Catherine Morland

XXI

D’un coup d’œil, Catherine vit que sa chambreétait très différente de celle qu’avait décrite si pathétiquementM. Tilney. Elle n’était pas vaste outre mesure ; les mursétaient tendus de papier ; un tapis recouvrait leplancher ; les fenêtres n’étaient pas en moins bon état nimoins claires que celles du salon : sans être du derniergenre, le mobilier était élégant et confortable : l’ensembleétait loin d’être triste. Instantanément rassurée, Catherinerésolut de ne pas s’attarder à un examen de détail : elle nevoulait pas mécontenter le général par un retard. Elle enleva sarobe prestement et se disposait à tirer de leur enveloppe sesobjets de toilette, quand soudain son regard tomba sur un coffrerelégué dans une profonde encoignure, près de la cheminée. Ellesoubresauta et, oubliant toute autre chose, dans un étonnementimmobile elle contempla le coffre, cependant que la traversaientces pensées :

– Voilà qui est étrange ! Je nem’attendais pas à cette découverte ! Ce coffre énorme !Que peut-il contenir ? Pourquoi l’avoir placé là ? On l’amis à l’écart, comme pour le cacher… Si je regardais… Coûte quecoûte, je saurai ce qu’il contient… et même tout de suite… en pleinjour. Le soir, ma lumière pourrait s’éteindre.

Elle s’approcha du coffre, l’examina de toutprès : ses parois de cèdre étaient curieusement incrustéesd’un bois plus sombre ; il avait un support bas de cèdresculpté ; la serrure était d’un argent terni par le temps, etles poignées d’argent étaient rompues, décelant peut-être quelqueétrange violence ; le centre du couvercle se marquait d’unmonogramme du même métal. Catherine se pencha, mais sans parvenir àle déchiffrer. De quelque côté qu’elle se mît, la seconde lettrepersistait à ne pas être un T. Et que ce fût une autre lettre, il yavait là de quoi susciter un étonnement peu ordinaire, cette maisonappartenant aux Tilney. S’il n’était pas originairement leur, parquel concours de circonstances ce coffre leur était-iléchu ?

Sa curiosité allait croissant. De ses mainstremblantes, Catherine dégagea le moraillon. Avec difficulté, carquelque chose semblait contrarier ses efforts, elle parvint àsoulever de deux ou trois pouces le couvercle. À ce moment, un coupà la porte la fit tressaillir ; elle retira la main et lecouvercle retomba lourdement. L’intruse était une femme de chambrequi, sur l’ordre de Mlle Tilney, venait offrir sesservices. Catherine la congédia, mais, rappelée à la réalité, et endépit de son anxieux désir de pénétrer un mystère, elle procéda àsa toilette sans autre délai. Elle n’allait pas vite, car sespensées et ses regards étaient encore fixés sur l’inquiétantobjet ; et, quoiqu’elle n’osât consacrer une minute à unenouvelle tentative, elle ne pouvait se désintéresser du coffre.Cependant, quand elle eût passé une des manches de sa robe, satoilette semblait si près d’être finie qu’elle crut pouvoir donnerun gage à sa curiosité. Oh, il ne s’agissait que d’une minute. Elleferait un effort si décisif que le couvercle, si une puissanceocculte ne le maintenait, céderait. Elle s’élança donc, et sonespoir ne fut pas déçu. Le couvercle se souleva et, à ses yeuxétonnés, parut, soigneusement pliée et seule dans l’immensité ducoffre, une courtepointe en coton blanc.

Elle la considérait, et l’étonnement rosissaitses joues, quand Mlle Tilney, qui craignait queCatherine se mît en retard, entra dans la chambre. À la honted’avoir donné asile à une absurde espérance s’ajoutait en Catherinela honte d’être surprise.

– C’est un curieux vieux coffre, n’est-cepas, dit Mlle Tilney comme Catherine se hâtait dele refermer et retournait à la glace. On ne sait depuis combien degénérations il est ici. Comment arriva-t-il dans cettechambre ? je l’ignore ; mais je ne l’ai pas faitdéplacer ; on pouvait y mettre des chapeaux et des bonnets. Lepis est qu’on ne l’ouvre pas facilement. Du moins, dans ce coin, iln’encombre pas.

Catherine, impuissante à proférer une syllabe,rougissait, agrafait sa robe et prenait de sages résolutions.Mlle Tilney exprima doucement sa crainte d’unretard. En une demi-minute elles descendirent l’escalier, et leurcrainte était assez fondée, car le général arpentait le salon, samontre à la main. Au moment où elles entraient, il agita lasonnette et ordonna :

– Que le dîner soit sur la tableimmédiatement !

Ce ton impérieux troubla Catherine. Ellerestait là, pâle et haletante, inquiète pour Éléonore et Henry, etpleine de détestation pour les vieux coffres. Le général, dès qu’ill’eut regardée, récupéra sa politesse et, en conséquence, se mit àgourmander sa fille : « Elle avait harcelé Catherine etl’avait mise hors d’haleine alors qu’il n’y avait nulle raison detant se hâter. » Catherine ne put se consoler de cetteréprimande inopportune que lorsque, tous bien installés à table, legénéral arbora un sourire débonnaire et qu’elle sentit s’aiguiserson appétit de voyageuse.

