Antigone de Sophocle

LE CHOEUR.
Je ne sais ; mais il me semble qu’un trop grand silence
annonce d’aussi cruels malheurs que des cris répétés et
sans frein.
LE MESSAGER.
Nous saurons bientôt, entrés dans la demeure, ce qu’elle
cache dans son coeur irrité ; car, tu dis bien : un trop
grand silence est effrayant en effet.
LE CHOEUR.
Voici venir le roi lui-même, portant dans ses bras, s’il
m’est permis de le dire, un gage éclatant du malheur qui
lui est infligé, non par un autre, mais par sa propre faute.
CRÉON, LE CHOEUR,
L’ENVOYÉ.
CRÉON.
Strophe I.
Ô fautes amères et mortelles d’un esprit insensé ! Oh !
voyez ces meurtriers et ces victimes, tous d’une même
famille ! Ô fatale résolution ! Hélas ! Enfant, tu es mort
jeune d’une mort hâtive, hélas ! Hélas ! Non par ta
démence, mais par la mienne !
LE CHOEUR.
Hélas ! Que tu as connu tard la justice !
CRÉON.
Hélas ! Je l’ai connue, malheureux ! Alors un dieu furieux
contre moi m’a frappé sur la tête et m’a inspiré de
funestes desseins, renversant du pied mes joies. Hélas !
Hélas ! Ô travaux misérables des hommes !
UN ENVOYÉ.
Ô maître, tu as rencontré et tu possèdes tous les maux,
portant les uns dans tes bras et devant bientôt contempler
les autres dans ta demeure.
CRÉON.
Qu’y a-t-il encore ?

L?ENVOYÉ.
Ta malheureuse femme vient de se frapper mortellement,
prouvant ainsi qu’elle était bien la mère de ce mort.
CRÉON.
Antistrophe I.
Ô seuil de l’inexorable Hadès, pourquoi me perds-tu ? Ô
messager d’un lamentable malheur, quelle parole as-tu
dite ?Hélas ! Hélas ! Tu as achevé un homme déjà mort.
Que dis-tu ?Hélas ! Quelle calamité nouvelle
m’annonces-tu ? La mort sanglante de ma femme après
celle-ci !
L?ENVOYÉ.
Tu peux regarder. Elle n’est plus dans ta demeure.
CRÉON.
Hélas ! Malheureux ! Je vois cette nouvelle misère.
Laquelle me reste-t-il à subir désormais ? Ô malheureux
que je suis, j’ai dans mes bras mon fils mort, et je vois
d’un autre côté celle-ci morte ! Hélas ! Hélas !
Malheureuse mère ! Hélas ! Mon fils !
L?ENVOYÉ.
Ayant embrassé l’autel, elle s’est frappée et elle a fermé
ses paupières chargées d’ombre, après avoir pleuré
l’illustre destinée de Mégareus et celle de Hémon ; et,
enfin, elle a jeté des imprécations contre toi qui as tué
son enfant.
CRÉON.
Strophe II.
Hélas ! Hélas ! Je suis frappé de terreur. Pourquoi
quelqu’un ne m’a-t-il pas percé par devant d’une épée à
deux tranchants ? Malheureux que je suis ! Hélas ! Hélas
! Je suis accablé de misères !
L?ENVOYÉ.
Cette morte t’a accusé de ces deux morts.
CRÉON.
De quelle façon a-t-elle cessé de vivre ?
L?ENVOYÉ.
De sa propre main elle s’est frappée de l’épée sous le foie,
dès qu’elle a su la destinée lamentable de son fils.

CRÉON.
Strophe III.
Hélas sur moi ! Jamais je n’accuserai aucun autre homme
des maux que j’ai seul causés ; car c’est moi qui t’ai tuée,
misérable que je suis ! Moi-même ! Et c’est la vérité. Ô
serviteurs, emmenez moi très vite, emmenez-moi au loin,
moi qui ne suis plus rien !
LE CHOEUR.
Tu as raison, s’il est rien de bon dans le malheur. Le mal
présent est le meilleur qui cesse le premier.
CRÉON.
Antistrophe II.
Allons, allons ! Vienne une dernière mort qui amène mon
suprême jour tant désiré ! Allons ! Qu’elle vienne, afin
que je ne voie pas de lendemain !
LE CHOEUR.
Les choses sont futures. Il convient de s’occuper des
choses présentes. C’est à ceux que l’avenir concerne de
s’en inquiéter.
CRÉON.
Mais aussi n’ai-je demandé par mes prières que ce que je
désire.
LE CHOEUR.
Ne désire rien maintenant. Les mortels ne peuvent
échapper à un malheur fatidique.
CRÉON.
Antistrophe III.
Emmenez au loin un insensé, moi qui t’ai tué, ô enfant, et
toi que voilà, aussi ! Ô malheureux ! Je ne sais, n’ayant
plus rien, de quel côté me tourner. Tout ce que j’avais en
mains est tombé ; une insupportable destinée s’est ruée
sur ma tête.
LE CHOEUR.
La meilleure part du bonheur est la sagesse. Il faut
toujours révérer les droits des démons. Les paroles
superbes attirent aux orgueilleux de terribles maux qui
leur enseignent tardivement la sagesse.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer