Les Exilés dans la forêt

Chapitre 39UNE RÉUNION D’ARBRES CURIEUX.

 

La réaction de cet horrible danger futnaturellement une joie profonde, bientôt troublée néanmoins par desincères regrets de la fin tragique du joli saïmiri. La bonnepetite bête était l’unique amusement des enfants ; elles’était fait aimer de tout le monde, et il semblait presque,maintenant qu’elle n’y était plus, qu’il manquât autre chose qu’unsinge !

Léona surtout était inconsolable, car lamignonne créature ne la quittait pour ainsi dire pas. Elle seperchait sur son épaule, y demeurait des heures entières, jouantavec les boucles soyeuses de sa jeune maîtresse, les enroulantautour de ses mains de poupée, caressant ses joues veloutéesqu’elle semblait admirer, et approchant souvent son petit nezdélicat pour se faire flatter à son tour.

Le chagrin de l’enfant était fort naturel etne fut adouci que par la sympathie de toute la famille, quidéplorait autant qu’elle la perte du « titi ».

Tout le jour les bords de la rivière semaintinrent couverts de bois épais. Elle avait en cet endroit prèsde 900 mètres de largeur, mais elle était coupée d’îles souventassez grandes qui rétrécissaient assez le courant pour que le balzafût presque à portée des deux rives.

Nos voyageurs avaient donc la facilité deconsidérer de plus près la nature des arbres qu’ils rencontraientsur leur passage. Ils se confirmèrent dans l’observation déjàconsignée plus haut que les forêts de l’Amazone sont toujours uncomposé des essences les plus variées et les plus diverses.

À mesure qu’un arbre curieux et nouveaus’offrait à ses regards, Don Pablo le faisait remarquer à sesenfants et leur expliquait ses caractères généraux. Guapo, assis augouvernail, suivait ces dissertations savantes qui charmaient leslongues heures de cette interminable traversée et y ajoutaitfréquemment quelques renseignements pratiques sur les propriétés deces arbres et les différents usages auxquels les Indiens lesappliquent.

C’est là ce qu’on peut appeler la partiepopulaire de la botanique ou de toute autre science, et peut-êtreest-elle plus importante que le simple énoncé des genres et desespèces, qui est souvent tout ce que vous pouvez tirer de plusclair des savants de cabinet.

Parmi les arbres qui fixèrent successivementl’attention des voyageurs se trouva ce jour-là le« volador » ou « gyrocarpe ». C’est un belarbre dont les feuilles lobées ont la forme d’un cœur.

Ce sont ses graines qui lui ont valu son nom,et voici pourquoi : elles ont des ailes membraneuses etstriées qui, lorsque la semence est mûre et tombe, sont disposéesde façon à former avec la colonne d’air un angle de 45° et àl’emporter dans un mouvement giratoire qui lui donne l’apparenced’une petite roue à volants.

C’est un spectacle singulier que d’ébranlerpar un temps calme un de ces voladors et de voir tourbillonnerautour de lui ses myriades de graines menues et légères auxquellesil faut un temps considérable avant de toucher terre.

Le volador se rencontre aussi bien au Mexiqueet dans l’Amérique du Nord que dans les chaudes régions del’Amazone.

Un autre arbre non moins curieux suivit deprès l’apparition du gyrocarpe. C’était un « berberis »,appelé barbe de tigre par les Spano-Américains.

Ce nom lui vient de ce que son tronc trèslarge et très élevé est garni de longues épines acérées auxquelles,par je ne sais quelle fantaisie, on a voulu trouver uneressemblance tout imaginaire avec les moustaches du jaguar (tigrede l’Amérique).

Un troisième arbre ou plutôt arbusteremarquable fut encore signalé aux enfants. C’était le « bixaorellana » qui donne la teinture bien connue sous le nom« d’anato ».

Cet arbuste ne dépasse jamais dix à douzepieds de haut. Sa semence est contenue dans une pulpe rougeâtre quifournit le principe de la teinture. La manière de l’obtenir est desplus simples : les Indiennes qui recueillent la graine lajettent dans un vase d’eau chaude, où elles la remuent violemmentpendant environ une heure, jusqu’à ce que la partie pulpeuse sesoit détachée. Une fois ce résultat obtenu, l’eau est retirée, etle résidu qu’elle laisse (séparé des semences) est mélangé avec dela graine de crocodile ou de l’huile d’œufs de tortue dont on formeune pâte que l’on coupe en pains de cent à cent trente grammes.

Cette pâte constitue « l’anato »,nom véritable de la teinture. Au Brésil, elle prend le nom d’urucu,dont nous autres Français nous avons fait le « rocou » etles Péruviens « l’achoté ».

Le nom de bixa qui est resté le nom botaniquedu rocouyer est le nom ancien sous lequel il était connu desIndiens d’Haïti. On le rencontre à l’état sauvage dans presquetoute la partie tropicale de l’Amérique, sans compter les endroitsoù il est cultivé sur une assez grande échelle.

Quant aux tribus indiennes, chacune a sonappellation différente pour ce produit si recherché. Les Indiens del’Amérique du Sud en font un grand usage pour se peindre le corpset pour teindre l’étoffe de coton dont ils font leursvêtements.

Du reste, il est à remarquer que ces peuplesprimitifs ont un talent tout particulier pour extraire des plantesles principes utiles qu’elles renferment ; et l’on est étonnéde voir à quel résultat surprenant ils arrivent en chimie pour toutce qui est poisons et teintures. Leurs données imparfaites et leursustensiles insuffisants ne les ont nullement retardés dans cettebranche d’industrie.

