. S’agit-il d’uncalcul interplanétaire, il les ferme tout à fait. Fait-il unecauserie, car il excelle dans l’art de causer, il les ouvre et lesferme alternativement pour marquer le rhythme de sa conversation.S’il avait des ennemis, – il n’en a jamais eu, – il les tiendraitbien sûr tout grands ouverts.

Stek prise et fume suivant les cas. Il ne ditjamais de mal de ses confrères en science ou en journalisme, maisil n’en pense pas moins. Combien de fois l’avons-nous surprisriant, à s’en trouver mal, des erreurs ou des satires d’autrui, etécrire le lendemain que l’œuvre se lisait, était intéressante, etse tirerait à dix mille exemplaires ! Si je ne le savais né àPétersburg, je le prendrais pour un Normand, un vrai Normand !Il a les doigts très-effilés et le nœud philosophique. La confusionn’est pas possible.

Stek a fait de beaux travaux, mais il auraitpu en faire de plus beaux. Il est trop papillon ; c’est unsavant artiste, non un artiste trop savant. Ses deux natures seheurtent et se gênent. Il se met mal, et cela peine l’Académie dePhiladelphie, qui tient beaucoup à l’étiquette. Le pantalon tropcourt laisse voir les bas trop longs ; la chemise bâille à sonaise dans un gilet vierge de boutons, et la cravate décrit unetrajectoire allongée autour du cou et promène son nœud lâche ducouchant au levant.

Le mouchoir trop souvent pend de sa poche etflotte comme un pavillon national au mât de misaine. La redingoteolive se fait vieille comme son maître, mais elle redresse ses pansen arrière et ses revers en avant comme pour protéger Stek ducontact de la multitude. – Que de gens l’achèteraient cher, cetteredingote qui fait le désespoir des académiciens dePhiladelphie ?

Stek est un véritable type. Frappez à saporte : s’il est de bonne humeur, il vous fera entrer ;s’il s’est mal levé, il vous dira : « Je n’y suis pas,monsieur ; revenez dans une heure ; » et il vousfermera la porte au nez.

Au bout d’une heure repassez.

« M. Stek y est-il ? » –Stek ouvre et ferme les yeux deux fois. Il tire sa montre et laregarde comme il regarderait une nébuleuse :

« C’est bien, dit-il, il estl’heure : entrez, monsieur. »

Entrer est chose commode à dire, mais pas sifacile qu’on le croit. Stek enjambe, saute, glisse, tourne etavance, mais le visiteur reste sur place. Un couloir est devantlui. À droite, à gauche, des monceaux de livres montant jusqu’auplafond et disposés comme deux talus de chemins de fer. Il fauts’engager dans cette tranchée ; des blocs, des rochers debrochures, de vieux livres agglutinés par la poussière gênent lepassage : un vieil instrument de physique oublié barre laroute comme un pont. La lumière est à peine admise dans cesanctuaire.

« Mais allez, mais allez donc,monsieur ! crie Stek en ricanant ; nous n’arriveronsjamais. »

Le visiteur encouragé s’élance, et, aprèsquelques faux pas, quelques chutes, parvient dans une premièrepièce.

Même aspect : des tunnels de livres, desmurailles d’opuscules et de mémoires. Stek ne lui laisse pas letemps de souffler. Il disparaît derrière un nouveau talus imprimé.Il faut suivre, coûte que coûte. On tourne le défilé.

« C’est ici, fait Stek, qui se trémoussedans cette poussière comme un tardigrade dans unegouttière. »

Où diable est-il ? pensez-vous en lecherchant dans une énorme chambre toute garnie de stalactites et destalagmites de livres bizarres. Un petit bruit comparable à celuid’un hérisson qui passe dans le feuillage vous met sur la voie.Stek est déjà assis sous un arc de triomphe de volumes appartenantà toutes les librairies du globe. Derrière lui une cheminée vide enété, avec un tison en hiver ; une petite table ; unencrier, un crayon dessus et du papier. À côté une tabatière et unbout de cigare orné de sa cendre.

« Asseyez-vous, monsieur, etcausons. »

Le visiteur cherche un siège. Ses regards n’enrencontrent aucun.

« Les moments sont précieux,monsieur : que puis-je pour votre service ?Asseyez-vous. »

Quatre bouquins poussiéreux étalent leurnudité devant l’âtre ; le visiteur s’y pose avecreconnaissance.

« J’ai inventé, dit-il, le moyen dediriger les ballons, et je viens vous demander conseil ! J’aipris une souris, je l’ai attelée à un petit manège d’enfant. Àl’axe du manège j’ai adapté quatre ailettes faisant hélice commedans un moulin à vent, et j’ai vu les ailettes se visser dansl’air, emportant mon manège et ma souris. Comme celle-ci sedébattait et tournait de plus en plus vite, saisie de frayeur, lemanège et les ailettes s’envolaient de plus en plus haut. Je lesperdis bientôt de vue.

– Monsieur, dit Stek, vos ailettesemporteraient encore mieux un éléphant. Vous et votre souris, vousavez résolu le grand problème de la direction des ballons. Ce n’estplus qu’une question de technologie ; la solution scientifiqueest trouvée. Rasseyez-vous.

– Je le pense, monsieur Stek, maisquelques minutes après, en allant chercher une autre souris et unautre manège pour recommencer l’expérience, j’ai entendu un grandsifflement : une petite masse noire tombait à quelques mètresde moi, et je n’eus pas de peine à reconnaître ma première souriset mon premier manège. La souris était morte et les ailettes enpièce.

– Monsieur, le temps est précieux et lavie est courte, votre système est extrêmement ingénieux, et vousenlèveriez avec cela un éléphant, vous dis-je. Ne vous inquiétezpas du reste. C’est une question technologique. Ceci ne regardeplus les savants, mais les mécaniciens et les ouvriers. Travaillezavec persévérance et revenez prendre mes avis quand vous aurezréussi. »

Le visiteur se retire, éclairé sur sonsystème, et s’en va comme il peut, guidé par son hôte etparfaitement convaincu que le désordre, c’est l’ordre. Tel estStek.

J’oubliais de dire qu’il ne reçoit que ledimanche. Il s’est fait par son originalité une grande renommée, etil n’y a pas d’homme plus populaire en Amérique. On dirait àquelqu’un : – Stek va venir là tout à l’heure, qu’à coup sûron le retrouverait attendant patiemment encore au bout de plusieursheures.

Je ne saurais passer en revue tous lesassistants, je craindrais de vous fatiguer ; j’en choisiraiencore quelques-uns parmi les plus marquants, les plus bavards,pour que vous ayez bien dans la suite la physionomie des débats.Autour du bureau et en avant sont rangés tous les autresmembres : ce sont MM. Haugton, professeur depaléontologie à Boston ; M. Liesse, professeur degéologie à Albany ; M. Saunter, directeur de l’Institutde Nashville ; M. Ziegler, président de l’Académie deRichmond ; M. Sawton, titulaire de la chaire de chimied’Indianopolis ; M. Murchison, membre de la section degéologie de l’Institut de Washington ; M. Oupeau, médecinprincipal de l’hôpital de Baltimore ; MM. Skrimpton,Liess, White, Millon et Karter, de l’Académie de Saint-Louis ;M. Owerght, professeur d’astronomie physique à Richmond ;M. Sawen, ingénieur en chef des constructions navales àAnnapolis ; M. G. Mitchell, anatomiste très-distingué deFrancfort ;

MM. les officiers d’artillerie Saunters,Cayley, Mérit et Bug ; M. Sieman, professeur de chimie etde docimasie à l’École des mines de Washington ;M. Logan, astronome-adjoint à Pétersburg ;M. O’Clintock, examinateur de physique à l’École desMines ; M. Larrab, directeur du Journal d’Agriculturede Washington ; M. Richardson, ingénieur del’établissement Filox et Cie ; M. Engelhard,professeur de cosmographie à Springfield ; M. l’abbéAmaurose, missionnaire français habitant Nashville depuis dixans ; M. Gouge, membre de la Société géologique deLondres ; M. Evans, professeur de mathématiques àIndianopolis, et enfin votre très-humble serviteur.

LETTRE IV

Mise en scène. – Suite. – Les journalistes. –William Seringuier. – L’abbé Omnish. – Williamson. – Noirot deSauw. – De la difficulté de commencer par le commencement. –Discussion. – L’infiniment petit et l’infiniment grand. –Astronomie moléculaire. – Ce que c’est que la matière. – Dansediabolique de tout ce qui nous entoure. – Étoiles lilliputiennes. –Deux cent cinquante mille ans pour compter ce que renferme d’astresla pointe d’une épingle. – L’harmonie dansl’univers.

Nous sommes en nombre, vous le voyez, et nousavons encore derrière nous les correspondants de nos principauxjournaux. William Seringuier, malgré sa paresse traditionnelle, afait le voyage. L’abbé Omnish, sans contredit notre premiervulgarisateur scientifique, est à son poste. Aussi, A. Williamson,le prétentieux rédacteur du Strand de Washington, puisNoirot de Sauw, un médecin de Molière, ressuscité au dix-neuvièmesiècle.

Quelques mots bibliographiques encore, et j’enfinirai avec cette trop longue mise en scène.

Je suis bien forcé de vous dire en effet queHaugton, que j’ai mis en tête de la liste, passe à notre époquepour un des premiers paléontologistes. Il est à peu près jeune, et,à l’inverse de Stek, il ne sort jamais que le stik en main et quela main dans des gants ajustés. Sa taille serrée indique un ancienmilitaire. Je crois qu’il a servi autrefois. Il esttrès-bienveillant, dit-on, en tous cas, très-indulgent ;peut-être un peu trop à l’eau de rose, malgré sa tournuremilitaire. C’est lui, qui en présentant à l’Académie de Boston, ily a deux ans, un des ouvrages blafards de William Seringuier,s’écriait dans un mouvement d’éloquence comique :« Enfin, que dirai-je de plus à l’Académie ? l’auteur,avec son habileté ordinaire, a su retirer toutes les épines de lascience pour n’en laisser que les roses. »

Le mot est devenu historique, et, quand onveut désigner Haugton, on ne manque pas de dire : Lepaléontologiste aux roses sans épines. Il est de fait queM. Haugton est un gentleman dans toute l’acception du mot.

Vous signalerai-je Liesse, professeur àAlbany, ingénieur des mines, élu il y a deux ans déjà membre del’Académie ? Il est long et maigre, il a beaucoup travaillé lemétamorphisme, comme son confrère l’ingénieur Vanbrée, qui moinsheureux que lui, attend encore un fauteuil. Liesse a fait desaérolithes, sa spécialité académique. Il était ici l’un despremiers. – Oupeau, un médecin de Baltimore reconnaissable danstous les pays du monde à sa cravate blanche qui lui monte au-dessusdes oreilles et à la roideur de son torse. Ce n’est pas un orateur,il s’en faut. – Owerght, professeur d’astronomie physique àRichmond, un ami de l’astronome Greenwigh, bon mathématicien.

Il faut bien s’arrêter : je n’en finiraisjamais, et mon papier diminue à vue d’œil. Je dépeindrai, s’il y alieu, au fur et à mesure de la discussion.

C’est mercredi, 22 juin, que la commission atenu sa première séance, et quelle séance ! Ouverte à uneheure, elle n’a été levée qu’à sept heures ; il n’en est restépour moi cette première fois qu’un fait parfaitement acquis :c’est qu’il n’y a rien de si difficile que de commencer par lecommencement. C’était à qui prendrait la parole et réglementeraitla marche de la discussion. Newbold suait à grosses gouttes à forced’agiter la sonnette et ses mains se croisaient et se décroisaientcomme une bielle de machine à vapeur.

Commencerait-on par discuter la possibilité dela chute sur la terre des corps célestes ? question avanttout, astronomique et sur laquelle Greenwight insistait toutparticulièrement. Ne se préoccuperait-on, au contraire, toutd’abord que d’examiner la momie au point de vue physique,physiologique ? Ne serait-il pas préférable d’examiner lesujet au point de vue chimique ? Et la sonnette s’agitait, etMM. Wintow et Rink faisaient grincer leur voix ;MM. Sawton, Davis, Murchison, tapaient du poing sur la sergeverte ; M. Stek fermait les yeux ; Newbold essayaitde parler ; William Seringuier criait tout haut de sa placeque Newbold n’avait pas de sens commun, et que s’il était à saplace, le silence se rétablirait vite : Quel bruit ! vousn’en auriez guère l’idée qu’en vous reportant aux beaux jours devos débats parlementaires.

Greenwight finit néanmoins par conserver laparole.

« Messieurs, dit-il en se ravisant, il mesemble que le débat s’égare et que ni l’astronomie, nil’anthropologie, ni la physiologie, ne doivent avoir le pas ici.Tout doit être repris avec ordre. Or, d’abord de quois’agit-il ? d’un aérolithe. Donc, la parole revient de droitet de fait aux géologues et aux chimistes : une fois ce pointéclairci, je pense qu’il sera convenable de voir de quel coin duciel cette masse nous arrive, si elle n’est pas d’origineterrestre ; ceci regardera les astronomes et lesphysiciens ; enfin viendra le tour des physiologistes, despaléontologistes, etc. Le hasard, du reste, messieurs, nous amontré le chemin. N’avez-vous pas pris pour président un géologue,pour vice-président un astronome et pour secrétaires un zoologisteet un anthropologiste ?

M. NEWBOLD. M. Greenwight me sembleavoir raison et si la commission n’y voit aucun inconvénient, jerésumerai l’ordre du jour ainsi : discussion géologique,discussion astronomique, discussion anthropologique. »

Personne ne demande la parole.

Toute la salle l’avait prise sans lademander.

Un coup de sonnette prolongé.

« La décision est adoptée, » murmurele président en se croisant les mains.

La parole est à M. Paxton d’abord et àM. Davis ensuite.

Ils racontent dans tous leurs détails lesdifférents incidents de la découverte de l’aérolithe. Vous lesconnaissez.

M. Davis montre ensuite les analysesqu’il fit de la surface du bolide. M. Paxton, qui les areprises depuis, donne les siennes. L’accord est à peu prèsparfait.

M. SIEMAN, professeur de docimasie àl’École des mines, petit, railleur, et très-sceptique. –M. Sawton pourrait-il me dire s’il est bien sûr d’avoirconstaté la présence du cœsium ? L’analyse porte traces.Comment a-t-on opéré ? Je demande pardon d’insister, mais lacommission se rappellera peut-être que j’ai trouvé le cœsium, il ya deux ans déjà, dans plusieurs espèces minérales :l’aphanèse, le nickelocre[4], latriphyline[5],la panabase, la bournonite[6], etceci a pour moi un intérêt direct.

M. SAWTON. J’ai tout unimentopéré avec le spectroscope, et la raie caractéristique s’estmontrée dans presque tous les échantillons placés dans laflamme.

M. SIEMAN. Vous n’avez trouvé aucunesubstance étrangère à la terre ?

M. SAWTON. Non.

M. DAVIS. J’ajouterai que certainscristaux, ceux d’argent, par exemple, n’affectent pas la même formequ’ici. J’ai trouvé l’argent cristallisé, non plus dans le systèmeoctaédrique, mais dans le système prismatique carré.

LE PRÉSIDENT. M. Davis a vu le bolide aumoment où il était encore enclavé dans les terres. Lesaffleurements étaient-ils horizontaux ?

M. DAVIS. Non, monsieur le président,mais inclinés N. 33° O. ; pour moi, il n’y a pas lemoindre doute que l’aérolithe est tombé à une époque géologiquementancienne, car on retrouve à très-peu près cette inclinaison dansson axe principal. Très-certainement il était en place, quand laCordillère, en se soulevant, a relevé les couches voisines.

M. NEWBOLD. Je ferai remarquer àM. Davis qu’au-dessus du terrain carbonifère, il existe undépôt variable de 1 mètre à 3 mètres de hauteur. Ce dépôt n’est pasdiluvien, et dans la carte que j’ai moi-même dressée, et certes paspour la circonstance, il est noté terrain d’éboulementoumeuble. Il provient du sol des forêts vierges. Est-ce surcette couche que M. Davis a mesuré l’inclinaison ? Ellen’aurait dès lors aucune valeur.

M. DAVIS. La couche était enlevée quandje suis arrivé, et je n’aurais d’abord pris mes mesures, bienentendu, que sur les dépôts anciens.

M. WINTOW. Vous n’avez reconnu aucunetrace d’ossements humains dans cette couche supérieure, aucun silextaillé ?

M. PAXTON. J’ai trouvé un peu plus loin,dans une fouille au N. O., un amas de bouts de flèches en pierre etdes ossements d’aurochs, je crois. Mais les flèches étaient enporphyre et non en silex.

M. RINK. Je vous demanderai à voir cesobjets, monsieur Paxton. L’Institut de France se préoccupe beaucoupde ces questions. M. de Quatrefages sera heureux que nouslui envoyions quelques spécimens. M. Lyell, de son côté,recevra avec intérêt les détails que vous voudrez bien luidonner.

M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, nos séancessont chargées. Permettez-moi de vous ramener à la question. Lepremier point à élucider est celui-ci : la masse rocheusedécouverte par M. Paxton est-elle bien un aérolithe ? Jecrois que personne ne doute que la composition et le gisementsemblent le prouver. Pour moi, je ne pense pas qu’on ait jamaistrouvé sur terre aucune roche présentant ses caractèresspéciaux.

M. HAUGTON, le géologue aux épines,appuie par signes l’opinion de M. le président.

M. LIESSE, ingénieur des mines, demande àfaire une observation. Je pense, en effet, dit-il, que l’on a bienmis à nu un véritable aérolithe, mais, pour mettre notre décision àl’abri de toute critique, il me paraît important de voir si l’on netrouverait pas dans les environs et dans la même formation desroches analogues à celles-ci par la composition. Ne pourrait-onsupposer en effet qu’il s’est produit à une certaine époque desconcrétions, ou une pluie de matériaux d’une composition identiqueà celle de l’aérolithe ? On a des exemples de géodes ou decristallisations complètement différentes, par la substance qui lescompose, des terrains voisins.

M. RINK. On ne peut que gagner à faire ceque demande M. Liesse, mais, à mon sens, la question estjugée. Le vernis noir et épais qui entoure la masse indique destraces de fusion, et la roche n’a pu se fendre que par suite d’unlong voyage à travers l’atmosphère et à une vitesse énorme. Doncson origine n’est pas terrestre.

LE PRÉSIDENT. Je mets aux voix la proposition.Que ceux qui sont d’avis de l’adopter lèvent la main.

Un grand nombre de mains se lèvent. Laproposition est adoptée.

M. VAUBRÉE. Je demanderai à faireobserver à la commission que, bien que l’opinion qu’elle vientd’exprimer ne l’engage en rien sur la véritable origine de lamomie, elle n’en a pas moins beaucoup d’importance au point de vuede la constitution planétaire. C’est un bolide, donc il vient desespaces ; donc sa composition est celle des corpscélestes ; donc, d’après les analyses faites, les éléments desautres astres seraient à très-peu près ceux de la terre ; danstout notre système on retrouverait sous différentes formes decristallisation les mêmes roches, les mêmes métaux.

Il y a donc là, chacun le comprendra, un grandpas de fait. Si les éléments constitutifs des astres sont lesmêmes, il est permis de préjuger que tout notre système a uneorigine commune.

Je n’insiste pas ; j’ai seulement vouluattirer sur ce point l’attention des géologues et desastronomes.

M. MURCHISON. C’est une confirmation pureet simple des théories de Laplace, qui fait de nos planètes et dusoleil des débris et des morceaux d’une grosse nébuleuseprimitive.

M. OWERGHT. Évidemment, mais n’aurait-onpas trouvé les mêmes substances ou aurait-on même découvert dessubstances différentes, qu’il ne serait encore permis de rienconclure, car toute matière est caractérisée par le groupement deses éléments, la juxtaposition de ses molécules. Or, cettejuxtaposition dépend de la température et de la vitesse aveclaquelle se produisent ces changements de température. Donc, quedans chaque astre la température ait varié brusquement oudifféremment, et voilà autant de causes de transformation de lamatière, autant d’origines de substances diverses.

M. O. CLINTOCK. Je tiens à confirmerl’opinion de mon honorable collègue. Il me paraît très-certain,dans l’état actuel de la science, que les corps ne diffèrent quepar le groupement moléculaire comme les constellations du ciel sontdissemblables par la position des étoiles. Prenez deux, troisvilles quelconques, vues d’un ballon à une grande hauteur ;elles différeront peu ; ce seront bien des villes, mais, unpeu plus près de terre, leur aspect changera, et uniquement à causedu rangement des maisons, de la disposition topographique des rues,des promenades et des édifices.

Tel est le cas pour un minéral ou unesubstance quelconque. Suivant que les forces naturelles aurontplacé de telle ou telle manière les rues, les promenades ou lesmaisons de ces petites villes moléculaires, vous ressentirez uneimpression différente. Tout dépend là de l’architecte, ici del’influence de la force prédominante.

M. SIEMAN. J’approuve de tous points lamanière de voir de mes savants confrères, et, si la commissionm’autorisait à garder la parole quelques minutes (oui !oui !), j’ajouterais que des travaux personnels développantles vues de mathématiciens américains et étrangers me permettentd’avancer qu’un corps quelconque représente très-exactement et enminiature tout un système céleste comme celui que nous apercevonsdans le ciel chaque soir ; la voie lactée. Les astronomes quiveulent bien m’écouter savent mieux que moi que la terre est unemolécule parmi tous ces innombrables astres dont l’ensemble frappenos yeux comme une longue traînée blanche.

La terre fait partie intégrante de la voielactée. Hé bien ! un corps, quel qu’il soit, prenez, pourfixer les idées, le bois, l’or, le diamant, n’est qu’un amas deconstellations moléculaires diversement groupées. Du grand au petitl’analyse est complète. Notre œil n’est pas fait pour apercevoirdans tous leurs détails ces étoiles et ces systèmes infinimentpetits. Peut-être d’autres animaux mieux constitués que nous lesaperçoivent-ils ?

Toujours est-il clair que, si vous pouviezconstruire un microscope d’une puissance considérable, vousarriveriez avec cet instrument à dédoubler les étoiles moléculairesde chaque petite voie lactée terrestre, comme on dédouble et commeon réduit les nébuleuses du ciel avec les télescopes. Affaire decoup d’œil. Vous verrez alors ce qui vous paraît être un amasconfus se ranger avec une symétrie admirable.

Les corps seraient percés à jour ; vousdécouvririez d’énormes interstices, des espaces vides, comme lesespaces planétaires ; puis, de place en place, des étoilesharmonieusement groupées, et tout autour de chacune d’elle, desatmosphères ; et, merveilleux spectacle ! tous ces petitsastres moléculaires tourneraient avec une rapidité vertigineuse,décriraient des trajectoires plus ou moins obliques ; commeles gros astres du ciel ; puis, en augmentant encore lapuissance de votre instrument, vous finiriez par voir tout autourde chacun des astres principaux d’autres petites étoiles, dessatellites comme notre lune, opérant majestueusement etrégulièrement leur mouvement de rotation : l’infiniment petitest si infiniment grand !

Tous ces mouvements sont si rapides qu’ilssont insaisissables pour l’homme ! ils sont suffisammentnéanmoins pour l’impressionner !

Étranges résultats ! la chaleur, lalumière, messieurs, dont nous ne savions trouver la causevéritable, mais nous l’avons découverte, cette cause !

Ces mouvements infiniment rapides, ils nouschoquent, ils nous touchent.

Directement ? non.

Ces petites étoiles ont des masses si petitesqu’elles ne produiraient pas sur nous plus d’effet que les grainsde sable qui voltigent dans l’air sur le Micromégas du FrançaisVoltaire. Mais ces petits astres, qui grouillent en cadence dansleur milieu intermoléculaire, y trouvent une atmosphère de masse demême ordre que la leur ; ils agitent cette atmosphère ;ils y font naître des rides comme la pierre jetée dans l’eauproduit des cercles concentriques. Et ces ondulations, répétéesavec une vitesse de 400 billions par seconde et même de 1000billions ! viennent nous heurter et déranger le mouvement desautres astres qui forment la charpente de notre corps.

Si ces chocs augmentent leur vitesse detranslation ou de rotation, nous ressentons une impression dechaleur ; si, au contraire, les constellations de notre corpsétaient animées de mouvements plus rapides, ces chocs nous feraientperdre de la vitesse, et nous éprouverions une sensation defroid.

Lorsque ces mouvements intermoléculaires seproduisent dans des circonstances de masse et de vitesse données,ils impressionnent l’œil ; les ondulations de ces petitesatmosphères si subtiles viennent frapper la rétine et mettent envibration, à leur tour, les astres qui la constituent. Nous voyons,nous ressentons l’impression lumineuse. Je reviendrai sur ce point,du reste, dans la suite de la discussion. Je ne suis pas fâchéd’avoir montré que les géologues, ou plutôt les minéralogistes,sont des astronomes, de véritables astronomes ; ils s’occupentd’astronomie moléculaire, au lieu d’étendre leursexplorations dans l’infini des espaces appropriés à l’étendue de lavue humaine.

