— Sans doute, n’avez-vous aucune objection à une perquisition dans les autres locaux de l’école, miss Bulstrode ? demanda Stone.
— Aucune. Je suppose que vous entendez rechercher l’arme du crime ?
— Oui ; à en juger par le projectile, un petit pistolet de fabrication étrangère.
— Étrangère… répéta la directrice, pensive.
— À votre connaissance, un quelconque membre du personnel, ou une élève, est-il susceptible de posséder une arme ?
— En ce qui concerne le personnel, pas que je sache. Pour les pensionnaires, j’en suis certaine. Leurs bagages sont vidés par nous-mêmes, et la présence d’une arme eût été notée sur-le-champ, pour dire le moins. Mais je vous en prie, agissez comme il vous conviendra. J’ai vu que vos hommes ont déjà opéré dans les dépendances et le jardin.
— Et, reprit Kelsey, je désirerais interviewer tous les membres de votre personnel. L’un d’eux peut avoir entendu, prononcée par miss Springer, une remarque – ou quoi que ce soit – susceptible de nous mettre sur la voie. Ou encore observé une attitude, un réflexe sortant de l’ordinaire.
Une pause et il ajouta :
— Ce désir concerne également les élèves.
— J’ai l’intention de les réunir, ce soir, après les prières pour les aviser que, si l’une d’elles sait quelque chose semblant se rapporter au drame, elle vienne à mon bureau.
— Excellente idée, appuya le commissaire.
— Cependant, reprit miss Bulstrode, il faut tenir compte du fait que l’une ou l’autre peut vouloir se donner de l’importance en exagérant un menu incident – ou même en inventer un. Je pense que ce genre d’exhibitionnisme vous est connu ?
— Certes, répondit Kelsey. Mais voulez-vous me donner la liste de votre personnel enseignant et de vos domestiques ?
*
* *
— J’ai fouillé dans tous les casiers du vestiaire, monsieur.
— Et vous n’avez rien trouvé ? demanda Kelsey à son assistant.
— Rien d’important. Des babioles inattendues dans certains. Mais rien qui puisse nous servir.
— Aucun n’était fermé à clef ?
— Non, mais tous ont des serrures.
Pensif, Kelsey jeta un regard sur le plancher. Les raquettes et les crosses avaient été soigneusement remises en place.
— Il me faut retourner à l’école même pour interroger le personnel, dit-il.
— On pourrait vraiment croire à un « crime maison », risqua l’assistant.
— Possible. Personne n’a d’alibi, sauf ces deux professeurs : Chadwick et Johnson… et cette jeune fille, Jane, qui souffrait d’une oreille. En théorie, toutes les autres dormaient dans leur lit ; rien ne le prouve : les pensionnaires ont des chambres individuelles… et le personnel également. N’importe qui avait la possibilité de sortir et de rencontrer Springer ici – ou de la suivre. Puis, le crime perpétré, de revenir discrètement dans la maison principale, grâce aux buissons et à la petite porte donnant sur le jardin, et de se trouver dans son lit quand l’alerte a été donnée. Le mobile du crime, voilà la plus grande difficulté ! À moins qu’il se passe à Meadowbank des choses dont nous ne savons encore rien.
Sorti dans le jardin Kelsey aperçut Briggs qui s’affairait, bien que l’heure du travail soit passée. Il se redressa à la vue de l’inspecteur :
— Vous faites des heures supplémentaires ? lui demanda le policier, en souriant.
— On ne s’imagine pas tout ce qui incombe à un jardinier. Souvent, du fait du temps, de la température, il lui faut travailler jusqu’à vingt heures… s’il s’intéresse vraiment à la beauté d’un jardin. Moi, je suis fier du mien !
— Et vous en avez le droit ! Je n’ai jamais vu des parterres aussi bien entretenus ! Surtout de nos jours.
— Exact, de nos jours. Car à notre époque… mais j’ai la chance d’avoir un bon assistant, quoiqu’il soit jeune. Le fait est qu’il s’est présenté de lui-même.
— Récemment ? s’enquit Kelsey, quelque peu surpris.
— Au début du trimestre. Il s’appelle Adam Goodman.
— Je ne l’ai pas encore vu…
— Il m’a demandé un jour de congé et je le lui ai accordé ; avec vos gens qui circulent un peu partout, impossible de travailler sérieusement.
— Soit, mais quelqu’un aurait dû me parler de lui.
— Que voulez-vous dire ?
