Hernani de Victor Hugo

Voici la célèbre pièce Hernani, de Victor Hugo

Préface
L’auteur de ce drame écrivait il y a peu de semaines à propos d’un poète mort avant l’âge.

« … dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui combattent ? Sans doute, c’est pitié de voir un poète de vingt ans qui s’en va, une lyre qui se brise, un avenir qui s’évanouit ; mais n’est-ce pas quelque chose aussi que le repos ? N’est-il pas permis à ceux autour desquels s’amassent incessamment calomnies, injures, haines, jalousies, sourdes menées, basses trahisons ; hommes loyaux auxquels on fait une guerre déloyale ; hommes dévoués qui ne voudraient enfin que doter le pays d’une liberté de plus, celle de l’art, celle de l’intelligence ; hommes laborieux qui poursuivent paisible- ment leur œuvre de conscience, en proie d’un côté à de viles machinations de censure et de police, en butte de l’autre, trop souvent, à l’ingratitude des esprits mêmes pour lesquels ils travaillent ; ne leur est-il pas permis de retourner quelques fois la tête avec envie vers ceux qui sont tombés derrière eux, et qui dorment dans le tombeau ? invideo, disait Luther dans le cimetière de Worms. Qu’importe toutefois ? Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu’on nous veuille faire le présent, l’avenir sera beau. Le romantisme, tant de fois mal défini, n’est, à tout prendre, et c’est là sa définition réelle, que le libéralisme en littérature. Cette vérité est déjà comprise à peu près de tous les bons esprits, et le nombre en est grand ; et bientôt, car l’œuvre est déjà bien avancée, le libéralisme littéraire ne sera pas moins populaire que le libéralisme politique. La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d’intelligences près (lesquelles s’éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d’aujourd’hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l’élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de dé- fiance et d’examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu’ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. Ce principe est celui du siècle, et prévaudra. Ces ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l’ancien régime de toutes pièces, société et littérature ; chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler tout ce qu’ils auront échafaudé. Et, en définitive, leurs efforts de réaction auront été utiles. En révolution, tout mouvement fait avancer. La vérité et la liberté ont cela d’excellent que tout ce qu’on fait pour elles, et tout ce qu’on fait contre elles, les sert égale- ment. Or, après tant de grandes choses que nos pères ont faites, et que nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne sortirions-nous pas de la vieille forme poétique ? à peuple nouveau, art nouveau. Tout en admirant la littérature de Louis XIV si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre, et personnelle, et nationale, cette France actuelle, cette France du dix-neuvième siècle à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance. »

Qu’on pardonne à l’auteur de ce drame de se citer ici lui-même ; ses paroles ont si peu le don de se graver dans les esprits, qu’il aurait souvent besoin de les rappeler. D’ailleurs, aujourd’hui, il n’est peut-être point hors de propos de remettre sous les yeux des lecteurs les deux pages qu’on vient de transcrire. Ce n’est pas que ce drame puisse en rien mériter le beau nom d’art nouveau, de poésie nouvelle, loin de là, mais c’est que le principe de la liberté, en littérature, vient de faire un pas ; c’est qu’un progrès vient de s’accomplir, non dans l’art, ce drame est trop peu de chose, mais dans le public ; c’est que, sous ce rapport du moins, une partie des pronostics hasardés plus haut viennent de se réaliser.

Il y avait péril, en effet, à changer ainsi brusquement d’auditoire, à risquer sur le théâtre des tentatives confiées jusqu’ici seulement au papier qui souffre tout ; le public des livres est bien différent du public des spectacles, et l’on pouvait craindre de voir le second repousser ce que le premier avait accepté. Il n’en a rien été. Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n’a pas été moins complètement adopté par cette immense foule, avide des pures émotions de l’art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. Cette voix haute et puissante du peuple qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique : tolérance et liberté.

Maintenant, vienne le poète ! Il y a un public. Et cette liberté, le public la veut telle qu’elle doit être, se conciliant avec l’ordre, dans l’état, avec l’art, dans la littérature. La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n’est pas complète. Que les vieilles règles de d’Aubignac meurent avec les vieilles coutumes de Cujas, cela est bien ; qu’à une littérature de cour succède une littérature de peuple, cela est mieux encore ; mais surtout qu’une raison intérieure se rencontre au fond de toutes ces nouveautés. Que le principe de liberté fasse son affaire, mais qu’il la fasse bien. Dans les lettres, comme dans la société, point d’étiquette, point d’anarchie : des lois. Ni talons rouges, ni bonnets rouges. Voilà ce que veut le pu- blic, et il veut bien.

Quant à nous, par déférence pour ce public qui a accueilli avec tant d’indulgence un essai qui en méritait si peu, nous lui donnons ce drame aujourd’hui tel qu’il a été représenté. Le jour viendra peut-être de le publier tel qu’il a été conçu par l’auteur, en indiquant et en discutant les modifications que la scène lui a fait subir. Ces détails de critique peuvent ne pas être sans intérêt ni sans enseignements, mais ils sembleraient minutieux aujourd’hui ; la liberté de l’art est admise, la question principale est résolue, à quoi bon s’arrêter aux questions secondaires ? Nous y reviendrons du reste quelque jour ; et nous parlerons aussi, bien en détail, en la ruinant par les raisonnements et par les faits, de cette censure dramatique qui est le seul obstacle à la liberté du théâtre, maintenant qu’il n’y en a plus dans le public. Nous essaierons, à nos risques et périls et par dévouement aux choses de l’art, de caractériser les mille abus de cette petite inquisition de l’esprit, qui a, comme l’autre saint- office, ses juges secrets, ses bourreaux masqués, ses tortures, ses mutilations, et sa peine de mort. Nous déchirerons, s’il se peut, ces langes de police dont il est honteux que le théâtre soit encore emmailloté au dix-neuvième siècle.

