La fin du monde

Chapitre 6LA CROYANCE À LA FIN DU MONDE À TRAVERS LES ÂGES

Je vis dans la nuée un clairon monstrueux.

Et ce clairon semblait, au seuil profond des cieux,

Calme, attendre le souffle immense de l’Archange.

Victor Hugo, la Trompette du Jugement.

 

C’est ici le lieu de faire une pause d’uninstant, au milieu des événements précipités qui nous envahissent,de comparer cette nouvelle attente de la fin du monde à toutescelles qui l’ont précédée, et de passer rapidement en revue lacurieuse histoire de l’idée de la fin du monde à travers les âges.D’ailleurs, sur le globe terrestre tout entier, dans tous les payset dans toutes les langues, il n’y avait plus d’autre sujet deconversation.

Les discours des Pères du concile de Rome sesuccédèrent, à la chapelle Sixtine, et conduisirent dans leurensemble à l’interprétation définitive résumée par lecardinal-archevêque de Paris, quant au dogme Credoresurrectionem carnis. La suite « et vitamaeternam » fut tacitement abandonnée aux découvertesfutures des astronomes et des psychologues. Ces discours avaient enquelque sorte fait l’histoire de la doctrine chrétienne de la findu monde à travers les siècles.

Cette histoire est curieuse, car ellereprésente en même temps l’histoire de la pensée humaine en face desa propre destinée définitive. Nous croyons intéressant del’exposer ici en un chapitre spécial. Nous quittons donc un instantnotre rôle de narrateur du vingt-cinquième siècle, pour revenir ànotre époque actuelle et résumer cette croyance des siècles quinous ont précédés.

Il y a eu des siècles de foi convaincue etprofonde, et, remarque digne d’attention, en dehors de la doctrinechrétienne, toutes les religions ont ouvert la même porte surl’inconnu à l’extrémité de l’avenue de la vie terrestre. C’est laporte de la Divina Commedia de Dante Aleghieri, quoiquetoutes n’aient pas imaginé, au delà de cette porte symbolique, leparadis, l’enfer et le purgatoire des chrétiens.

Zoroastre et le Zend-Avesta enseignaient quele monde devait périr par le feu. On trouve la même idée dansl’épître de saint Pierre. Il semblait que, les traditions de Noé etde Deucalion indiquant qu’une première destruction de l’humanitéavait été opérée par le déluge, la seconde devait l’être par unprocédé contraire.

Chez les Romains, Lucrèce, Cicéron, Virgile,Ovide tiennent le même langage et annoncent la destruction futurede la Terre par le feu.

Nous avons vu au chapitre précédent que, dansla pensée même de Jésus, la génération à laquelle il parlait nedevait pas mourir avant que la catastrophe annoncée fut accomplie.Saint Paul, le véritable fondateur du christianisme, présente cettecroyance en la résurrection et en la prochaine fin du monde commeun dogme fondamental de la nouvelle Église. Il y revient jusqu’àhuit et neuf fois dans sa première épître aux Corinthiens.

Malheureusement pour la prophétie, lesdisciples de Jésus, auxquels il avait assuré qu’ils ne mourraientpas avant son avènement, succombèrent les uns après les autres sousla loi commune. Saint Paul, qui n’avait pas connu personnellementJésus, mais qui était l’apôtre le plus militant de l’Églisenaissante, croyait vivre lui-même jusqu’à la grandeapparition[5]. Mais, naturellement, tous moururent, etla fin du monde annoncée, l’avènement définitif du Messie, n’arrivapas.

La croyance ne disparut pas pour cela. Ilfallut donc cesser de prendre à la lettre la prédiction du Maîtreet chercher à en interpréter l’esprit. Mais il n’y en eut pas moinslà un grand coup de porté à la croyance évangélique. Onensevelissait pieusement les morts, on les couchait avec vénérationdans le cercueil au lieu de les laisser se consumer par le feu, etl’on écrivait sur leurs tombes qu’ils dormaient là en attendant larésurrection. Jésus devait revenir « bientôt » juger« les vivants et les morts ». Le mot de reconnaissancedes chrétiens était Maranatha, « le Seigneur vavenir ».