Il n’y a de différence que dans l’ordre desgrandeurs. S’il existait sur terre des animaux infiniment petits etintelligents, il pourrait s’y trouver de véritables astronomes dontles découvertes porteraient au même titre que nous sur la mécaniquecéleste de ces petits mondes lilliputiens. J’ajouterai encore, etje ne crois pas contrarier par là ni les astronomes ni surtout lesminéralogistes, que l’astronomie est, sans qu’il y paraisse,dépendante de la minéralogie. Et le jour où nous aurons trouvé leslois qui régissent les groupements moléculaires, les lois quigouvernent les mouvements de ces infiniment petits, les astronomesn’auront plus qu’à nous suivre.

M. NEWBOLD. Vous venez, messieurs (plushaut !) de montrer que les dernières particules des corpsn’étaient que l’image réduite de ces grands corps célestes quitourbillonnent dans les cieux : mais la terre elle-même n’estqu’une particule, qu’une molécule même de l’amas que nous désignonssous le nom de voie lactée. Nous avons là très-grossie,très-facile à étudier par conséquent, une molécule type qui nousdonne l’aspect physique très-exact des dernières moléculesinfiniment petites dont l’agrégation forme tous les corps que nousvoyons. Nous n’avons qu’à passer du grand au petit pour savoir cequi se passe dans ces interstices moléculaires si infimes qu’ilséchappent aux instruments les plus puissants.

Qu’est-ce que la Terre ? une sphère de1 500 lieues de rayon dont les parties constituantes vonttoujours en augmentant de densité de l’extérieur au centre.

Depuis l’origine, les matériaux ont pris placepar ordre de densité, les parties lourdes au centre, les partiesplus légères à la circonférence. Le plancher sur lequel nousmarchons, le sol, véritable écorce rigide et élastique, n’estqu’une mince pellicule moins lourde que ce qui précède ; c’estun radeau continu flottant sur la matière interne ; on auraune idée de son épaisseur en la comparant à la peau d’unepêche.

Au centre, la matière a plus de masse ;ses mouvements sont plus rapides ; la température est élevée.À mesure qu’on monte, la masse de la matière est moindre, lesmouvements diminuent de rapidité en se communiquant plus facilementà la matière déliée répandue dans l’espace, et la température estbeaucoup moindre. Elle devient même à un certain point assez bassepour que les molécules matérielles se rapprochent et se juxtaposentassez près l’une de l’autre pour former un sol rigide. C’estl’écorce terrestre.

Au delà, la température est variable,directement soumise aux influences du soleil ! La matière estplus rare, les corps sont gazeux ; l’atmosphère aériennesuccède à la croûte terrestre, et on y retrouve comme dansl’intérieur le même ordre de densités, beaucoup plus de matière àla surface que dans les couches élevées. Le fluide aérien va aussien se raréfiant de plus en plus, pour se confondre à la limite avecla matière si ténue qui remplit les espaces. (On n’entendpas !) La suite de ces chiffres donnera un peu l’idée dudécroissement successif de la masse de la matière, depuis le centrejusqu’à la périphérie :

Globe terrestre.

Atmosphère.

10, 8, 6, 4, 2, 1

1/2000, 1/4000, 1/6000, 1/8000

Il se produit, comme le montre cetteproportion, un saut brusque au delà de l’écorce. La matière déliéequi a échappé à la combinaison et qui, par conséquent, a le moinsde masse, surnage.

C’est l’excès de matière refouléesuperficiellement par les réactions internes ; c’est une sortede remous.

Peu à peu, cet excès de matière trouve saplace à l’intérieur, elle se casse lentement, se combine etdisparaît. L’atmosphère de toutes les planètes dans l’immensité destemps se réduit ainsi successivement, elle se condense de plus enplus, entre en combinaison stable. Aussi ne faudra-t-il pass’étonner de voir les hauteurs des atmosphères diminuerprogressivement et leur limite se confondre de plus en plus avec lamatière subtile et insaisissable des milieux interplanétaires.

Ce que je viens de dire, messieurs, pour notreglobe en particulier, pour la molécule terrestre, s’adresse aussibien à tous les astres, à toutes les molécules planétaires, àtoutes les molécules constituantes des corps. Nous allons retrouverles mêmes détails, les mêmes caractères, les mêmes lois dans cesmyriades de particules qui font cette table sur laquelle jem’appuie, cette main, cet encrier, tous les objets quim’environnent.

Soulevez avec le levier d’Archimède l’unquelconque de ces petits mondes miniatures, la molécule qui formece morceau de sucre, par exemple ; voyez-les avec des yeuxcent millions de fois plus forts que les vôtres. Cette molécule, onvous l’a dit, c’est un assemblage de plusieurs petits astres,d’atomes, si vous voulez leur donner un nom.

Mais remarquez comme c’est beau. Voici toutnotre système planétaire. Il y a l’étoile principale, le soleil,puis les planètes secondaires qui tournent tout autour avec unevertigineuse vitesse.

Saisissez les détails et supposez qu’avec unepince sans contredit gigantesque pour ces ténuités sublimes vousenleviez un de ces petits astres.

Cela ne saurait être, quand bien même vous lepourriez, car enlever un astre serait détruire la pondérationnécessaire à l’existence de l’ensemble. Vous enlèveriez lemouvement dont il est doué ; vous l’anéantiriez. Admettonsnéanmoins.

Eh bien ! vous retrouvez là etl’atmosphère et la croûte solide, ou tout au moins la matière pluscondensée, et si vous allez jusqu’au centre, vous verrez lescouches successives de cet atome imperceptible se disposer encoresuivant l’ordre des densités.

Ainsi, un noyau à matière condensée, uneatmosphère de moins en moins dense, voilà l’astre moléculaire,l’atome.

Rapprochez tous ces petits astres, vous lesverrez tourner avec leurs atmosphères, vous aurez la molécule.Réunissez toutes ces molécules, vous aurez la particule, vous aurezla matière avec sa forme, telle que notre œil l’aperçoit.

J’ai insisté de mon côté, messieurs, sur cepoint capital, car, vous le comprenez, la minéralogie etl’astronomie n’ont pas seules le privilège de cette étude. Lagéologie donne la clef de la composition intime et primordiale dela matière. Des déductions qui lui sont familières il est permisd’arriver jusqu’à la formation des éléments des corps, et par là deremonter jusqu’aux phénomènes d’affinité chimique, de cohésion,d’élasticité.

C’est ce que j’essayerai de faire et deprouver ailleurs et dans une occasion plus propice. La discussion abesoin de ne pas s’égarer[7].

M. SIEMAN. Je remercie notre honorableprésident des détails si intéressants qu’il a bien voulu donnerpour confirmer ma thèse. J’ai bon espoir qu’elle éclaircira plusd’un point encore obscur dans la science.

M. STEK. M. le président serait-ilassez bienveillant pour me dire si, dans son opinion, il y a aussides montagnes et des soulèvements sur ces petits mondesmoléculaires ; si les révolutions géologiques qui ontbouleversé notre globe s’y produisent également et modifient leursurface ?

M. NEWBOLD. Ceci ne saurait embarrasserpersonne, monsieur Stek. Les raisons qui sont bonnes sur terre lesont aussi dans ces mondes de l’infiniment petit. Les réactionsintérieures proportionnées à la taille de ces planètes atomesdoivent également modifier, travailler la surface ou la partie toutau moins la plus résistante qui doit se courber, se redresser,suivant l’action des forces mises en jeu. Il y a des montagnes etdes vallées, soyez-en sûr, et qui mieux est, dont la direction etles accidents obéissent à des lois fixes et immuables. Dois-je vousrappeler que sur terre je crois qu’il a été prouvé par quelqu’unque personne ne connaît mieux que moi, qu’il n’y avait pas unechaîne de montagnes dont la direction fût confiée au hasard ?Toutes les montagnes se dirigent suivant des axes parfaitementfixes[8]. Encore mieux, un de mes amis que jeregrette de ne pas voir parmi nous, M. l’ingénieur en chefNuevopolis, a déduit de là des faits de symétrie admirable. Iln’est plus de petit accident de la surface terrestre, col,embouchure d’un fleuve, défilé, source, mines, dont la positionexacte ne puisse se déterminer mathématiquement. Les anfractuositésdu sol, les dépressions, tout s’est fait suivant une loidéterminée. Cette butte qui vous obstrue l’horizon, cette côte,cette vallée, sont-elles là plantées par un hasardaveugle ?

Non, mille fois non. Tout est harmonie. Ledésordre n’est qu’apparent. M. Nuevopolis a mis, entre autresfaits, parfaitement en relief cette loi singulière, à savoir quetout accident important, tel que source, nœuds, volcans, etc., setrouvait toujours aux 4 dixièmes de la longueur totale du groupeenvisagé. Est-ce une rivière, prenez la ligne qui jointl’embouchure à la source. Marquez les 4 dixièmes, c’est là à coupsûr que vous rencontrerez l’accident le plus remarquable de cecours d’eau : de même pour une chaîne de montagnes, un filon,etc.

Cette symétrie curieuse, monsieur Stek, je nesais pas pourquoi je ne l’admettrais pas aussi bien pour lesmolécules et les astres moléculaires. Toutes ces ondulations du solne résultent que des vibrations de la matière ; ellesobéissent aux lois de l’harmonie musicale. Et ce phénomène qui faitqu’une plaque entrant en vibrations sous l’influence d’un archetreste immobile par place fait aussi que certaines parties du sol sehaussent et que d’autres se baissent ou ne quittent pas leurposition première.

Les lois de la musique sont aussi celles de lagéologie. Tout est dans tout. Il n’y a qu’un principe universel quianime la matière et lui donne ses différentes formes et sesdifférentes propriétés. (Bien ! très-bien ! Onentend.)

M. GREENWIGHT. Monsieur le président, lesconsidérations très-importantes et très-intéressantes que noshonorables collègues et vous-même venez de si bien développerconduisent directement à des applications astronomiques d’une hauteportée philosophique. Si la commission trouve que le débatgéologique est épuisé, si les géologues nous autorisent à regarderla roche découverte par M Paxton comme d’origine réellement extraterrestre, je demanderai la parole pour entrer directement dans monsujet, montrer par quelles phases les planètes et les corpscélestes passent nécessairement, pour rechercher enfin de quelpoint du ciel nous est tombée cette volumineuse pierre météoritedont la présence ici peut modifier tant des idées admises sur lamarche et l’équilibre des astres au milieu de l’espace.

La grosse horloge de James-House tintait alorsses sept coups sonores. Le soleil avait disparu à l’horizon. –Demain ! demain ! criait-on sur plusieurs bancs. –Demain, messieurs ! hurla sympathiquement l’honorableastronome : aussi bien la séance a été longue, et moi tout lepremier je serai heureux d’en finir.

M. NEWBOLD. La parole est accordée àM. Greenwight… et la séance est levée. (Rires nombreux.) C’estun privilège qu’a le grand géologue d’accorder la parole, et, quandil se sent disposé à bâiller, de lever la séance. Il donne ainsisatisfaction au postulant et à lui-même.

À bientôt. Je crains de manquer le boat dufort Man et le courrier.

LETTRE V

La parole est à M. Greenwight. – La matièreet le mouvement. – Comment se font les mondes ? – Les étoilesen vie. – Transformation des astres. – Comment certains astronomespeuvent encore assister en ce moment à la création de notre systèmesolaire. – Pourquoi la Terre ne saurait être brune et Vénus blonde,Mercure roux et Mars albinos ?

La discussion va beaucoup plus vite que mescorrespondances. Pour me mettre au pair et ne pas abuser de votrehospitalité, je suivrai un peu l’exemple des journaux quotidiens aumoment des débats législatifs.

Je résumerai la discussion, en lui laissantson caractère, comme ils résument les débats insérés inextenso au Moniteur. Je sauterai également d’uneséance à la suivante pour gagner de la place.

La parole est donnée à M. Greenwight.

M. GREENWIGHT. On a jusqu’ici, messieurs,parlé des infiniment petits de la nature ; je demande àinsister à mon tour quelque peu sur les infiniment grands.M. Sieman, M. Newbold, notre honoré président, ontparfaitement résumé nos connaissances ou nos théories sur laconstitution de la matière ; qu’il me soit permis d’en tirerdes conséquences que je crois importantes pour la constitution del’univers, et ensuite, avec l’agrément des naturalistes présents,sur la vie dans les planètes.

La matière, primitivement ténue et à l’étatd’atomes indépendants, emplissait les espaces, inerte, immobile. LeCréateur lui imprima le mouvement, lui communiqua une certainequantité de force à tout jamais impérissable. Cette force initialeet la matière, voici le point de départ de toutes lestransformations qui ont été, sont et seront[9].

Toutes les forces physiques que nous voyonsagir dans l’univers ne sont que les manifestations différentes descombinaisons de la matière et de la quantité de mouvements qu’ellepossède. Au début, les atomes indépendants obéirent à la résultantedes forces qui les sollicitaient. Ils se groupèrent par régions etpar centres et tournèrent les uns autour des autres, suivant leslois de la mécanique. Ainsi se forma par place ce que nous avonsappelé matière cosmique, véritable œuf ou embryond’astre.

La matière condensée se groupa et continua saroute dans les espaces ; mais à mesure que les tempss’écoulaient, la réaction élastique s’opérait ; la quantité demouvement de chaque centre cosmique diminuait pour aller sereporter ailleurs et rapprocher de nouveaux atomes indépendants. Cequi se perdait en force ici, se gagnait ailleurs : c’est lesort commun ici-bas ; rien n’est stable.

À l’origine, chaque groupe était animé d’unetelle vitesse que les atomes constitutifs tournaient dans destrajectoires très-allongées.

Vous savez que mouvement et chaleur sontsynonymes ; l’un n’est que la manifestation de l’autre ;aussi ne vous étonnerez-vous pas qu’à cette époque la matièrecondensée fût à l’état de vapeur. Mais bientôt, nous l’avons dit,du mouvement s’échappa nécessairement et par suite de lachaleur ; la matière se refroidit ; les atomesconstitutifs circulèrent dans des trajectoires plusresserrées ; la matière devint liquide, et l’astre, sedégageant des premières vapeurs indécises, se montra enfin sous saforme sphéroïdale. Nous disons l’astre, il faudrait dire lesastres, car de la matière condensée sort, au moment durefroidissement, plusieurs centres d’actions, et, par suite, autantd’astres, autant de mondes !

Notez que la quantité de mouvement perdue parcet astre embryonnaire pour n’en suivre qu’un parmi tous, elle futrigoureusement et exactement gagnée par un autre centred’action ; et ce qui, ici, avait amené la forme liquide etavait contribué à avancer l’astre, ailleurs déterminait ungroupement d’atomes indépendants, une agglomération de matière àl’état de vapeurs, un nouvel embryon destiné à passer pardifférentes phases, comme le précédent, et à transmettre enfin saforce à un autre centre d’action. Ainsi et toujours !

Les temps passent et l’astre embryonnaire quenous avons distingué parmi toutes ces condensations de matière entravail perd de plus en plus de mouvement ; les atomess’agglomèrent et forment des combinaisons diverses, tout enconservant leurs directions primitives ; les moléculesprennent naissance ; puis, enfin, tous ces groupementsparticuliers qui affectent nos regards et qui nous donnent lesdiverses sensations correspondant aux divers corps de lanature.

Ce sont les petits mondes que vous avezprécédemment si bien établis. L’astre prend tournure ; il sesolidifie ainsi peu à peu à la surface, et cet écran ainsi forméretarde de beaucoup la déperdition du mouvement, soit lerefroidissement de la matière.

Ainsi vous l’avez vu naître : ilvit ; il a eu sa jeunesse, il a eu son âge viril ; ilaura sa vieillesse ; il mourra. Suivons-le encore dans lasérie de ses transformations. Il ira se refroidissant sanscesse ; les conditions physiques dans lesquelles il se trouvene cesseront de varier depuis la température la plus élevéejusqu’aux froids les plus grands que nous puissions imaginer.

Enfin, il arrivera certainement un moment oùil n’aura plus à perdre de quantité de mouvement ; il enpossédera juste tout autant que la matière subtile et ténue, queles atomes indépendants qui emplissent l’espace.

Sa température sera celle des espacesplanétaires. Il aura atteint les dernières limites de la vie ;encore un peu et il ne sera plus. Il est bien mort, en effet ;mais la matière n’en reste pas moins encore agglomérée, condenséepour longtemps, non pas pour toujours, car ainsi tout l’espace secongèlerait peu à peu et deviendrait solide, ce qui excluraitl’idée de perpétuation de la force.

Non, il faut ne pas oublier qu’il n’est passeul dans ce groupe ; il n’est qu’une pierre del’édifice ; les astres qui ont même origine, mais quipossèdent encore de la vie, du mouvement, lui en cèdent etl’empochent de se désagréger jusqu’à ce que pour eux tousl’équilibre soit établi ; – alors la quantité de mouvement estla même ; la matière condensée n’a pas plus d’impulsion que lamatière libre et indépendante des espaces ; elle reprend saliberté ; les atomes se désagrégent ; les groupementsmoléculaires cessent ; l’astre s’évanouit ; laconstruction s’écroule ; les matériaux seuls subsistent pouraller ailleurs entrer dans de nouvelles combinaisons et subir denouvelles métamorphoses. De la mort renaît la vie. Tout est danstout.

Vous le voyez, messieurs, la matière est priseici, là, partout, au sein des espaces, rapprochée par la forceinitiale, puis séparée par la même force, reprise ailleurs,composée de nouveau, et c’est un perpétuel travail de constructionet de destruction. On peut dire qu’il n’existe pas un grain desable, une molécule si infime qu’elle soit qui n’obéisse pas detous points à cette loi nécessaire et immuable. Des forcessecondaires la font et la défont ; en un mot, matière etmouvement, voilà la nature tout entière. (Bien !bien !)

Ces généralités comprises, il m’est facile,messieurs, d’aborder mon sujet et de déterminer avec quelqueprécision, j’espère, le véritable âge relatif des planètes.Remontons à l’origine de la création de notre système, et remarquezbien, messieurs, que, si cette époque primitive, nous n’avons pu lavoir, d’autres l’ont vue et assurément.

Supposez-vous, en effet, dans un astretrès-éloigné présentant en ce moment les mêmes caractères physiquesque la terre.

La lumière parcourt, vous le savez, 298millions de lieues par seconde ; or, pour les habitants de cetastre, s’il est assez éloigné, la formation de nos mondes seraréalisée depuis des millions d’années, et cependant ils ne ferontque de les apercevoir dans cette région du ciel. C’est une simpleaffaire de distance. Il faut, à la lumière qui relie les astres àce coin de l’espace, le temps d’arriver jusqu’à ses habitants.Donc, encore en ce moment, beaucoup d’astronomes perdus dans lesoasis du ciel ne font que d’assister à la création de notresystème.

Qu’était-ce ? Comme toujours, un nuagevaporeux s’avançant dans l’espace à une température extrêmementélevée ; un ballon de vapeurs surchauffées. À la longue, lerefroidissement s’est produit ; les vapeurs se sontcontractées et condensées en certains points, obéissant à larésultante des forces qui les tenaient en équilibre. Là où avant iln’y avait qu’un globe opalisé de vapeurs brûlantes, il s’est forméde nouveaux petits globes moins chauds et plus condensés,solidifiés en partie, absolument comme de la vapeur d’eau répanduedans l’espace sort par refroidissement une multitude degouttelettes d’eau.

La matière cosmique initiale s’est résolue enune pluie de gouttes rouges de feu, en une pluie d’astres, demondes. Nous les voyons tous autour de nous ; maintenantencore ils emplissent l’espace environnant.

Notre soleil n’est qu’une goutte à peinecondensée de cette matière primitive en ignition ; lesplanètes, des petites gouttelettes qui ont jailli en même temps ouse sont condensées tout près de lui. Le mouvement initial quientraînait l’ensemble s’est conservé à chacune des parties, et tousles astres ainsi formés ont continué d’avancer dans l’espace commeavant et de tourner dans les trajectoires que suivaient les atomesantérieurement à leur agglomération.

Ainsi, il reste établi que pour moi le soleilet les planètes ont absolument la même origine. Au début, au momentde la condensation de la pluie cosmique, ils étaient constitués demême, de la matière unie à la même quantité de mouvement, celle,d’ailleurs, qui animait tout le système La similitude étaitcomplète.

Poursuivons maintenant ces astres à traversleurs transformations, à travers leur évolution.

N’est-il pas parfaitement clair que laquantité de mouvement que chacun d’eux possède ne saurait rester lemême. Si on la considère après un certain temps, on la trouveradifférente. N’est-elle pas représentée par la somme des atomesprimitifs libres et indépendants multipliés par la vitesse aveclaquelle ces astres rudimentaires décrivent leurstrajectoires ?

Or, nous le savons, il faut que chaque petitatome perde de sa vitesse à la longue, mais qu’il la perdeharmoniquement, c’est-à-dire que la perte se répartisse sur chaqueatome. Plus il y en a et plus la perte de vitesse est lente ;moins il y en a et plus elle est rapide. En d’autres termes, laperte de quantité de mouvement, soit le refroidissement d’un astre,est proportionnelle à la somme des atomes qui le constituent, elleest proportionnelle à sa masse. Ceci n’est, du reste, il est bon dele remarquer, que la traduction de ce principe bien connu duvulgaire qu’un corps se refroidit d’autant plus vite qu’il estmoins volumineux. De ce qui précède, vous voyez immédiatementpoindre, messieurs, cette importante conséquence.

La rapidité de l’évolution d’un astre, ladurée de sa vie est liée à sa masse. Sa vie sera d’autant pluslongue ou plus courte que sa masse sera plus grande ou plus petite.De là une méthode permettant de juger l’âge d’une planète, de seformer une idée des phénomènes biologiques dont elle peut être lethéâtre.

Ce que fait pressentir le raisonnement, est-ceque le bon sens ne l’indique pas de prime abord ? Pourquoiadmettez-vous, messieurs, un plan de construction différent pourchacun des astres ? Pourquoi la Terre ne serait-elle paspétrie de la même pâte que toute autre planète ? PourquoiVénus serait-elle blonde et Jupiter brun, Saturne châtain, Mercureroux, Mars albinos ?

Pourquoi pas la même constitutionpartout ? Ce qui est ici est là, ce qui est là est ici ;la matière passe partout, encore une fois, par les mêmesévolutions. La seule différence physique que les astres présententtient uniquement à leur âge, à la période de leurtransformation : tout est là…

M. LE PRÉSIDENT. M. Greenwight vientde définir très-nettement ma pensée et celle, je crois, de tous lesgéologues philosophes sur la genèse des mondes ; je…

M. GREENWIGHT. Monsieur le président, jen’ai pas fini ; le sujet est large, et à moins que vous n’ayezdes objections personnelles à m’adresser, je réclame encore labienveillante attention de l’assemblée.

M. HAUGTON, le géologue aux épines et auxroses. – Je demande la parole.

M. NEWBOLD. Je voulais uniquement prierM. Greenwight d’insister en temps et lieu sur les évolutionsgéologiques. La parole, à ce propos, sera donnée à M. Haugton.Mais l’heure avancée m’oblige à prier mon savant confrère deremettre à demain la fin de son intéressante dissertation.

La séance est levée à sept heures.

LETTRE VI

De l’âge des astres. – Moyen de le déterminer. –Où il est montré que tous les mondes ne sauraient être habités. –Objections. – Éléments de notre système solaire – Relations quisemblent exister entre les volumes, les masses et la densité desplanètes. – Différents aspects. – Ce qu’il faut pour que deuxastres se ressemblent. – La parole est continuée àM. Greenwight.

M. GREENWIGHT. J’ai montré dans ladernière séance que si les astres présentaient des aspectsdifférents, il fallait en chercher uniquement la cause dans larapidité plus ou moins grande de leur évolution. À l’époque où nousles voyons, ils sont plus ou moins avancés, ils sont plus ou moinsjeunes ou vieux, suivant leur masse initiale.

Il faut un peu les envisager comme lesdifférents membres d’une même famille.

Chacun deux, sauf quelques particularitéscaractéristiques et à l’unité d’origine près, présentera à uneépoque donnée la même forme, le même aspect ; seulement vusensemble, l’un est jeune, l’autre vieux.

Ainsi des astres. Ils vivent, ils ont passé oupasseront tous par les mêmes phases, comme toute individualité dela nature. Il me reste maintenant à appliquer ces considérations età en tirer parti.

Je vous propose donc une simple promenade dereconnaissance chez nos voisins les mondes : j’espère pouvoirpréciser leurs caractères biologiques, leurs conditionsd’habitabilité.

D’abord et avant de partir seront-ils toushabitables ?

Évidemment non, messieurs, et le savantFrançais Arago, tant d’autres après lui, qui plaçaient deshabitants partout, même dans le soleil, n’avaient aucune notion desvéritables lois qui président à la destinée des mondes.

Par habitant, car il faut tout définir pouréviter les méprises, j’entends un être animé quelconque, unorganisme vivant. Or, un organisme ne peut exister évidemment qu’àla condition d’être composé en partie de liquides et de solides.Les liquides sont généralement les véhicules de la vie. Pour nous,le sang, les humeurs sont absolument nécessaires à l’entretien ou àl’épuration de nos organes. On ne saurait concevoir un êtrequelconque uniquement formé de matériaux solides, il serait inerte.Partout aussi bien qu’ici un pareil corps appartient à la natureinorganique.

Ceci dit, nous arrivons fatalement à cetteconséquence, c’est qu’aucun être vivant ne saurait exister suraucun astre, tant que la quantité de mouvement possédée par cetastre, c’est-à-dire sa chaleur propre, sera assez élevée pourvaporiser les liquides de l’organisme.

Inversement, tout être organisé disparaîtra desa surface lorsque sa chaleur sera devenue assez basse pourcongeler les liquides de l’organisme. Voici les deux limitesextrêmes de la vie.

M. RINK. Mais comment M. Greenwightsaura-t-il si les liquides de tel ou tel astre ne sont passusceptibles de résister à de hautes températures et comment, parsuite, déterminer les limites biologiques de l’apparition et de ladisparition des êtres ?

M. GREENWIGHT. M. Rink est un peupressé ; tout ne peut se dire à la fois. Il est évident que deprime abord on ne voit pas pourquoi les liquides n’auraient pas unecohésion différente dans tous les astres d’un système.

Le point d’ébullition est lié à la pressionque supporte le liquide et à sa composition. Si la pression et lacomposition sont notablement différentes, comme le dit très-bienM. Rink, les liquides pourront exister dans chaque astre à destempératures très-diverses. Mais j’ai de bonnes raisons de croirequ’il n’en est rien et je me rallie à l’opinion opposée.

Oui, sans contredit, sur terre et ailleurs, lapression a varié depuis l’origine des temps ; elle devait êtreplus considérable au début, et par suite les liquides devaient nes’évaporer qu’à une température plus élevée que maintenant. Oui, jecrois également que la pression peut être un peu variable danschaque astre, mais dans des limites très-restreintes.

Enfin, en examinant ce qui est maintenant surterre et dans les planètes voisines, en se rappelant l’unitéd’origine des astres, en jugeant du passé par le présent, on estporté à admettre que la composition des liquides de même nature estpartout à peu près la même. Nous reviendrons, du reste, tout àl’heure sur ce point et nous entrerons dans quelques nouvellesexplications. Donc, composition et pression restant à peu prèsidentiques, on peut avancer que les limites de l’existence sont àpeu près les mêmes partout.

À quelle température les liquides del’organisme terrestre se volatilisent-ils ? Vers 80 degrés. Lapression étant plus grande au début, nous porterons à 100 degréscette température initiale. De même nous porterons à 30 degrésau-dessous de zéro la température finale, celle où la congélationse produit en dépit du calorique fourni par l’acte vital. De 100degrés à 30 degrés, soit 130 degrés. Voici les degrés de lavie ; voici les limites normales dans lesquelles il fautcirconscrire l’existence des organismes.

Donc, messieurs, tout astre qui possédera unechaleur propre, à sa surface, supérieure à une centaine de degrésne saurait avoir d’habitants. Tout astre qui serait refroidi audelà de 30 degrés au-dessous de zéro ne saurait plus d’autre partentretenir la vie. Conclusion : Tous les mondes ne sont pashabités.

Voyons maintenant autour de nous ceux quipeuvent être habités ; recherchons l’âge de chaqueplanète.

La quantité de mouvement pour chaque astre,nous l’avons déjà dit, dépend avant tout de sa masse. Lesdifférentes planètes qui nous entourent ont été sans douteabsolument semblables pendant un laps de temps encore assezconsidérable, pendant toute la période où elles étaient encore àl’état de vapeurs ; mais elles se sont bientôt refroidiesinégalement, et dès lors ont changé pour chacune d’elles lesconditions d’existence et de vitalité. Les unes ont gagné del’avance ; les autres sont restées bien en retard.Examinons.

Pour ne pas abuser de l’attention de lacommission, je prendrai seulement les mondes qui nous entourent,ceux pour lesquels la vérification est jusqu’à un certain pointpossible ; soit le Soleil, Jupiter, Saturne, Neptune, Uranus,la Terre, Vénus, Mercure, Mars.

Voici les masses approximatives de ces astres,celles que l’on a déduites de l’attraction newtonienne.

Masses par rapport à celles de la terre.

 

Soleil

354 930.000

Jupiter

338.034

Saturne

101.411

Neptune

20.879

Uranus

14.789

La Terre

1.000

Vénus

0.885

Mercure

0.175

Mars

0.132

Voici maintenant les volumes de ces astres,leur densité et l’intensité de la lumière et de la chaleur solaireà la surface de chacun d’eux ; éléments dont nous pourronsavoir besoin.

Volumes en myriamètres cubes.

 

Soleil

1.520.976.847.653.880

Jupiter

1.528.718.930.570

Saturne

793.742.722.600

Neptune

113.604.675.800

Uranus

88.600.521.920

La Terre

1.080.863.240

Vénus

1.034.348.528

Mars

151.320.850

Mercure

64.851.800

Densité par rapport à celle de laTerre.

 

Soleil

1.4

Jupiter

1.3

Saturne

0.7

Neptune

1.8

Uranus

0.9

La Terre

5.5

Vénus

5.1

Mars

5.4

Mercure

6.8

Intensité de la lumière et de la chaleur solaires.

 

Jupiter

0.04

Saturne

0.01

Neptune

0.001

Uranus

0.003

La Terre

1

Vénus

1.9

Mars

0.4

Mercure

6.7

Si nous considérons le premier de ces groupes,il est évident que nous y trouverons l’ordre dans lequel on peutranger les astres d’après la somme de leur quantité demouvements ; nous aurons leur quantité de vie, nous saurons end’autres termes la durée de leur existence.

C’est ainsi qu’il est facile de voir que leSoleil n’est encore qu’au début de son évolution ; il est enenfance. Jupiter vient ensuite, puis Saturne, etc. La durée del’existence de ces mondes est environ exprimée, en prenant la Terrepour unité, par les chiffres suivants :

Soleil, 355,000 ; – Jupiter, 339 ; –Neptune, 20 ; – Uranus, 14 ; – Vénus, 1 ; – Mars,0/13 ; – Mercure, 0/17. Ce qui signifie que si nous admettonsque la Terre ne puisse exister qu’un siècle, le Soleil existera355,000 siècles ; Jupiter, 339 siècles ; Neptune,20 ; Uranus, 14 ; Vénus, 1 seulement, etc.

Il ne faut pas perdre de vue toutefois qu’ilne s’agit ici que d’existence individuelle, car les différentsastres individuellement morts n’en resteront pas moins agrégésjusqu’à la séparation complète du groupe auquel nous appartenons,absolument comme de la matière terrestre morte subsiste encorelongtemps et ne s’en va en poussière qu’à la longue.

Le second tableau montre que les volumesoccupés dans l’espace par ces différents mondes décroissent avecleurs masses, mais sans qu’il y ait proportionnalité. Ainsi, Marsest moins dense que Mercure et cependant son volume est plusgrand.

Ceci n’a rien qui doive surprendre personne.Nous voyons sur terre et en petit les mêmes phénomènes seproduire.

Un corps peut diminuer de masse et augmenterde volume, et inversement. Vous savez, par exemple, que l’eau en serefroidissant augmente de volume ; la glace est moins denseque l’eau. Le bismuth est dans le même cas. Tout dépend en effet dugroupement, de l’arrangement des molécules constitutives ; or,vous vous expliquerez ces différences en remontant à la genèse deces astres. Tous étaient à l’état de vapeur. Ils ont perdu chacundu mouvement, de la chaleur, et suivant la rapidité de cette perte,les atomes se sont groupés de telle ou telle manière ; lescombinaisons les plus simples correspondent aux refroidissementsles plus rapides, et au contraire la variété des combinaisons doitse retrouver avec la lenteur dans l’évolution de l’astre.

Il est impossible également, messieurs, de nepas remarquer que la durée de rotation de chaque astre sur lui-mêmea dû influer sur la plus ou moins grande condensation de sesmolécules. La force centrifuge dépendant de la vitesse de rotationa dû écarter la matière et augmenter le volume de l’astre ; levoisinage de la nébuleuse centrale, son action attractive a dûaussi modifier les phénomènes de groupement, de combinaison desatomes. Il doit y avoir une certaine dépendance entre les densitésde chaque astre, sa durée de rotation et la pesanteur à sa surface.La vitesse de rotation écartait les atomes, mais l’attractioncentrale tendait à les rapprocher.

En remontant au troisième tableau qui renfermeles densités des planètes ; en mettant en regard les durées derotation et la pesanteur, on a :

 

Densité.

Durée de rotation

Pesanteur.

Mercure

6.8

24h 5m

5.63

La Terre

5.5

23h56m

4.90

Mars

5.4

24h39m

2.16

Vénus

5.1

23h23 m

4.65

Neptune

1.8

 

5.00

Jupiter

1.3

9h55m

12.49

Uranus

0.9

 

5.44

Saturne

0.7

10h18 m

5.34

Ces nombres sans relation apparente ne sont aucontraire que la traduction fidèle d’une loi générale demécanique.

Il faut en effet observer que, non-seulementla vitesse de rotation a un grand rôle dans la disposition desatomes, mais encore le volume de l’astre ou son rayon. La forcecentrifuge dépend directement de son rayon. En tenant compte de cesdivers éléments, en n’oubliant pas d’ailleurs que l’intensité de lachaleur solaire donnée dans le troisième tableau a modifié aussipour son compte le groupement des molécules de la surface, onarrive à trouver la cause des anomalies apparentes qui semblentexister dans les densités des planètes.

Un monde, pour le dire en passant, serad’autant plus riche, d’autant plus élevé, qu’il aura de quantité devie, de temps de transformation devant lui.

Ainsi, pourquoi Mercure est-il plus dense queMars et moins gros ? On verra vite que Mars tourne un peu plusvite et que sa pesanteur à la surface est beaucoup moindre. Pources deux raisons, les molécules avaient de la tendance à moinss’agréger ; d’où un plus gros volume. On verrait de même que,relativement, c’est encore à la surface de Mercure que doit existerla plus grande force de groupement moléculaire. Et, en effet, c’estcette planète qui a la plus forte densité. Également et pour lesmêmes raisons, on trouverait que la force d’agrégation est de plusen plus petite pour la Terre, Mars, Vénus, Jupiter, Saturne.

Ces remarques ne sont pas sans valeur, si l’onveut bien se rappeler les objections de M. Rink.

Qui vous dit, demandait en effet notrehonorable collègue, que les liquides dans chaque astre n’ont pasune force de cohésion très-différente et qui puisse leur permettrede résister à de hautes températures ? Et, en effet, lorsquel’on voit agir des forces d’agrégation aussi manifestementdifférentes, la demande de M. Rink est parfaitementjustifiée.

Nous devons donc insister et faire remarquerqu’ici l’âge de l’astre a une influence prépondérante sur la forced’agrégation ; l’une est liée à l’autre, il ne faut pascomparer la force de deux planètes d’âges éloignés ; lacomparaison n’est admissible que pour des astres sensiblementarrivés au même point de leur évolution.

Ainsi examine-t-on la Terre et Vénus, dont lesmasses sont très-voisines et qui ont par conséquent à très-peu prèsla même quantité de vie, on trouve sensiblement la même densité, lamême vitesse de rotation, le même volume, la même pesanteur. Icinous osons affirmer que les liquides se comportent comme surterre.

Prend-on, au contraire, la Terre et Mars, dontles masses sont entre elles comme 1 et 0,13, la quantité de vieétant bien différente, la comparaison directe n’est pluspossible ; la densité de Mars devrait être de prime abord plusforte que celle de la Terre, puisque Mars est plus condensé ;elle lui est seulement à peu près égale ; le fait s’expliqueen remarquant que la pesanteur à la surface n’est que de moitiémoindre que celle de la Terre ; il faut absolument tenircompte ici de tous les éléments qui peuvent modifier le problème.Demain, si M. le président veut bien m’y autoriser, jepoursuivrai ces considérations.

LETTRE VII

Promenade dans les cieux. – La pluralité desmondes. – Qu’est-ce que le soleil ? Ballon de vapeurssurchauffées. – D’habitants du soleil, point. – Découverte de minesà 38 millions de lieues de la terre. – Pourquoi n’y voit-on pasdans l’obscurité ? Opinion de M. Ziegler. – Héméralopie.– Mercure est-il habité ? – Un mot sur Vénus. – Des hommesinterplanétaires. – De ceux qui ont été ou ne sont plus. – Stationsur terre. – La lune. – A-t-elle une atmosphère ? – OùM. Greenwight tranche la question. – LesSélénites.

La parole est maintenue à M. levice-président.

M. GREENWIGHT. Si je ne craignaisd’abuser des moments de l’assemblée, je passerais maintenant enrevue les principales planètes de notre système. (Parlez !Parlez !)

J’ai fait concevoir précédemment, messieurs,que le groupement des atomes et des molécules, non-seulement étaitlié à la perte de quantité de mouvement de chaque astre, mais qu’ildépendait aussi d’autres éléments, tels que les variations de lapesanteur, de la force centrifuge, etc.

Les combinaisons, l’aspect de la matièrevarieront dans chaque planète d’après la valeur de ceséléments ; nous verrons tout à l’heure dans quelles limites.Examinons chaque astre avec quelque soin, et commençons par lepivot de tout le système, par le Soleil.

Lorsqu’on jette les yeux sur les élémentssolaires, on se convainct facilement que le Soleil doit être leplus jeune, le moins avancé de tous les astres ; son évolutioncommence à peine ; il a à peine perdu de quantité demouvement, il est tout au plus dans la seconde phase de sonexistence, encore tout en enfance. S’il était permis de comparer ladurée de sa vie à celle de l’homme, je dirais qu’il doit avoir desix à sept ans au plus. Sa matière est à peine condensée, lesatomes primitivement en liberté se sont toutefois assez rapprochéspour se grouper et former déjà des gaz et des vapeurs. Il estvraisemblablement partout encore à l’état gazeux. Le noyau est sansdoute seul à l’état de matière dissociée. Nous ne sommes pas encorearrivé au temps où la masse deviendra liquide. C’est un simpleballon, une sphère de gaz surchauffée renfermant des particulessolides au moins dans les régions superficielles que sont les plusrefroidies[10].

Les recherches faites en Europe au moyen del’analyse spectrale ont démontré dans le soleil l’existence deplusieurs des métaux terrestres réduits en vapeur. Ceci tendrait àprouver, et je signale cet exemple à M. Rink, que les atomesadoptent certains groupements partout, malgré les différences demasse, de pesanteur, etc.

Ceci démontrerait en outre que la formation decertains composés se produit à des températures énormes et que leschimistes, à moins de trouver les moyens de créer une semblabletempérature, n’ont aucune chance d’arriver à isoler les atomes, àdécomposer les corps réputés simples.

Enfin, il est permis de conclure de là aussique les mines, les filons qui traversent les roches terrestres nesont bien réellement que des infiltrations de la matière centraleencore en ébullition. Je n’insiste pas sur ces conséquences, ellessont plus familières qu’à moi aux savants chimistes qui composentcette assemblée.

Le Soleil continue son évolution à travers lestemps. Il vieillira et se refroidira comme les autres astres ;mais il restera certainement le dernier du système, et quand tousles centres de mouvement de notre système refroidis seront morts,il aura encore de la vie et survivra seul longtemps encore dansl’immensité.

Il n’est pas habité en ce moment,très-certainement. Concevez-vous des organismes vivant à latempérature de vaporisation de l’argent ? Des organismes envapeur ?

Un organisme, et c’est là peut-être unedéfinition, exige l’assemblage d’éléments solides, liquides,gazeux, en continuel état de réaction ; or, le Soleil nepossède encore qu’un seul de ces éléments nécessaires ; sesorganismes sont en voie d’élaboration ; rien de plus.

Apparaîtront-ils ? Pourquoi non ? Lavie semble résider dans une quantité de mouvements donnée,absolument comme la chaleur et la lumière.

Trop de quantité de mouvement et la chaleurdevient lumière ; pas assez, et la lumière reste seulement lachaleur ; trop de quantité de mouvement, et vous empêchez lamatière de s’organiser ou de refléter elle-même cette quantité demouvement ; trop peu, et le but à atteindre est encore manqué.Il faut la quantité voulue exactement. C’est pourquoi vous verrezla vie se manifester à certaines températures seulement etdisparaître de même ; M. Ziegler, qui m’a développé sesidées à cet égard, partage mon opinion ; il abordera ce sujetbeaucoup mieux que moi ; je passe donc et je me contente dedire que je ne vois pas pourquoi le Soleil ne recevrait pas plustard des habitants.

M. NEWBOLD. M. Greenwight songe-t-ilque le soleil conservateur et régulateur de la force n’aura, lui, àrecevoir de lumière ni de chaleur d’aucun astre voisin et que seshabitants vivraient dans l’obscurité la plus grande ?

M. GREENWIGHT. Je suis peut-être peucompétent pour répondre à mon honorable président ; mais jedemanderai aux physiologistes, à M. Rink, à M. Wintow, àM. Ziegler, s’il n’est pas parfaitement admissible quecertains êtres, même d’un ordre supérieur, y voient dansl’obscurité ?

M. WINTOW. Je suis parfaitement del’opinion de M. Greenwight ; nous avons sur terre desanimaux qui n’y voient que la nuit ; c’est une affaired’adaptation de la rétine. La plupart de nos animaux sont conformésde façon à ce que la lumière solaire ne les gêne pas ; c’estun peu comme s’il s’agissait d’un ressort à mettre en mouvement. Ona tendu beaucoup le ressort ici, parce que la force est grande,mais il peut se faire qu’une force beaucoup moindre puisse lemettre en mouvement si on le détend. Le ressort, c’est le nerf dela vision ; la force, c’est la quantité de mouvement. Laquantité de mouvement, le calorique inhérent au soleil lui-même,suffira sans doute pour ébranler la rétine, pour que les organismesde cet astre voient.

M. ZIEGLER. À l’appui de ce que vient dedire mon savant confrère, j’ajouterai que sur terre, lorsque lalumière solaire a agi trop violemment, lorsque la force a par tropébranlé la rétine et modifié l’élasticité du nerf, les hommes n’yvoient plus du tout, quand le soleil a disparu de l’horizon ;la sensibilité est émoussée. Cette affection, que les médecinsnomment héméralopie,se rencontre surtout chez les soldats,chez les factionnaires obligés de rester longtemps exposés àl’ardeur du soleil. On les guérit en rendant au nerf sonélasticité, et pour cela on garde le malade dans une chambreobscure pendant plusieurs jours. Cet exemple, joint à biend’autres, ne laisse pour moi aucun doute. Des organismes peuvent ytrès-bien voir dans des conditions physiques autres que celles queprésente notre planète.

M. GREENWIGHT. Je conclus donc de là,messieurs, que, selon, toute probabilité, le soleil sera habité unjour. Mais il se passera encore des milliers d’années avant que laquantité de mouvement que l’astre possède soit abaissée au point depermettre à la vie de s’y développer.

Le premier astre projeté dans l’espace enallant du centre à la périphérie, c’est Mercure. En suivant l’ordredes masses, c’est le huitième ; c’est un des astres les plusavancés dans son évolution ; il y a longtemps déjà qu’il n’estplus ni vaporeux, ni liquide ; sa surface solidifiée doit mêmeavoir une épaisseur assez grande.

Il a pour densité 6, la plus grande ;pour pesanteur 5, plus forte que celle de la terre. La chaleursolaire y est représentée par 7 environ, celle de la terre étant 1.Si nous prenons toujours pour type la vie de l’homme, Mercure doitbien avoir trente-cinq ans.

La matière s’y est condensée plus vitequ’ailleurs ; les combinaisons doivent y être moins nombreusesque dans les autres astres. Quant aux organismes, il esttrès-certain qu’ils existent et qu’ils existent même depuislongtemps déjà ; ils doivent différer des organismesterrestres ; mais dans des limites assez restreintes. Àl’inverse de ce que nous avons dit pour les organismes solaires, iln’y a qu’un instant, il nous faudra ici invoquer une rétinebeaucoup plus résistante pour permettre aux organismes d’y voir aumilieu d’une lumière aussi intense que celle que possèdeMercure.

Les êtres doivent être également d’un ordreinférieur par rapport à ceux de la Terre, plus petits. Les liquidesont dû se former à des températures plus élevées que surterre ; la pression y étant supérieure ; peut-être lesorganismes ont pu se développer dès 200 degrés ; en tout casles êtres plus élevés dans l’échelle n’ont pu apparaîtrequ’ultérieurement. Mercure est assez avancé pour que l’on puissedire que l’espèce homologue de l’homme a dû déjà exister sur cetteplanète ; elle doit être maintenant habitée par les homologuesde l’espèce humaine destinée à nous remplacer sur terre.

Il n’y a pas de raisons, en effet, pourrefuser d’admettre que toutes les espèces se remplacentparallèlement dans chaque astre, selon les conditions biologiquesqui se succèdent ; par conséquent dans tout astre en avance,s’il était possible de creuser un puits à travers la série desterrains qui le composent, on retrouverait la série des êtres quiont existé à la surface, et de plus l’espèce qui a son pendant etmême son analogue sur l’astre en retard. De même sur tout astre enretard, la sonde ferait découvrir le passé de l’astre en avance.Question de phase et d’évolution toujours. – Passons[11].

Vénus est sans contredit l’astre qui serapproche le plus de la terre par toutes ses conditions physiques.Si une conviction profonde pouvait être un argument en matièrescientifique, je n’hésiterais pas à prétendre que le voyageurtransporté tout à coup de notre globe dans Vénus ne s’y trouveraitpas plus désorienté que si on l’avait conduit, les yeux bandés,dans une autre région de la Terre. Même quantité de vie, à très-peuprès, partant même matière, même nature, mêmes habitants, peut-êtreun peu en avance sur la Terre.

Voici ce que dit la théorie ; or,l’observation le confirme de tous points. On découvre desmontagnes, une atmosphère absolument comme sur notre globe desvents alizés comme dans nos régions équatoriales. Les habitantsdoivent donc présenter une identité à peu près complète avec nous,et si l’on creusait Vénus, on y retrouverait vraisemblablement lamême série d’êtres que dans la Terre. Les organismes s’y sontdéveloppés parallèlement. Nées et vivant en même temps, Vénus et laTerre mourront en même temps.

La Terre, comme la planète précédente, estencore dans les premières phases de son évolution ; elle estjeune, elle est adolescente ; peut-être n’a-t elle que vingt àvingt-cinq ans. C’est à peine si la quantité de mouvement qu’ellepossédait est devenue assez petite pour permettre l’existenced’êtres supérieurs ; la série de ses êtres ira encorelongtemps sans doute en se perfectionnant, car, il est bon de ledire en passant, quand un astre s’est assez refroidi pour que lasolidification de sa surface ait eu lieu, la déperdition decalorique n’a plus lieu qu’avec une extrême lenteur, et l’on peutmême ajouter, pour ce qui nous concerne, que, depuis les tempshistoriques, la Terre n’a pas perdu de chaleur.

Ici, pour la première fois, nous trouvons unsatellite, la Lune. La Terre fut pour la Lune ce que le Soleil estmaintenant pour la Terre. À l’origine, la Terre était le soleil dela Lune, et la Lune une petite planète éclairée par ce soleilsecondaire. Depuis, la petite planète a vécu, elle a traversé unepartie des phases de son existence, et quand la Terre est descendueau rang de planète, elle est descendue elle-même au rang desatellite.

La Lune est vieille ; sa masse est 1/80de celle de la Terre ; elle a donc vécu à peu près 80 foisplus vite ; elle doit être solidifiée en grande partie ettrès-refroidie. Nous placerons ici une observation qui a sonimportance et qui a trait au meilleur indice peut-être de l’âgeavancé d’un astre ; nous voulons parler de l’atmosphère.

Qu’est-ce que l’atmosphère des astres ? –Messieurs, je considère cette enveloppe fluide comme le résidu, lafumée des réactions chimiques internes qui ont formé l’astre ;au moment de la solidification, les vapeurs les plus légèress’échappaient par les fissures et s’élevaient au-dessus des vapeurssusceptibles de se condenser et de produire le sol primitif.L’atmosphère a dû être constituée à l’origine par des composéscomplexes qui, à mesure du refroidissement, se sont agrégésdavantage et sont devenus ou solides ou liquides.

