ANTIGONE.
Je ne demanderai plus rien. Même si tu voulais agir avec
moi, je ne me servirai pas volontiers de toi. Fais ce que tu
veux, mais moi, je l’ensevelirai, et il me sera beau de
mourir pour cela. Ayant commis un crime pieux, chère je
me coucherai auprès de qui m’est cher ; car j’aurai plus
longtemps à plaire à ceux qui sont sous la terre qu’à ceux
qui sont ici. C’est là que je serai couchée pour toujours.
Mais toi, méprise à ton gré ce qu’il y a de plus sacré pour
les dieux.
ISMÈNE.
Je ne le méprise pas, mais je n’ai pas la force de rien faire
malgré les citoyens.
ANTIGONE.
Prends ce prétexte. Moi j’irai élever un tombeau à mon
très cher frère.
ISMÈNE.
Hélas ! Combien je crains pour toi, malheureuse !
ANTIGONE.
Ne crains rien pour moi ; ne t’inquiète que de ce qui te
regarde.
ISMÈNE.
Ne confie au moins ton dessein à personne. Agis
secrètement. Je me tairai aussi.
ANTIGONE.
Hélas ! Parle hautement. Tu me seras plus odieuse si tu te
tais que si tu révèles ceci à tous.
ISMÈNE.
Tu as un coeur chaud pour ce qui exige le sang-froid.
ANTIGONE.
Je plais ainsi, je le sais, à ceux auxquels il convient que je
plaise.
ISMÈNE.
Si tu le peux, pourtant ; mais tu tentes au-delà de tes
forces.
ANTIGONE.
Je m’arrêterai donc quand je ne pourrai faire plus.
ISMÈNE.
Quand les choses sont au-dessus de nos forces, il
convient de ne pas les tenter.
ANTIGONE.
Si tu parles ainsi, je te prendrai en haine et tu seras
justement odieuse à celui qui est mort. Mais laisse-moi
braver ce que j’ose, car, certes, quelque destinée cruelle
que je subisse, je mourrai glorieusement.
ISMÈNE.
Si cela te semble ainsi, va ! Sache que tu es insensée,
mais que tu aimes sincèrement tes amis.
CRÉON, LE CHOEUR.
LE CHOEUR.
Strophe I.
Clarté splendide ! La plus belle des lumières qui aient lui
sur Thèbes aux sept portes, tu as enfin paru au-dessus des
sources Dirkaiennes. OEil du jour d’or ! Tu as repoussé et
contraint de fuir, lâchant les rênes, l’homme au bouclier
blanc, sorti tout armé d’Argos, et qui, levé contre notre
terre pour la cause douteuse de Polynice, et poussant des
cris aigus, s’est abattu ici comme un aigle à l’aile de
neige, avec d’innombrables armes et des casques
chevelus.
Antistrophe I.
Plus haut que nos demeures, il était là, dévorant, de toute
part, avec ses lances avides de meurtre, autour des sept
portes ; et il s’en est allé avant de s’être rassasié de notre
sang, et avant que Héphaïstos résineux ait saisi nos tours
crénelées ; tant a éclaté derrière lui le ressentiment
d’Arès, invincible pour le Drakôn ennemi. Car Zeus hait
l’impudence d’une langue orgueilleuse, et, les ayant vus
se ruer impétueusement, très fiers de leur or strident, il a
renversé, de la foudre dardée, celui qui se préparait à
pousser le cri de la victoire au faîte de nos murailles.
Strophe II.
Renversé, il tomba, retentissant contre terre et portant le
feu, lui qui, naguère, ivre d’une fureur insensée, avait le
souffle des vents les plus terribles. Et Arès, grand et
impétueux, détourna ces maux et leur en infligea d’autres
en les bouleversant tous. Et les sept chefs, dressés aux
sept portes contre sept autres, laissèrent leurs armes
d’airain à Zeus qui met en fuite, excepté ces deux
malheureux qui, nés du même père et de la même mère,