Les apôtres Pierre et Paul moururent, selontoutes les probabilités, en l’an 64, dans l’horrible carnageordonné par Néron après l’incendie de Rome, allumé par ses ordreset dont il accusa les chrétiens pour savourer le plaisir denouveaux supplices. Saint Jean écrivit l’Apocalypse en l’an 69. Unbrouillard de sang couvre le règne de Néron : le martyreparaît le sort naturel de la vertu. L’Apocalypse semble écrite sousle coup de l’hallucination générale et représente l’antéchristNéron précédant l’avènement final du Christ. Des prodiges éclatentde toutes parts. Comètes, étoiles filantes, éclipses, pluies desang, monstres, tremblements de terre, famines, pestes, et,par-dessus tout, la guerre des Juifs, la fin de Jérusalem, jamaispeut-être tant d’horreurs, tant de cruautés, tant de folies, tantde catastrophes ne furent réunies en un si petit groupe d’années(64 à 69). La petite église de Jésus semblait entièrementdispersée. Il n’était plus possible de rester à Jérusalem. LaTerreur de 1793 et la Commune de 1871 n’ont rien été à côté deshorreurs de la guerre civile des Juifs. La famille de Jésus dutquitter la ville sainte et s’enfuir. Jacques, le frère de Jésus,avait été tué. De faux prophètes se manifestaient, complétant laprophétie. Le Vésuve préparait son effrayante éruption de l’an 79,et déjà, en l’an 63, Pompéi avait été renversée par un tremblementde terre.

Tous les signes de la fin du monde étaientdonc présents, et rien n’y manquait. L’Apocalypse l’annonce, Jésusva descendre sur un trône de nuages ; les martyrs vontressusciter les premiers. L’ange du jugement n’attend que l’ordrede Dieu.

Mais la tourmente se calme après l’orage,l’horrible guerre des Juifs est terminée, Néron tombe sous larévolution de Galba, Vespasien et Titus apportent la paix après laguerre (an 71), et… la fin du monde n’arrive pas.

Il fallut dès lors interpréter de nouveau laparole des Évangiles. L’avènement de Jésus fut retardé jusqu’à laruine du vieux monde romain, ce qui laissa un peu de marge auxcommentateurs. La catastrophe finale reste certaine, et même assezproche, in novissimo die, mais elle s’entoure de nuagesvagues qui font perdre toute précision à la lettre et même àl’esprit des prophéties. On l’attend toujours, néanmoins.

Saint Augustin consacre le XX°livre de sa Cité de Dieu (en l’an 426) à peindre le renouvellementdu monde, la résurrection, le jugement dernier et la Jérusalemnouvelle ; son XXIe livre est appliqué à ladescription du feu éternel de l’enfer. L’évêque de Carthage, devantle naufrage de Rome et de l’empire, croit assister au premier actedu drame. Mais le règne de Dieu devait durer mille ans et Satan nedevait arriver qu’après.

Saint. Grégoire, évêque de Tours (573), lepremier historien des Francs, commence son histoire en cestermes :

« Au moment de retracer les luttes desrois avec les nations ennemies, j’éprouve le désir d’exposer macroyance. L’effroi produit par l’attente prochaine de la fin dumonde me décide à recueillir dans les chroniques le nombre desannées déjà passées, afin que l’on sache clairement combien il s’enest écoulé depuis le commencement du monde. »

Le Sauveur était venu délivrer l’humanité.Qu’attendait-il pour la transporter au ciel ?

La tradition chrétienne se perpétuait,d’années en années, de siècles en siècles, malgré les démentis dela nature. Toute catastrophe : tremblement de terre, épidémie,famine, inondation, tout phénomène : éclipse, comète, orage,nuit subite, tempête, étaient regardés comme des signesavant-coureurs du cataclysme final. Les chrétiens tremblaient,feuilles agitées sous le souffle du vent, dans l’attenteperpétuelle du jugement, et les prédicateurs entretenaient avecsuccès cette crainte mystique de toutes les âmes timorées.