Il s’est produit ainsi progressivement untriage, une épuration, et il n’est plus resté au-dessus de l’écorceque les composés les plus élémentaires, que ceux qui étaient enexcès pour entrer en combinaison rapide, ou que leur faible densitééloignait de la surface. Ces composés fluides se condensent tousles jours un peu, en raison du refroidissement, mais si peu quenous ne saurions encore nous en apercevoir.

En outre, ils pénètrent insensiblement dudehors au dedans par un phénomène d’endomose, et ils se combinentlentement avec les matériaux intérieurs, si bien que touteatmosphère est destinée à se condenser, à se réduire de plus enplus et à disparaître tout à fait à la longue. Donc, tout astrejeune a une atmosphère complexe et dense ; tout astre vieuxn’en doit plus conserver que des traces.

Ne vous étonnez donc pas de rencontrer dansVénus et la Terre une atmosphère assez pure et peu dense ; nevous étonnez pas davantage de n’en plus trouver trace dans laLune ; elle doit être si peu dense et si peu haute qu’ellepeut échapper à nos observations. Du reste, un calcul approximatifet grossier peut tout au moins nous fournir sur ce point quelqueséclaircissements.

On peut admettre, sans s’éloigner beaucoup dela vérité, que quelles qu’eussent été au début les atmosphèreslunaire et terrestre, leurs hauteurs respectives sont restéesproportionnelles aux rayons de chaque astre et inversementproportionnelles à leur pesanteur, à leur densité et à leurmasse.

En soumettant au calcul ces données, on trouveque la hauteur de l’atmosphère lunaire doit être à peu prèsquatre-vingt fois moindre maintenant que celle de l’atmosphèreterrestre[12].

Or, la hauteur de l’atmosphère terrestre estévaluée à environ 30 lieues au moins[13].L’atmosphère lunaire aurait donc encore environ 1500 mètres. Iln’en est pas moins tout simple que nous n’en apercevions plustrace. La densité doit être si faible en effet, qu’elle doitcorrespondre à celle de l’air qui reste dans nos machinespneumatiques quand nous y avons fait le vide.

L’atmosphère de la Lune baigne la base de seshautes montagnes[14] comme lamer baigne nos côtes. Encore des milliers d’années et tout gazlunaire aura été absorbé dans la masse de l’astre.

La vieillesse de la Lune est encore attestéepar sa densité. La force d’agrégation sur notre satellite est, àquantité de mouvement égale, beaucoup plus petite que celle de laTerre, et cependant sa densité est trois quand celle de notreplanète est cinq. Ceci résulte du grand refroidissement, de lagrande quantité de perte de mouvement.

La Lune est-elle habitée ? Je ne le pensepas. L’a-t-elle été ? J’en suis convaincu. Les organismes onttoujours dû y être soumis à des pressions plus faibles que surterre ; ils ont dû apparaître plus tard que sur terre àrefroidissement égal ; ils ont de même dû disparaître plustard. Les liquides, en effet, n’ont pu se former qu’à unetempérature plus basse que sur terre et les solides se constituer àune température également plus basse. Enfin, tout porte à croireque l’existence y étant plus rapide, les êtres ont dû y être plusinférieurs, plus petits, plus délicats.

Nous ne pensons pas qu’il en existe encore,car il n’y a plus de liquides[15] à lasurface lunaire ; et s’il en existe, ils ne peuvent appartenirqu’aux derniers rangs de la création organique, peut-être desorganismes enfoncés profondément dans le sol qui ont encore échappéà la congélation.

C’est le cas de faire observer ici qu’endehors de la chaleur propre d’un astre, il faut tenir compte de lachaleur rayonnée par l’astre éclairant : or, il est biencertain que le refroidissement lunaire aura été longtemps tempérépar le voisinage de la Terre, puis ensuite et encore maintenant parle rayonnement solaire ; les résultats qui précèdent n’offrentdonc qu’une simple et primitive approximation.

Cette remarque a de la valeur à mes yeux, caril semble que le développement de la vie dépende beaucoup aussi dela somme de mouvement envoyée de l’astre principal.

Je demande pardon à l’assemblée si jedéveloppe aussi longuement ces considérations, mais elles touchentdirectement le sujet, et je suis heureux d’exposer mes vues et deles soumettre au contrôle des premières illustrations scientifiquesdu nouveau monde. C’était peut-être pour moi une occasion unique,et j’en profite. Demain j’examinerai les conditions d’habitabilitéde Mars, celle de toutes les planètes qui semblent le plusintéresser le débat.

LETTRE VIII

D’astre en astre. – Suite. – À bord de la planèteMars. – Mers, continents et glaces. – Comment les hommes existenten Mars depuis longtemps – Êtres inférieurs. – La momie. – Jupiterest bien Jupiter. – Encore liquide. – Ne placez donc pas deshabitants partout ! – Où l’on voudrait bien être homme deJupiter. – Leur suprématie. – Saturne. – Neptune, Uranus. – La viedans les astres. – Résumé. – Terrains à vendre dansl’avenir.

M. GREENWIGHT. J’abrège, messieurs, et jecite de suite les éléments caractéristiques de Mars.

Densité, 5.1. Pesanteur, 1/2. Rotation, 24heures.

Masse, 1/8 de celle de la Terre.

C’est assez dire que Mars est en avance surnous, et que son refroidissement doit être considérable. Il y alongtemps déjà que les conditions vitales analogues à celles de laTerre ont disparu de sa surface. Sa rotation est à peu de choseprès celle de notre globe ; mais sa pesanteur est beaucoupplus petite ; les forces de combinaison y sont moindres, et sadensité devrait être inférieure à celle de la Terre, si lerefroidissement plus avancé n’y avait condensé davantage lamatière. Aussi y a-t-il à peu près égalité.

La pesanteur, moindre à sa surface, tend àdémontrer que les organismes ont dû apparaître à une températureplus basse que sur terre, de même qu’ils disparaîtront aussi à uneplus basse. Ils doivent exister encore parfaitement, et les êtresqui vivent maintenant appartiennent, dans l’échelle organique, à unrang plus élevé que l’homme actuel de la Terre ; il fautremonter à une époque beaucoup antérieure pour retrouver l’analoguede l’espèce humaine actuelle. Ai-je besoin de dire néanmoins queles organismes de Mars doivent céder le pas à ceux de laTerre ? la vie y est plus rapide, l’être moins susceptible deperfectionnement.

La momie que nous avons sous les yeux ayantété trouvée au-dessous des alluvions anciennes remonte à unepériode géologique terrestre assez reculée, et Mars pouvait bienêtre à cette époque dans la phase de son évolution qui correspondenviron à celle actuelle de la Terre.

La momie de la planète Mars, si tant estqu’elle en provienne, devrait donc à peu de chose près représenterle type humain de Mars homologue du type humain de la Terre, etd’après les objets, les amphores, découverts par M. Paxton, onaurait assez le droit de supposer que ce type appartenait auxpremiers hommes de la planète.

On pourrait même, d’après la forme des vases,en conclure jusqu’à un certain point que l’esprit humain passeaussi partout par les mêmes phases et suit les mêmestransformations : mais je n’anticipe pas, ceci trouvera saplace ailleurs.

Que mes confrères les chimistes de l’assembléeme permettent seulement de recommander à leur attention legroupement moléculaire de l’aérolithe, la densité de lamatière.

D’après ce que j’ai dit, il doit y avoir à cepoint de vue des différences avec les corps terrestres de mêmenature, puisque ces éléments varient avec l’âge d’un astre ;la substance dont est faite la momie, les os, ne doit pas non plusavoir exactement la même densité, ni le même équivalent que lescomposés similaires terrestres.

J’ajouterai enfin, messieurs, que l’examentélescopique de Mars semble y faire découvrir des continents, desmers, des glaces… ce qui tend à confirmer pleinement mesprévisions[16].

L’atmosphère semble plus dense que la nôtre.Ceci tient tout à la fois au refroidissement et à la moindrepuissance d’agrégation possédée par l’astre ; il lui faudraplus de temps pour absorber son atmosphère. Comme je l’avais faitobserver à M. Rink, l’aspect physique de Mars semble prouverque malgré les différences des éléments caractéristiques de chaqueplanète, la matière y paraît affecter à peu près les mêmesformes : nous retrouvons dans Mars des liquides, des glaces,et des matériaux solides analogues, tout à fait analogues auxnôtres, si l’aérolithe peut réellement nous en offrir unéchantillon.

Enfin, la juxtaposition des glaces et desliquides met parfaitement en évidence le rôle important durayonnement solaire dans la production et la conservation de lavie. Sans le Soleil, Mars serait trop refroidi sans doute pourconserver à sa surface de la matière à l’état liquide.

Vous le voyez, messieurs, je me contente dedégrossir les caractères physiques de l’astre ; je laisse auxsavants compétents le soin de pousser plus avant la partiephysiologique et biologique du sujet ; j’achève vite monvoyage d’exploration.

Jupiter se présente après Mars.

Éléments : densité 1.3, à peu près celledu Soleil 1.4.

Rotation 9 h.

Masse, 342 fois celle de la Terre.

Pesanteur, 2 1/2.

Après le soleil, c’est certainement Jupiterqui a conservé la plus grande quantité de mouvement ; il esttrès-jeune, dans l’enfance, et c’est à peine si sa surface commenceà se solidifier. Aussi sa densité est-elle faible et son atmosphèredoit-elle être puissante et dense. On voit en effet des bandes surson disque qui ne laissent aucun doute sur l’enveloppe gazeuse etconsidérable qui entoure l’astre.

Qu’on ne vienne pas nous dire avec étourderieque Jupiter possède des habitants ; c’est tout au plus si nouspensons que les organismes les plus inférieurs ont déjà pu s’ydévelopper. Plus tard, nous y retrouverons les êtres successifs del’échelle, tous correspondant aux températures diverses de l’astre.Mais au point actuel de son évolution, Jupiter n’est pas encoreaccessible à la vie ou tout au moins à l’existence d’êtres déjàcomplexes. Les organismes s’y développeront, du reste, peu àpeu ; tout porte à admettre vu sa grande quantité demouvement, qu’ils seront supérieurs à ceux de la Terre, et mêmesupérieurs à ceux de tous les astres de notre système. Mais nous neserons plus assurément et depuis fort longtemps quand l’homme, deJupiter analogue à l’homme actuel terrestre fera son apparition.Faune et flore y seront certainement plus complexes et plusperfectionnées que partout ailleurs. La mythologie a euraison : Jupiter est bien Jupiter.

Il a quatre satellites, quatre petitesplanètes réchauffées par ce soleil secondaire. Elles doivent êtrehabitées maintenant par des organismes inférieurs.

Après Jupiter, vient Saturne :

Masse, 103.

Rotation, 10 heures.

Densité, 0.7.

Pesanteur, 1.

Après Jupiter, c’est cette planète qui est laplus jeune ; elle doit être cependant solidifiée à sa surface.La grande quantité de mouvement qu’elle possède encore, sarotation, grande par rapport à son diamètre, expliquent sa faibledensité. Saturne ne peut vraisemblablement être encore habité quepar des organismes inférieurs.

Cette planète présente, vous le savez, unesingulière anomalie : elle est entourée d’un grand anneau àl’équateur et qui flotte dans l’espace sans la toucher. La matière,à l’origine, s’était portée vers l’équateur de l’astre, poussée parla force centrifuge ; puis, quand le refroidissement acommencé, il aura été inégal et le bourrelet équatorial se seraséparé en continuant sa route et suivant la rotation de l’astre,comme s’il faisait encore partie intégrante de toute la masse. Plusle refroidissement se sera produit, et plus l’anneau se seraécarté ; il s’est même fendu lui-même en plusieurs anneauxsecondaires, ce qui me paraît une preuve irrécusable de sasolidification.

Ayant peu de masse, en effet, il aura viteperdu assez de quantité de mouvement pour se solidifier. Il y acela de curieux que cet anneau est en somme un satellite, et queles organismes ont dû s’y développer et subsistent sans douteencore. Ils doivent être peu avancés dans l’échelle des êtres,mais, s’ils ont l’entendement fait pour concevoir la beauté duspectacle qui les entoure, ils ont dû plus d’une fois tomber enextase devant ce magnifique globe qui court avec eux au milieu desespaces en les éclairant et les chauffant.

L’inverse se manifestera bientôt, et lesfuturs habitants de Saturne jouiront de la vue singulière de cetimmense anneau qui les séparera du ciel comme un gigantesquegarde-fou. Saturne a sept satellites sans doute trop refroidis pourpermettre à la vie de s’y développer encore.

Neptune, qui vient ensuite, a une masse de87 ;

Une densité très-faible, 1,8 ;

Et une pesanteur de 1 1/3. Elle reçoittrès-peu de chaleur du Soleil : aussi doit elle être refroidiedéjà assez pour permettre le développement d’organismes. On n’a pudéterminer, à cause de son éloignement, sa vitesse derotation ; à sa faible densité, nous pensons qu’elle doit êtreconsidérable.

Uranus n’a qu’une masse de 77, plus vieilleque Neptune, par conséquent plus éloignée encore.

Densité très-faible, analogue à celle deSaturne, 0.9 ;

Pesanteur 2/3 ; rotation inconnue, maisassurément très-rapide.

La matière y est peu condensée, malgré lerefroidissement plus grand que pour les planètes précédentes,cependant assez sans doute pour donner naissance à desorganismes.

J’achève et je résume, messieurs, cette troplongue excursion à travers les molécules constitutives du corpscéleste dont nous faisons partie. J’ai décrit brièvement lesconditions d’habitabilité des planètes. Je les place ici enquelques mots pour que chacun de vous juge bien de quel astre peutêtre descendu l’étrange individu découvert par MM. Paxton etDavis. Ici, comme ailleurs, la théorie nous aura sans doute guidésvers la vérité.

LA VIE DANS LES ASTRES.

Soleil. – Inhabité encore.

Mercure. – Habité, êtres inférieurs,homologues des espèces futures terrestres.

Vénus. – Habitée ; êtrescomplètement analogues à ceux de la Terre ; faune et florecorrespondantes.

La Terre. – Habitée depuis longtempsdéjà et le sera longtemps encore.

La Lune. – Plus habitée ; l’aété.

Mars. – Habité ; êtres analoguesà ceux de la Terre, plus petits et inférieurs ; homologues, ily a longtemps déjà, des espèces terrestres, maintenant habité pardes êtres correspondant dans l’échelle organique aux futurshabitants de la Terre.

Jupiter. – Non habité encore.Satellites habités.

Saturne, – Êtres inférieurs,Satellites peut-être encore habités.

Neptune. – Habité sans doute par desêtres inférieurs.

Uranus. – Organismesrudimentaires.

Il suffit, messieurs, de parcourir ce résumépour se convaincre que l’homme interplanétaire, s’il a bienréellement une origine ultra-terrestre, ne peut provenir, d’aprèsce qui précède, que de la planète Vénus ou de la planète Mars.

Tous les géologues seront sans doute de monavis, lorsque je dirai pour ma part que je n’hésite pas entre lesdeux hypothèses, et que j’opte pour Mars.

Vénus et la Terre se suivent degré par degréou à peu près : or, l’homme ne devait pas exister sur Terrequand l’aérolithe y est tombé, puisque l’apparition de l’espècehumaine sur notre globe est postérieure au dépôt qui recouvrait lebolide : donc, le type analogue ne devait pas existerdavantage dans Vénus.

Au contraire, il ressort de ce qui précède quel’homologue de l’espèce humaine terrestre dans Mars a dû faire sonapparition à une époque beaucoup antérieure à la nôtre : iln’y a donc rien d’étonnant à la rencontrer dans une couchegéologiquement ancienne. Enfin, si, ce qu’il est bien permis desupposer, les dimensions des organismes dans chaque monde sontproportionnelles à leurs volumes, la petitesse relative de la momielui donne pour origine Mars.

On voit donc qu’en définitive la théories’accorde très-bien avec les images grossières de notre systèmesolaire figurées sur la plaque trouvée dans l’aérolithe. Lapremière idée, quand on voit Mars, dont le volume est plus petitque celui des planètes environnantes, dessiné plus gros ;lorsque l’on voit, à côté et à peu près avec les distances qui lesséparent, le Soleil, Mercure, Vénus, la Terre, la première idée quivient à l’esprit est assurément de rapporter cette représentationgrossière à des êtres habitant Mars.

Sous ce rapport, j’admets donc très-bien lesconjectures de MM. Paxton et Davis. Comme de plus lesconsidérations les plus éloignées de ce point de départ nousramènent par une autre route aux mêmes conclusions, je ne puism’empêcher de signaler à toute l’attention de l’assemblée cesfrappantes coïncidences : il y a là un argument sérieux enfaveur de l’hypothèse de la chute d’un véritable habitant de laplanète Mars.

Telle est, messieurs, la thèse que je voulaisdévelopper et que je vous remercie d’avoir écoutée avec autantd’indulgence.

M. STECK. Monsieur le président, jedemande la permission de faire observer à M. Greenwight qu’ila oublié la Lune.

L’être momifié qui a été découvert ici,compliquerait sans faire un pas en avant. J’aime mieux dire à monhonorable contradicteur que, suivant toute probabilité, l’homologuelunaire de l’espèce humaine terrestre serait aussi proportionnelleau volume du satellite ; or, si l’on compare les volumes de laTerre, de la Lune, de Mars, on trouve que les dimensions de l’hommeà la surface de la terre et de l’homme interplanétaire sont entreelles comme les volumes de notre globe et de Mars ; quand onveut comparer avec la Lune on trouve une hauteur beaucoup tropconsidérable ; les habitants de la Lune ont dû êtrecertainement plus petits que nous et dans une proportion assezgrande.

C’est pour cette raison, qui en vaut bien uneautre, en pareille occurrence, que j’avais négligé de mettre enligne de compte notre satellite. Du reste, j’invoquerai ici l’appuides chimistes. La densité de l’aérolithe pourra apporter quelqueslumières dans la question.

M. LIESSE. Demain, nous ferons connaîtrela densité des principaux échantillons de l’aérolithe.

Plusieurs membres vont féliciterM. Greenwight. La séance est levée à cinq heures.

LETTRE IX

La salle des séances. – Nouvelles de l’aérolithe.– Où l’on travaille pour le roi de Prusse. – Le banc desjournalistes. – Seringuier bâille. – Williamson critique. – Unsingulier petit bonhomme que ce Williamson ! – Portrait enpied. – Noirot de Sauw. – Métis de Chinois et d’Autrichien. –Cailloutage littéraire. – L’abbé Omnish. – L’homme interplanétairepeut-il tomber de la lune ? – Ce que répond la matière. –MM. Haughton et Ziegler. – Seriez-vous matérialiste,monsieur ? – Les générations spontanées en Amérique. –Qu’est-ce que la vie ?

La salle des séances est plus garnie encoreque les jours précédents. Les discussions avancent, il est vrai,mais les curieux arrivent de plus en plus nombreux. On est obligéd’occuper plusieurs boats et convois au ravitaillement dePaxton-House. Le propriétaire vient de faire construire encore denouvelles maisons en planches. Il y a littéralement foule sur lestravaux. On entoure l’aérolithe et on se presse aux fenêtres de lasalle. C’est à qui saisira un mot de la discussion. Beaucoup depersonnes, heureusement, viennent le matin du fort Ben et s’en vontle soir.

On a bientôt perforé en entier l’immensebolide, mais sans nouveaux résultats. M. Vanbrée fait avecM. David et plusieurs autres géologues de la commission uneexploration des environs, pour voir si l’on ne trouverait pasd’autres spécimens de la roche interplanétaire, quelques éclatsanalogues à nos petits aérolithes actuels : mais lesrecherches sont très-difficiles au milieu de ces forêts viergesréellement impraticables, à moins d’avoir recours à la hache et aufeu.

Nous sommes presque tous au complet sur lebanc des journalistes ; l’abbé Omnish, Seringuier, Noirot deSauw, trouvent les débats bien longs. Seringuier prend cependantson mal en patience et fait rédiger les comptes rendus pour unalmanach populaire. « Le public lira cela, dit-il, bête ounon, qu’importe ? mon nom au bas, le format Hacken, le livreserait-il cousu de feuilles blanches, qu’on le trouverait encoretrès-intéressant. » Il a raison pourtant ! Le public estnaïf !

Williamson, un tout petit homme qui voudraitfaire du bruit comme quatre, mais qui ne peut se retrouver dans saprose filandreuse, critique Greenwight, critique Newbold, critiqueStek, critique les débats, critique tout le monde. Il secritiquerait lui-même, s’il osait ! Williamson, sous prétextede faire de la science, prêche tous les dimanches dans le journalquotidien le Strand pendant deux longues colonnes.

Vous pensez peut-être qu’il s’occupe devulgariser la question à l’ordre du jour ? Bah ! la choseest trop simple pour lui : il fait comme si les lecteursétaient au courant, il met la charrue avant les bœufs et discutegravement et sentencieusement de la méthode scientifique. Ilcritique encore et toujours, sans s’apercevoir qu’il parle dans ledésert ! La critique est fort intéressante, mais faut-ilencore savoir, avant tout, de quoi il s’agit. Qu’importe, lecteursdu Strand, pourvu que Williamson critique !Vétérinaire de profession, je crois, il tranche avec un adorablesans-façon les questions d’astronomie et de mécanique ; lesquestions d’art vétérinaire, il ne s’en préoccupe jamais ; ilappelle cela faire de la science sans préjugés, comme si la sciencen’était pas la SCIENCE ! Quel impayable petitbonhomme !

L’année dernière, les conférences étaient engrande vogue à Richmond. Il annonce dans tous les journaux,placarde sur tous les murs l’ouverture de son cours. Il cherche leplus grand local possible pour y établir sa personnalité. Jamais,dit-il, salle ne sera assez vaste pour contenir mes auditeurs.Hélas ! pauvre confrère ! ce jour n’arriva que tropvite ! Le professeur dut partager le même sort qu’Ampère,votre original d’Ampère. Vous vous rappelez qu’un jour de mauvaistemps, il arriva au collège de France en voiture. Il commença saleçon et la termina devant un seul auditeur très-attentif. Entraînépar son sujet, il dépassa le temps réglementaire. Aussi regardantsa montre : Ah ! pardonnez, monsieur, dit-il, de vousavoir retenu si longtemps !

L’auditeur le regarda étonné. Mais, Monsieursait bien, répondit-il, que j’ai tout mon temps ; ne m’a t-ilpas pris à l’heure ?

Hélas ! le seul auditeur d’Ampère,c’était son cocher de fiacre.

De même pour Williamson, mais qui, moinsdistrait et pour cause, eut tout le temps de se dépiter del’aventure. Un seul disciple se présenta, et ce seul auditeur,c’était l’agent du cours. Williamson a abandonné lesconférences.

L’Académie de médecine de Richmond vient delui refuser aussi, très-catégoriquement, un de ses fauteuilsvacants. Williamson a beaucoup à vieillir avant de grandir.

Noirot de Sauw, tout rabougri, comme un vieuxpommier de Normandie tordu par les années, cache son ignorance dansson assurance. Il a passé, et de beaucoup, la soixantaine ; ilest courbé ; de profil il tient du chimpanzé, sans aucuneflatterie : de face, c’est une momie égyptienne vivante. Quelsingulier individu ! Il porte dans la vie privée un nom avecune particule qui fait place à une simple parenthèse, au bas de sesproductions. Bien qu’il ait un nom presque français, il ne paraîtguères l’être ; à son allure, à son caractère, on aimeraitmieux voir un métis de Chinois et d’Autrichien.

Le style est comme l’homme, vieux, rabougri,sec, tendu, sans aucune synovie aux articulations ; on diraità chaque virgule, que la phrase va craquer et se fendre ;c’est de la prose qu’il est temps de remiser. Noirot de Sauw faitpeu par lui-même, bien peu. Il demande des documents partout, meten place toutes ses notes et réunit ses phrases bout à bout. Puisil signe ce cailloutage et l’envoie pompeusement à tous lesacadémiciens, qu’il salue jusqu’à terre. On dit en effet qu’il ades prétentions académiques ; que Dieu en garde lesacadémiciens à tout jamais passés et à venir.

Triste, triste ! Envieux, jaloux,hargneux pour tout le monde ; triste, triste ! enfinc’est un type ! on lui pardonne par amour de la science.

L’abbé Omnish est un autre type, mais vous leconnaissez : qui ne le connaît sur la surface du globe ?Bon confrère et réellement savant, il a peu de rivaux, s’il en a.Je reviens aux débats dont je me suis laissé écarter en avisant labonne et béate figure de Seringuier.