— Qu’il ne figure pas sur la liste qu’on m’a remise.
— Oh ! vous le verrez demain. Je ne suppose pas qu’il puisse vous dire grand-chose !
— On ne sait jamais.
Un jeune homme qui s’était présenté au début du trimestre ? Il sembla à Kelsey que ce fût le premier fait qui sortait de l’ordinaire depuis son arrivée sur place.
*
* *
Après les prières, les pensionnaires se disposaient à quitter la chapelle quand, d’un geste, miss Bulstrode les arrêta.
— J’ai une communication à vous faire. À toutes. Naturellement, vous savez que, la nuit dernière, miss Springer a été trouvée morte clans le pavillon des sports. Si l’une d’entre vous a vu ou entendu récemment quoi que ce soit qui l’ait intriguée, à propos de la victime, ou relevé, tenus par celle-ci, des propos sortant de l’ordinaire, qu’elle vienne me parler dans mon bureau, à n’importe quel moment dans la soirée.
Alors que les jeunes filles sortaient en rangs, Julia Upjohn poussa un soupir :
— Oh ! comme je voudrais pouvoir révéler quelque chose ! Mais… nous ne savons rien.
— Évidemment, murmura Jennifer.
— Miss Springer a toujours paru insignifiante. Trop pour se faire tuer mystérieusement.
— Je ne crois pas à un mystère. Un cambrioleur sans doute.
— Il en voulait à nos raquettes, je suppose, souffla Julia, non sans ironie.
— Peut-être un chantage, suggéra une camarade, avec empressement.
— À propos de quoi ? riposta Jennifer.
Mais personne ne pouvait concevoir pour quelle raison on aurait tenté de faire chanter une personne telle que miss Springer.
*
* *
Miss Vansittart fut la première à être interrogée par Kelsey. « Cette femme a de l’allure », pensa-t-il au premier coup d’œil. La quarantaine, ou un peu plus, grande, bien proportionnée, des cheveux gris disposés avec goût. De la dignité avec, semblait-il, une juste appréciation de sa propre personnalité. Elle faisait penser à miss Bulstrode : le type même de la pédagogue consciente de ses capacités, de ses responsabilités. Toutefois, une sensible différence : Miss Bulstrode avait le sens de l’inattendu et ses réflexes étaient imprévisibles. Avec miss Vansittart, rien de la sorte.
En fait, miss Vansittart n’avait rien vu, rien entendu. Oui, miss Springer remplissait parfaitement ses fonctions ; un peu brusque, mais pas indûment. Sans doute, sa personnalité n’était-elle pas très attrayante, mais cela n’avait aucune importance dans l’enseignement de la gymnastique. En vérité, il valait mieux ne pas avoir de ces professeurs dont le charme aiguise l’imagination des jeunes filles.
Et, n’ayant rien apporté de nouveau à l’enquête, miss Vansittart se retira.
La suivante fut Eileen Rich. « Aussi laide qu’un péché mortel », fut la première réaction de Kelsey. Puis, il conclut que, de ce fait même, elle avait un certain attrait. Les questions habituelles se succédèrent, mais toutes les réponses ne furent pas aussi banales qu’on l’eût craint. Après une série de dénégations, à l’instar de miss Vansittart, l’inspecteur demanda :
— Avez-vous idée que quelqu’un eût pu avoir un grief tout personnel à l’égard de miss Springer ?
— Oh ! non, répondit Eileen Rich, sans hésiter. Et je crois que c’était son côté tragique pour ainsi dire.
— Que voulez-vous dire exactement ? s’enquit Kelsey quelque peu surpris.
— J’entends qu’elle n’était pas de celles qu’on aurait eu l’idée de supprimer. Certainement pas. Tout ce qu’elle faisait ou disait était dépourvu d’artifice. Certes, elle irritait parfois les gens, et des propos assez vifs en résultaient, mais, de sa part, aucune perfidie. Donc, je suis persuadée qu’elle n’a pas été tuée en tant que Grace Springer… si vous comprenez ce que je veux dire.
— Je n’en suis pas tout à fait certain…
— Comment m’expliquer ?… Supposons qu’il s’agisse d’un hold-up dans une banque et qu’une caissière – miss Springer, par exemple – ait été abattue. Ce n’est pas à elle personnellement qu’on en aurait voulu, mais à n’importe qui de gênant…
Miss Rich haussa les épaules, puis reprit :
— Peut-être se rendait-elle compte qu’à Meadowbank personne n’attachait d’importance à ses faits et gestes, et entendait-elle faire du zèle ? Par exemple, veiller au respect du règlement ?