Aujourd’hui il ne doit y avoir place que pour la reconnaissance et les remerciements. C’est au public que l’auteur de ce drame adresse les siens, et du fond du cœur. Cette œuvre, non de talent, mais de conscience et de liberté, a été généreusement protégée contre bien des inimitiés par le public, parce que le public est toujours, aussi lui, consciencieux et libre. Grâces lui soient donc rendues, ainsi qu’à cette jeunesse puissante qui a porté aide et faveur à l’ouvrage d’un jeune homme sincère et indépendant comme elle ! C’est pour elle surtout qu’il travaille, parce que ce serait une gloire bien haute que l’applaudissement de cette élite de jeunes hommes, intelligente, logique, conséquente, vraiment libérale en littéra- ture comme en politique, noble génération qui ne se refuse pas à ouvrir les deux yeux à la vérité et à recevoir la lumière des deux côtés.

Quant à son œuvre en elle-même, il n’en parlera pas. Il accepte les critiques qui en ont été faites, les plus sévères comme les plus bienveillantes, parce qu’on peut profiter à toutes. Il n’ose se flatter que tout le monde ait compris du premier coup ce drame, dont le romancero général est la véritable clef. Il prierait volon- tiers les personnes que cet ouvrage a pu choquer de relire le Cid, Nicomède, ou plutôt tout Corneille, et tout Molière, ces grands et admirables poètes. Cette lecture, si pourtant elles veulent bien faire d’abord la part de l’immense infériorité de l’auteur d’Hernani, les rendra peut-être moins sévères pour certaines choses qui ont pu les blesser dans la forme ou dans le fond de ce drame. En somme, le moment n’est peut-être pas encore venu de le juger. Hernani n’est jusqu’ici que la première pierre d’un édifice qui existe tout construit dans la tête de son auteur, mais dont l’ensemble peut seul donner quelque valeur à ce drame. Peut-être ne trouvera-t-on pas mauvaise un jour la fantaisie qui lui a pris de mettre, comme l’architecte de Bourges, une porte presque moresque à sa cathédrale gothique.

En attendant, ce qu’il a fait est bien peu de chose, il le sait. Puissent le temps et la force ne pas lui manquer pour achever son œuvre. Elle ne vaudra qu’autant qu’elle sera terminée. Il n’est pas de ces poètes privilégiés qui peuvent mourir ou s’interrompre avant d’avoir fini, sans péril pour leur mémoire ; il n’est pas de ceux qui restent grands, même sans avoir complété leur ouvrage, heureux hommes dont on peut dire ce que Virgile disait de Carthage ébauchée.

9 mars 1830.

ACTE PREMIER
SCENE PREMIERE

Une chambre à coucher, la nuit. Une lampe sur une table. Doña Josefa Duarte, vieille, en noir, avec le corps de sa jupe cousu de jais à la mode d’Isabelle-la-catholique, don Carlos.

DOÑA JOSEFA, seule. Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenêtre, et met en ordre quelques fauteuils. On frappe à une petite porte dérobée à droite. Elle écoute. On frappe un second coup.

Serait-ce déjà lui ? C’est bien à l’escalier Dérobé.
Un quatrième coup.

Vite, ouvrons.

Elle ouvre la petite porte masquée. Entre don Carlos, le manteau sur le visage et le chapeau sur les yeux.

: :Bonjour, beau cavalier.

Elle l’introduit. Il écarte son manteau, et laisse voir un riche costume de velours et de soie à la mode castillane de 1519. Elle le regarde sous le nez et recule.

Quoi ! Seigneur Hernani, ce n’est pas vous ? – Main-forte ! Au feu !
DON CARLOS, lui saisissant le bras .

Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte !

Il la regarde fixement. Elle se tait effrayée.

Suis-je chez doña Sol, fiancée au vieux duc

De Pastrana, son oncle, un bon seigneur, caduc, Vénérable et jaloux ? Dites. La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore, Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe, à la barbe du vieux. Suis-je bien informé ?
Elle se tait. Il la secoue par le bras.

: :Vous répondrez, peut-être. DOÑA JOSEFA.

Vous m’avez défendu de dire deux mots, maître. DON CARLOS.
Aussi n’en veux-je qu’un. – oui, non. – ta dame est bien Doña Sol De Silva ? Parle.
DOÑA JOSEFA.

: : :Oui. Pourquoi ? DON CARLOS.
: : : : : : :Pour rien.

Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure ? DOÑA JOSEFA.
Oui.

DON CARLOS.

Sans doute elle attend son jeune ?

DOÑA JOSEFA.

: : : : : :Oui. DON CARLOS.
: : : : : : : :Que je meure ! DOÑA JOSEFA.
Oui.

DON CARLOS.

Duègne, c’est ici qu’aura lieu l’entretien ?

DOÑA JOSEFA.

Oui.

DON CARLOS.

Cache-moi céans.

DOÑA JOSEFA.

: : :Vous ? DON CARLOS.
: : : : :Moi. DOÑA JOSEFA.
: : : : : :Pourquoi ? DON CARLOS.
: : : : : : : : :Pour rien.

DOÑA JOSEFA.