En écoutant la nomenclature des végétaux queGuapo désignait comme servant à l’un ou l’autre de ces desseins,Don Pablo n’en revenait pas.

L’Indien, apercevant une des plantes dont onvenait de parler, la fit remarquer à son maître.

C’était une plante grimpante qui atteignait lacime des arbres les plus élevés. Elle était couverte de ravissantesfleurs violettes de deux à trois centimètres de long, et Don Pabloy reconnut aussitôt une sorte de « bignonia » que Guapodénommait « chica ». Le fruit de cette liane est unegousse de deux pieds de long remplie de graines ailées ; maisc’est la feuille qui fournit la couleur que l’on obtient en lafaisant macérer dans l’eau, où elle devient d’un beau rouge. Leprincipe colorant se détache à la longue des feuilles sous la formed’une poudre légère, dont on fait également des sortes de pains queles Indiens n’hésitent pas à acheter pour la valeur d’undollar.

Ce rouge a une teinte carminée qui le faitapprécier beaucoup plus que « l’anato », car il est àconstater que les peuples sauvages estiment le rouge au-dessus detoutes les autres couleurs.

Guapo fit encore voir le « huitoc »,arbre mince de tige, de six à sept mètres de hauteur, dont leslarges feuilles sortent immédiatement du tronc et dont les fruitsnaissent à la base de ces feuilles comme ceux de l’arbre à pain.Ces fruits, qui ressemblent à la châtaigne, sont roussâtres àl’extérieur ; mais quand on les ouvre, la pulpe qu’ilsrenferment est d’un bleu foncé, et c’est elle qui produit le« huitoc » dont l’arbre a pris le nom.

L’indigotier sauvage ne tarda pas à s’offrir àla vue de Guapo, qui en fit remarquer la feuille si étroite à sabase et si large à son sommet.

Toutes ces couleurs et beaucoup d’autres sontemployées par les Indiens de la montana pour se teindre la peau dela plus fantastique manière.

Ces peuples encore enfants sont tellementattachés à cette vieille coutume, que rien ne peut les endéshabituer. Il existe parmi eux des individus qui travaillent unmois entier dans les missions pour gagner le peu qui leur estnécessaire pour se donner une seule couche de peinture, et lesmissionnaires ont habilement exploité cette extravagante folie.

Toutefois il ne serait pas toujours juste deconsidérer cette coutume comme un enfantillage ou unridicule ; il arrive souvent que ce peinturlurage burlesquen’est qu’une garantie contre les « zancudos » oumoustiques qui désolent ces parages.

Plus tard encore, Guapo pria Don Pablo desaluer au passage le marima ou l’arbre-chemise, dont il expliquaainsi l’usage :

Cet arbre atteint cinquante ou soixante piedsde hauteur et un diamètre de deux ou trois. Quand les Indiens enrencontrent un de cette dernière dimension, ils s’empressent del’abattre et de le débiter en billes de trois pieds de long. Ilsécorcent ensuite ces billes, mais sans y pratiquer aucune incisionlongitudinale, de sorte que l’écorce dégagée de son bois représenteun cylindre parfait. Elle est rouge, mince et fibreuse, etressemble assez à une étoffe grossière. On a alors le corps de lachemise. Il ne reste plus qu’à y pratiquer deux ouvertures pour ypasser les bras, et la chemise parfaite est réservée pour les tempsde pluie.

C’est de là qu’est venue l’assertionfantaisiste des anciens missionnaires que les forêts de l’Amériqueproduisent des arbres sur lesquels on trouve des vêtements toutfaits.

Bien d’autres arbres obtinrent une mention,les uns pour leurs fruits ou leurs feuilles, les autres pour leurécorce, leurs racines ou leur bois.

Ici c’était le seringa, qui donne lecaoutchouc ; le courbaril, qui fournit une espèce desang-dragon, moins estimé que celui du « dracœna », maisde l’écorce blanche duquel s’échappe cependant une sève d’un beaurouge. Plus loin, une sorte de canellier (lauruscinnamonoïde), mais non pas celui qui fournit la cannelle ducommerce, ou bien le puxiri, qui porte la noix muscade du Brésil,ou enfin ce grand arbre forestier auquel on doit la fève tonka,fréquemment employée à parfumer le tabac des priseurs.

Mais de tous ces géants de la forêt, aucun neleur laissa une impression aussi durable que le juvia(bertholletia excelsa).

Cet arbre n’atteint pas un diamètreexcessif : il ne dépasse jamais un mètre ; mais enrevanche il s’élève à une hauteur de quarante mètres. Il ne seramifie guère qu’à une vingtaine de mètres du sol. Mais alors sesbranches horizontales retombent comme des frondaisons de palmiers.Elles sont nues à leur base, mais revêtues à leur extrémité detouffes de feuilles argentées qui ont bien soixante centimètres delong.

Le juvia ne commence à fleurir qu’à partir desa quinzième année. Il se couvre alors de fleurs violettes. Un deses congénères, le sapuçaya, en porte de jaunes.

Mais dans l’un comme dans l’autre de cesarbres superbes, ce qui mérite le plus d’éveiller l’intérêt et lacuriosité, c’est leur fruit ligneux et sphérique. Il est de lagrosseur d’une tête d’enfant et aussi dur que la pierre. Ilrenferme à l’intérieur une vingtaine ou plus de ces noixtriangulaires qui sont vendues chez les marchands de produitsexotiques sous le nom de « noix du Brésil ».

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