— Donnez-vous à entendre qu’elle espionnait ?
— Non. Elle ne passait pas son temps à épier, mais s’il lui arrivait de remarquer quoi que ce soit de louche, alors elle n’hésitait pas à essayer d’aller jusqu’au fond des choses. Et elle y parvenait.
— Je vois. Il semble que vous n’aimiez guère miss Springer ?
— La vérité est que je n’ai jamais cherché à la fréquenter ; elle n’était que le professeur de gymnastique… Oh ! quelle horrible façon de m’exprimer ! D’autant qu’elle était fière de ses fonctions, sans se vanter, toutefois, des résultats obtenus.
L’inspecteur regarda miss Rich assez curieusement avant de reprendre la parole :
— Vous me semblez être une excellente observatrice.
— Possible !
— Depuis combien de temps êtes-vous à Meadowbank ?
— Un peu plus de dix-huit mois.
— Aucun incident notable au cours de cette période ?
— Oh ! non. Tout a été calme, du moins jusqu’à ce trimestre.
Kelsey saisit la balle au bond :
— Je crois comprendre que vous ne faites pas seulement allusion au crime même ! Vous pensez à quelque chose d’autre ?…
Une courte hésitation et elle reprit :
— Oui, peut-être avez-vous raison… Mais c’est très vague…
— Parlez, je vous prie.
De nouveau, un moment de réflexion. Puis :
— Eh bien ! je pense que l’atmosphère n’est pas aussi sereine qu’auparavant. On a l’impression qu’il se trouve parmi nous, une personne qui ne devrait pas y être…
Elle esquissa un sourire :
— Comment dire ?… C’est à croire qu’il y a… un loup dans la bergerie. Mais ce loup demeure inconnu.
— Très vague, miss Rich.
— Je l’admets ; même cela paraît absurde. Disons qu’il y a quelque chose – peut-être de peu d’importance – dont j’ai eu conscience, sans pouvoir préciser quoi que ce soit.
— Et qui concernait qui ?
— C’est bien là le mystère ! Mais je le répète : à Meadowbank même, réside une personne qui, d’une façon ou d’une autre, a de mauvais desseins. Ne pouvoir la désigner me trouble au possible…
Elle s’efforçait de clarifier ses pensées, sous le regard acéré de l’inspecteur.
— … Et ce sentiment d’appréhension, je l’éprouve, non pas quand je m’imagine voir cette personne s’agiter dans une vision trouble, mais à partir du moment où je crois qu’elle me fixe, car c’est dans ses yeux que je lis ses intentions coupables. Hélas ! son visage m’échappe… Mes propos doivent vous sembler encore plus incohérents qu’au début de cet entretien : vous n’entendez que de vagues impressions, alors qu’un témoignage réel vous serait nécessaire.
— Évidemment, ce n’est pas un témoignage. Pas encore, du moins. Mais vos confidences sont très intéressantes et si vos impressions se clarifiaient, n’hésitez pas à m’en faire part.
Elle acquiesça :
— Certainement, car quelqu’un a été tué, et nous ne savons pas pourquoi. D’autre part, l’assassin peut être ici, dans cette école. Et s’il en est ainsi, l’arme du crime doit s’y trouver également. Pas très rassurant, n’est-ce pas ?
Une légère inclinaison de tête et elle sortit.
— Elle veut se rendre intéressante, dit l’assistant de Kelsey.
— Je ne le pense pas. Elle se place plutôt dans la catégorie des sensitives, de celles qui se rendent compte qu’il y a un chat dans une chambre, avant de l’avoir vu. Si miss Rich avait appartenu à une tribu de nègres, on eût pu la considérer comme une sorcière guérisseuse.
— En somme, une femme qui dépiste le mal.
— Exact, et c’est précisément ce que j’essaie de faire moi-même. Du fait que personne ne signale rien de concret, il me faut bien mettre mon flair à l’épreuve. Mais introduisez la Française.
*
* *
À première vue, Mlle Angèle Blanche devait avoir trente-cinq ans. Aucun maquillage ; des cheveux châtain foncé, bien entretenus, mais arrangés sans grâce ; une jupe et un corsage de coupe sévère.
Oui, confirma-t-elle, c’était son premier trimestre à Meadowbank, et elle ne pensait pas y rester.