Moi, vous cacher ? DON CARLOS.
: : :Ici.

DOÑA JOSEFA.

: : : :Jamais.

DON CARLOS, tirant de sa ceinture un poignard et une bourse.

: : : : : : :Daignez, madame,

Choisir de cette bourse ou bien de cette lame. DOÑA JOSEFA, prenant la bourse.
Vous êtes donc le diable ? DON CARLOS.
: : :Oui, duègne.

DOÑA JOSEFA, ouvrant une armoire étroite dans le mur.

: : : : : :Entrez ici.

DON CARLOS, examinant l’armoire . Cette boîte !
DOÑA JOSEFA, refermant l’armoire .

:Va-t’en, si tu n’en veux pas.

DON CARLOS, rouvrant l’armoire .

: : : : : : : :Si.

L’examinant encore.

Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure

Le manche du balai qui te sert de monture ?

Il s’y blottit avec peine.

Ouf !

DOÑA JOSEFA, joignant les mains avec scandale .

Un homme ici !

DON CARLOS, dans l’armoire restée ouverte .

: :C’est une femme, est-ce pas, Qu’attendait ta maîtresse ?
DOÑA JOSEFA.

: : :Ô ciel ! J’entends le pas

De doña Sol. Seigneur, fermez vite la porte. Elle pousse la porte de l’armoire qui se referme. DON CARLOS, de l’intérieur de l’armoire .
Si vous dites un mot, duègne, vous êtes morte. DOÑA JOSEFA, seule .
Qu’est cet homme ? Jésus mon dieu ! Si j’appelais ?… Qui ? Hors madame et moi, tout dort dans le palais. Bah ! L’autre va venir. La chose le regarde.
Il a sa bonne épée, et que le ciel nous garde De l’enfer !

Pesant la bourse.

Après tout, ce n’est pas un voleur.

Entre doña Sol, en blanc. Doña Josefa cache la

Bourse. SCENE 2
Les mêmes. Doña Sol, puis Hernani.

DOÑA SOL.

Josefa !

DOÑA JOSEFA.

Madame !

DOÑA SOL.

:Ah ! Je crains quelque malheur.

Bruit de pas à la petite porte.

Hernani devrait être ici. – Voici qu’il monte.

Ouvre avant qu’il ne frappe, et fais vite, et sois prompte.

Josefa ouvre la petite porte. Entre Hernani. Grand manteau, grand chapeau. Des- sous, un costume de montagnard d’Aragon, gris, avec une cuirasse de cuir, une épée, un poignard, et un cor à sa ceinture.

DOÑA SOL, courant à lui. Hernani !

HERNANI.

Doña Sol ! Ah ! C’est vous que je vois Enfin ! Et cette voix qui parle est votre voix ?
Pourquoi le sort mit-il mes jours si loin des vôtres ? J’ai tant besoin de vous pour oublier les autres !
DOÑA SOL, touchant ses vêtements .

Jésus ! Votre manteau ruisselle. Il pleut donc bien ? HERNANI.
Je ne sais. DOÑA SOL.
Vous devez avoir froid ?

HERNANI.

: : : : :Ce n’est rien. DOÑA SOL.
Ôtez donc ce manteau. HERNANI.
: : :Doña Sol, mon amie,

Dites-moi, quand la nuit vous êtes endormie, Calme, innocente et pure, et qu’un sommeil joyeux

Entr’ouvre votre bouche et du doigt clôt vos yeux, Un ange vous dit-il combien vous êtes douce
Au malheureux que tout abandonne et repousse ? DOÑA SOL.
Ami, vous avez bien tardé ! Mais dites-moi Si vous avez froid.
HERNANI.

:Moi ? Je brûle près de toi.

Ah ! Quand l’amour jaloux bouillonne dans nos têtes, Quand notre cœur se gonfle et s’emplit de tempêtes, Qu’importe ce que peut un nuage des airs
Nous jeter en passant de tempête et d’éclairs ? DOÑA SOL, lui défaisant son manteau.
Allons ! Donnez la cape et l’épée avec elle ! HERNANI, la main sur son épée .
Non. C’est mon autre amie, innocente et fidèle ! Doña Sol, le vieux duc, votre futur époux,
Votre oncle est donc absent ? DOÑA SOL.

: : : :Oui, cette heure est à nous. HERNANI.
Cette heure ! Et voilà tout. Pour nous, plus rien qu’une heure, Après, qu’importe ? Il faut qu’on oublie ou qu’on meure.
Ange ! Une heure avec vous ! Une heure, en vérité, A qui voudrait la vie, et puis l’éternité !
DOÑA SOL.

Hernani.

HERNANI, amèrement .

Que je suis heureux que le duc sorte ! Comme un larron qui tremble et qui force une porte, Vite, j’entre, et vous vois, et dérobe au vieillard
Une heure de vos chants et de votre regard,

Et je suis bien heureux, et sans doute on m’envie De lui voler une heure ; et lui me prend ma vie ! DOÑA SOL.
Calmez-vous.

Remettant le manteau à la duègne.

Josefa, fais sécher son manteau.

Josefa sort. Elle s’assied et fait signe à Hernani de venir près d’elle.

Venez là.

HERNANI, sans l’entendre .

Donc le duc est absent du château ?

DOÑA SOL, souriant . Comme vous êtes grand ! HERNANI.
: : :Il est absent. DOÑA SOL.
: : : : : :Chère âme,

Ne pensons plus au duc. HERNANI.
: : :Ah ! Pensons-y, madame !