Les générations ayant passé et s’étantperpétuellement renouvelées, il fallut mieux définir le concept del’histoire universelle. Alors le terme de l’an 1000 se fixa dansl’esprit des commentateurs. Il y eut plusieurs sectes de« millénaires » croyant que Jésus-Christ régnerait sur laTerre avec ses saints pendant mille ans avant le jour du jugement.Saint Irénée, saint Papias, saint Sulpice Sévère partageaient cettecroyance. Plusieurs l’exagéraient en la revêtant de couleurssensuelles, annonçant une sorte de noce universelle des éluspendant cette ère de volupté. Saint Jérôme et saint Augustincontribuèrent beaucoup à discréditer ces théories, mais sans porteratteinte à la croyance au dogme de la résurrection. Lescommentaires de l’Apocalypse continuèrent de fleurir au milieu dessombres plantes du moyen âge, et l’opinion que l’an 1000 marqueraitla fin des choses et leur renouvellement se développa surtoutpendant le dixième siècle, La croyance à la fin prochaine du mondedevint, sinon universelle, du moins très générale. Plusieurschartes du temps commencent par ces mots Termino mundiappropinquante, « la fin du monde approchant ».Malgré quelques contradicteurs, il nous paraît difficile de ne paspartager l’opinion des historiens, notamment de Michelet, HenriMartin, Guizot et Duruy, sur la généralité de cette croyance dansla chrétienté. Sans doute, il ne semble pas que le moine françaisGerbert, alors pape sous le nom de Sylvestre II, ni que le roi deFrance Robert aient réglé leur vie sur cette croyance ; maiselle n’en avait pas moins pénétré au fond des consciences timorées,et le passage suivant de l’Apocalypse était le texte de bien dessermons :

« Au bout de mille ans, Satan sortira desa prison et séduira les peuples qui sont aux quatre angles de laterre… Le livre de la vie sera ouvert ; la mer rendra sesmorts, l’abîme infernal rendra ses morts ; chacun sera jugéselon ses œuvres par Celui qui est assis sur le trôneresplendissant… et il y aura un nouveau ciel et une terrenouvelle. »

Un ermite de la Thuringe, Bernard, avaitprécisément pris ces paroles énigmatiques de l’Apocalypse pourtexte de ses prédications ; vers l’an 960 il avaitpubliquement annoncé la fin du monde. Ce fut un des promoteurs lesplus actifs de la prophétie. Il fixa même le jour fatal à la dateoù l’Annonciation de la Vierge se rencontrerait avec le vendredisaint, ce qui eut lieu en 992.

Un moine de Corbie Druthmare, annonça denouveau la destruction du globe pour le 25 mars de l’an 1000.L’effroi fut si grand que le peuple, en bien des villes, allas’enfermer ce jour-là dans les églises, près des reliques dessaints, et y resta jusqu’à minuit, afin d’y attendre le signal dujugement dernier et de mourir au pied de la croix.

De cette époque datent un grand nombre dedonations. On léguait ses terres, ses biens aux monastères… qui lesacceptaient, tout en prêchant la fin prochaine des chosesd’ici-bas. Il nous reste précisément une chronique authentique fortcurieuse, écrite par un moine de l’an 1000, Raoul Glaber. On y litdès les premières pages : « Satan sera bientôt déchaîné,selon la prophétie de Jean, les mille ans étant accomplis. C’est deces années que nous allons parler. »

La fin du dixième siècle et le commencement duonzième marquent une époque vraiment étrange et sinistre. De l’an980 à l’an 1040, il semble que le spectre de la mort étende sesailes sur le monde. La famine et la peste règnent sur l’Europeentière.

Il y a d’abord le « mal desardents » qui brûle les membres et les détache du corps :la chair des malades semblait frappée par le feu, se détachait desos et tombait en pourriture. Ces malheureux couvraient les routesdes lieux de pèlerinage, venaient mourir près des églises, s’yentassaient, les emplissaient de puanteur, et restaient morts surles reliques des saints. Cette effroyable peste moissonna plus dequarante mille personnes en Aquitaine et désola tout le midi de laFrance.