M. NEWBOLD. La parole est àM. Liesse.

M. LIESSE. Je n’ai que quelques mots àdire, monsieur le président. M. Greenwight, dans saremarquable dissertation, a pensé que l’on trouverait unéclaircissement dans la densité de l’aérolithe. La matière sur Marsdoit être en effet moins condensée et encore beaucoup moins dans laLune : de là un moyen tout simple d’écarter notre satellite dudébat.

J’ai, avec le concours de M. Siemann,déterminé la densité de plusieurs échantillons, et même celle del’argent trouvé dans le bolide. Les chiffres se rapprochentcomplètement de ceux que nous obtenons sur nos minéraux et nosmétaux terrestres, cependant un peu plus faibles. Il est bontoutefois d’ajouter que proportionnellement la densité de cesmatières devrait être moindre qu’elle ne l’est en réalité ; entous cas, elle est trop forte pour permettre d’attribuer leurorigine à notre satellite ; la densité des roches lunairesdoit être notablement plus faible, et, comme l’a très-bien ditM. Greenwight, j’écarte la Lune du débat sans autrehésitation.

M. GREENWIGHT. Qu’il me soit permis deremercier M. Liesse de son appui et de faire remarquer àl’assemblée que, loin de m’étonner, les discordances signalées parmon savant collègue dans la densité de la substance de l’aérolithene font que m’affermir davantage dans mon opinion première. Eneffet, la densité de ces matières était, à l’époque de leur chute,plus faible que celle des substances terrestres similaires, maiselles ont traversé l’espace, elles se sont condensées, elles sesont ensuite agrégées, obéissant aux nouvelles forces terrestres,puis encore condensées par le refroidissement qui a séparé leurarrivée ici de l’époque actuelle.

Quoi d’étonnant à ce que leur densité soitrelativement élevée ! Le contraire serait plus inexplicable.Ce que je voulais, en priant M. Liesse de déterminer ladensité, c’était surtout de mettre la Lune hors de cause. Or laquestion soulevée par M. Steck me paraît absolument vidée.L’aérolithe et ses habitants n’ont pu théoriquement descendre quede la planète Mars ; reste à savoir comment : c’estM. Owerght qui a bien voulu se charger de ce point et quil’éclaircira, j’en ai la conviction, avec son talent ordinaire.

M. HAUGHTON. Monsieur le président, j’aidemandé la parole, il y a plusieurs séances déjà, et je pensequ’avant d’examiner la possibilité de la chute d’un aérolithevenant d’une autre planète, il ne serait pas superflu d’abordertout de suite la question capitale, à mon avis, du développementdes êtres à la surface de la terre et des mondes similaires. Jedésirerais, à ce propos, faire quelques objections à l’opinion deM. Greenwight.

M. NEWBOLD. La parole est àM. Haughton, mais je suis forcé de rappeler, messieurs, que letemps se passe, et que je recommande à mes collègues la plus grandebrièveté possible.

M. HAUGHTON. Qui dit être, messieurs, ditvie. Or, qu’est-ce que la vie ? Pour M. Greenwight, sij’ai bien compris, la vie résulte d’une masse donnée unie à unequantité de mouvement donnée. Cependant, messieurs, si cela était,qui m’empêcherait de produire la vie ? la quantité demouvement, n’en suis-je pas maître ; la masse, ne puis-jel’accroître ou la diminuer à volonté ?

Voici de la matière, puis encore de lamatière : l’animerai-je ? Non, mille fois non. Jeproduirai des réactions chimiques, mais des réactions qui ne sepoursuivront pas d’elles-mêmes et qui s’éteindront au bout d’uncertain temps. Tel n’est pas le caractère de la vie. Et,d’ailleurs, dans ce cas, nous verrions la vie se manifester àchaque instant là où de la matière serait en contact avec de lamatière ; les générations spontanées se produiraient sous nosyeux et à tout moment. Il n’en est rien.

Et puis, pourquoi la mort après une évolutionde la matière aussi courte ? N’est-il pas clair que laquantité de mouvement n’a pu beaucoup varier pendant si peu detemps ? D’ailleurs, l’individu succède à l’individu, et ce quitue l’un animerait l’autre ; il y a là des anomalies et descontradictions qui me font repousser la définition mise en avantpar le savant astronome. Non, la vie n’est pas une réaction.

M. ZIEGLER. Je prendrai la libertéd’interrompre mon illustre confrère : je partage jusqu’à uncertain point les idées de M. Greenwight, et je tiens à ne paslaisser sans réplique les négations de M. Haughton. J’y tiensd’autant plus que, dans une autre enceinte, en France, aucunacadémicien, dans une dispute qui dure depuis plusieurs années, n’aosé omettre l’opinion que j’oppose à M. Haughton. La cause demon honorable collègue est défendue avec talent, à Paris, parMM. Pasteur, Milne Edwards, Balard, etc., etc. ; lamienne, ou à peu près, par des professeurs de province :MM. Pouchet, Joly et Musset. Pourquoi à l’Institut de France,bien que plusieurs académiciens aient sur ce sujet une opinionarrêtée, pourquoi personne n’a-t-il élevé la voix en faveur del’hétérogénie[17] ?

Je vous demanderai à ne pas suivre cetexemple, et, bien que je fraye une voie tout à fait nouvelle, parmivous, je solliciterai la permission de dire tout ce que je pense.N’est-ce pas la vérité, messieurs, que nous cherchons tous ?nous devons travailler en commun et apporter chacun notre pierre àl’édifice.

Évidemment, de la matière ajoutée à de lamatière ne saurait dans tous les cas produire la vie. Mais j’osedire que cette juxtaposition en est la condition nécessaire etsuffisante.

Les corps organisés sont des corps dont leséléments matériels sont susceptibles d’être ébranlés par laquantité de mouvement normale venue du Globe lui-même ou duSoleil ; ces corps entrent en vibration harmonique ; ilss’animent, ils vivent ; et les réactions s’y produisent et s’yperpétuent pendant un temps donné qu’il faudra définir dans lasuite.

Quant à ces éléments matériels des corpsorganisés, remarquez : ils sont toujours formés de matériauxminéraux divers dépendant du milieu dans lequel ils sont placés etinvariablement en tout ou en partie de composés fixes : lecarbone, l’azote, l’hydrogène, l’oxygène.

Vous niez que de la matière unie à de lamatière suffise pour déterminer la vie, et cependant ne voyez-vouspas une réponse implicite dans cette juxtaposition continuelle dequatre corps : le carbone, l’azote, l’hydrogène,l’oxygène ?

N’apercevez-vous pas nettement ici quecertaines variétés de la matière, certaines agrégations, certainscomposés seuls ont le pouvoir de constituer les corpsvivants ? N’est-ce pas avouer que, si vous saviez les placeren présence dans les conditions voulues, vous amèneriez lavie ?

– Quoi ! un être n’est formé qued’une seule substance, d’une substance parfaitement définie parmiles innombrables matériaux de la nature, et cela quel que soitl’être, et vous refuseriez d’y voir un premier indice ! Lalogique vous ordonne au moins d’émettre un doute et vous défend detrancher si vite dans une question si ardue.

M. NEWBOLD. Messieurs, n’oublions pasl’habitant interplanétaire.

M. ZIEGLER. Oui, monsieur leprésident ; j’avance.

Chaque fois que vous vous trouverez enprésence d’agrégations matérielles trop denses pour être excitéesencore par la quantité de mouvement reçue par la planète, vousn’aurez devant les yeux que des corps inertes, non susceptiblesd’entrer en vibration harmonique avec ce mouvement, nonsusceptibles de perpétuer cette force un certain temps, incapablesde vivre. Voilà la nature inorganique.

Au contraire, avez-vous devant vous desagrégations assez peu denses, assez mobiles pour emmagasiner lemouvement, le perpétuer un certain temps, comme la corde mue parl’archet vibre encore quand l’effort a cessé, vous verrez naître etse développer, s’accroître et vivre, ces agrégations tout à l’heureinertes. Voilà la nature organique.

Or, est-ce là une hypothèse, un rêve ? Sioui, pourquoi donc ne trouvons-nous jamais associées que les mêmesmolécules, les mêmes agrégations atomiques : le carbone,l’azote, l’hydrogène, l’oxygène. Vous voyez bien, messieurs, quecertaines molécules seulement et de composition invariable aiment àse rencontrer ensemble.

Elles seules sont susceptibles de recevoir etde transmettre le mouvement. Ne faut-il pas conclure, bon gré malgré, qu’avec elles seules vous produirez la vie ? Donc il estvrai d’avancer que de la matière convenable et excitée par unequantité de mouvement convenable est nécessaire et suffisante pourdonner lieu à la vie. De là cette définition :

La substance organisée n’est que de la matièresusceptible d’excitation harmonique en présence de la quantité demouvement libre à la surface du globe.

La vie n’est que la détente de la quantité demouvement intérieure emmagasinée à l’origine dans la matière etperpétuée par la quantité de mouvement extérieure. La vie dépenddonc de l’agrégation initiale de la matière et du milieu danslequel elle se trouve.

M. HAUGHTON. M. Ziegler étendra-t-ilcette opinion, non plus seulement à la matière organisée,c’est-à-dire à la substance susceptible d’accroissement ou dedéperdition qui constitue les êtres vivants, mais aux êtres vivantseux-mêmes : aux végétaux et aux animaux.

M. ZIEGLER. Très-certainement, la loi estla même partout. M. Greenwight a dit avec son autorité :Les constellations, les astres surchargés de quantité de mouvement,étaient à l’état embryonnaire ; à mesure que cette quantité demouvement a diminué, les mondes ont vieilli ; quand elle seradevenue nulle, ils mourront. Je n’ai qu’à répéter sa phrase pour lanature organique. La matière excitée s’est agrégée suivant descombinaisons diverses.

La chute de ces innombrables atomes les unssur les autres pour chaque petit corps, si infime qu’il soit, aproduit une grande quantité de mouvement[18]. Ladétente de cette quantité de mouvement intérieure, chaque jourralentie par la quantité de mouvement extérieure, comme lerefroidissement des astres Test par le rayonnement du Soleil,détermine les différentes phases de la vie.

L’énergie du ressort avec lequel elles’échappe, c’est la force vitale : ainsi vous passez forcémentpar la jeunesse, la vieillesse, et quand la quantité de mouvementintérieure est enfin épuisée et que l’excitation extérieure estinsuffisante pour maintenir l’équilibre, survient la Mort.

Les agrégations moléculaires subsistent encoreensuite comme les astres restent néanmoins à l’état solide aprèsleur refroidissement complet. Mais, quand les molécules ont finipar vibrer à l’unisson avec les molécules des corps voisins, qu’iln’y a plus aucune tendance à s’agréger, les corps organisés sedésorganisent à leur tour comme les vieux astres de l’espace, etles molécules comme les atomes interplanétaires reprennent leurliberté pour aller entrer plus loin dans de nouvelles combinaisons.Tel est le cycle de la vie.

M. Haughton me demande comment je faisnaître ainsi les végétaux et les animaux. J’ai montré la générationdes tissus, des cellules embryonnaires de toute substanceorganisée ; l’ensemble naîtra des détails, l’être des partiesconstitutives. Mais la séance est très-avancée ; avecl’agrément de l’assemblée, je remettrai à demain le développementde cette thèse.

LETTRE X

La genèse des êtres. – Les premiers organismes dela terre. – Les végétaux rudimentaires. – Loi de formation et dereproduction. – Les premiers animaux. – Quelques lignes deLavoisier. – Solidarité des êtres. – Espèces. – Variétés. – Oùc’est le terrain qui fait son homme. – Tel sol, tel animal. – De lataille. – Époque des grands animaux.

La parole est continuée à M. Ziegler.

M. ZIEGLER : Messieurs, si vous avezencore présents à la mémoire les quelques détails dans lesquels jesuis entré hier, je crois pouvoir vous faire assister à la genèsedes êtres, comme M. Greenwight a déroulé devant vous la genèsedes mondes.

À l’origine, la quantité du mouvement de notreglobe était trop grande pour permettre aucune juxtaposition deséléments organiques. Quand elle est devenue assez petite pour leurpermettre l’association, l’agrégation, les molécules organiques sesont unies et ont produit les premières organisationsrudimentaires, organisations invisibles pour nous, tant ellesétaient petites et imperceptibles, si nous avions pu alors existersur la surface du globe. Ces corps organisés, qu’étaient-ils ?Nous nous garderons bien de les définir. Qu’étaient-ils ! Desamas de molécules qui, en s’unissant, avaient par ce fait mêmecondensé une certaine quantité de mouvement. Cette agrégation,excitée par le mouvement extérieur, était susceptible des’accroître par l’adjonction de nouvelles molécules, par un échangeavec les autres matériaux voisins. D’où la naissance, la vie, puis,après la détente de tout ce mouvement, la mort. Ainsi prirentnaissance, aux premiers âges de notre planète, les organismes lesplus rudimentaires ; ils se groupèrent sans doute en abondanceun peu partout et couvrirent la surface du globe.

Mais ces petits corps, ces petites cellulesélémentaires ballottées de toutes parts au milieu de l’atmosphèrechargée de gaz, finirent par retomber sur la surface solide ;elles y trouvèrent de nouveaux éléments d’agrégation, et laplupart, puisant des matériaux inorganiques dans le sol, lesentraînèrent dans leur évolution et se transformèrent enorganisations plus complexes. Ainsi alla, se compliquantconstamment, et successivement la molécule organique primitive,prenant quelquefois de la force et de la densité dans sonadjonction avec des molécules inorganiques. Telle est l’origine desvégétaux. Les formes se multiplièrent de plus en plus, depuis lacellule et le tissu élémentaire jusqu’aux tissus multiples. Avanttout, affaire de masse, de temps et de quantité de mouvementintérieure et extérieure.

Pensez-vous qu’un de ces amas de moléculesorganiques, en présence de nouveaux amas, dût gagner toujours etaugmenter indéfiniment par juxtaposition et combinaison ? Non,messieurs, le végétal primitif, la cellule rudimentaire ne pouvaitcroître à l’infini. Sa vie dépend de sa quantité demouvement : or sa quantité de mouvement est finie.

Lorsque la surface développable de la cellulesera devenue suffisamment grande par l’adjonction des moléculesvoisines, sous l’action des forces extérieures (chaleur propre duglobe et chaleur solaire), il se fera équilibre entre ladéperdition superficielle et la détente vitale ; l’élémentorganisé ne pourra plus gagner : mais voyez ce curieuxmécanisme. C’est la surface qui fait dépérir l’individu ; laquantité de mouvement insuffisante pour le faire vivre dans cetétat nouveau concentre ses efforts ailleurs en un point unique. Unnouveau centre d’action se forme, de nouvelles moléculess’agrègent, un nouvel individu apparaît. Les astres étaient descentres d’action constamment variables ; ces végétauxrudimentaires sont aussi des centres d’agrégation incessammenttransmutables. C’est ainsi que la cellule primitive se reproduitindéfiniment par fissiparité, fractionnement, bourgeonnement,etc.

On pourrait supposer qu’il y a perte dequantité de mouvement chaque fois dans la mort et la naissance dechaque élément organique : mais non, car l’agrégation forcéede nouvelles molécules condense chaque fois de nouvellesforces.

Quant à ces infiniment petits rudimentaires,il est évident que nous devons les retrouver à tous les âges del’existence de notre planète, tant que les conditions detempérature permettent aux molécules organiques de subsister.

Ils se formeront de toutes pièces toutes lesfois que les éléments physiques de leur existence ne leur ferontpas défaut, ou ils se reproduiront par fractionnement. De ce quiprécède résulte que pour moi, contrairement à l’opiniondeM. Haughton, si l’on met les éléments organiques enprésence, en quantité voulue, si vous les exposez à une chaleur etsurtout à une lumière convenable, à l’humidité, à l’état électriquevoulu, vous produirez leur association, vous constituerez de toutesparts des êtres susceptibles de vivre, de se nourrir et de sereproduire : par conséquent, des végétaux pardéfinition[19].

La cellule végétale est distincte de lacellule animale ; même origine, cependant, mais groupementmoléculaire différent.

L’agate, le jaspe, l’améthyste, ne sont que dela pierre à fusil, mais leurs molécules sont diversement combinées.Ainsi pour la cellule végétale et l’élément animal. Les rudimentsanatomiques se constituaient sans doute en même temps que lesrudiments végétaux, et la différence est encore insensibleaujourd’hui.

Certains animaux et certains végétaux sont sisemblables, que l’on ne saurait préciser le point où la sérieanimale cesse pour faire place à la série végétale.

Comme les végétaux rudimentaires, les premiersorganismes animaux, en puisant de nouveaux matériaux au sein deseaux, dans l’air, à la surface du sol, se compliquèrent etaugmentèrent de dimensions. Comme les végétaux, ils furent obligésde ne pas s’accroître au delà d’un certain point, et leur mortamena la naissance d’individus nouveaux. Quant à la durée de leurvie, elle est évidemment proportionnelle à la quantité de mouvementinitiale emmagasinée par l’agrégation moléculaire et à la surfacede ces êtres. Elle est donc peu considérable ; la reproductiondoit se manifester avec une grande énergie. La vie et la mortpassent sur ces organismes avec une rapidité extrême.

Ces êtres primitifs durent seuls exister,pendant des temps considérables, les uns dans l’atmosphère, sur lasurface solide, les autres dans les eaux. Puis, quand le calmedevint plus grand sur le globe, que les sédiments commencèrent à sedéposer, les organismes se montrèrent plus nombreux et plus variés.Les cellules végétales trouvèrent tout autour d’elles des matériauxd’assimilation, plus nombreux.

Les cellules animales s’accrurent aux dépensdes cellules végétales et des substances minérales de l’atmosphèreet des eaux. Les échanges se multiplièrent, les formes prirent plusde variétés, et peu à peu apparurent les premières espèces quicorrespondent aux premiers âges du globe.

Chaque espèce ainsi formée se perpétuaforcément pendant d’autant plus de temps qu’elle avait été créée àune époque plus reculée. En effet, un organisme, c’est un centred’action, c’est de la force emmagasinée : la mort ne vient quelorsque cette force est épuisée, mais les forces extérieures(chaleur, lumière, etc.), qui excitent la détente de la vie chezl’individu,travaillent en outre, accumulent chez lui desmatériaux empruntés au milieu où il est plongé.

Or, pour que ces forces puissent exciter ladétente vitale, il faut de toute nécessité admettre quelles soientcapables de produire précisément le même travail qu’elle ;autrement, il y aurait arrêt ; la vie n’apparaîtrait pas.

Les forces extérieures peuvent donc travaillerà grouper de nouvelles molécules et sont susceptibles de déterminerpar cette agrégation une quantité de vie égale à celle que possèdel’individu. Cette nouvelle agglomération permet la formation dugerme, de l’embryon d’un individu semblable au précédent. Et ainside suite.

Toutefois, les forces extérieures vont endiminuant sans cesse, bien qu’imperceptiblement. Donc forcément laquantité de vie qu’elles accumulent dans chaque germe va aussidiminuant. À la longue l’espèce périra. Telle est une des causesrégulières et insensibles de l’extinction de l’espèce. Quant à lalongueur de la vie pour chaque individu, nous l’avons dit, elledépend de sa masse et de sa surface développable ; lapuissance de reproduction également.

Je n’ai pas besoin de faire observer que cesconsidérations trouvent tous les jours encore une confirmation.Placez un germe ou un organisme déjà en mouvement dans un milieuprivé de chaleur et de lumière, et jamais, jamais vous ne verrez lavie naître ou se perpétuer. Du reste, messieurs, je dois rendrejustice ici au fondateur de la chimie, à un Français que nous tousadmirons, au grand Lavoisier. J’ai retrouvé dans ses écrits cepassage mémorable qui dit et renferme tout :

« L’organisation, le sentiment, lemouvement spontané, la vie, n’existent qu’à la surface de la terreet dans les lieux exposés à la lumière. On dirait que la flamme duflambeau de Prométhée était l’expression philosophique qui n’avaitpoint échappé aux anciens. Sans lumière, la nature était sansvie ; elle était morte et inanimée. Un Dieu bienfaisant, enapportant la lumière, a répandu sur la surface de la terrel’organisation, le sentiment et la pensée. »

Ces paroles resteront éternellementl’expression de la vérité. (Applaudissements prolongés.)

M. NEWBOLD. Nous écoutons avec le plusvif intérêt M. Ziegler, mais je suis forcé de lui rappeler quenous nous éloignons sans cesse de la question. Les digressions, siintéressantes qu’elles soient, ne font pas avancer la solution duproblème. Que M. Ziegler veuille bien se rappeler que depuisdix jours nous sommes réunis, et nous ne savons pas à quoi nous entenir encore sur l’habitant de la planète Mars.

M. ZIEGLER. Monsieur le président, j’aibientôt fini. Si l’assemblée veut m’y autoriser, j’achèverai matâche. (Oui, oui, oui !)

Je continue : Le végétal, messieurs,seul, possède la faculté de tirer directement du sol et del’atmosphère les molécules organiques et inorganiques ; ilfait directement la matière organisée. Ceci tient à la simplicitédes agrégations qui le constituent. L’animal n’a pas ce privilège,il ne peut s’accroître qu’aux dépens de la substance organiséevégétale ou animale. Le végétal a donc précédé l’animal dans lacréation. Ceci est très-remarquable, il me semble, et marquetrès-bien la distance qui sépare les deux organismes. L’un élaborece que l’autre absorbera ensuite.

On voit ici, dès le début, apparaître cetteloi immuable de la nature. Toute organisation va sans cesse pardegrés ascendants, du simple au multiple, la première créationservant à la suivante et toujours.

L’animal ne peut puiser sur place les élémentsprimitifs d’accroissement, puisqu’il a besoin qu’ils aient subi uneélaboration première. Il faut donc qu’il se déplace. À l’origine,cette nécessité de déplacement aura forcé les organismesrudimentaires à se façonner pour la marche, et cette faculté auraété croissant avec la variété des aliments à puiser de toutesparts. Ainsi l’animal aura seul parmi les corps de la nature lepouvoir d’exécuter un travail extérieur. Grande concession qui luivaudra toute sa supériorité. Ce privilège, nous le répétons,réduit, très-réduit au début, aura toujours été augmentant.

Nous aurons donc aux premières époques desêtres ne se déplaçant que très-difficilement, puis successivementdes animaux de mieux en mieux conformés pour la locomotion.

Des affinités matérielles réciproques serontnées les qualités de chaque individu, puis l’instinct et lecaractère dominant de chaque espèce. Il est parfaitement certainque les animaux et les végétaux d’une même période sontnon-seulement dépendants l’un de l’autre, mais encore les uns desautres.

Un mathématicien dirait qu’ils sont tous devéritables variables satisfaisant à une équation. Quand l’équation,c’est-à-dire les forces extérieures, change, les variables,c’est-à-dire les espèces, changent aussi forcément.

Qu’il me soit permis, messieurs, de signaler àvos méditations un grand principe qui paraît gouverner l’évolutionde la matière. Je le définirai ainsi :

« Un groupement moléculaire quelconquetend à produire un groupement moléculaire semblable. »

La force qui n’échappe d’une agrégation donnéetend à rapprocher harmoniquement le même nombre d’atomes et à créerdes molécules similaires. C’est pourquoi, messieurs, plus lessédiments se déposent nombreux à la surface terrestre, plus lessubstances se groupent et se compliquent, plus les organismes segroupent, et se compliquent eux-mêmes.

Vous trouverez leur structure de plus en pluscompliquée et dépendante des matériaux voisins, de l’atmosphère,des eaux et du sol ; leurs organes se mettront en relationimmédiate avec leurs besoins. Le poisson se conformera pour vivredans les eaux, l’oiseau dans les airs, le mammifère à la surface dusol.

Chaque espèce, nous l’avons dit, ne peutexister indéfiniment. Il est facile de préciser la durée de sonexistence. Elle a pris naissance, en effet, sous l’ébranlement desforces extérieures agissant sur des agrégations moléculairesdéfinies. L’espèce est donc intimement liée aux variations desforces extérieures (chaleur, lumière…) et par suite aux variationsdes substances du globe.

Les organismes formés des molécules les plusrudimentaires se perpétueront le plus longtemps ; aucontraire, les molécules plus complexes variant de groupementbeaucoup plus vite, les êtres plus élevés dans l’échelle seperpétueront moins longtemps.

Une espèce s’éteindra forcément quand elle nerencontrera plus de molécules similaires à celle qui la forme etque les forces extérieures seront devenues insuffisantes pour endéterminer l’ébranlement.

En langage ordinaire, chaque fois qu’unerévolution géologique aura modifié le milieu, les espèceschangeront ; elles se transformeront, et le passage serad’autant moins sensible que les organismes végétaux et animauxprécédents, que le sol lui-même, seront plus complexes et plusvariés.