Ce vieillard ! Il vous aime, il va vous épouser ! Quoi donc ! Vous prit-il pas l’autre jour un baiser ? N’y plus penser !
DOÑA SOL, riant .

:C’est là ce qui vous désespère !

Un baiser d’oncle ! Au front ! Presque un baiser de père !

HERNANI.

Non ; un baiser d’amant, de mari, de jaloux. Ah ! Vous serez à lui ! Madame. Y pensez-vous ? Ô l’insensé vieillard, qui, la tête inclinée,
Pour achever sa route et finir sa journée,

A besoin d’une femme, et va, spectre glacé, Prendre une jeune fille ! ô vieillard insensé ! Pendant que d’une main il s’attache à la vôtre, Ne voit-il pas la mort qui l’épouse de l’autre ? Il vient dans nos amours se jeter sans frayeur ! Vieillard, va-t’en donner mesure au fossoyeur ! Qui fait ce mariage ? On vous force, j’espère !
DOÑA SOL.

Le roi, dit-on, le veut. HERNANI.
: :Le roi ! Le roi ! Mon père

Est mort sur l’échafaud, condamné par le sien. Or, quoiqu’on ait vieilli depuis ce fait ancien,
Pour l’ombre du feu roi, pour son fils, pour sa veuve,

Pour tous les siens, ma haine est encor toute neuve ! Lui, mort, ne compte plus. Et tout enfant, je fis
Le serment de venger mon père sur son fils.

Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles ! Car la haine est vivace entre nos deux familles. Les pères ont lutté sans pitié, sans remords,
Trente ans ! Or c’est en vain que les pères sont morts, La haine vit. Pour eux la paix n’est point venue,
Car les fils sont debout, et le duel continue.

Ah ! C’est donc toi qui veux cet exécrable hymen !

Tant mieux. Je te cherchais, tu viens dans mon chemin ! DOÑA SOL.
Vous m’effrayez. HERNANI.
:Chargé d’un mandat d’anathème,

Il faut que j’en arrive à m’effrayer moi-même ! écoutez. L’homme auquel, jeune, on vous destina, Ruy De Silva, votre oncle, est duc de Pastrana, Riche-homme d’Aragon, comte et grand de Castille.

Ô défaut de jeunesse, il peut, ô jeune fille, Vous apporter tant d’or, de bijoux, de joyaux, Que votre front reluise entre des fronts royaux ;
Et pour le rang, l’orgueil, la gloire et la richesse, Mainte reine peut-être enviera sa duchesse !
Voilà donc ce qu’il est. Moi, je suis pauvre, et n’eus Tout enfant, que les bois où je fuyais pieds nus.
Peut-être aurais-je aussi quelque blason illustre Qu’une rouille de sang à cette heure délustre ; Peut-être ai-je des droits, dans l’ombre ensevelis,
Qu’un drap d’échafaud noir cache encor sous ses plis, Et qui, si mon attente un jour n’est pas trompée, Pourront de ce fourreau sortir avec l’épée.
En attendant, je n’ai reçu du ciel jaloux

Que l’air, le jour et l’eau, la dot qu’il donne à tous. Or du duc ou de moi souffrez qu’on vous délivre, Il faut choisir des deux, l’épouser, ou me suivre.
DOÑA SOL.

Je vous suivrai.

HERNANI.

:Parmi mes rudes compagnons ?

Proscrits dont le bourreau sait d’avance les noms, Gens dont jamais le fer ni le cœur ne s’émousse, Ayant tous quelque sang à venger qui les pousse ? Vous viendrez commander ma bande, comme on dit ? Car, vous ne savez pas, moi, je suis un bandit !
Quand tout me poursuivait dans toutes les Espagnes : Seule, dans ses forêts, dans ses hautes montagnes, Dans ses rocs où l’on n’est que de l’aigle aperçu,
La vieille Catalogne en mère m’a reçu.

Parmi ses montagnards, libres, pauvres et graves, Je grandis, et demain, trois mille de ses braves,
Si ma voix dans leurs monts fait résonner ce cor, Viendront… vous frissonnez, réfléchissez encor.
Me suivre dans les bois, dans les monts, sur les grèves, Chez des hommes pareils aux démons de vos rêves ; Soupçonner tout, les yeux, les voix, les pas, le bruit, Dormir sur l’herbe, boire au torrent, et la nuit

Entendre, en allaitant quelque enfant qui s’éveille, Les balles des mousquets siffler à votre oreille.
Etre errante avec moi, proscrite, et, s’il le faut, Me suivre où je suivrai mon père, – à l’échafaud. DOÑA SOL.
Je vous suivrai. HERNANI.
:Le duc est riche, grand, prospère.

Le duc n’a pas de tache au vieux nom de son père. Le duc peut tout. Le duc vous offre avec sa main Trésors, titres, bonheur…
DOÑA SOL.

: : :Nous partirons demain.

Hernani, n’allez pas sur mon audace étrange

Me blâmer. êtes-vous mon démon ou mon ange ? Je ne sais, mais je suis votre esclave. écoutez, Allez où vous voudrez, j’irai. Restez, partez,
Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je l’ignore. J’ai besoin de vous voir, et de vous voir encore,

Et de vous voir toujours. Quand le bruit de vos pas S’efface, alors je crois que mon cœur ne bat pas ; Vous me manquez, je suis absente de moi-même ; Mais dès qu’enfin ce pas que j’attends et que j’aime Vient frapper mon oreille, alors il me souvient
Que je vis, et je sens mon âme qui revient ! HERNANI, la serrant dans ses bras .
Ange ! DOÑA SOL.
A minuit. Demain. Amenez votre escorte.