La famine arriva et ravagea une partie de lachrétienté. Sur soixante-treize ans, de l’an 987 à 1060, il y eneut quarante-huit de famine et d’épidémies. La barbarie étaitrevenue. Les loups avaient quitté les bois et les hommes leurdisputaient leur vie. L’invasion des Hongrois, de 910 à 945, avaitrenouvelé les horreurs d’Attila. Puis on s’était tellement battu,de château à château, de province à province, on avait ététellement dévasté, que les champs n’étaient plus cultivés. Il plutpendant trois ans on ne put ni semer, ni récolter. La terre neproduisait plus. On l’abandonnait. « Le muid de blé, écrit RaoulGlaber, s’éleva à soixante sols d’or ; les riches maigrirentet pâlirent ; les pauvres rongèrent les racines desbois ; plusieurs se laissèrent aller à dévorer des chairshumaines. Sur les chemins, les forts saisissaient les faibles, lesdéchiraient, les rôtissaient et les mangeaient. Quelques-unsprésentaient à des enfants un œuf, un fruit, et les attiraient àl’écart pour les dévorer. Ce délire, cette rage alla au point quela bête était plus en sûreté que l’homme. Des enfants tuaient leursparents pour les manger, des mères dévoraient leurs enfants. Commesi c’eût été désormais une coutume établie de manger de la chairhumaine, il y en eut un qui osa en étaler à vendre dans le marchéde Tournus. Il ne nia point et fut brûlé. Un autre alla pendant lanuit déterrer cette même chair, la mangea et fut brûlé demême. »

C’est un contemporain, souvent un témoin, quiparle. Les peuples meurent de faim partout, mangent des reptiles,des bêtes immondes, de la chair humaine. Dans la forêt de Mâcon,près d’une église dédiée à saint Jean, perdue au fond des bois, unassassin avait construit une cabane où il égorgeait les passants etles pèlerins. Un jour, un voyageur et sa femme entrent dans lacabane pour s’y reposer. Ils aperçoivent des crânes humains, destêtes de morts jonchant le sol. Ils se lèvent pour fuir, maisl’hôte prétend les garder. Ils se défendent, se sauvent etracontent l’histoire en arrivant à Mâcon. On envoie des soldats àl’auberge sanglante ils y comptent quarante-huit têtes humaines.L’assassin est traîné à la ville, attaché à une poutre de grenieret brûlé vif. Raoul Glaber a vu l’endroit et les cendres dubûcher.

C’était la coutume de s’attaquer, de sebattre, de piller. Les fléaux du ciel eurent pourtant pour résultatd’apporter une lueur de raison. Les évêques s’assemblèrent. On leurpromit de ne pas se battre quatre jours par semaine, les jourssaints, du mercredi soir au samedi matin. C’est ce qu’on appela latrêve de Dieu.

La fin d’un monde si misérable fut à la foisl’espoir et l’effroi de celle épouvantable époque.

Cependant l’an 1000 passa comme les années quil’avaient précédé, et le monde continua d’exister. Les prophètess’étaient-ils encore trompés ? Mille ans de christianisme neconduisaient-ils pas plutôt à l’an 1033 ? On attendit. Onespéra. Mais précisément cette année-là, le 29 juin 1033, il y eutune grande éclipse de soleil. « L’astre de la lumière devintde couleur safran ; les hommes, en se regardant les uns lesautres, se voyaient pâles comme des morts ; tous les objetsprirent une teinte livide ; la stupeur s’abattit sur tous lescœurs, on s’attendit à quelque catastrophe générale… » La findu monde ne vint pas encore.

