— Qui contenait une alliance.
— Oui. Nous l’avions achetée, Alexa et moi, pour la remettre à Roland qui devait arriver d’Écosse quelques instants avant la cérémonie et n’aurait pas le temps de passer chez le bijoutier, Alexa l’avait mise dans la poche de son manteau. Comment ont-ils fait sans elle ? Ils ont dû prendre un anneau de rideau…
— Je vois, dit George. Tout devient très simple, quand on sait. Vous permettez ?
Il s’était emparé de sa main gauche, la dégantait et poussa un grand soupir. Pas d’anneau…
— C’est parfait, il ne sera pas dit que cette bague n’aura servi à rien.
— Oh ! s’écria Élisabeth. Mais je ne vous connais pas !
— Vous me savez charmant, c’est l’essentiel. Et vous êtes lady Élisabeth Gaigh ?
— George ! Seriez-vous snob ?
— Terriblement. Mais je pense surtout à mon oncle… celui avec lequel je suis fâché ! Quand il saura que je vous épouse, qu’il y aura du sang bleu dans la famille, il me prendra aussitôt comme associé.
— Oh ! George, est-il vraiment très riche ?
— Élisabeth, seriez-vous intéressée ?
— Énormément. J’adore dépenser. Mais je songeais surtout à mon père qui a cinq filles nobles et belles comme le jour. Il rêve d’un gendre fortuné.
— Notre mariage semble devoir être de ceux qui sont conçus dans le ciel et qui trouvent leur accomplissement sur la terre, dit George. Habiterons-nous Rowland’s Castle ? On me fera certainement lord-maire si vous êtes ma femme. Élisabeth, ma chérie, je vais contrevenir aux règlements des chemins de fer, je vais vous embrasser !
(Traduction de Monique Thies)
Fleur de magnolia
(Magnolia blossom)
Sous l’horloge de Victoria Station, Vincent Easton attendait. De temps à autre, il levait les yeux vers l’horloge, mal à l’aise, en se disant : « Combien d’hommes avant moi ont-ils attendu ici une femme qui ne venait pas ? »
Brusquement, une vive angoisse lui étreignit le cœur.
Et si Théo ne venait pas ? Si elle avait changé d’avis ? Ce serait bien typique d’une femme ! Est-il sûr d’elle ? A-t-il jamais été sûr d’elle ? Au fond, sait-il la moindre chose à son sujet ? Ne l’a-t-elle pas toujours intrigué, depuis le début ? Il y a deux personnages en elle : la femme charmante et rieuse, épouse de Richard Darrell – et puis l’autre, silencieuse, pleine de mystère, qui s’est promenée à ses côtés dans les jardins de Haymer’s Close. Une fleur de magnolia. Voilà ce qu’elle évoque pour lui. Sans doute parce que c’est sous un magnolia qu’ils ont savouré leur premier baiser, aussi délicieux qu’incroyable. L’air fleurait le parfum sucré du magnolia et deux ou trois pétales s’étaient détachés, veloutés et odorants, pour se poser sur ce visage qui se tournait vers lui, aussi crémeux, aussi doux et silencieux qu’eux. Fleur de magnolia… exotisme, senteurs, mystère…
Cela remontait à quinze jours – ce n’était que la deuxième fois qu’il la rencontrait seul à seule. Et là, il attendait qu’elle le rejoigne pour toujours.
De nouveau, l’incrédulité le transperça. Elle ne va pas venir. Comment peut-il y avoir cru ? Elle devrait renoncer à tant de choses ! Il est inimaginable que la belle Mrs Darrell puisse faire cela sans éclat : on en ferait immanquablement des gorges chaudes et le scandale serait tel qu’ils ne parviendraient jamais à le faire oublier complètement. Il existe des moyens mieux indiqués, plus efficaces de faire ce genre de choses : un divorce discret, par exemple.
Mais ils n’avaient pas songé une seconde à tout cela. Lui, du moins, n’y avait pas songé. Et elle ? Il n’a jamais rien su de ses pensées. C’est d’une façon presque timorée qu’il lui avait demandé de partir avec lui – car que représentait-il, après tout ? Rien de spécial. Il n’était qu’un producteur d’oranges comme il y en a mille autres, au Transvaal. Quelle vie avait-il à lui offrir, en comparaison de l’existence brillante qu’elle menait à Londres ? Mais il la désirait tellement qu’il n’avait pas pu s’empêcher de lui poser la question.
Elle avait consenti très calmement, sans hésiter ni protester. Comme s’il lui avait demandé la chose la plus naturelle du monde.
— Demain ? avait-il ajouté, tout surpris, sans y croire.
Et elle avait promis, de cette voix douce et brisée qui ressemblait si peu au timbre haut et argentin dont elle usait pour les mondanités. La première fois qu’il l’avait vue, il l’avait comparée à un diamant – à un noyau de feu étincelant qui reflétait la lumière par mille facettes. Mais à l’instant du premier contact, du premier baiser, le diamant s’était miraculeusement transformé en une perle aux douceurs de nuage. Une perle pareille à une fleur de magnolia, d’un rose crémeux.
Elle avait promis. Et il attendait qu’elle tienne sa promesse.
De nouveau, un coup d’œil vers l’horloge. Si elle n’arrive pas bientôt, ils vont manquer leur train.