Ainsi, on peut, traduire ce qui précède endisant que les premiers organismes peu modifiés se perpétuerontpresque à tous les âges de la Terre ; que les végétaux et lesanimaux, plus élevés dans l’échelle ascendante, ne peuvent seperpétuer que pendant un temps limité ; leur origine et leurextinction dépendent essentiellement du milieu géologique etphysique : ils différeront donc en général pour chaque phasegéologique, et d’autant plus, que le cataclysme qui aura remaniéles matériaux de la surface terrestre sera lui-même plusimportant ; d’autant moins, au contraire, que les changementsseront plus insignifiants[20].

Avec la variété des terrains viendra lavariété des espèces. Avec leur multiplicité, la supériorité etl’élévation des individus.

Vous le voyez, messieurs ; je n’esquiverien, je nie formellement que la création ait été l’œuvre d’unjour ; je combats énergiquement l’opinion qui fait naître toutd’une pièce les espèces variées qui peuplent la terre.

Beaucoup de savants, en Europe surtout,affirment que les germes de tous les animaux existant, ayant existéou qui existeront, sont créés depuis l’origine des temps, et necommenceront leur évolution que successivement et à leur tour.C’est absolument contraire au raisonnement et à l’étude approfondiedes phénomènes biologiques.

Non, messieurs, l’espèce, l’individu, parti dela molécule organique primitive, passe comme le globe lui-même pardes phases distinctes ; l’espèce naît, croît et meurt commel’individu.

C’est une intégrale qu’il s’agit dedifférencier.

Mais comme le globe, comme le systèmeplanétaire auquel nous appartenons, chaque espèce en perdant de lavie commence fatalement la génération d’une nouvelle espèce :c’est là une simple question de transmission de force.

Jetez un coup d’œil sur notre époque, vousverrez nos espèces actuelles très-voisines d’espèces précédentes.Il y a déjà transformation. Nos animaux et nos végétaux actuelsserviront de transition, et par degrés insensibles, à de nouveauxanimaux, à d’autres végétaux.

La fin de l’existence de nos espècescorrespondra à la génération des suivantes en rapport avec lesforces extérieures de l’époque, avec les milieux géologiques. Ceciest fatalement nécessaire ; les matériaux et l’ouvrierchangent : il faut donc que l’œuvre se transforme.

On ne s’étonnera pas non plus de voir unterrain caractérisé par sa faune et sa flore, puisque c’estprécisément lui qui a régi l’évolution des organismes pendant toutle laps de temps qu’il a été à découvert.

Quant aux variétés distinctes qui se montrentdans chaque espèce, après ce que nous venons de résumer, il n’estpersonne qui ne voie de prime abord qu’elles sont intimement liéestout à la fois aux milieux géologiques et physiques. C’est le solet le milieu ambiant qui fabriquent chimiquement et physiquementl’espèce et l’individu[21].

Plus révolution du globe avance et plus lesêtres se perfectionnent par degrés plus insensibles, car lescombinaisons de la matière deviennent plus difficiles et plusrares, et les espèces par suite se fondent de plus en plus les unesdans les autres.

Cette remarque suffit aussi pour faire voirque les espèces, après s’être succédé avec rapidité et grandevariété, doivent commencer à devenir plus stables et moins facilesà transformer.

Non-seulement la structure des êtres a été ense modifiant, mais aussi leur taille. N’est-il pas parfaitementclair qu’elle a dû croître avec la variété des matériauxdisponibles ? La force emmagasinée est devenue plus grande etl’accroissement possible de chaque individu plus considérable.

Il est bien évident que le maximum de taillepour les espèces successives a dû coïncider simultanément avec laplus grande variété de matériaux terrestres et la plus grande sommede forces extérieures. D’une équation encore a dû sortir et sortjournellement la taille de l’espèce et de l’individu.

Il semble que nous avons dépassé le maximum,et que, les forces extérieures décroissant plus vite que n’augmentela variété des combinaisons, la taille des espèces aille endiminuant.

Il est inutile d’ajouter que pour chaque phasela grandeur d’une espèce a toujours dépendu de la latitude et aaugmenté sans cesse du pôle vers l’équateur. Des observationsnombreuses ont toujours prouvé qu’en effet, conformément à cesdéductions, les plus grands animaux se sont toujours rencontrésdans les régions équatoriales. Je terminerai ces considérations, vul’heure avancée, lundi, si l’assemblée veut bien me lepermettre.

LETTRE XI

Comment nous vient la vie. – Détente vitale. –Moyen de la mesurer. – Où le végétal qui pousse dans l’obscuritépèse moins que le grain qui l’a produit. – Du maximum de vie. –Durée de l’existence. – M. Ziegler est en désaccord avecM. Flourens. – Longévité humaine. – Pourquoi les végétaux seréveillent au printemps ? – L’homme crée-t-il sonsemblable ? – Machine à fabriquer les êtres. – Transmission dela force organique. – Le Créateur.

M. ZIEGLER. Plusieurs membres de lacommission ont bien voulu me faire hier dimanche plusieursobjections : je crains que les physiologistes n’aient passaisi toute ma pensée et je demande, messieurs, à insister sur lepoint de départ de la vie ; d’autres enfin n’ont vu dans monexposition qu’une thèse matérialiste sans issue ; il estindispensable d’éclairer les uns et de rassurer les autres.

Je rappelle ici ce principe fondamental déjàcité :

Une agrégation moléculaire quelconque tend àengendrer une agrégation moléculaire semblable.

Le germe, messieurs, c’est une agrégationmoléculaire définie, travaillée, produite par les forces organiquesen fonction. Prenez le germe, prenez une graine, prenez unœuf : si vous ne placez ni celui-ci ni celui-là dans lesconditions physiques voulues, vous ne tirerez rien, absolument riende l’un ni de l’autre. Mais mettez la graine dans un milieuconvenable, de telle sorte qu’elle trouve autour d’elle às’adjoindre des molécules similaires, vous verrez bientôtl’activité vitale se développer, la graine se transformer enplante.

La graine, l’embryon, était-ce donc, avantl’excitation des forces extérieures, un corps brut, inerte,inorganique ? Mais non, messieurs, c’était une agrégation demolécules organiques ne possédant pas la quantité de mouvementvoulue pour s’adjoindre les molécules similaires ; c’était unecréation incomplète n’attendant qu’un excès de force pour setransformer. J’ai dit qu’il fallait que deux conditions fussentremplies pour que le germe produisît la plante ; des forcesextérieures suffisantes, des éléments d’agrégations voulus. Voici,messieurs, une vérification immédiate.

Supprimons en partie, en partie seulement, lesforces extérieures ; plaçons, par exemple, le germe dans uneobscurité absolue, et conservons les éléments d’agrégation. La vie,nous l’avons dit, c’est la détente de la force emmagasinée. Or,laissons se détendre la force emmagasinée dans le germe ;comme nous supprimons la majeure partie de la force excitatrice,évidemment la vie sera très-courte ; de nouvelles molécules nepourront venir se grouper auprès des anciennes ; quand laquantité de mouvement emmagasinée sera épuisée, l’organismemourra.

Voyez maintenant : voici unegraine ; on l’a placée au soleil ; elle a germé ;puis on l’a enfermée dans une chambre obscure. L’excitation solairelui a donné la vie ; la suppression de cette force ne la luienlève pas. Il faut attendre que la force emmagasinée soitépuisée : ce végétal va donc vivre et vivre d’autant pluslongtemps que la masse de l’embryon était plus considérable. Enfinon le verra s’étioler, puis mourir. Le végétal aura épuisé toute laforce emmagasinée dans l’embryon.

Ici se montre dans toute sa simplicité lanotion de détente de la force vitale. Si un organisme vitlongtemps, il le doit incontestablement à la force qui prendnaissance au fur et à mesure de l’agrégation de nouvellesmolécules.

Ajoutons qu’avec la déperdition de la force alieu forcément la déperdition de molécules et que le végétal qui apoussé dans l’obscurité doit peser moins que la graine qui l’aproduit.

Ceci semble paradoxal, messieurs, cependantj’ai planté des graines, je les ai pesées, puis, quand le végétalpoussé dans l’obscurité était sur le point de mourir, je pesais denouveau. Les principes disparus s’élevaient à 50 0/0[22].

Laissez-vous au contraire au germe et lesforces excitatrices et les molécules d’agrégation, vous verrez levégétal pousser et gagner sans cesse du poids. Dans cettehypothèse, en effet, le germe, loin de perdre de la quantité demouvement, en gagne sans cesse ; les molécules ne s’échappentplus de la combinaison ; elles y rentrent : donc la vieaugmente dans l’organisme en même temps que son poids, et ainsi ettoujours, chaque fois que les forces extérieures s’accroîtront,vous remarquerez un redoublement d’énergie vitale et une nouvelleaugmentation de poids. Les forces extérieures augmentent à chaqueprintemps : aussi voyez-vous poindre les bourgeons, et lestiges monter plus nombreuses. Le phénomène est tout simple.

Mais alors le végétal s’accroîtra doncindéfiniment et la vie ira donc sans cesse croissant ? Non,messieurs : comme pour tout dans l’univers, il y a un maximum,et, une fois dépassé, la vie se perd progressivement pourdisparaître tout à fait.

La vie suit une courbe ascendante, tant queles forces extérieures l’emportent sur la force de détenteintérieure, et l’organisme gagne en poids, mais nécessairementl’équilibre est obligé de se faire ; la force éliminatriceintérieure, pour employer le terme usité en physiologie, finit parégaler la force assimilatrice extérieure. À ce moment-là, levégétal ne gagne ni ne perd ; la vie atteint le maximum ;elle va bientôt diminuer.

Et en effet, la force extérieure ne peut plusproduire d’agrégation nouvelle ; elle est tout entièreemployée à exciter et à maintenir les molécules qu’elle aagrégées.

La force emmagasinée seule est libred’agir ; d’après ce qui a été dit déjà, on voit qu’elle estprécisément égale à la force extérieure qui a bâti l’organisme.Elle est devenue telle par suite des agrégations successives demolécules ; elle va peu à peu diminuer et disparaître parsuite de désagrégations successives et lentes.

Plus puissante maintenant que la forceextérieure équilibrée, elle rendra plus de matériaux que l’autren’en apportera ; elle se perdra sans cesse et aveclenteur ; la plante diminuera de poids ; il est vrai quechaque nouvelle agrégation apporte une nouvelle quantité de vie,mais comme une partie du mouvement engendré est employée à exciterles molécules ajoutées, il y a en résumé soustraction de force etperte.

Or, la force extérieure est relativement enquantité infinie ; la force intérieure, au contraire, enquantité essentiellement finie. Perdant sans cesse, il faudra bienqu’elle devienne nulle et que l’organisme meure. Au fur et à mesurede cette déperdition, les molécules se rapprochent, le tissuvégétal devient plus serré, il devient vieux.

Quelques-uns d’entre vous, messieurs, aurontdéjà aperçu l’importante conséquence qui ressort des faitsprécédents.

La force vitale égale au maximum del’existence la force extérieure qui l’a produite ; n’est-cepas assez dire que, si vous doublez le temps nécessaire à unorganisme pour atteindre tout son développement, vous aurez ladurée normale de sa vie ? N’est-ce pas assez dire encore quela rapidité d’accroissement d’un individu va sans cesse diminuantdepuis la naissance jusqu’au maximum de vie, et inversement que larapidité de déperdition va sans cesse croissant depuis le maximumde vie jusqu’à la mort ?

Un organisme donné exhalera donc dans savieillesse plus d’acide carbonique que dans sa jeunesse, et de làencore un moyen de déterminer l’âge d’un individu.

S’agit-il enfin, messieurs, de préciser ladurée de l’existence d’un organisme, vous le ferez vite le mètre enmain. Mesurez-le, et, quand il aura atteint tout son développement,il vous suffira de doubler son âge pour avoir la limite normale desa vie. Ces faits, qui trouvent journellement leur confirmation,viennent apporter un appui considérable à la théorie que j’ail’honneur d’exposer devant vous.

M. NEWBOLD. Monsieur Ziegler, l’habitantde Mars ! l’habitant de Mars ! nous n’en finironsjamais ?

M. ZIEGLER. J’ai terminé, monsieur leprésident, ou à peu près.

Je vous ai montré brièvement la naissance, lavie et la mort chez le végétal. Quelques mots maintenant surl’animal.

M. WILLIAMSON. Le voilà reparti ; ilva remplir un livre tout entier…

M. ZIEGLER, sans faire attention auxinterruptions. D’abord, entre l’œuf et la graine, il y a,messieurs, la plus grande, la plus complète analogie. Jugezvous-même :

Œufs.

Graine.

Albumine.

Albumine.

Matières grasses.

Matières grasses.

Sucre de lait, glucose.

Amidon, dextrine donnant duglucose.

Soufre phosphore.

Soufre, phosphore.

Phosphate de chaux.

Phosphate de chaux.

Eau en forte proportion.

Eau en faible proportion.

Cellulose.

La composition est presque identique. Lacellulose doit exister dans l’œuf ; elle y sera rencontréequand on se donnera la peine de bien l’y chercher.

Comme pour la graine, il faut des conditionsphysiques déterminées pour exciter le mouvement chez les moléculesanimales. Sans chaleur, l’œuf reste inerte.

Le développement de l’animal se fait commecelui du végétal ; au lieu de puiser des aliments nonélaborés, il va lui-même chercher des substances déjà préparéesqui, tout en permettant son accroissement, augmentent sa forcevitale. Il gagne sans cesse du dedans au dehors. Comme pour levégétal, il y aura nécessairement un terme à cet accroissement.

Il y aura augmentation de l’individu tant quela force vitale ne sera pas égale à la force qui déterminel’agrégation des matériaux ingérés, mais, cette limite atteinte, ily aura plus de déperdition que de fixation de nouveaux éléments, etinsensiblement la vie ira diminuant. Ici encore il ne faut pass’imaginer que les matériaux acquis doivent disparaîtrerapidement.

En aucune façon : la force vitale exhaledes matériaux ; par cela même, elle rompt l’équilibre, et laforce extérieure en rapporte de nouveaux : seulement lapremière l’emporte sur la seconde, et c’est chaque jour unesoustraction nouvelle, jusqu’à extinction complète de toutmouvement vital.

La loi de la durée de l’existence vraie pourle végétal doit l’être pour l’animal. Tout individu peut fixer lalongueur normale de sa vie en doublant le nombre d’années qu’il luia fallu pour atteindre son développement complet. Si un homme cessede s’accroître à quarante ans, c’est qu’il ne dépassera pasquatre-vingt… et quelques années, pour tenir compte du temps oùl’organisme reste stationnaire. L’homme qui n’acquiert son completdéveloppement qu’à cinquante ans vivra cent ans…[23]

Il est très-probable aussi qu’il y a unerelation entre la durée de l’existence et le temps de gestation.Ainsi, chez les femmes, l’élaboration dure neuf mois, chez lapoule, vingt et un jours, chez le chien, soixante-cinq jours, chezle cheval, onze mois, et la durée de leur existence estrespectivement quatre-vingt-dix ans, huit ans, douze ans, vingtans. Si le cheval vit si peu, il faut en rejeter la cause sur letravail excessif qu’il accomplit. Les chevaux sauvages doiventvivre plus longtemps.

Il y a lieu de tenir compte ici du reste de lamasse de l’embryon. Il est très-certain que la durée de l’existenceet le temps de gestation dépendent beaucoup de ces éléments.

C’est le cas de faire observer encorel’influence très-remarquable des variations des forces extérieuressur les phénomènes de la vie. Quand l’intensité de ces forcesdiminue, il est clair, d’après ce qui précède, que la force vitale,qui y est entièrement liée, doit diminuer. Elle doit augmenter, aucontraire, lorsque celle-ci augmente. C’est bien, en effet, ce quiarrive.

Pour le végétal, n’est-ce pas visiblement auprintemps qu’il semble se réveiller d’une mort apparente ? Lesforces extérieures s’accroissent, la force vitale aussi, la planteou l’arbre pousse. Chaque rotation de la terre sur elle-même influeégalement ; pendant la nuit, il y a diminution de la forcevitale : il y a sommeil, pour ainsi dire ; la planteexhale de l’acide carbonique. La force intérieure plus puissanteque la force extérieure chasse au dehors les matériaux. Le soleillevé, l’effet est inverse, la force extérieure l’emporte, laplante, loin de perdre, gagne de l’oxygène qu’elle absorbe.

De même, l’animal se sent renaître auprintemps. Il y a redoublement de vie. Chaque jour, il passe aussipar une phase analogue. Quand le soleil disparaît de l’horizon,quand la lumière lui fait défaut, il lui prend un besoin insatiablede dormir ; il se manifeste une réaction curieuse : laforce qui l’anime semble diminuer et diminue en effet à l’avantagede la force qui reconstruit ses tissus ; on dirait que, lesforces extérieures ayant disparu en partie, il ne doit pluseffectuer de travail extérieur ; toute l’activité vitale estconcentrée à l’intérieur du corps qu’elle répare et accroît. Quandla lumière revient, un phénomène inverse apparaît, et c’est aucontraire la faculté d’agir extérieurement qui l’emporte. Tous cesfaits trouvent une explication toute simple, sur laquelle je neveux pas insister, dans les considérations établies dans cetteséance et dans la précédente.

Vous voudrez bien remarquer, messieurs, qu’endéfinitive le végétal ou l’animal ne sont que des machines, desrécepteurs de force faisant incessamment travailler la matière. Or,voici une machine susceptible d’une force donnée, une somme dequantité de mouvement qui va, grâce à l’étonnant phénomène de lareproduction, de la génération, faire de toutes pièces une machinesemblable, soit créer une nouvelle somme de quantité demouvement.

Avec un pourrait-on faire deux, avec rienpourrait-on créer l’unité ? Que l’on ne s’abuse pas,messieurs, l’acte de la génération ne produit pas ; il ne créepas : il y a là simple transformation de la force, de cetteforce éternellement transmissible, à tout jamais l’immortellepreuve de la création initiale et du Créateur.

Le germe n’est qu’une agrégation de moléculesorganiques combinée par les forces extérieures. Or, les forcesextérieures sont en quantité indéfinie ; les moléculesorganiques également ; l’organisme n’est que la machine quiréunit les molécules sous l’action des forces extérieures ; legerme n’emprunte et ne prend rien à la force vitale ; ill’appauvrirait nécessairement, si les molécules extérieures nepouvaient remplacer celles qui sont destinées à la reproduction del’espèce. Mais nous savons que jusqu’à un moment donné lesmolécules peuvent entrer dans l’organisme et l’accroître.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir unesomme donnée de molécules organiques produire une série de sommesanalogues ; elle ne donne chaque fois pour son compte qu’unefraction insignifiante d’elle-même. Et encore ne donne-t-elle quelorsqu’elle peut distraire sans danger pour elle-même quelquesunités superflues.

Puisque la reproduction dépend des moléculesque peut puiser l’être reproducteur et des forces extérieures, onvoit qu’elle aura surtout lieu quand ces forces augmenterontd’intensité.

Ceci explique le besoin d’amour qui anime lesanimaux au printemps et le réveil des végétaux ! Sousl’excitation plus grande des rayons solaires, les végétaux et lesanimaux forment de nouvelles agglomérations moléculaires qui setraduisent à l’œil par un bourgeon ou un germe fécondé. Le bourgeonet le germe deviennent à leur tour de nouveaux centres d’actiondestinés à transmettre la force qu’ils ont déjà et vont encorepuiser tout autour d’eux.

Tels sont, messieurs, dans leurs principes,les lois infiniment simples et générales qui président àl’évolution, à la génération des espèces, et qui gouvernent la viedes êtres. Il me reste maintenant un dernier point à traiter pourrassurer plusieurs de mes honorables confrères : il s’agit demontrer que cet admirable mécanisme n’est nullement l’expressiond’un hasard aveugle, qu’il ne conduit pas à la notion dumatérialisme, et qu’au contraire il témoigne de toutes parts de latoute-puissance et de l’absolue nécessité d’un Créateur.

(Bruit et applaudissements sur plusieursbancs.)

LETTRE XII

Volte face inattendue. – Où M. Zieglerdevient spiritualiste, – La matière et l’âme. – La penséepeut-elle, jaillir des réactions matérielles ? – Activitémentale et corporelle. – De l’existence de l’âme. – Pauvre machineque le corps ! – Influence de la matière. – Perfectibilité del’individu, perfectibilité des impressions. – Mauvais instruments,mauvaise besogne. – Théorie du magnétisme. – Où une âme peuttélégraphier à une âme. – Sommeil somnambulique. – Influencesmagnétiques. – M. Haughton et M. Pasteur. – Conclusion deM. Ziegler.

M. NEWBOLD. Messieurs, plusieurs de noscollègues ont reçu des lettres de rappel ; les débats seprolongent plus que nous ne le pensions ; il faudraitcependant conclure. M. Ziegler a demandé la parole ;après lui M. Owerght est inscrit. Je serai moi-même, dansquelques jours, obligé de quitter Paxton-House : je prieraidonc M. Ziegler d’abréger beaucoup, et je ne puis luiconserver son tour qu’à cette condition expresse.

M. ZIEGLER. Je remercie monsieur leprésident. Un quart d’heure me suffira pour terminer ce que j’aiencore à dire.

Au banc des journalistes. – Son quart d’heuredurera bien plusieurs heures.

M. ZIEGLER. On m’a accusé de conduire parmon système au matérialisme le plus complet. Je réclame quelquesminutes d’attention encore pour me disculper.

Qu’ai-je fait, messieurs ? J’ai montré lamatière s’organisant sous l’influence du mouvement transmis par lamatière ; j’ai donné la clef de ces transformations. J’ai ditensuite que les êtres se perfectionnaient à mesure que lesmatériaux de chaque planète devenaient de plus en plus complexes etvariés. On peut croire, en effet, que je veuille avancer ; quel’intelligence devienne de plus en plus supérieure avec la variétédes éléments matériels, que, par conséquent, l’intelligence dépendeexclusivement de la matière. Il importe de bien distinguer.

Oui, messieurs, l’intelligence pour moi dépendde la matière, mais ce n’est pas la matière qui faitl’intelligence. Il faut bien différencier le principe vital, laforce qui anime votre corps, de l’intelligence, de l’âme. Leprincipe vital appartient au monde matériel ; l’intelligenceest régie par le monde matériel, mais ne lui appartient pas. Leprincipe vital naît et meurt ; l’âme ne meurt pas.

Le principe vital relève complètement de lamatière, masse et quantité de mouvement ; voici saformule : sans la masse, sans le mouvement, pas de principevital. L’intelligence, au contraire, la faculté de penser, revientà l’âme, à un élément avant tout inconnu et d’essence divine.

Pourquoi ? pourquoi la pensée nejaillirait-elle pas tout aussi bien des réactions matérielles quidonnent la force vitale ? Messieurs, il est bien facile de leprouver et de mettre en parfaite évidence la nature spéciale,l’existence d’un principe spirituel échappant complètement au mondematériel.

N’a-t-il pas été montré que la vie allaitcroissant d’énergie jusqu’à une certaine limite pour diminuerensuite ? Il s’agit ici des réactions matérielles quiproduisent la force vitale. Or, si la pensée était aussi gouvernéepar les mêmes évolutions, il arriverait nécessairement quel’intelligence irait croissant dans la même proportion pourdécroître aussi dans la même proportion.

Il n’en est absolument rien. Si la décadencematérielle réagit le plus souvent et doit en effet réagir, commenous le montrerons, sur les facultés de l’intelligence,très-souvent l’intelligence reste vivace et entière jusqu’auxderniers moments de la vie. Donc, la production de la pensée, bienque liée aux réactions matérielles, n’a nullement pour originecelle de la force vitale.

L’activité mentale coïncide le plus souventavec l’activité vitale. Mais on comprend bien qu’ayant beaucoup deforce à dépenser, l’âme en profite et se serve de la puissance dontelle dispose. Évidemment l’âme indépendante du corps, dirige lamachine et l’utilise[24].

En quoi, car je suis obligé d’aller très-vite,l’intelligence relève-t-elle du corps ? Absolument commel’ouvrier relève de l’instrument. L’âme n’est en communication avecle monde matériel qu’à l’aide du corps : corps incomplet, malconstruit ; réactions matérielles insuffisantes, principevital insuffisant, intelligence bornée ; et vous allez lecomprendre, messieurs, avec la plus grande facilité.

L’âme est en rapport par le corps avec lemonde matériel au moyen des organes de relation : œil, ouïe,mains, etc. Or, plus ces organes seront complexes et variés, plusl’intelligence sera impressionnée, plus les sensations serontmultiples. Modifiez un organe, simplifiez la structure,l’intelligence ou l’instinct baissera fatalement.

Comment une impression vient-elle ?L’impression est d’origine matérielle. C’est une onde, un mouvementqui vient frapper l’oreille, l’œil, la main, le corps.L’ébranlement se propage aux nerfs, au cerveau. L’impression esttransmise.