C’est à cette époque critique que l’on doit laconstruction de ces magnifiques cathédrales qui ont traversé lesâges et fait l’admiration des siècles. Des dons immenses avaientété prodigués au clergé, des donations et des successionscontinuèrent de l’enrichir. Il y eut comme une aurore nouvelle.« Après l’an 1000, écrit encore Raoul Glaber, les basiliquessacrées furent réédifiées de fond en comble dans presque toutl’univers, surtout dans l’Italie et dans les Gaules, quoique laplupart fussent encore assez solides pour ne point exiger deréparations. Mais les peuples chrétiens semblaient rivaliser entreeux de magnificence pour élever des églises plus élégantes les unesque les autres. On eût dit que le monde entier, d’un même accord,avait secoué les haillons de son antiquité pour revêtir la robeblanche. Les fidèles ne se contentèrent pas de reconstruire presquetoutes les églises épiscopales : ils embellirent aussi tousles monastères dédiés à différents saints, et jusqu’aux chapellesdes villages. »

La funèbre période de l’an 1000 avait rejointdans l’abîme du temps les siècles évanouis. Mais quellestribulations l’Église ne venait-elle pas de traverser ? Lespapes étaient le jouet tragique des empereurs saxons et des princesdu Latium, en rivalité armée [6]. Toute lachrétienté était dans un désordre inexprimable. La tourmentepassa ; mais le problème de la fin des temps n’était pasrésolu pour cela, et l’attente, pour être vague et incertaine, nedisparut pas, d’autant moins que la croyance au diable et auxprodiges devait encore rester pendant bien des siècles à la basemême des superstitions populaires. La scène suprême du jugementdernier fut sculptée aux portails de toutes les cathédrales, et nuln’entrait aux sanctuaires chrétiens sans passer sous la balance del’ange, à gauche duquel les diables et les damnés se tordaient end’étranges et fantastiques convulsions au moment d’être précipitésdans les flammes du feu éternel. Mais l’idée de la fin du monderayonnait loin au delà des églises.

Au douzième siècle, les astrologueseffrayèrent l’Europe en annonçant une conjonction de toutes lesplanètes, dans la constellation de la Balance. Elle eut lieu, eneffet, car le 15 septembre 1186 toutes les planètes se trouvèrentréunies entre 180 degrés et 190 degrés de longitude. Mais la fin dumonde n’arriva pas.

Le célèbre alchimiste Arnauld de Villeneuvel’annonça de nouveau pour l’an 1335. En 1406, sous Charles VI, uneéclipse de soleil, arrivée le 16 juin, produisit une paniquegénérale dont Juvénal des Ursins s’est fait l’historien :« C’était grande pitié, dit-il, de voir le peuple se retirerdans les églises, et croyait-on que le monde dût faillir. »Saint Vincent Ferrier écrivit en 1491 un traité intitulé : Dela fin du monde et de la science spirituelle : il donne àl’humanité chrétienne autant d’années à vivre qu’il y a de versetsdans le psautier : 2537.

Un astrologue allemand du nom de Stofflerannonça à son tour pour le 20 février 1524 un déluge universel parsuite de la conjonction des planètes. La panique fut générale. Lespropriétés situées dans les vallées, aux bords des fleuves, ouvoisines de la mer, furent vendues à vil prix à des gens moinscrédules. Un docteur de Toulouse, nommé Auriol, se fit construireune arche pour lui, sa famille et ses amis, et Bodin assure qu’ilne fut pas le seul. Il y eut peu de sceptiques. Le grand chancelierde Charles-Quint ayant consulté Pierre Martyr, celui-ci luirépondit que le mal ne serait pas aussi funeste qu’on le craignait,mais que, sans doute, ces conjonctions de planètes amèneraient degrands désordres. Le terme fatal arriva… et jamais on ne vit moisde février aussi sec ! Cela n’empêcha pas de nouveauxpronostics d’être annoncés pour l’année 1532 par l’astrologue del’électeur de Brandebourg, Jean Carion, puis pour l’an 1584 parl’astrologue Cyprien Léowiti. Il s’agissait encore ici d’uneconjonction de planètes et d’un déluge.