— Il n’est guère plaisant de résider dans une école où l’on assassine, dit-elle, d’un ton réprobateur. Et dans cet établissement, il n’y a aucun signal d’alarme.
— Le fait est qu’il ne contient guère d’objets susceptibles d’être volés, nota Kelsey.
Elle haussa les épaules :
— Comment le sait-on ? Certaines des élèves ont des pères très riches, et un cambrioleur peut croire qu’elles sont en possession de sommes importantes ou de bijoux.
— Mais si une élève possède un objet précieux, elle n’irait pas le déposer dans le pavillon des sports.
— Pourquoi pas ? Les filles n’ont-elles pas chacune un casier fermant à clef ?
— Simplement pour déposer leurs affaires de sport.
— En principe. Mais une élève pourrait cacher n’importe quoi dans une chaussure de gymnastique, un vieux pull-over.
— Quoi, par exemple ?
Mais Mlle Blanche n’avait aucune idée à ce sujet.
— Même les meilleurs des pères ne donnent pas à leurs filles des colliers de diamants pour qu’elles les apportent à l’école, reprit Kelsey. À propos, mademoiselle, avez-vous déjà enseigné le français dans une autre école ?
— Dans le nord de l’Angleterre, il y a quelque temps. Avant, j’ai été professeur en Suisse et en France. Une fois, en Allemagne. J’ai pensé revenir dans votre pays pour perfectionner mon anglais. L’une de mes amies, en poste à Meadowbank, est tombée malade et m’a recommandée à miss Bulstrode. Mais je ne me plais guère ici, je l’ai déjà dit.
— Pour quelle raison ?
— Outre cette histoire d’assassinat, les élèves ne sont pas respectueuses.
— Ce ne sont plus tout à fait des enfants, n’est-ce pas ?
— Certaines d’entre elles agissent comme des bébés ; d’autres se conduisent comme de vraies femmes ! Et toutes jouissent de beaucoup de liberté. Je préfère les établissements qui s’en tiennent à la routine.
— Connaissiez-vous bien miss Springer ?
— Pratiquement, je ne la fréquentais pas. Elle avait des manières rustres, et je lui parlais le moins possible. Laide, avec des taches de rousseur ; sans oublier une voix déplaisante. Une caricature des Anglaises ! Souvent, elle fut impolie à mon égard.
— En quoi ?
— Elle n’aimait pas que je me rende au pavillon des sports. Son domaine exclusif, semblait-il. J’y suis allée, un jour, parce que l’endroit m’intéressait et que le bâtiment était neuf. Bien agencé, ai-je constaté. Soudain, miss Springer a surgi : « Il ne vous appartient pas de venir ici », me dit-elle, à moi, qui étais professeur dans la même école ! Me prenait-elle pour une élève ?
— Très désagréable, en effet, convint Kelsey pour l’apaiser.
Mais elle reprit :
— Irritée, j’ai fait claquer la porte ; la clef est tombée et je l’ai ramassée. Encore sous le coup de l’apostrophe de cette femme, j’allais oublier de la remettre en place, quand elle m’interpella de nouveau, me donnant à entendre que je voulais la voler. Sa propre clef, je suppose !
— Il semble assez étrange qu’elle ait eu une attitude donnant à entendre qu’elle craignait qu’on découvrît un objet caché par elle.
En somme, Kelsey lançait discrètement un appât, mais Angèle Blanche se prit à rire :
— Qu’aurait-elle pu dissimuler dans un tel endroit ? Des lettres d’amour ? Je suis certaine qu’elle n’en a jamais reçu.
Encore quelques questions insignifiantes et Mlle Blanche se retira.
— Bizarre, cette Française, dit l’assistant.
— Il n’en reste pas moins que son témoignage est intéressant, répondit Kelsey : miss Springer n’aimait pas qu’on rôde dans son pavillon. Et pourquoi ?
— Peut-être pensait-elle que la Française l’espionnait.
— Soit, mais quelle importance aurait eu la curiosité de Mlle Blanche, si ladite Springer n’avait rien à cacher ?… Et qui reste à interroger ?
— Deux professeurs adjointes, miss Blake et miss Rowan, ainsi que la secrétaire de miss Bulstrode.
— Allons-y !
Miss Blake était très jeune et avait un visage sympathique. Ne sachant à peu près rien sur la victime, elle ne put donner aucune idée du motif du crime.
En revanche, comme il convenait à une diplômée ès sciences « physiques », miss Rowan crut devoir exprimer son point de vue : « Un suicide très probablement. »
L’inspecteur haussa les sourcils :
— Miss Springer était-elle malheureuse d’une quelconque façon ?
