– Non. Je les aimerai beaucoup. Nous irons les
voir. Je le veux. Je vous reparlerai de ça. Moi
aussi je suis fille de petite gens… mais je les ai
perdus, moi, mes parents. Je n’ai plus personne
au monde… elle lui tendit la main et ajouta… que
vous.
Et il se sentit attendri, remué, conquis comme
il ne l’avait pas encore été par aucune femme.
– J’ai pensé à quelque chose, dit-elle, mais
c’est assez difficile à expliquer.
Il demanda :
– Quoi donc ?
– Eh bien ! voilà, mon cher, je suis comme
toutes les femmes, j’ai mes… mes faiblesses, mes
petitesses, j’aime ce qui brille, ce qui sonne.
J’aurais adoré porter un nom noble. Est-ce que
vous ne pourriez pas, à l’occasion de notre
mariage, vous… vous anoblir un peu ?
Elle avait rougi, à son tour ; comme si elle lui
eût proposé une indélicatesse.
Il répondit simplement :
– J’y ai bien souvent songé, mais cela ne me
paraît pas facile.
– Pourquoi donc ?
Il se mit à rire :
– Parce que j’ai peur de me rendre ridicule.
Elle haussa les épaules :
– Mais pas du tout, pas du tout. Tout le monde
le fait et personne n’en rit. Séparez votre nom en
deux : « Du Roy. » Ça va très bien.
Il répondit aussitôt, en homme qui connaît la
question :
– Non, ça ne va pas. C’est un procédé trop
simple, trop commun, trop connu. Moi j’avais
pensé à prendre le nom de mon pays, comme
pseudonyme littéraire d’abord, puis à l’ajouter
peu à peu au mien, puis même, plus tard, à
couper en deux mon nom comme vous me le
proposiez.
Elle demanda :
– Votre pays c’est Canteleu ?
– Oui.
Mais elle hésitait :
– Non. Je n’en aime pas la terminaison.Voyons, est-ce que nous ne pourrions pas
modifier un peu ce mot… Canteleu ?
Elle avait pris une plume sur la table et elle
griffonnait des noms en étudiant leur
physionomie. Soudain elle s’écria :
– Tenez, tenez, voici.
Et elle lui tendit un papier où il lut : Madame
Duroy de Cantel.
Il réfléchit quelques secondes, puis il déclara
avec gravité :
– Oui, c’est très bon.
Elle était enchantée et répétait :
– Duroy de Cantel, Duroy de Cantel, Mme
Duroy de Cantel. C’est excellent, excellent !
Elle ajouta, d’un air convaincu :
– Et vous verrez comme c’est facile à faire
accepter par tout le monde. Mais il faut saisir
l’occasion. Car il serait trop tard ensuite. Vous
allez, dès demain, signer vos chroniques D. de
Cantel, et vos échos tout simplement Duroy. Ça
se fait tous les jours dans la presse et personne ne
s’étonnera de vous voir prendre un nom de
guerre. Au moment de notre mariage, nous
pourrons encore modifier un peu cela en disant
aux amis que vous aviez renoncé à votre du par
modestie, étant donné votre position, ou même
sans rien dire du tout. Quel est le petit nom de
votre père ?
– Alexandre.
Elle murmura deux ou trois fois de suite :
« Alexandre, Alexandre », en écoutant la sonorité
des syllabes, puis elle écrivit sur une feuille toute
blanche :
Monsieur et Madame Alexandre du Roy de
Cantel ont l’honneur de vous faire part du
mariage de Monsieur Georges du Roy de Cantel,
leur fils, avec Madame Madeleine Forestier.