La frayeur populaire fut énorme, écrit uncontemporain ; Louis Guyon ; les églises ne pouvaient pascontenir ceux qui y cherchaient un refuge ; un grand nombrefaisaient leur testament sans réfléchir que c’était une choseinutile si tout le monde devait périr ; d’autres donnaientleurs biens aux ecclésiastiques, dans l’espoir que leurs prièresretarderaient le jour du jugement. »

En 1588, nouvelle prédiction astrologique,dans les termes apocalyptiques que voici :

Après mille cinq cent quatre-vingts ans àdater des couches de la Vierge, la huitième année qui viendra, seraune année étrange et pleine d’épouvante. Si dans cette terribleannée le globe ne tombe pas en poussière, si la terre et les mersne sont pas anéanties, tous les empires du monde seront bouleverséset l’affliction pèsera sur le genre humain.

On trouve dans les livres de cette époque,notamment dans la Chronique des Prodiges publiée en 1557 par ConradLycosthénes, une quantité vraiment fantastique de descriptions etde figures qui mettent bien en évidence toutes ces frayeurs dumoyen-âge. Nous en offrons ici quelques spécimens à noslecteurs : une comète, des soldats dans les nuages et uncombat dans le ciel, le tout décrit comme ayant été parfaitement vude tous les spectateurs.

La comète n’est pas trop exagérée ; mais,quant aux combattants célestes, il faut avouer que l’imagination ade bons yeux !

Le célèbre devin Nostradamus ne pouvaitmanquer de faire partie du groupe des prophètes astrologiques. Onlit dans ses Centuries le quatrain suivant, qui a été l’objet debien des commentaires :

Quand GeorgesDieu crucifiera,

Que Marc leressuscitera,

Et que SaintJean le portera,

La fin du mondearrivera.

Ce qui veut dire que, quand Pâques tombera le25 avril (fête de Saint-Marc), le vendredi saint sera le 23 (fêtede Saint-Georges) et la Fête-Dieu tombera le 24 juin (Saint-Jean).Ce quatrain ne manquait pas de malice, car du temps de Nostradamus– il est mort en 1566 – le calendrier n’était pas encore réformé(il ne l’a été qu’en 1582) et Pâques ne pouvait tomber le 25 avril.Au seizième siècle, le 25 avril correspondait au 15. Depuis laréforme grégorienne Pâques peut arriver le 25 avril : c’est sadate extrême, et c’est ce qui a eu lieu ou aura lieu en1666-1734-1886-1943-2038-2190, etc., sans que cette coïncidence aitla fin du monde pour résultat. Les conjonctions planétaires, leséclipses et les comètes semblaient se partager les sinistresprédictions. Parmi les comètes historiques les plus mémorables à cepoint de vue, signalons : celle de Guillaume le Conquérant,qui brilla en 1066 et que l’on voit représentée sur la tapisseriede la reine Mathilde, à Bayeux ; celle de l’an 1264, qui,dit-on, disparut le jour même de la mort du pape Urbain IV ;celle de l’an 1337, l’une des plus belles et des plus grandes quel’on ait vues et qui « présagea » la mort de Frédéric, roi deSicile ; celle de 1399, que Juvénal des Ursins qualifia« signe de grand mal à venir » ; celle de 1402, que l’onassocia à la mort de Jean Galéas Visconti, duc de Milan ;celle de 1456, qui jeta l’effroi dans toute la chrétienté, sous lepape Calixte III, pendant la guerre des Turcs, et qui est associéeà l’histoire de l’Angélus, et celle de 1472, qui précéda la mort dufrère de Louis XI. D’autres leur succédèrent, associées comme lesprécédentes aux catastrophes, aux guerres et surtout à la menace dela fin dernière. Celle de 1527 est représentée par Ambroise Paré etpar Simon Goulart comme formée de têtes coupées, de poignards et denuages sanglants. Celle de 1531 parut annoncer la mort de Louise deSavoie, mère de François Ier, et la princesse partageal’erreur commune sur ces astres de malheur : « Voilà,dit-elle, étant au lit, et la voyant par la fenêtre, voilà un signequi ne paraît pas pour une personne de basse qualité. Dieu le faitparaître pour nous avertir. Préparons-nous à la mort. » Troisjours après, elle était morte. Mais de toutes les comètes, celle de1556, la fameuse comète de Charles-Quint, est peut-être encore laplus mémorable. C’est elle que l’on avait identifiée à celle de1264 et dont on avait annoncé le retour pour les environs del’année 1848. Elle n’est pas revenue.

