Acté

Chapitre 19

 

C’est ainsi que mourut Néron dans latrente-deuxième année de son âge, et le jour même où il avait faitautrefois périr Octavie. Cependant, ce trépas étrange et ignoré,ces funérailles accomplies par une femme, sans que le corps, ainsique c’était la coutume, eût été exposé, laissèrent de grands doutesau peuple romain, le plus superstitieux de tous les peuples.Beaucoup dirent que l’empereur avait gagné le port d’Ostie, d’où unvaisseau l’avait transporté en Syrie, de sorte que l’on s’attendaità le voir reparaître de jour en jour ; et, tandis qu’une maininconnue pendant quinze ans encore orna religieusement sa tombe desfleurs du printemps et de l’été, il y en eut qui, tantôtapportaient à la tribune aux harangues des images de Néronreprésenté en robe prétexte ; tantôt qui venaient y lire desproclamations comme s’il vivait et comme s’il devait revenirpuissant et armé pour le malheur de ses ennemis. Enfin, vingt ansaprès sa mort, et dans la jeunesse de Suétone qui raconte ce fait,un homme d’une condition obscure, qui se vantait d’être Néron,parut chez les Parthes, et fut longtemps soutenu par ce peuple quiavait particulièrement honoré la mémoire du dernier César. Ce n’estpas tout : ces traditions passèrent des païens aux chrétiens,et, appuyé sur quelques passages de saint Paul lui-même, saintJérôme présenta Néron comme l’Ante-Christ, ou du moins comme sonprécurseur. Sulpice Sévère fait dire à saint Martin dans sesdialogues, qu’avant la fin du monde Néron et l’Ante-Christ doiventparaître, le premier dans l’Occident où il rétablira le culte desidoles ; le second dans l’Orient où il relèvera le temple etla ville de Jérusalem pour y fixer le siège de son empire, jusqu’àce qu’enfin l’Ante- Christ se fasse reconnaître pour le Messie,déclare la guerre à Néron et le fasse périr. Enfin, saint Augustinassure, dans sa Cité de Dieu, que, de son temps, c’est-à-dire aucommencement du cinquième siècle, beaucoup encore ne voulaient pascroire que Néron fût mort, mais soutenaient au contraire qu’ilétait plein de vie et de colère, caché dans un lieu inaccessible,et conservant toute sa vigueur et sa cruauté pour reparaître denouveau quelque jour et remonter sur le trône de l’empire.

Aujourd’hui encore, parmi toute cette longuesuite d’empereurs qui tour à tour sont venus ajouter un monumentaux monuments de Rome, le plus populaire est Néron. Il y a encorela maison de Néron, les bains de Néron, la tour de Néron. À Bauli,un vigneron m’a montré sans hésiter la place où était située lavilla de Néron. Au milieu du golfe de Baïa, mes matelots se sontarrêtés juste à l’endroit où s’était ouverte la trirème préparéepar Néron, et, de retour à Rome, un paysan m’a conduit, en suivantla même voie Nomentane qu’avait suivie Néron dans sa fuite, droit àla Serpentara ; et, dans quelques ruines éparses au milieu decette magnifique plaine de Rome toute jonchée de ruines, m’a forcéde reconnaître la place de la villa où s’était poignardél’empereur. Enfin, il n’y a pas jusqu’au voiturin que j’avais prisà Florence qui ne m’ait dit, dans son ignorante dévotion ausouvenir du dernier César, en me montrant une ruine placée à droitede la Stora à Rome :

– Voici le tombeau de Néron.

Explique qui pourra maintenant l’oubli danslequel sont tombés, aux mêmes lieux, les noms de Titus et deMarc-Aurèle.

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