La salle à manger était une pièce plus grandeencore que le salon. Son luxe emphatique échappait à l’observationpeu exercée de Catherine, qui remarquait surtout sa vastitude et lenombre des serviteurs. Elle exprima son admiration de tantd’espace. Sur quoi, le général, l’air très gracieux, convint que lasalle n’était pas par trop petite : il avoua ensuite que, sipeu soucieux qu’il fût de ces choses, il considérait une grandesalle à manger comme indispensable. Du reste, il supposait qu’elleavait accoutumé de voir, chez les Allen, des pièces bien plusspacieuses encore…

– Point du tout, dit Catherine.

Et elle exposa que la salle à manger deM. Allen, était plus petite de moitié. De sa vie elle n’avaitvu une pièce aussi grande. La bonne humeur du général s’accentua.Voilà : comme il avait, lui, de telles pièces, ilpensait que le plus simple était qu’il s’en servît : mais, surson honneur, il croyait que les pièces plus petites de moitiédevaient être plus confortables. La maison de M. Allen, il enétait sûr, était à souhait.

La soirée s’écoula sans émotion nouvelle et,le général ayant été appelé au-dehors, avec plus de franche gaieté.C’est seulement en sa présence que Catherine ressentait de sonvoyage une légère fatigue. Mais, même alors, même dans les momentsde contrainte, elle éprouvait une sensation de plénitude, etpouvait penser à ses amis de Bath sans souhaiter être auprèsd’eux.

La nuit fut orageuse. Durant l’après-midi, levent avait soufflé par intervalles. À l’heure où se séparèrent lesTilney et Catherine, il ventait et pleuvait avec violence. Commeelle traversait le vestibule, elle entendit le bruit desbourrasques et devint attentive. Au lointain des bâtiments, uneporte claqua. Catherine, pour la première fois, sentit qu’elleétait dans une abbaye. Oui, c’étaient là les bruitscaractéristiques. Ils évoquèrent profusément à sa mémoire tellessituations terribles, telles scènes d’horreur dont tant d’édificesde cette sorte avaient été les témoins, et qui avaient eu destempêtes pareilles pour avant-courrières. Elle n’avait rien àcraindre, elle, des assassins de la douzième heure ou des galantsivres. Certainement ce que lui avait dit Henry était simple jeu.Dans une maison si habitée, quel danger pouvait-elle courir ?Comme dans sa propre chambre de Fullerton, elle entrerait dans sachambre de Northanger – qui, détail rassurant, était à deux portesde celle de Mlle Tilney. Ainsi, elle raffermissaitson âme et gravissait l’escalier.

Ce fut d’un cœur assez ferme qu’elle pénétradans sa chambre, où la flamme joyeuse d’un feu de bois lui fut unnouveau réconfort. Elle alla vers la cheminée.

– Comme c’est mieux de trouver un bon feuque d’attendre en grelottant, comme ont fait tant de jeunespersonnes, que toute la famille soit couchée et que la vieilleservante arrive, effrayante sous son fagot ! Si Northangern’eût pas été ce qu’il est, je ne sais si j’aurais pu répondre demon courage. Mais ici, il n’y a rien qui soit pour vousalarmer.

Elle eut un regard circulaire. Les rideaux desfenêtres semblaient remuer. Sans doute le vent pénétrait par lesinterstices des volets… Hardie et fredonnant un air, elle alla s’enassurer. Elle entrebâilla les rideaux, ne remarqua rien, mit lamain contre le volet intérieur et constata que le vent s’insinuait.Un coup d’œil au coffre, comme elle revenait sur ses pas, et ellese railla des craintes de son imagination désœuvrée, puis ellecommença, en une indifférence heureuse, à faire sa toilette denuit. Elle prendrait son temps, ne se presserait pas ; il luiimportait peu de rester debout la dernière de toute la maisonnée.Elle ne rechargerait pas le feu : elle n’avait pas besoin dela protection de la lumière, une fois couchée. Le feu mourutlentement. Catherine, qui avait mis près d’une heure à faire satoilette, songeait à se mettre au lit, quand, jetant un dernierregard par la chambre, elle aperçut un antique cabinet de boisnoir, qu’elle n’avait point encore remarqué quoiqu’il fût assez enévidence. Les paroles de Henry, sa description du cabinet d’ébènequi tout d’abord échapperait à son observation, lui revinrentaussitôt à la mémoire. Il y avait là une coïncidence remarquable.Elle prit sa lampe et examina le cabinet. À la vérité, il n’étaitpas ébène et or ; c’était un laque du Japon, fort beau et dontles arabesques, à la lueur de la lampe, luisaient comme de l’or,sur le noir du champ.