— Elle était agressive, dit miss Rowan dont les yeux brillaient derrière les verres très épais de ses lunettes. Très cassante même. Une sorte d’autodéfense pour dissimuler un complexe d’infériorité.
— Tout ce que j’ai entendu jusqu’à présent tend à prouver qu’elle était très sûre d’elle, fit remarquer Kelsey.
— Une attitude voulue, reprit gravement le professeur. Certains de ses propos me dépassaient.
— Par exemple ?
— Miss Springer faisait souvent allusion à des gens, qui, selon elle, n’étaient pas tels qu’ils le paraissaient, sans oublier de souligner que, dans l’école où elle se trouvait avant de venir à Meadowbank, elle avait « démasqué » quelqu’un. Cependant, ajoutait-elle, la directrice avait refusé de la croire, et ses collègues s’étaient liguées contre elle.
Excitée, miss Rowan tomba presque de sa chaise en se penchant vers l’inspecteur :
— Vous voyez ce que cela signifie ?… Le début du délire de la persécution !
Poliment, Kelsey déclara que les suppositions de miss Rowan pouvaient se défendre, mais qu’il lui était impossible, quant à lui, d’accepter la version d’un suicide, à moins que miss Rowan fût à même d’expliquer comment miss Springer eût pu se tuer avec une arme à feu, à une distance de trois mètres, et la faire disparaître ensuite.
Hautaine, miss Rowan répliqua que l’hostilité de la police à l’égard de la psychologie était archiconnue.
Ann Shapland, la secrétaire de miss Bulstrode, vint ensuite.
— Alors, miss Shapland, quelle lumière pouvez-vous jeter sur le mystère qui nous intéresse ? lui demanda Kelsey, qui n’avait pas manqué de remarquer la robe simple et de bon goût, ainsi que l’allure décidée du témoin.
— Aucune, je crains. J’occupe une chambre assez éloignée des autres, et un bureau privé. Donc, je ne fréquente guère le personnel. Tout ce drame est incroyable !
— Dans quel sens ?
— D’abord que miss Springer ait été tuée. Admettons qu’une personne se soit introduite dans le gymnase, et que miss Springer, alertée, ait voulu voir de qui il s’agissait. C’est exact, je suppose, mais qui aurait pu avoir l’idée de pénétrer secrètement dans ledit gymnase ?
— Peut-être un garçon qui voulait s’approprier un article de sport ou faire une farce.
— Dans ce cas, je ne peux m’empêcher de penser que, l’ayant surpris, miss Springer l’aurait sermonné et qu’il serait parti.
— Avez-vous l’impression que la victime avait adopté une attitude particulière à l’égard du pavillon des sports ?
Ann Shapland parut surprise :
— Une attitude…
— J’entends : le considérait-elle comme son propre domaine et tolérait-elle la présence de ses collègues dans celui-ci ?
— Pas que je sache. Pourquoi cette exclusive ? Le pavillon n’est, en somme, qu’une annexe de l’école.
— Donc, vous n’aviez rien noté à cet égard, et, quand vous vous y rendiez vous-même, aucune hostilité ?
— Je n’y suis allée que deux ou trois fois, pour remettre un message de miss Bulstrode à une élève.
— Saviez-vous que miss Springer s’opposait à la présence de Mlle Blanche dans le pavillon ?
Une courte hésitation et miss Shapland répondit :
— Je crois, en effet, qu’un certain jour, Mlle Blanche s’est montrée plutôt irritée au sujet d’une rebuffade. Mais sa susceptibilité est connue. Déjà, elle s’était crue offensée par une observation de la maîtresse de dessin. Naturellement, Mlle Blanche n’est pas surchargée de travail : elle n’enseigne qu’une matière : le français, et dispose donc de beaucoup de temps. Dois-je ajouter que j’ai l’impression… qu’elle est plutôt curieuse.
— Ah !… Pensez-vous que, quand elle se rend dans le pavillon des sports, elle se laisse aller à fouiller dans les casiers réservés aux élèves ?
— Les casiers ?… Je n’affirmerais pas qu’elle en soit incapable. Un passe-temps, dans ses goûts, peut-être.
— Miss Springer a-t-elle son propre casier ?
— Naturellement !
— Et si miss Springer avait surpris Mlle Blanche en train de le fouiller, j’imagine qu’elle aurait été très fâchée ?
— De toute évidence !