Autant de molécules différentes, autant demouvements différents, comme il a été dit, autant de sensationsdiverses par conséquent. Mais, pour que tous ces mouvementsparviennent, il faut absolument que les organes qui les reçoiventsoient susceptibles d’être ébranlés, il faut que leurs moléculessoient aussi compliquées que celles qui envoient le mouvement,d’après les principes énoncés précédemment.

Il devient donc évident que la sensibilité deperception dépend de la structure de l’organe. Ne vous étonnez doncplus de ne pas voir les mêmes personnages également impressionnéespar un même phénomène, ni surtout les différents animaux del’échelle voir ou ne pas voir ce que nous pouvons, nous, percevoirdans tous les détails. Les animaux inférieurs ne peuvent êtreimpressionnés que par les mouvements élémentaires dérivés desmolécules les moins complexes et correspondantes à celles quiforment leur corps.

La sensibilité chez l’animal, l’intelligenceou l’instinct, ne dépendent donc nullement de la masse, du principevital, mais de la finesse, de la variété, de la multiplicité desmolécules qui constituent ses organes. Plus elles seront multipleset variées, plus elles seront aptes à recueillir les mouvementsvenus de toutes parts, et plus les impressions elles-mêmes serontnettes et nombreuses.

Pourquoi tous les corps nous apparaissent-ilsavec des couleurs propres ? Uniquement parce que leursmolécules sont diverses et les mouvements de ces moléculesdifférents. Autant de mouvements, autant de sensations. – Pourquoile même individu ne sera-t-il pas impressionné de même qu’un autrepar la même couleur ? Parce qu’à son tour les molécules de sesorganes ne sont pas agrégées identiquement comme celle de sonvoisin. – Et de même pour le son, pour le toucher, pour toutes lesimpressions quelles qu’elles soient.

Les animaux, on peut en être sûr, ne voientpas comme nous, ne jugent pas comme nous de la grandeur ou de lacouleur.

Il n’est même pas dans l’espèce humaine deuxpersonnes pour lesquelles les impressions soient identiques. Deuxpersonnes ne voient jamais précisément au même moment, n’entendentjamais précisément au même instant. La différence du temps donneune idée de la différence de constitution de leurs sens.

Ainsi, il n’arrive jamais que deux astronomes,si exercés qu’ils soient, observent le passage d’un astre au mêmemoment ; l’un verra un peu plus tôt que l’autre. L’erreur peuts’élever à une seconde. Pour chaque individu il faut un tempsdifférent, afin que la transmission du mouvement moléculaires’effectue. Votre âme ordonne à votre bras de se lever : pourque le mécanisme obéisse, il faut une petite fraction deseconde ; pour votre voisin, ce sera une autre fraction deseconde. En un mot, la vitesse de la transmission varie sans cessed’individu à individu.

Avez-vous remarqué qu’il suffit de regarderquelqu’un pour qu’après un certain temps ses yeux se portent surles vôtres ? L’effet est instinctif.

C’est l’âme de celui que vous regardez quiobéit à la vôtre, et toujours par l’intermédiaire d’un agentmatériel, ici la lumière.

Vous projetez sur l’œil d’une personne lemouvement[25] qui vous arrive du soleil, et cemouvement va ébranler la rétine, puis le cerveau de cettepersonne.

Ce mouvement est différent de celui qu’ellereçoit elle-même directement du soleil ; votre rétine l’amodifié au passage. Elle ressent donc une impression distincte.Elle veut en connaître la source, et elle regarde dans la directiond’où lui vient ce mouvement particulier.

Si sa constitution est telle qu’elle puisseentrer en vibration harmonique avec vous, elle regardera de plus enplus ; vous vous mettrez de plus en plus à l’unisson, puis legrand sympathique, les nerfs, vibreront synchroniquement. Lesmolécules des deux corps tendront à s’animer de mouvementsidentiques et les organes, qui n’en sont que l’assemblage, vivrontde la même vie. Le dicton populaire : leurs deux cœursbattent à la fois, sera entièrement vérifié ; c’est ainsique l’amour peut naître d’un regard.

Si, au contraire, la constitution moléculaireest telle que jamais les mouvements ne pourront coïncider et semettre à l’unisson, c’est la gêne que produira le regard ;l’antipathie naîtra.

La mise en rapport ainsi produite par lemouvement lumineux peut être accrue, augmentée considérablement parles mouvements moléculaires des autres organes de relation ;la main posée sur la main suffit pour hâter encore les vibrationsharmoniques du corps, et par suite la similitude des impressions etdes pensées.

On s’étonne des phénomènes magnétiques ;on ne peut concevoir comment, à distance, une personne a del’influence sur une autre. On a voulu considérer le magnétismecomme une jonglerie, les savants en rient ; c’est pourtant,messieurs, une branche parfaitement définie de la scienceexacte.

Quand deux personnes sont à l’unisson,c’est-à-dire que leurs filets nerveux également ébranlés vibrent àl’unisson, comme les mouvements extérieurs gouvernent lessensations, il suffit que la plus forte pense une chose pour que laplus faible ait le contre-coup de la même pensée ; c’est unevéritable télégraphie.

Toutefois, comme les objets extérieurstransmettent aussi les mouvements de leurs molécules, si lapersonne qui reçoit n’est pas soustraite à ces impressionsétrangères, elle mêle les sensations émanant de ces sourcesdifférentes, absolument comme le ferait un télégraphe qui reçoit ungrand nombre de dépêches à la fois. Toutefois, elle en conserve unenotion vague et indécise.

Les magnétiseurs tournent la difficulté. Quandla mise en rapport a eu lieu, que le sujet obéit déjà un peu àvotre propre pensée, vous ordonnez qu’il dorme. Vous le soustrayezainsi aux influences étrangères et votre pensée devient lasienne.

Vos deux âmes communiquent, et votre âme,commandant à la sienne, fait mouvoir son corps comme s’il vousappartenait.

J’ai dit à l’instant que vous ordonniezqu’il dorme. Qu’est-ce donc que le sommeil et pouvez-vousainsi le produire ?

Messieurs, on a répété à satiété que lesommeil était l’image de la mort. Les psychologistes ont vivementcombattu cette expression ; l’idée est fausse ;toutefois, jamais plus que pendant le sommeil, l’âme n’estindépendante et ne se trouve plus près par conséquent de l’étatquelle recouvre à la mort. Elle est enfermée dans le corps, maiselle ne lui commande plus, elle ne s’en sert plus. Le sommeil estdonc le temps pendant lequel l’âme ne communique plusqu’accessoirement à l’aide du corps avec le monde extérieur.

Il faut que le corps répare journellement laperte de force vitale qu’il a dépensée par son travailextérieur ; le principe vital diminuant, l’âme ne peut plusfaire obéir la machine. C’est le matelot allant à la dérive, fautede gouvernail.

Le corps repose, l’âme veille, mais elle n’estplus avec ce qui l’entoure ; elle ne voit plus ; ellespécule sur ses souvenirs ; elle combine, elle prévoit ;n’étant plus gênée par les impressions extérieures, elle acquiertune puissance et une activité de jugement incomparables.

Pendant ce temps, toute la force vitale estemployée à reconstruire le corps, à réparer l’usure de la journée.Chez certaines personnes, chez les somnambules, l’âme conserveassez d’action sur le corps pour le faire fonctionner, maisgénéralement sans se mettre en rapport direct avec le mondeextérieur.

Que fait maintenant, messieurs, lemagnétiseur ? Quand l’organisation du sujet le permet, ilcommande le sommeil, absolument comme il le ferait si le corps dela somnambule était le sien. L’âme obéit ; le sujet dort, etle magnétiseur n’a plus qu’à télégraphier sa volonté.

Moins un corps est massif, et plus les effetsmagnétiques se produisent vite, puisqu’il y a moins de masse àentraîner. C’est pour la même raison que les personnes faibles etpetites sont plus impressionnables que les autres.

Il y aura toujours plus de rapidité et definesse dans la conception d’une organisation nerveuse que cheztoute autre, précisément à cause de la prédominance de la forcevitale sur la matière.

Les matérialistes, ceux qui confondent leprincipe vital avec l’âme, n’ont certainement jamais réfléchi à cesfaits, qui détruisent leur opinion. Ils s’étonnent de ce que nousn’ayons pas la notion exacte de la Divinité, que nos idées roulentéternellement dans un même cercle. Mais quoi ! est-ce que nossensations peuvent venir d’ailleurs que de la matière, que de ceque nous voyons ou touchons ? Notre âme ne voit et ne peutjuger que d’après les notions acquises par nos organes.

Nos sensations ne s’écarteront jamais delà : nous ne pouvons donc marcher plus loin dans cette voie dupositivisme. Si l’âme n’existait pas, nous n’aurions pasprécisément cette faculté d’émettre des idées autres que celles quenous donneraient nos sensations directement produites par le mondematériel.

Et d’ailleurs, l’idée de Dieu et de l’âme vasans cesse en prenant de la force à mesure que les impressionsextérieures sont moins vives, et finit par dominer toutes nospensées. Il doit en être ainsi, en effet, car, à mesure quel’énergie vitale disparaît, l’âme se replie sur elle-même, plus àelle, beaucoup moins au corps.

Je pourrais multiplier les arguments, maisM. Newbold voit avec impatience l’heure s’avancer, et je nevoulais en quelques mots que bien faire voir que tout ce que j’aidit s’applique au principe vital, et nullement à l’âmeéternellement indépendante de la matière.

Enfin, messieurs, rappelez-vous que, si lemouvement et la matière font et transforment les organismes, il afallu un créateur pour le mouvement et la matière. La main de Dieu,messieurs, apparaît partout dans l’univers. (Applaudissements.)

M. NEWBOLD. La parole est àM. Haughton.

M. HAUGHTON. Un mot seulement àM. Ziegler. Je n’insiste nullement sur les dernièresconsidérations toutes nouvelles qu’il vient d’émettre ;seulement, puisque la matière peut s’organiser d’elle-même, suivantlui, qu’il le prouve expérimentalement.

M. NEWBOLD. Monsieur Haughton, nousallons encore être entraînés…

M. ZIEGLER. Non, monsieur le président,une minute de grâce, non pour convaincre M. Haughton, maispour ne pas laisser son objection sans réponse. Je dis qu’enmettant de la matière convenable en présence de la matièreconvenable, je puis encore de nos jours produire des organismes Sije le fais et que je le montre, mon honorable adversaire affirmeraque les organismes proviennent de germes préexistants. Il merappellera les expériences de M. Pasteur en France.

À mon tour, je dirai que les faits invoquéspar M. Pasteur ne signifient absolument rien, et je pourraisle démontrer, si le temps ne me faisait défaut ; j’ajouteraique M. Haughton met comme M. Pasteur la production desorganismes inférieurs sur le dos de germes impalpables. On ne lesvoit pas, on les pressent seulement, dit-il ; moi, je faisabsolument de même ; ce n’est plus un germe, ce sont desmolécules organiques si infimes qu’elles échappent à l’œil ;ces molécules en s’agrégeant forment l’organisme.

Ici le point de départ, c’est le germe vital,issu de l’animal : là c’est le corpuscule également invisibleformé directement par la matière organique en décomposition.

Toutes les expériences de M. Pasteurdonnent raison à ma manière de voir, aussi bien qu’à la sienne, etje possède plusieurs autres expériences qui, tout en restantfavorables à mes vues, contredisent sa théorie. CependantM. Haughton et moi, nous pourrions discuter longtemps sur cesinfiniment petits ; je préfère passer outre aujourd’hui,jusqu’à ce que l’expérience me permette de serrer davantage monargumentation. Cette fois, M. Newbold ne me reprochera pas mesdéveloppements. (Rires et bruit.)

M. NEWBOLD. Messieurs, l’habitant deMars !

H. RINK. Je ferai remarquer à l’assemblée queles discussions précédentes montrent aussi que les êtres dépendent,par la structure et la supériorité, de l’état de la matière surchaque planète, ils en suivent l’évolution. À ce point de vue,elles n’étaient nullement hors de propos dans la question qui nousoccupe.

M. GREENWIGHT. Monsieur le président, lesconclusions sont très-prochaines : il ne reste plus en effetqu’à établir comment l’aérolithe a pu tomber sur la terre venantd’une planète voisine. M. Owerght est inscrit et je réclame,au nom de l’astronomie, son tour de parole.

Demain, à demain !

M. OWERGHT. Je remercie mon honorablevice-président, et je me mettrai demain à la disposition del’assemblée.

LETTRE XIII

Plaidoyer de M. Owerght. – Ce que c’est qu’unaérolithe. – La partie et le tout ; bolide et astéroïde. –Collisions entre ciel et terre. – Un boulet inattendu. – Vassal etsuzerain. – La lune peut-elle lancer des pierres aux hommes de laterre ? – Négation absolue des astronomes. – Une planète pluspuissante peut-elle bombarder la terre ? – Comme quoi noussommes emprisonnés sur chaque astre. – Rien au dehors. – Les forcesextérieures. – Comment tout peut s’expliquer. – Le bolide est unemontagne. – Où la terre vole Mars.

M. NEWBOLD. La parole est àM. Owerght. Je dois vous rappeler, messieurs, que je suisobligé de clore nos débats demain : je ne saurais donc troprecommander à chacun de vous d’être bref.

M. OWERGHT. Monsieur le président, il mesuffit de quelques instants. Mon illustre confrère,M. Greenwight, a parfaitement établi que physiquement uneseule planète pouvait renfermer, à l’époque de la chute déjàextrêmement ancienne de l’aérolithe, un être conformé comme celuique nous avons sous les yeux.

La momie ne saurait être d’origineterrestre ; elle vient de l’espace, et toutes les données del’astronomie physique s’accordent à lui donner pour berceau laplanète Mars. Mon rôle est désormais bien simple. Il s’agit decontrôler ce résultat et de voir s’il est mathématiquementpossible.

Or, je ne dissimulerai pas que de prime abordil semble impossible, et tous les astronomes seront de monavis.

Qu’est-ce en effet, messieurs, qu’unaérolithe ? C’est la partie d’un tout auquelnous donnons le nom de bolide.

Qu’est-ce qu’un bolide ? La question netrouve plus aussi facilement de réponse. Je n’accumulerai pas icitoutes les hypothèses faites par les savants. Je donnerai l’opinionla plus généralement admise.

Un bolide, c’est une planète, une planète enminiature. Et si vous vous reportez aux considérations développéespar notre honorable vice-président, vous verrez immédiatement quece sont des planètes infiniment primitives, d’un âge relatiftrès-grand et fermées depuis longtemps à toute évolution des êtres.La vie y a sans doute passé, mais si peu de temps que lesorganismes les plus inférieurs ont seuls pu prendre naissance.

Ces bolides ou planéticules parcourent lesespaces, obéissant aux mêmes lois que les grandes planètes. Créésen même temps, gouvernés par les mêmes forces, ils décrivent autourde l’astre central, autour du soleil, leurs trajectoiresfermées.

Or, admettons que la route que les bolidesparcourent autour du soleil vienne à couper celle que parcourt deson côté la terre. Et admettons enfin que notre planète vienne àpasser par le point de jonction au moment où un bolide va à sontour se diriger du même côté.

En langage industriel, ce sont deux convois dechemin de fer qui menacent de s’engager sur la même voie et de seprendre en écharpe.

Il arrivera nécessairement une collision. Lebolide, qui n’est qu’une mouche par rapport à la masse terrestre,heurtera le sol sans que les habitants de la terre en reçoivent lamoindre secousse.

Si la terre passe avant ou après le bolide,mais à une distance relativement petite, il pourra encore se fairequ’elle agira sur lui et l’entraînera absolument comme dans unbain, une boule de sureau placée à la surface de l’eau est attiréepar la baignoire : la terre attirera le bolide qui quitterason chemin et qui, au lieu de tourner autour du soleil, se mettra,vassal obéissant, à tourner autour de la terre, jusqu’à ce qu’il seprécipite à la surface.

Enfin, il arrivera encore que le bolidepassera trop loin de notre planète pour que celle-ci s’enempare ; la terre l’influencera ; il entrera même dansl’atmosphère, mais il finira par fuir.

Nous considérons les bolides comme desplanètes et nullement comme des projectiles énormes lancés ainsique l’on a voulu le faire croire, par les volcans lunaires, parceque la vitesse dont ils sont animés exclut toute originesélénitique. Jamais la lune n’aurait assez de puissance, jamais sesvolcans ne constitueraient des canons assez énergiques pour lancerde tels boulets à de telles vitesses.

Un projectile lancé de la lune arriverait surterre avec une vitesse de onze kilomètres par seconde. Or, lesmoindres bolides avancent avec une vitesse de trente kilomètresenviron.

Quand un bolide frise la terre, il pénètredans son atmosphère, et le frottement qui en résulte échauffe assezsa surface pour le faire rougir. Cette haute température modifie sastructure ; l’inégale dilatation qui en résulte le fait sebriser, ou tout au moins oblige la masse à lancer des éclats quitombent à la surface du sol. Ce sont les aérolithes.

La masse météorique découverte parMM. Paxton et Davis offre toutes les apparences physiques desaérolithes. Cependant, jamais jusqu’ici on n’en avait trouvéd’aussi volumineux. Son existence au milieu de terrains anciens,bien que très-remarquable, n’offrirait absolument riend’extraordinaire et ne serait nullement en désaccord avec ce quenous savons. Ce bloc, détaché sur terre au moment d’un passage debolide, eût été recouvert par les terrains modernes.

Mais ce qui devient très-extraordinaire, c’estcette momie aux formes si bizarres et ces vases relativementadmirablement travaillés, que l’on rencontre dans sa masse.

Ou le bolide avait des habitants, et tout peutalors s’expliquer ; ou il n’en avait pas, et le bloc auraitété arraché à une planète habitée, ce qui devient beaucoup plusdifficile à concevoir.

Or, on a prouvé qu’un semblable bolide nepouvait être habité. La vie ne peut prendre naissance ou tout aumoins se perpétuer sur des astres aussi infimes. De plus, il a étéégalement démontré que la planète Mars était la seule qui pûtposséder de semblables habitants. Donc, il faut bien en revenir àcette proposition : la momie et l’aérolithe sont tombés de laplanète Mars.

Comment ? c’est ici que la difficulté derépondre devient grande.

Qu’un bolide circulant autour du soleil viennetomber sur terre, ce fait existe et s’explique : mais qu’unbloc appartenant à une autre planète s’échappe de cette planètepour aller sur une autre, ceci devient absolument inadmissible, ettout le monde le concevra vite.

Une planète n’est-elle pas la résultante detoutes les forces qui poussaient les atomes de l’espace vers uncentre donné ? Autant de planètes, autant de buts à atteindreet atteints ? Aussi tout ce qui existe autour des planètestend à venir s’y concentrer depuis le commencement de leur origine.Cette propriété de la matière, nous la connaissons bien ; surterre, on l’appelle pesanteur : par conséquent, loind’avoir des tendances à s’échapper, tout corps placé sur uneplanète a des tendances à y rester, et y reste effectivement sanspouvoir en sortir.

Mais, objectera-t-on, pourquoi une forcevolcanique quelconque ne parviendrait-elle pas à repousser un blocassez loin de la planète pour qu’elle entre dans le champ d’actiond’un autre astre ? Pourquoi un volcan de Mars n’aurait-il paslancé cet énorme projectile assez haut pour qu’il soit attiré parla terre ?

Évidemment, ceux qui ont mis cette hypothèseen avant, pour la Lune ou Mars, ne réfléchissent pas au mode degénération des mondes.

Quelle est la force qui pourrait lancer dansl’espace un aérolithe ?

Ne provient-elle pas des réactions de lamatière interne encore incandescente ? Or, cette forcen’est-elle pas la transformation avec perte de la force primitivequi a condensé les atomes de l’espace ? Comment cette forcediminuée serait-elle capable de repousser maintenant les atomesplus loin qu’ils ne sont venus ? L’équivalence du travailmécanique dans l’un et l’autre cas démontre l’absurdité de cettehypothèse.

Non, il est impossible qu’« une sommequelconque d’atomes placés sur une planète puisse, sous l’actiondes propres forces de cette planète, passer dans une planètevoisine. » Je pose cette proposition comme fondamentale.

Alors, messieurs, nous sommes encore à nousdemander comment l’habitant de Mars est arrivé sur la terre.

Il est bon d’observer que, dans le théorèmeprécédent, il est bien spécifié qu’une planète avec sesforces ne peut rien s’enlever à elle-même.

Mais je ne vois absolument plus riend’impossible à admettre que, sous l’action de forces étrangères,une planète ne puisse pas perdre de la matière. Ici, seulement, jecrois apercevoir la clef du merveilleux transport de l’aérolithe etde sa momie.

En effet, messieurs, supposons l’aérolithe,que nous possédons maintenant, constituant le sommet d’une deshautes montagnes de Mars. Admettons qu’un bolide comme ceux quitraversent le champ d’action de la terre ait passé à une époquetrès-reculée tout près de Mars, assez près même pour frôler lesommet des montagnes.

Le bolide devient un boulet d’une force énormequi casse et enlève tout sur son passage. Il rencontre le pic d’unemontagne, il le brise et le charrie et le pousse devant lui en luicommuniquant sa vitesse. Remarquez qu’il n’y a là rien demathématiquement impossible. Le choc, eu égard à la masse del’aérolithe, est absolument nul ; ici le bolide étaitconsidérable. Dévié, peut-être, un peu de sa route, l’énorme globeaura néanmoins poursuivi son chemin dans l’espace.

On se tromperait beaucoup, si l’on considéraitcomme étrange que le pic enlevé à la montagne ne soit pas retombéaprès le choc ; nullement : jetez devant un wagon enmarche un morceau de papier, ce papier y restera collé, et ainsid’objets de plus en plus lourds, si la vitesse du wagon ou desprojectiles est de plus en plus grande. Il n’y a là riend’extraordinaire. Le pic de la montagne de Mars et le boliden’auront bientôt plus fait qu’un seul et même tout ; le pic dela montagne eût même été un véritable aérolithe pour les habitantsdu bolide, s’il en avait eu.

Il reste à rendre compte maintenant de lachute du bloc sur la terre.

Le bolide de Mars dévié adopta sans doute à lalongue et insensiblement une trajectoire coupant d’assez près cellede la terre pour être influencé par sa masse. Le bolide de Marssera devenu le bolide de la terre. Le bloc sera sorti de la sphèred’action du bolide pour entrer dans celle de la terre et aura finipar tomber à la surface comme un aérolithe actuel.

Quant à l’habitant trouvé dans la massemétéorique, il est évident qu’il appartiendrait bien à Mars.Enseveli au sommet d’une montagne avec des objets d’ornements, cethabitant de notre voisine était sans doute un grand personnage, quisait ? un grand savant qui avait demandé à être enterré loindu monde, bien au-dessus de ses semblables ; qui sait ?peut-être un astronome, un géomètre auquel ses compatriotes sontredevables de la découverte des lois qui régissent le monde.

Les habitants de Mars ne se doutentcertainement pas que nous ayons sur terre leur Newton ou leurKepler !

Ainsi, messieurs, pour ma part, il ne meparaît pas impossible que, par suite de circonstances toutesfortuites, un bloc puisse être arraché à une planète par le passaged’un bolide et rejeté sur une autre. À ce point de vue spécial, sije ne puis pas prouver que cela soit absolument, je ne puis pasdavantage nier absolument que cela ait pu survenir. En présence despreuves curieuses accumulées par mes confrères, ce résultat estpresque une confirmation. (Bruit. – Plusieurs applaudissements. –Conversations particulières.)

La sonnette du président a quelque peine àrétablir le silence.

Pendant la dernière partie de la séance, laparole fut tour à tour prise par MM. Wintow, Rink, Ziegler, G.Mitchell, etc. La discussion porta sur l’ethnologie des racesplanétaires, sur la physiologie comparée, sur les formes bizarresde l’habitant de Mars. Je ne vous envoie pas ces détails, que j’aieu beaucoup de peine moi-même à bien saisir, et qui, du reste,n’auraient aucun intérêt pour vos lecteurs.

Qu’il me suffise de vous dire que l’assembléefinit par rester d’accord sur ce point que la forme triangulaire dela tête de la momie devait résulter des pressions qu’elle avaitsubies, comprimée comme elle l’était dans son enveloppe calcaire.Quant à la petite trompe qui pend du front, c’est évidemment lenez ; elle communique avec l’arrière-bouche. Les dessins plusfinis que je termine en ce moment vous en feront très-biencomprendre les détails.

LETTRE XIV

Défiez-vous des journaux. – Grande rumeur àPaxton-House. – Qui préside la nuit à la place de M. Newbold.– Salamec à la tribune. – Les infusoires de Mars. – Ou nousressuscitons sur terre les animaux des autres mondes. –M. Wintow doit rêver. – Sensation. – M. G. Mitchell, deFrancfort. – La clef de la plaque. – On retrouve la montagne deM. Owergth. – Ce que c’est que l’habitant de Mars. – Un tourde scrutin. – Générosité des Américains. – Bonne nouvelle. –L’habitant de Mars arrive en France. –Conclusion.