Et, de nouveau, un remous douloureux en lui. Elle ne viendra pas. C’est évident. Quelle folie de sa part que d’y avoir cru ! Qu’est-ce qu’une promesse ? En rentrant chez lui, il trouvera une lettre où elle lui expliquera sa décision et protestera en disant tout ce que disent les femmes pour faire excuser leur manque de courage.
La colère montait en lui – la colère, et l’amertume de la déception.
Tout à coup, il l’aperçut qui se dirigeait vers lui, un léger sourire aux lèvres. Elle marchait lentement, sans hâte ni nervosité, comme quelqu’un qui aurait toute l’éternité devant soi. Elle était vêtue de noir – une robe noire, souple et moulante, avec un petit chapeau noir qui encadrait la merveilleuse pâleur crémeuse de son visage.
Il lui étreignit la main en balbutiant stupidement :
— Tu es venue ! Tu es quand même venue !
— Bien sûr.
Que sa voix était calme ! Qu’elle était calme !
— Je pensais que tu ne viendrais pas, dit-il en lui lâchant ta main et en respirant fort.
Elle ouvrit les yeux – des yeux immenses, superbement beaux. Et il y lut de la surprise, un étonnement d’enfant.
— Pourquoi ?
Il ne répondit pas, Se tournant de l’autre côté, il héla un porteur qui passait. Ils n’avaient pas beaucoup de temps. Les minutes qui suivirent ne furent que bousculade et confusion. Enfin, ils se retrouvèrent dans leur compartiment réservé, et la grisaille du sud de Londres défilait à la fenêtre.
Théodora Darrell était assise en face de lui. Enfin elle était sienne ! Il comprenait à présent à quel point il avait été incrédule, jusqu’à la toute dernière minute. C’est qu’il n’osait pas y croire ! Ce côté magique, insaisissable qui la caractérisait l’effrayait. Il lui semblait impossible qu’elle lui appartînt jamais.
Maintenant, le suspense était terminé. Le pas décisif avait été franchi. Il la regarda. Elle était appuyée dans le coin, immobile. Sur ses lèvres flottait encore un souvenir de sourire. Ses yeux étaient baissés, ses longs cils noirs balayaient la courbe laiteuse de sa joue.
« Qu’a-t-elle en tête en ce moment ? se demanda-t-il. À quoi pense-t-elle ? À moi ? À son mari ? Et, au fait, que pense-t-elle de lui ? L’a-t-elle aimé, jadis ? N’a-t-elle jamais rien éprouvé pour lui ? Lui inspire-t-il de la haine, ou seulement de l’indifférence ? » Tout à coup, une pensée le traversa, plus douloureuse : « Je ne sais rien. Je ne saurai jamais rien. Je l’aime – et je ne sais rien d’elle. Ni ce qu’elle pense, ni ce qu’elle ressent. »
Son esprit se rabattit sur le mari de Théodora Darrell. Il connaissait des quantités de femmes mariées qui ne se montraient que trop heureuses de parler de leurs maris : ils ne les comprenaient pas, ne se souciaient guère de leur affectivité pourtant tellement plus raffinée… Il songea avec cynisme que c’était l’une des façons les plus courantes d’engager la conversation.
Mais Théo, elle, ne parlait jamais de son mari qu’en termes vagues. Easton ne savait de lui que ce que tout le monde en savait : qu’il était populaire, fort bel homme, direct, d’un contact agréable. Que tout le monde l’aimait. Et que sa femme paraissait s’entendre à merveille avec lui. « Cela ne prouve rien, songea Vincent. Théo est bien élevé, jamais elle ne laisserait deviner ses griefs en public. »
À lui non plus, elle n’avait jamais rien révélé. Depuis le soir de leur deuxième rencontre, ce soir où ils s’étaient promenés en silence dans le jardin, côte à côte – leurs épaules se frôlaient et il sentait l’imperceptible tressaillement qui la saisissait à son contact –, il n’y avait jamais eu d’explication. Leur situation n’avait pas été définie. Elle lui rendait ses baisers, muette et tremblante, dépouillée de cet éclat dur qui, avec sa beauté d’ivoire et de rose, avait contribué à la rendre célèbre. Pas une seule fois elle n’avait évoqué son mari. Au début, Vincent lui en avait été reconnaissant, heureux que lui soient épargnés les discours que prononcent les femmes pour se persuader elles-mêmes ainsi que leurs amants qu’elles ont raison de céder à leur amour.
Mais maintenant, cette tacite conspiration du silence commençait à l’inquiéter. Une fois de plus, la panique l’envahit : il ne savait rien de cette créature étrange qui liait de son plein gré sa destinée à la sienne. Il avait peur.
Mû par un besoin subit de se rassurer, il se pencha en avant et posa la main sur son genou vêtu de noir. De nouveau, il la sentit tressaillir légèrement. Il tendit le bras pour lui prendre la main, puis, se baissant, il posa au creux de sa paume un très long baiser. Il sentit les doigts fins presser les siens. Levant les yeux, il rencontra son regard et se rasséréna.
Il se redressa et s’appuya au dossier de la banquette. Il ne lui en fallait pas davantage pour l’instant. Ils étaient ensemble. Elle était à lui. Et c’est d’un ton léger, presque badin, qu’il lui dit :
— Comme tu es silencieuse !