Bel Ami

Le jeudi venu, il dit à Madeleine :
– Tu ne viens pas à cet assaut chez Rival ?
– Oh ! non. Cela ne m’amuse guère, moi ;
j’irai à la Chambre des députés.
Et il alla chercher Mme Walter, en landau
découvert, car il faisait un admirable temps.
Il eut une surprise en la voyant, tant il la
trouva belle et jeune.
Elle était en toilette claire dont le corsage un
peu fendu laissait deviner, sous une dentelle
blonde, le soulèvement gras des seins. Jamais elle
ne lui avait paru si fraîche. Il la jugea vraiment
désirable. Elle avait son air calme et comme il
faut, une certaine allure de maman tranquille qui
la faisait passer presque inaperçue aux yeux
galants des hommes. Elle ne parlait guère
d’ailleurs que pour dire des choses connues,
convenues et modérées, ses idées étant sages,
méthodiques, bien ordonnées, à l’abri de tous les
excès.
Sa fille Suzanne, tout en rose, semblait un
Watteau frais verni ; et sa sœur aînée paraissait

être l’institutrice chargée de tenir compagnie à ce
joli bibelot de fillette.
Devant la porte de Rival, une file de voitures
était rangée. Du Roy offrit son bras à Mme Walter,
et ils entrèrent.
L’assaut était donné au profit des orphelins du
sixième arrondissement de Paris, sous le
patronage de toutes les femmes des sénateurs et
députés qui avaient des relations avec La Vie
Française.
Mme Walter avait promis de venir avec ses
filles, en refusant le titre de dame patronnesse,
parce qu’elle n’aidait de son nom que les œuvres
entreprises par le clergé, non pas qu’elle fût très
dévote, mais son mariage avec un Israélite la
forçait, croyait-elle, à une certaine tenue
religieuse ; et la fête organisée par le journaliste
prenait une sorte de signification républicaine qui
pouvait sembler anticléricale.
On avait lu dans les journaux de toutes les
nuances, depuis trois semaines :

Notre éminent confrère Jacques Rival vient
d’avoir l’idée aussi ingénieuse que généreuse
d’organiser, au profit des orphelins du sixième
arrondissement de Paris, un grand assaut dans
sa jolie salle d’armes attenant à son appartement
de garçon.
Les invitations sont faites par Mmes Laloigne,
Remontel, Rissolin, femmes des sénateurs de ce
nom, et par Mmes Laroche-Mathieu, Percerol,
Firmin, femmes des députés bien connus. Une
simple quête aura lieu pendant l’entracte de
l’assaut, et le montant sera versé immédiatement
entre les mains du maire du sixième
arrondissement ou de son représentant.

C’était une réclame monstre que le journaliste
adroit avait imaginé à son profit.
Jacques Rival recevait les arrivants à l’entrée
de son logis où un buffet avait été installé, les
frais devant être prélevés sur la recette.
Puis il indiquait, d’un geste aimable, le petit
escalier par où on descendait dans la cave, où il

avait installé la salle d’armes et le tir ; et il disait :
« Au-dessous, mesdames, au-dessous. L’assaut a
lieu en des appartements souterrains. »
Il se précipita au-devant de la femme de son
directeur ; puis, serrant la main de Du Roy :
– Bonjour, Bel-Ami.
L’autre fut surpris :
– Qui vous a dit que…
Rival lui coupa la parole :
– Mme Walter, ici présente, qui trouve ce
surnom très gentil.
Mme Walter rougit :
– Oui, j’avoue que, si je vous connaissais
davantage, je ferais comme la petite Laurine, je
vous appellerais aussi Bel-Ami. Ça vous va très
bien.
Du Roy riait :
– Mais, je vous en prie, madame, faites-le.
Elle avait baissé les yeux :
– Non. Nous ne sommes pas assez liés.

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