Les débats devaient se clore par unedécouverte nouvelle et une confirmation éclatante des vuesthéoriques émises dans cette enceinte.

Il ne s’agit pas, bien entendu, des bruitsabsurdes qui arriveront peut-être jusqu’à vous avant malettre ; et qui ont pris leur source dans une aventure assezplaisante.

Il y a cinq ou six jours, au moment où toutPaxton-House sommeillait du plus profond sommeil ; oùM. Newbold ronflait aussi fort que le vent d’ouest dans lesplanches des habitations, – je suis son voisin de chambre ; –on entendit tout à coup un grand bruit en bas ; les vitresvolèrent en éclats ; tous les chiens aboyèrent et une flammerouge illumina les bâtiments récemment construits.

On crut à une attaque et chacun fut vite surpied.

Je descendis l’un des premiers, et je ne visabsolument rien d’insolite, à mon grand étonnement, sauf un grandfeu qui flambait à la porte de la salle des séances, et quienvoyait une réverbération sinistre sur les arbres et leshabitations.

« Qu’est-ce donc ? » fis-je àM. Paxton.

Les chiens jappaient de plus en plus fort, ense jetant avec fureur sur la porte d’entrée de la salle desséances.

« Voici sans doute un indice qui nousaidera, » me répondit-il, et, en même temps, il pénétra dansla salle, distribuant des coups de pied à droite et à gauche pourécarter les chiens.

Nous le suivîmes. Tout paraissait en ordre, etle silence le plus complet régnait dans la pièce. Nous allionssortir, quand un cri rauque se fit entendre dernière nous.

En même temps, M. Paxton tirait sonrevolver de la ceinture et faisait volte-face.

Nous n’avions pas été assez loin la premièrefois. Nous revînmes comme lui sur nos pas.

Près du bureau, là où se mettaitM. Newbold, siégeait majestueusement un être noir, petit, toutcourbé, qui, à la lueur des torches, grimaçait affreusement ;il s’escrimait de toutes manières, allongeait ses grands bras,tordait son torse, secouait sa tête avec une vivacité inconcevable.Ce personnage fantastique imitait évidemment le présidentNewbold.

Nous étions stupéfaits.

En face du bureau, la momie avait disparu. Lecercueil placé presque verticalement dans la journée était jeté àterre sens dessus dessous.

C’était à n’y plus rien concevoir !quoi ! la momie s’était-elle réveillée ? Avions-nous làdevant les yeux l’habitant de Mars ressuscité ? Qu’allaientdire les académies ; tombé de Mars, ressuscité surterre !

Le personnage n’en continuait pas moins degesticuler avec fureur et de nous toiser avec dédain. Les torchesne l’étonnaient que médiocrement, et c’est tout au plus s’iladressait de préférence, de notre côté, sa singulière mimique.

Je le vois toujours dans lademi-obscurité ; ses yeux brillaient comme des escarboucles.Nous étions bien loin des cavités sombres de la momie !

Notre erreur ne devait pas être de longuedurée. Le prétendu habitant de Mars en nous voyant toujoursavancer, fit tout à coup un bond de plusieurs mètres, en poussantun nouveau cri plus strident que le premier, et il sauta sans façonsur la table des secrétaires en bousculant la sonnette deM. Newbold, qui se mit à carillonner sans pudeur, malgrél’heure avancée.

M. Paxton avait remis son revolver à laceinture et riait aux éclats.

L’habitant de Mars, c’était un grand singequ’il affectionnait tout particulièrement, et qu’il avait lamauvaise habitude d’emmener toujours avec lui.

Salamec avait vu M. Newbold et sescollègues s’agiter depuis le commencement des débats à travers lesvitres de la salle, et il s’était bien promis à son tour deprésider l’assemblée.

Il cassa un ou deux carreaux, renversaplusieurs banquettes, fit rouler par terre la plaque de l’aérolitheet la tombe fossilifiée, et s’installa, au milieu de ce tintamarre,à la place du président, réclamant, sans doute, le plus profondsilence.

Quant au feu, il est probable que, parimitation, il voulut que la fête fût complète et fit un grandbrasier au milieu de la cour. Le matin, en effet, les ouvriersavaient brûlé de place en place de vieilles herbes sèches, quiencombraient les abords de l’habitation.

Comment Salamec alluma-t-il les herbes, c’estla seule chose que nous n’ayons pu savoir et qui ne fut pas sanspréoccuper beaucoup son propriétaire. Il est, en effet, à craindreque, à ce compte, il ne prenne quelque jour fantaisie à Salamecd’incendier tout simplement Paxton-House et ses dépendances.

L’aventure a circulé. Comme toujours, elle aété amplifiée ; le merveilleux s’en est mêlé, et le journald’Indianopolis affirmait naïvement à ses lecteurs, qu’au beaumilieu des débats, la momie s’était subitement réveillée à lagrande stupeur de l’assemblée. Tous les cancans de la ville furentdéfrayés par cette nouvelle inattendue. On assurait que, à sontour, elle s’était dressée devant le président et qu’elle avaitréclamé la parole. La moitié des membres de la commission auraientgagné la porte.

On vous écrira quelque jour que la momieelle-même vient de partir par le dernier Steam-packet et qu’elledébarquera à Saint-Nazaire. Ici, comme chez vous, le public a sesfaiblesses et les faiblesses ont leur public.

Trêve de plaisanterie. La dernière séance a eulieu aujourd’hui et, je le répète, elle a levé tous les doutesqu’il eût été possible d’avoir encore sur l’origine de l’habitantinterplanétaire.

MM. Paxton et Davis ont fait arrêter lestravaux, l’aérolithe est presque entièrement percé et on n’y a rientrouvé d’intéressant. Cependant M. Wintow a signalé un faittrès-curieux.

M. WINTOW. Messieurs, dit il, nous avonsextrait, M. Rink et moi, de quelques fragments de l’aérolithe,des organismes inférieurs parfaitement caractérisés. Il y a mieux,ces petits êtres, extrêmement ténus et conservés dans lesinterstices de la roche, là où la chaleur n’a pas dû êtreextrêmement élevée, se rapprochent beaucoup de nos infusoires. Lesvoici, messieurs, chacun pourra les observer à loisir.

Je répéterai même une expérience saisissante,que nous avons faite hier avec plein succès et qui assurémentintéressera bien vivement M. Ziegler. – J’humecte avec un peud’eau tiède ces organismes évidemment inertes et immobiles. –Voyez, messieurs : les voici qui, peu à peu, remuent,s’agitent et reviennent à la vie, absolument comme ces petitsinfusoires, les tardigrades et les rotifères, qui habitent lesgouttières de nos toits, meurent et ressuscitent, suivant que lesoleil les dessèche ou que la pluie les mouille. Ici, je suis bienforcé de penser avec M. Ziegler, que c’est bien réellement unecertaine quantité le mouvement qui manquait à ces organismes pourrevenir en vie. L’eau la leur a rendue dans les conditions voulues,et l’organisme a repris ses fonctions.

Ceci tend encore à mettre en évidence que lavie dans les planètes a bien les mêmes causes partout, et quepartout les évolutions de la matière restent les mêmes.

En terminant, messieurs, ai-je besoin de faireobserver que voici là, devant vos yeux, des êtres qui sont endormisdepuis des milliers d’années, qui nous arrivent d’une autre planèteque la nôtre et que nous voyons encore ressusciter et vivreabsolument, comme si nous-mêmes nous avions pu aller les examinersur place et explorer leurs demeures primitives. Qui aurait oséavancer que nous posséderions jamais sur terre des êtres empruntésà une planète voisine ?

M. STEK. Nous les enverrons à notresociété d’acclimatation.

M. NEWBOLD. Je vais clore, messieurs, ladiscussion ; mais je dois donner avant la parole à M. G.Mitchell qui a des détails extrêmement importants à nouscommuniquer.

(Bruit ! conversationsparticulières.)

La sonnette s’agite, le silence serétablit.

M. G. MITCHELL, anatomiste distingué deFrancfort, bon orateur, mais voix de fausset. – Messieurs, je megarderais bien de vous retenir plus longtemps ici, si je n’avaisété assez heureux, avec l’aide de mon excellent confrère et ami,M. Sieman, pour découvrir des preuves irrécusables del’origine ultra planétaire de la momie, et si je ne pouvais ainsicouronner l’édifice que vous avez si sagement et si habilementélevé.

Messieurs, l’aérolithe est bien réellementtombé de Mars, et nous avons sous les yeux un véritable homme decette planète. Pas un de vous ne sortira de cette enceinte, jel’espère, sans en être intimement convaincu.

Ce que les théories si claires et siremarquables de mes illustres collègues permettaient de préjuger,je viens, messieurs, vous en apporter une preuve matérielle,indélébile.

(Sensation ! mouvement ! grandsilence !) Déjà, plusieurs d’entre nous avaient examinésoigneusement la plaque d’argent qui recouvrait le tombeau. Ilsemblait que l’on dût y trouver le secret de cet envoyé des autresmondes. On ne s’était pas trompé, messieurs.

M. Sieman a bien voulu, hier, étudieravec moi les lignes bizarres qui sillonnent la surface métallique.De prime abord, les astres dessinés avec leurs distancesrespectives, le Soleil, Mercure, etc., fixent en effet l’attention.Puis, en haut, ces sortes de palmiers et de rhinocéros nepermettent pas de ne pas songer à tout un monde, et à un monde quin’est pas le nôtre.

Un des premiers arguments que l’on a faitvaloir en faveur de Mars, vous le savez, c’est le gros volume quecette planète a sur le dessin de la plaque. On a invoqué l’orgueildu clocher. Qui, malgré soi, ne voit pas d’un œil complaisant sapatrie ?

Et pour toute intelligence inférieure, est-ceque la grosseur, l’étendue, ne sont pas un caractère desupériorité ?

Il est certain que le raisonnement n’est passans valeur, mais il n’est qu’hypothétique. J’ai deux remarques àfaire qui vont, je crois, le confirmer assez pour trancher laquestion.

Au-dessous et plus à gauche des globesplanétaires, que vous distinguez sans doute d’ici, examinezattentivement ces deux groupes. Voici quatre ronds noirs. En facevoici deux ronds noirs.

Or, au milieu de l’espace réservé entre lesdeux groupes, s’aperçoit très-nettement un cercle au moins dix foisplus gros relativement ; à l’intérieur se déchiffre une sériede lignes contournées d’une manière assez régulière.

Le premier groupe représente, sans aucundoute, le Soleil, puis Mercure, Vénus, la Terre, toutes planètesdécrivant leurs trajectoires autour du Soleil, en deçà de Mars. Lesecond groupe représente Jupiter et Saturne, planètes tournantautour du soleil au delà de Mars. – Enfin, au centre et tout à faità part, la planète Mars elle-même ! – Pourquoi, cette fois,cette double désignation ? Pourquoi aussi bien classer ce que,sur terre, nous appelons les planètes inférieures et les planètessupérieures ?

Il est incontestable que ce groupement en deuxséries n’a pu être fait que par un habitant de Mars. Si l’êtreintelligent qui a dessiné ces figures eût habité Vénus, parexemple, il eût classé les astres ainsi : le Soleil, Mercure,puis la Terre, Mars, Jupiter, Saturne. Je ne crois pas que qui quece soit puisse refuser de voir la lumière jaillir de cette simpledistribution des planètes suivant leurs distances à Marslui-même.

L’astronome de Mars aura rapporté le centre dusystème du monde à la planète qu’il habitait, absolument comme àl’origine les astronomes terrestres le rapportaient à la terre.Ceci justifie d’ailleurs le volume excessif du dessin de Mars.

Enfin, les caractères tracés au centre dugrand cercle, figurant la planète Mars, la désignent sans doutecomme le pivot du système.

Du reste, il y a mieux, messieurs, je disaisque le doute n’était pas possible ! voyez vous-mêmes.M. Sieman a distingué tout autour du disque central, quisépare les deux groupes, un grand cercle effacé en majeure partie,puis un second, puis un troisième très-net, et enfin un quatrièmerecouvert à moitié par des lignes bizarres et dont la significationnous échappe. Ne faut-il pas voir dans ces cercles les orbites desplanètes ? Très-certainement, l’astronome de Mars croyait quele soleil et tous les autres astres tournaient autour de lui.

J’ai dit que j’étais en mesure de montrerl’étonnante précision des déductions de la théorie. Écoutez doncencore.

Il y a mieux que tout ce qui précède.M. Owerght prétend que la momie a été arrachée au sommet d’unemontagne par un bolide dévié de sa route. M. Owerght araison.

M. Sieman, en lavant la plaque avec del’acide azotique, a fait apparaître, à notre grand étonnement, deslignes très-peu accentuées que l’on peut suivre cependant aumicroscope. Elles ont un grand développement et occupent la plusgrande partie de la plaque. Nous en avons fait une reproduction surgrande échelle que nous plaçons sous vos yeux.

Il est impossible, en suivant cette ligne, dene pas reconnaître les contours très-vagues d’une véritablemontagne. Deux aiguilles assez nettes la surmontent encore vers ladroite et lui donnent une grande hauteur. La ligne se perd enserpentant vers la gauche, où elle est d’ailleurs cachée par unpalmier. N’est-ce pas là, messieurs, le massif montagneux prévu parle raisonnement scientifique ?

Il y a mieux encore ; suivez lesescarpements de cette ligne tourmentée, puis redescendezbrusquement suivant la verticale, qui n’admirera l’étonnanteconcordance des faits et des conclusions déjà posées ?

Au bas de la plaque et vers son milieu sontgravés, et cette fois profondément, quatre traits formantrectangle, fixez-y votre attention.

M. Oupeau, le premier, a eu l’honneur derapprocher les lignes qui s’entre-croisent dans cette sorte degrimoire. Après deux lavages à l’eau acidulée, il nous a très-bienmontré l’image très-fine de la plaque elle-même, de cette plaqueque nous avons maintenant entre les mains.

Il y a mieux, mieux encore, messieurs, au bas,un peu au-dessous, on peut assez bien pressentir une forme qui doitêtre celle de la momie étendue dans son cercueil. Plus bas encoreet, cette fois, en dehors du rectangle, se distinguent parfaitementune série de traits rapprochés, incompréhensibles pour nous, maisqui sont certainement des lettres et doivent former des mots.

Enfin, au-dessous, mais à moitié effacés, onpeut, avec de la bonne volonté, reconnaître plusieurs momiesanalogues au spécimen qui est tombé sur terre, et qui semblentcontempler le sommet de la montagne.

Que l’on ne croie pas que je me laisseentraîner par l’imagination ; chacun de vous, messieurs,pourra vérifier.

Je ne puis pas ne pas voir dans ces dessinsune représentation fidèle de la montagne. À la base, on auraencastré sans doute une grande plaque dans la roche représentant lecercueil et l’image du mort ; les caractères ne sont qu’uneinscription dont le sens malheureusement nous échappe complètement,et qui aura été placée là sans doute pour rappeler, aux générationsfutures, un nom désormais immortel.

Peut-être avons-nous maintenant à Paxton-Houseun grand roi dont la puissance aura étonné les populations de Mars.Peut-être, et nous inclinons à le croire, possédons-nous un desinitiateurs de l’astronomie de ce monde si ignoré pour nous. Dusommet de la montagne que vous voyez, le grand savant auradécouvert ce que l’on croyait être alors les véritables lois del’univers.

En tout cas, il est indubitable que la momieavait dans son pays une renommée éclatante et une influenceimmense ; peut-être même était-elle vénérée presque à l’égald’un demi-dieu, comme le feraient supposer les créatures quis’inclinent encore devant ses restes. On peut vraisemblablementmesurer l’importance du personnage à l’importance de sasépulture.

On l’aura enseveli bien loin des autresmortels de Mars, au sommet de la montagne, de façon à ce qu’ildomine ses semblables après sa mort de toute la hauteur dont il lesavait dominés pendant sa vie.

Messieurs, qui sait qui nous possédons là,devant nous et quelle gloire d’une autre époque et d’un autre mondenous contemplons depuis la découverte de M. Paxton ?

Qui sait si, en ce moment même, et pendant quenous sommes tous réunis dans cette enceinte, là-bas, les savants deMars, de leur côté, ne discutent pas sur l’étrange disparition dela plus grande illustration des temps anciens ? – Car la basede la montagne doit subsister, et avec elle la plaquecommémorative. – Et à moins qu’une tradition ait révélé l’événementdont le pays a été le théâtre, on doit se perdre en conjectures surl’existence problématique d’un sépulcre dont on ne rencontre plusaucune trace. Les archéologues de Mars ont dû passer plus d’unenuit blanche sur ces vestiges incomplets d’un autre âge, sur cessinguliers restes des premiers hommes de la planète.

N’est-il pas singulier qu’il soit précisémentdonné aux habitants de la Terre de trouver avant ceux de Mars,peut-être, la clef de l’énigme, et de posséder en tout cas lapreuve irrécusable d’un fait historique qui leur échappera à toutjamais ?

Il reste aux savants de Mars la base de lamontagne : mais il nous reste à nous, la reproduction fidèlede la montagne entière, le sépulcre et le mort. Nous savons, mieuxqu’eux, ce qui s’est passé chez eux, et nous possédons désormais untype extrêmement bien conservé de leurs premiers hommes ! Ilest bien vrai le dicton : on n’est pas toujours prophète enson pays.

Messieurs, il était donné à notre siècle et aunouveau monde de devenir le berceau de la plus grande découvertescientifique des temps passés et présents.

Je m’incline devant la destinée, et jeremercie Dieu de nous avoir choisis, nous ses humbles créatures,pour apprendre au monde terrestre, que nous ne sommes pas isolésdans l’espace et que chaque astre qui brille au ciel est unenouvelle oasis de vie et d’éternelle création.

(Bruyants applaudissements. – On se presseautour de M. G. Mitchell.)

M. NEWBOLD agitant la sonnette.Messieurs, personne n’a rien à ajouter à l’intéressantecommunication que vous venez d’entendre ? (Silence.)

Je vais donc en deux mots résumer le débat etpasser au vote de l’assemblée.

Il résulte des considérations géologiquesdéveloppées par nos illustres confrères, que l’aérolithe découvertpar MM. Paxton et Davis ne peut avoir une origineterrestre.

Il résulte des arguments invoqués parM. Greenwight, qu’un être de la nature de celui qui nous estparvenu sur terre, n’a pu provenir que d’une seule planète,Mars.

M. Ziegler par son bel examen desconditions de l’existence dans chaque astre ; M. Owerghtpar son argumentation sur le transport de la matière dans l’espace,nous permettent de ne pas considérer comme impossible la chute d’unêtre d’un monde dans un autre.

Enfin, l’interprétation, si inattendue et siremarquable, que M. G. Mitchell vient de tirer de l’examen dela plaque avec MM. Sieman et Oupeau donne une confirmationcomplète des vues théoriques émises dans cette enceinte.

Telles sont les conséquences auxquelles nousconduit pas à pas la logique des faits.

Il me reste à soumettre à l’assemblée cetteconclusion :

Oui, la créature découverte par M. Paxtonvient bien de la planète Mars.

On fait passer l’urne et la conclusion estadoptée. – Il y a un billet blanc.

M. NEWBOLD. Vous venez d’entendre,messieurs, la décision de l’assemblée ; notre œuvre est doncterminée. Les doutes ont disparu et nous n’avons plus qu’à espérerla confirmation de nos recherches par le monde savant tout entier.Les procès-verbaux de nos séances seront distribués aux académiesdu nouveau et de l’ancien monde.

Il me reste, pour ma part, à remercier mesillustres collègues de la constante attention qu’ils ont bien voulunous prêter, de leur concours assidu, qui m’a rendu ma tâche sifacile. J’emporterai d’ici un souvenir qui ne s’effacerajamais.

MM. Paxton m’ont prié de vous exprimertoute leur gratitude et de faire agréer à chacun de vous, avantnotre séparation, cette médaille commémorative. Elle porte d’uncôté la reproduction fidèle de l’habitant de Mars, de l’autre ladate de nos réunions. Chacune d’elles restera pour la postéritécomme un témoignage irrécusable des débats et du jugement de laCommission américaine.

Enfin, messieurs, la sanction des grands corpssavants européens est pour nous d’une haute valeur.

Il faut que les petites rivalités de parti,les mesquines préoccupations d’amour-propre et de nationalité,tombent devant le respect de la vérité et l’amour de lascience.

Aussi, MM. Paxton sont résolus à faire lesacrifice de leur découverte et à envoyer en Europe les restes del’habitant de Mars.

Il importe que les doutes ne puissent surgirnulle part et que les centres les plus éclairés de l’ancien mondeaient des preuves matérielles qui leur permettent de contrôler nosassertions.

L’Amérique conservera l’aérolithe, lesamphores et les bâtons métalliques. L’Europe possédera la momie etla plaque.

C’est avec fierté, nous l’avouons, que surl’envoi de la Commission nous pourrons inscrire ce témoignage denotre libéralité et de notre dévouement à la science :

LE NOUVEAU MONDE À L’ANCIEN MONDE.

Bruyants applaudissements. – On féliciteM. Paxton.

M. NEWBOLD. Messieurs, l’Institut deFrance et la Société Royale de Londres nous ont paru dignes à touségards, par le haut crédit dont ils jouissent, par leurincontestable autorité, de devenir les dépositaires des restes simiraculeusement découverts dans le sol américain.

À l’Angleterre, donc, la plaque et les dessinssi probants ! à la France, le berceau du goût, des arts et desbelles lettres, l’habitant de Mars ! (Tonnerred’applaudissements.) – (Hourras prolongés.)

Cette adhésion unanime, messieurs et cherscollègues, sera pour MM. Paxton la plus belle récompense deleur générosité ; elle deviendra pour nous-mêmes une nouvelleet glorieuse page à ajouter à nos annales scientifiques.

Nous avons fait notre devoir, et nous pouvonsattendre avec confiance le jugement de la postérité !…

Postscriptum. – Presque tous lesmembres de la Commission partent demain matin. On prépare lestransports, – je les suivrai de près.

Il m’était réservé une bien agréable surpriseque je tiens à vous apprendre avant de clore cette lettre. C’est àmoi que revient l’honneur d’aller en Europe offrir à votre Académiedes sciences l’homme interplanétaire. J’ai déjà en mains lespouvoirs et les instructions de MM. Newbold et Paxton.

Je pourrai donc très-prochainement vousremercier moi-même de la publicité que vous avez bien vouluaccorder à nos débats. Je vous réserve la primeur de notredécouverte. Le premier, vous verrez l’habitant de Mars.

J’arriverai, j’espère, au plus tard vers lesderniers jours de décembre. À bientôt donc, avec mon précieuxbagage.

Paxton-House, 27 septembre.

POSTFACE

Nous attendions,… et avec quelleimpatience !

Décembre se passa… rien – puis janvier,février, mars.

Notre désappointement était au comble, lorsquetout à l’heure, en nous réveillant, nos regards sont tombés enfinsur une lettre, comme toujours, toute grande ouverte.

Quelle lettre ! quelle stupéfiantesignature !

De Richmond, ce 15 mars.

Nous oubliez-vous donc ? depuis deuxgrands mois, vous avez entre les mains l’habitant de Mars… et pasun mot de vous.

M. Newbold me charge de vous direcombien nous vous serions reconnaissants de nous traduire, à votretour, les débats que l’homme interplanétaire fera naître au sein del’Institut de France.

Assurément le plus dévoué de vosconfrères,

HENRI DE PARVILLE.

Mon paraphe… mon paraphe… à n’en pasdouter !…

Cette lettre…

L’aurais-je donc écrite moi-même ;l’encre est encore fraîche.

Cependant, mon correspondantd’Amérique ?…

Quoi ! il m’a remis l’habitant de laplanète Mars !

Mais lecteur, j’affirme que je n’ai jamaisrien reçu de lui ; je déclare que je ne l’ai jamais vu, de mesyeux vu.

Alors ?…

J’aurais donc été pendant six mois mon proprecorrespondant, toutes ces lettres seraient du même au même. À moninsu, je me serais écrit la nuit ce que je lisais lejour ?…

Allons, c’est impossible.

Je rêve !

Et d’ailleurs les dessins déposés sur matable !

Voyons, lecteur, lecteur éclairé… est-ce queréellement on n’a pas trouvé quelque part sur terre un homme dansun aérolithe ?

Est-ce que M. Greenwight l’astronomen’existerait pas ? Est-ce que M. Newbold le géologue…est-ce que M. Rink… est-ce queM. Ziegler ?… ? ?

Felix qui potuit rerum cognoscerecausas.

1er avril 1865.

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