Sous ma fenêtre. Allez, je serai brave et forte. Vous frapperez trois coups.
HERNANI.

: : : :Savez-vous qui je suis, Maintenant ?

DOÑA SOL.

Monseigneur, qu’importe ! Je vous suis.

HERNANI.

Non, puisque vous voulez me suivre, faible femme,

Il faut que vous sachiez quel nom, quel rang, quelle âme, Quel destin est caché dans le pâtre Hernani.
Vous vouliez d’un brigand, voulez-vous d’un banni ? DON CARLOS, ouvrant avec fracas la porte de l’armoire . Quand aurez-vous fini de conter votre histoire ?
Croyez-vous donc qu’on soit si bien dans une armoire ?

Hernani recule étonné. Doña Sol pousse un cri et se réfugie dans ses bras, en fixant sur don Carlos des yeux effarés.

HERNANI, la main sur la garde de son épée . Quel est cet homme ?
DOÑA SOL.

: :Ô ciel ! Au secours ! HERNANI.
: : : : : :Taisez-vous,

Doña Sol ! Vous donnez l’éveil aux yeux jaloux.

Quand je suis près de vous, veuillez, quoi qu’il advienne, Ne réclamer jamais d’autre aide que la mienne.
A don Carlos.

Que faisiez-vous là ?

DON CARLOS.

: :Moi ? Mais, à ce qu’il paraît,

Je ne chevauchais pas à travers la forêt. HERNANI.
Qui raille après l’affront s’expose à faire rire Aussi son héritier !
DON CARLOS.

:Chacun son tour, messire !

Parlons franc. Vous aimez madame et ses yeux noirs, Vous y venez mirer les vôtres tous les soirs,
C’est fort bien. J’aime aussi madame, et veux connaître Qui j’ai vu tant de fois entrer par la fenêtre,
Tandis que je restais à la porte. HERNANI.
: : : :En honneur,

Je vous ferai sortir par où j’entre, seigneur. DON CARLOS.
Nous verrons. J’offre donc mon amour à madame. Partageons, voulez-vous ? J’ai vu dans sa belle âme

Tant d’amour, de bonté, de tendres sentiments, Que madame, à coup sûr, en a pour deux amants. Or, ce soir, voulant mettre à fin mon entreprise, Pris, je pense, pour vous, j’entre ici par surprise ; Je me cache, j’écoute, à ne vous celer rien ;
Mais j’entendais très mal et j’étouffais très bien ; Et puis je chiffonnais ma veste à la française.
Ma foi, je sors ! HERNANI.
Ma dague aussi n’est pas à l’aise,

Et veut sortir.

DON CARLOS, le saluant .

Monsieur, c’est comme il vous plaira.

HERNANI, tirant son épée . En garde !
Don Carlos tire son épée.

DOÑA SOL, se jetant entre eux .

Hernani ! Ciel !

DON CARLOS.

: : :Calmez-vous, señora. HERNANI.
Dites-moi votre nom. DON CARLOS.
: :Hé ! Dites-moi le vôtre ! HERNANI.
Je le garde, secret et fatal, pour un autre

Qui doit un jour sentir, sous mon genou vainqueur, Mon nom à son oreille, et ma dague à son cœur !
DON CARLOS.

Alors, quel est le nom de l’autre ? HERNANI.
: : : :Que t’importe ?

En garde ! Défends-toi !

Ils croisent leurs épées. Doña Sol tombe tremblante sur un fauteuil. On entend des coups à la porte.

DOÑA SOL, se levant avec effroi .

: :Ciel ! On frappe à la porte !

Les champions s’arrêtent, entre Josefa par la petite porte et tout effarée.

HERNANI, à Josefa . Qui frappe ainsi ?
DOÑA JOSEFA, à doña Sol .

:Madame ! Un coup inattendu ! C’est le duc qui revient !
DOÑA SOL.

: :Le duc ! Tout est perdu ! Malheureuse !
DOÑA JOSEFA, jetant les yeux autour d’elle .

Mon dieu ! L’inconnu ! Des épées !

On se battait. Voilà de belles équipées !

Les deux combattants remettent leurs épées dans le fourreau, don Carlos s’enve- loppe de son manteau et rabat son chapeau sur ses yeux. On frappe de nouveau.

HERNANI.

Que faire ?

On frappe.

UNE VOIX, en dehors .

Doña Sol, ouvrez-moi !

Doña Josefa fait un pas vers la porte, Hernani l’arrête.

HERNANI.

: : :N’ouvrez pas.

DOÑA JOSEFA, tirant son chapelet .

Saint Jacques monseigneur ! Tirez-nous de ce pas !

On frappe de nouveau.

HERNANI, montrant l’armoire à don Carlos . Cachons-nous.
DON CARLOS.

Dans l’armoire ?

HERNANI.

: : : :Entrez-y, je m’en charge. Nous y tiendrons tous deux. DON CARLOS.
: : : : :Grand merci, c’est trop large. HERNANI, montrant la petite porte . Fuyons par là.
DON CARLOS.

Bonsoir. Pour moi, je reste ici.

HERNANI.

Ah ! Tête et sang ! Monsieur, vous me paierez ceci !

A doña Sol.

Si je barricadais l’entrée ? DON CARLOS, à Josefa .
: :Ouvrez la porte. HERNANI.
Que dit-il ?