La clef était dans la serrure. Catherine eutle caprice d’explorer le meuble, non qu’elle espérât y fairequelque découverte, mais la présence, là, de ce cabinet était siétrange après ce que Henry avait dit ! D’ailleurs, le sommeilne la visiterait pas avant qu’elle sût à quoi s’en tenir. Ayantplacé la lampe précautionneusement sur une chaise, elle essaya, etsa main tremblait, de tourner la clef dans la serrure : laclef résista. Inquiète, point découragée, elle tenta de l’autresens : le pêne glissa. Elle était victorieuse… Mais, combienétrangement mystérieux ! la porte encore était close.

Le vent rauquait dans la cheminée ; lapluie s’abattait torrentielle sur les vitres ; les chosesparlaient avec concordance le langage de la terreur. Pourtant, seretirer dans son lit, sans avoir pénétré les arcanes du cabinet,Catherine ne le pouvait. Elle se remit à l’œuvre, tournantnerveusement la clef en tous sens : la porte soudain céda. Soncœur sauta d’allégresse. Elle ouvrit un battant, puis l’autre,qu’assuraient des verrous moins rebelles que la serrure. Apparut undouble rang de petits tiroirs, au-dessus et au-dessous desquelss’alignaient des tiroirs plus grands ; au centre, une petiteporte fermée à clef défendait, selon toutes probabilités, unecachette d’importance.

Catherine haletait, mais son courage nefaiblit pas. Rougissante et toute sa curiosité tendue, elle ouvritun tiroir. Il était vide. Avec moins de crainte et plusd’impatience, elle en ouvrit un second, un troisième, un quatrième,elle les ouvrit tous, tous vides. Instruite à l’art de dissimulerun trésor, elle ne négligea pas l’hypothèse du double fond :elle palpa scrupuleusement chaque tiroir, en vain. Seule, restaitinexplorée la partie centrale. Quoique Catherine, n’eût« jamais eu la pensée qu’on pût trouver n’importe quoi dansn’importe quel coin du cabinet et que son insuccès ne l’eût pas lemoins du monde désappointée, il eût été absurde de ne pas levisiter entièrement, la perquisition commencée ». La porte luirésista d’abord, comme lui avait résisté la porte extérieure, puis,comme elle, céda, et Catherine aperçut, tout au fond de l’autre, unrouleau de papier. Ses genoux tremblèrent, ses joues blêmirent.D’une main incertaine, elle captura le précieux manuscrit. (Elleavait, du premier coup, discerné des caractères d’écriture.) CommeHenry l’avait prédit, elle lirait le mémorial avant de tenter lesommeil.

La lumière faiblissait. Catherine alarmée seretourna. Une extinction soudaine n’était pas à craindre. La mèchebrûlerait encore quelques heures. Catherine, afin de n’éprouver àsa lecture d’autre difficulté que celle qui résulterait del’ancienneté du document, moucha la lampe. Elle fut tout ensemble,hélas, mouchée et éteinte, la lampe. Nulle lampe n’expira jamaissur un mode plus pathétique. D’horreur, Catherine resta d’abordstupide… Tout était fini : sur la mèche nul point enignition ; en Catherine, nul espoir. Plus rien dans lachambre, que l’obscurité impénétrable et immobile.

Un brusque ressaut du vent accrut l’horreur dela nuit. Catherine tremblait de la tête aux pieds. Pendantl’accalmie qui suivit, un bruit pareil à celui de pas quis’éloignent et le fracas, au loin, d’un ventail qu’on fermefrappèrent son oreille épouvantée. Une sueur froide perlait à sonfront ; le manuscrit lui échappa ; à tâtons elle sedirigea vers son lit et s’enfouit au plus profond des couvertures.Dormir était pour elle complètement hors de question, et la tempêteétait aussi tumultueuse que son âme. Catherine d’ordinaire n’avaitpas peur du vent ; mais, cette nuit, chacune de ses rafalesétait lourde de significations. Le manuscrit trouvé d’une façon simerveilleuse, si merveilleusement accomplies les prédictions dumatin, quelle explication naturelle donner de tout cela ? Cemanuscrit, que contenait-il ? à qui pouvait-il serapporter ? comment avait-il pu rester ignoré si longtemps, etcombien singulier qu’il lui fût réservé, à elle, de ledécouvrir ! Jusqu’à ce qu’elle se fût rendue maîtresse de sateneur, elle ne connaîtrait pas la quiétude. Aux premières lueursdu jour elle le déchiffrerait. Nombreuses étaient les heures, et silongues, qui devaient s’écouler encore. Elle frissonnait. Elle setournait, se retournait dans son lit. Elle enviait les dormeurspaisibles.

Tantôt ses courtines mêmes semblaients’agiter ; tantôt la serrure de la porte était secouée commepour une irruption. Des murmures sourds rampaient par la galerie,et plus d’une fois son sang se glaça à des lamentations lointaines.Les heures et les heures passaient. Catherine avait entendu clamertrois heures par toutes les horloges de la maison… Puis, un grandcalme. La tempête s’était-elle calmée ? Catherine s’était-elleendormie ?…

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