DON CARLOS, à Josefa interdite .

Ouvrez donc, vous dis-je !

On frappe toujours. Doña Josefa va ouvrir en tremblant.

DOÑA SOL.

Je suis morte ! SCENE 3
Les mêmes. Don Ruy Gomez De Silva. Valets avec des flambeaux.

DON RUY GOMEZ, barbe et cheveux blancs ; en noir, la toison d’or au cou . Des hommes chez ma nièce à cette heure de nuit !
Venez tous ! Cela vaut la lumière et le bruit.

A doña Sol.

Par saint Jean d’Avila, je crois que, sur mon âme,

Nous sommes trois chez vous ! C’est trop de deux, madame.

Aux deux jeunes gens.

Mes jeunes cavaliers, que faites-vous céans ? Quand nous avions le Cid et Bernard, ces géants De l’Espagne et du monde allaient par les Castilles Honorant les vieillards et protégeant les filles.
C’étaient des hommes forts et qui trouvaient moins lourds Leur fer et leur acier, que vous votre velours.
Ces hommes-là portaient respect aux barbes grises, Faisaient agenouiller leur amour aux églises
Qu’ils avaient à garder l’honneur de leur maison. S’ils voulaient une femme, ils la prenaient sans tache, En plein jour, devant tous, et l’épée, ou la hache,
Ou la lance à la main. – Et quant à ces félons Qui le soir, et les yeux tournés vers leurs talons, Ne fiant qu’à la nuit leurs manœuvres infâmes,
Par derriere aux maris vol l’honneur des femmes, J’affirme que le Cid, cet aïeul de nous tous,
Les eût tenus pour vils et fait mettre à genoux,

Et qu’il eût, dégradant leur noblesse usurpée, Souffleté leur blason du plat de son épée !…
Voilà ce que feraient, j’y songe avec ennui,

Les hommes d’autrefois aux hommes d’aujourd’hui. Qu’êtes-vous venus faire ici ? C’est donc à dire
Que je ne suis qu’un vieux dont les jeunes vont rire ! On va rire de moi, soldat de Zamora ?
Et quand je passerai, tête blanche, on rira ? Ce n’est pas vous du moins qui rirez !…
HERNANI.

: : : : : : :Duc…

DON RUY GOMEZ.

: : : : : : : : :Silence !

Quoi ! Vous avez l’épée, et la bague, et la lance, La chasse, les festins, les meutes, les faucons, Les chansons à chanter le soir sous les balcons, Les plumes au chapeau, les casaques de soie, Les bals, les carrousels, la jeunesse, la joie,
Enfants, l’ennui vous gagne ! à tout prix, au hasard,

Il vous faut un hochet : vous prenez un vieillard ! Ah ! Vous l’avez brisé, le hochet !
HERNANI.

: : : :Excellence ! DON RUY GOMEZ.
Qui donc ose parler, lorsque j’ai dit : silence ! HERNANI.
Seigneur duc… DON RUY GOMEZ.
:Cavaliers ! Suivez-moi ! Suivez-moi !

Messieurs, avons-nous fait cela pour rire ? Quoi ! Un trésor est chez moi ; c’est l’honneur d’une fille, D’une femme, l’honneur de toute une famille ; Cette fille, je l’aime, elle est ma nièce, et doit Bientôt changer sa bague à l’anneau de mon doigt ; Je la crois chaste et pure, et sacrée à tout homme,
Or il faut que je sorte une heure, et moi qu’on nomme Ruy Gomez De Silva, je ne puis l’essayer
Sans qu’un larron d’honneur se glisse à mon foyer !

Arrière, jeunes gens ! Ah ! Ce sont là vos fêtes !

Des bâtards rougiraient d’agir comme vous faites ! Non. C’est bien. Poursuivez. Ai-je autre chose encor ? Il arrache son collier.
Tenez, foulez aux pieds, foulez ma toison d’or !

Il jette son chapeau.

Arrachez mes cheveux, faites-en chose vile !

Et vous pourrez demain vous vanter par la ville Que jamais débauchés, dans leurs jeux insolents,
N’ont sur plus noble front souillé cheveux plus blancs ! DOÑA SOL.
Monseigneur…

DON RUY GOMEZ, à ses valets .

:Écuyers ! écuyers ! à mon aide !

Ma hache, mon poignard, ma dague de Tolède !

Aux deux jeunes gens.

Et suivez-moi tous deux ! DON CARLOS, faisant un pas .
: : :Duc, ce n’est pas d’abord

De cela qu’il s’agit. Il s’agit de la mort De Maximilien, empereur d’Allemagne.
Il jette son manteau, et découvre son visage caché par son chapeau.

DON RUY GOMEZ.

Raillez-vous ?… Dieu ! Le roi ! DOÑA SOL.
: : : : :Le roi !

HERNANI, dont les yeux s’allument .

: : : : : : :Le roi d’Espagne ! DON CARLOS, gravement .
Oui, Carlos. Seigneur duc, es-tu donc insensé ? Mon aïeul l’empereur est mort, je ne le sai
Que de ce soir. Je viens, tout en hâte, et moi-même, Dire la chose à toi, féal sujet que j’aime,
Te demander conseil, incognito, la nuit,

Et l’affaire est bien simple, et voilà bien du bruit !

Don Ruy Gomez renvoie ses gens d’un signe. Il examine don Carlos, que doña Sol regarde avec crainte et surprise, et sur lequel Hernani, demeuré dans un coin, fixe des yeux étincelants.

DON RUY GOMEZ.

DON CARLOS.

Belle raison ! Tu viens avec toute une escorte ! Quand un secret d’état m’amène en ton palais, Duc, est-ce pour l’aller dire à tous tes valets ?
DON RUY GOMEZ.

Altesse, pardonnez, l’apparence… DON CARLOS.
: : : : :Bon père,

Je t’ai fait gouverneur du château de Figuère ; Mais qui dois-je à présent faire ton gouverneur ? DON RUY GOMEZ.
Pardonnez… DON CARLOS.
:Il suffit. N’en parlons plus, seigneur. Donc l’empereur est mort.
DON RUY GOMEZ.

: : :L’aïeul de votre altesse

Est mort ? Duc, tu m’en vois pénétré de tristesse.

DON CARLOS.

: :Un duc de Saxe est sur les rangs.

François Premier, de France, est un des concurrents. DON RUY GOMEZ.
Où vont se rassembler les électeurs d’empire ? DON CARLOS.
Ils ont choisi, je crois, Aix-La-Chapelle, ou Spire, Ou Francfort.
DON RUY GOMEZ.

:Notre roi, dont Dieu garde les jours, N’a-t-il pensé jamais à l’empire ?
DON CARLOS.

: : : : :Toujours. DON RUY GOMEZ.
C’est à vous qu’il revient. DON CARLOS.
: : :Je le sais.

DON RUY GOMEZ.

Fut archiduc d’Autriche, et l’empire, j’espère, Aura ceci présent, que c’était votre aïeul,
Celui qui vient de choir de la pourpre au linceul. DON CARLOS.
Et puis, on est bourgeois de Gand. DON RUY GOMEZ.
: : : : :Dans mon jeune âge

Je le vis, votre aïeul. Hélas ! Seul je surnage D’un siècle tout entier. Tout est mort à présent. C’était un empereur magnifique et puissant !
DON CARLOS.

Rome est pour moi.

DON RUY GOMEZ.

: :Vaillant, ferme, point tyrannique.

Cette tête allait bien au vieux corps germanique. DON CARLOS.
Ce roi François Premier, c’est un ambitieux !

Le vieil empereur mort, vite il fait les doux yeux

Ah ! La part est pourtant belle, et vaut qu’on s’y tienne ! L’empereur mon aïeul disait au roi Louis :
Si j’étais Dieu le père, et si j’avais deux fils, Je ferais l’aîné dieu, le second roi de France. Au duc.
Crois-tu que François puisse avoir quelque espérance ? DON RUY GOMEZ.
C’est un victorieux.

DON CARLOS.

: :Il faudrait tout changer.

La bulle d’or défend d’élire un étranger. DON RUY GOMEZ.
A ce compte, seigneur, vous êtes roi d’Espagne ? DON CARLOS.
Je suis bourgeois de Gand. DON RUY GOMEZ.
: : : :La dernière campagne

A fait monter bien haut le roi François premier.

L’aigle qui va peut-être éclore à mon cimier Peut aussi déployer ses ailes.
DON RUY GOMEZ.

: : : :Votre altesse Sait-elle le latin ? DON CARLOS.
:Mal.

DON RUY GOMEZ.

: : :Tant pis. La noblesse

D’Allemagne aime fort qu’on lui parle latin. DON CARLOS.
Ils se contenteront d’un espagnol hautain, Car il importe peu, croyez-en le roi Charles,
Quand la voix parle haut, quelle langue elle parle.

  • Je vais en Flandres. Il faut que ton roi, cher Silva, Te revienne empereur. Le roi de France va
    Tout remuer. Je veux le gagner de vitesse. Je partirai sous peu.

: : :Vous nous quittez, altesse,

Sans purger l’Aragon des rebelles maudits

Qui partout dans nos monts lèvent leurs fronts hardis. DON CARLOS.
J’ordonne au duc d’Arcos d’exterminer la bande. DON RUY GOMEZ.
Donnez-vous aussi l’ordre au chef qui la commande De se laisser faire ?
DON CARLOS.

: : :Hé ! Quel est ce chef ? Son nom ? DON RUY GOMEZ.
Je l’ignore. On le dit un rude compagnon. DON CARLOS.
Bah ! Je sais que pour l’heure il se cache en Galice, Et j’en aurai raison avec quelque milice.
DON RUY GOMEZ.

De faux avis alors le disaient près d’ici. DON CARLOS.

DON RUY GOMEZ, s’inclinant jusqu’à terre.

: : : : :Merci, Altesse !
Il appelle ses valets.

Faites tous honneur au roi mon hôte.

Les valets entrent avec des flambeaux. Le duc les range sur deux haies jusqu’à la porte du fond. Cependant doña Sol s’approche lentement d’Hernani. Le roi les épie tous deux.

DOÑA SOL, bas à Hernani .

Demain, sous ma fenêtre, à minuit, et sans faute. Vous frapperez des mains trois fois.
HERNANI, bas .

: : : : : :Demain.

DON CARLOS, à part.

: : : : : : : :Demain !

Haut à doña Sol vers laquelle il fait un pas avec Galanterie.

Souffrez que pour rentrer je vous offre la main.

Il lui donne la main et la reconduit à la porte. Elle sort.

HERNANI, la main dans sa poitrine sur la poignée de sa dague .

DON CARLOS, revenant, à part .

: :Notre homme a la mine attrapée.

Il prend Hernani à part.

Je vous ai fait l’honneur de toucher votre épée, Monsieur ; vous me seriez suspect pour cent raisons, Mais le roi don Carlos répugne aux trahisons.
Allez. Je daigne encor protéger votre fuite.

DON RUY GOMEZ, revenant et montrant Hernani . Qu’est-ce seigneur ?
DON CARLOS.

: :Il part. C’est quelqu’un de ma suite.

Ils sortent avec les valets et les flambeaux. Le duc précédant le roi une cire à la main.

SCENE 4

HERNANI, seul .

Oui, de ta suite, ô roi ! De ta suite ! – j’en suis. Nuit et jour, en effet, pas à pas, je te suis !
Un poignard à la main, l’oeil fixé sur ta trace,

Et puis, te voilà donc mon rival ! Un instant, Entre aimer et haïr je suis resté flottant,
Mon cœur pour elle et toi n’était point assez large, J’oubliais en l’aimant ta haine qui me charge ; Mais puisque tu le veux, puisque c’est toi qui viens Me faire souvenir, c’est bon, je me souviens !
Mon amour fait pencher la balance incertaine, Et tombe tout entier du côté de ma haine.
Oui, je suis de ta suite, et c’est toi qui l’as dit ! Va, jamais courtisan de ton lever maudit,
Jamais seigneur baisant ton ombre, ou majordome Ayant à te servir abjuré son cœur d’homme, Jamais chiens de palais dressés à suivre un roi,
Ne seront sur tes pas plus assidus que moi !

Ce qu’ils veulent de toi, tous ces grands de Castille, C’est quelque titre creux, quelque hochet qui brille, C’est quelque mouton d’or qu’on se va pendre au cou ; Moi, pour vouloir si peu je ne suis pas si fou !

C’est l’âme de ton corps, c’est le sang de tes veines, C’est tout ce qu’un poignard, furieux et vainqueur,
En y fouillant long-temps peut prendre au fond d’un cœur. Va devant, je te suis. Ma vengeance qui veille
Avec moi, toujours marche et me parle à l’oreille ! Va, marche, je suis là, je te pousse, et sans bruit Mon pas cherche ton pas, et le presse et le suit !
Le jour tu ne pourras, ô roi, tourner la tête, Sans me voir immobile et sombre dans ta fête ; La nuit tu ne pourras tourner les yeux, ô roi, Sans voir mes yeux ardents luire derrière toi !
Il sort par la petite porte.

ACTE 2
SCENE 1

Une cour ouverte. A gauche les grands murs de l’hôtel de Silva, avec une fe- nêtre à balcon ; au-dessous de la fenêtre, une petite porte ; à droite et au fond, des maisons et des rues. Il est nuit. On voit briller çà et là, aux façades des édifices, quelques fenêtres encore éclairées.

Carlos en tête. Ils sont enveloppés de longs manteaux dont leurs épées soulèvent le bord inférieur.

DON CARLOS, examinant le balcon.

Voilà bien le balcon, la porte… mon sang bout. Montrant la fenêtre qui n’est pas éclairée.
Pas de lumière encor… des lumières partout Où je n’en voudrais pas, hors à cette fenêtre Où j’en voudrais.
DON SANCHEZ.

Seigneur, reparlons de ce traître. Et vous l’avez laissé partir !…
DON CARLOS.

Comme tu dis. DON MATIAS.
Et peut-être c’était le major des bandits ! DON CARLOS.
Qu’il en soit le major ou bien le capitaine, Jamais roi couronné n’eut mine plus hautaine. DON SANCHEZ.

DON CARLOS, les yeux sur la fenêtre. Munoz…, Fernan…, un nom en i.
DON SANCHEZ.

Hernani, peut-être ? DON CARLOS.
Oui.

DON SANCHEZ.

C’est lui. DON MATIAS.
C’est Hernani ? Le chef !
DON SANCHEZ, au roi.

De ses propos vous reste-t-il mémoire ?

DON CARLOS, sans quitter la fenêtre des yeux.

Hé ! Je n’entendais rien dans leur maudite armoire ! DON SANCHEZ.
Mais pourquoi le lâcher lorsque vous le tenez ?

Don Carlos se détourne gravement et le regarde en face.

Comte de Monterey, vous me questionnez ! Les seigneurs reculent et se taisent.
Et d’ailleurs ce n’est point le souci qui m’arrête. J’en veux à sa maîtresse et non point à sa tête. Rien de plus.
DON RICARDO.

Pourquoi pas à toutes deux, seigneur ? DON CARLOS.
Comte, un digne conseil, et qui vous fait honneur ! Vous allez droit au but ! Vous avez la main prompte ! DON RICARDO, s’inclinant.
Sous quel titre plaît-il au roi que je sois comte ? DON SANCHEZ.
C’est méprise.

DON RICARDO, à Sanchez. Le roi m’a nommé comte. DON CARLOS.
Assez !

A Ricardo.

J’ai laissé tomber ce titre… Ramassez.
DON RICARDO, s’inclinant. Merci, seigneur.
DON SANCHEZ, à don Matias. Beau comte ! Un comte de surprise !
Don Carlos se promène au fond du théâtre, examinant avec impatience les fe- nêtres éclairées.

DON MATIAS, à don Sanchez, sur le devant du théâtre. Mais que fera le roi, la belle une fois prise ?
DON SANCHEZ, regardant Ricardo de travers. Il la fera comtesse, et puis dame d’honneur ; Puis, qu’il en ait un fils, il sera roi.

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