La comète de 1577, celle de 1607, celle de1652, celle de 1665 furent l’objet de dissertations interminables,dont la collection forme tout un rayon de bibliothèque. C’est àcette dernière qu’Alphonse VI, roi de Portugal, tira, dans sacolère, un coup de pistolet, en lui lançant les menaces les plusgrotesques. Sur l’ordre de Louis XIV, Pierre Petit publia uneinstruction contre les craintes chimériques – et politiques –inspirées par les comètes. Le grand roi tenait à rester, seul etsans rival, soleil unique, nec pluribus impar ! etn’admettait pas que l’on supposât que la gloire perpétuelle de laFrance pût être mise en péril, même par un phénomène céleste.

L’une des plus grandes comètes qui aientjamais frappé les regards des habitants de la Terre, c’estassurément la fameuse comète de 1680, qui fut l’objet des calculsde Newton. « Elle s’est élancée, dit Lemonnier, avec la plusgrande rapidité du fond des cieux, parut tomber perpendiculairementsur le Soleil, d’où on la vit remonter avec une vitesse pareille àcelle qu’on lui avait reconnue en tombant. On l’observa pendantquatre mois. Elle s’approcha fort de la Terre et c’est à sonapparition antérieure que Whiston attribua le déluge. » Bayleécrivit un traité pour mettre en évidence l’absurdité des anciennescroyances relatives aux signes célestes. Mme de Sévignéécrivait à son cousin le comte de Bussy-Rabutin : « Nousavons ici une comète qui est bien étendue ; c’est la plusbelle queue qu’il soit possible de voir. Tous les grandspersonnages sont alarmés et croient que le ciel, bien occupé deleur perte, leur donne des avertissements par cette comète. On ditque, le cardinal Mazarin étant désespéré des médecins, sescourtisans crurent qu’il fallait honorer son agonie d’un prodige,et lui dirent qu’il paraissait une grande comète qui leur faisaitpeur. Il eut la force de se moquer d’eux, et leur dit plaisammentque la comète lui faisait trop d’honneur. En vérité, on devrait endire autant que lui, et l’orgueil humain se fait aussi tropd’honneur de croire qu’il y ait de grandes affaires dans les astresquand on doit mourir. »

On le voit, les comètes perdaientinsensiblement leur prestige. Nous lisons toutefois dans un traitéde l’astronome Bernouilli cette remarque assez bizarre :« Si le corps de la comète n’est pas un signe visible de lacolère de Dieu, la queue pourrait bien en être un. »

La peur de la fin du monde fut encore associéeà l’apparition des comètes en 1773 ; une terreur paniqueenvahit l’Europe et même Paris. Voici ce que chacun peut lire dansles Mémoires secrets de Bachaumont :

6 mai 1773. – Dans la dernière assembléepublique de l’Académie des sciences, M. de Lalande devaitlire un mémoire beaucoup plus curieux que ceux qui ont étélus ; ce qu’il n’a pu faire par défaut de temps. Il roulaitsur les comètes qui peuvent, en s’approchant de la Terre, y causerdes révolutions, et surtout sur la plus prochaine, dont on attendle retour dans dix-huit ans. Mais, quoiqu’il ait dit qu’elle n’estpas du nombre de celles qui peuvent nuire à la Terre et qu’il aitd’ailleurs observé qu’on ne saurait fixer l’ordre de cesévénements, il en est résulté une inquiétude générale.

9 mai. – Le cabinet de M. de Lalandene désemplit pas de curieux qui vont l’interroger sur le mémoire enquestion, et sans doute il lui donnera une publicité nécessaire,afin de raffermir les têtes ébranlées par les fables qu’on adébitées à ce sujet. La fermentation a été telle que des dévotsignares sont allés solliciter M. l’archevêque de faire desprières de quarante heures pour détourner l’énorme déluge dont onétait menacé, et ce prélat était à la veille d’ordonner ces prièressi des académiciens ne lui eussent fait sentir le ridicule de cettedémarche.

14 mai. – Le mémoire deM. de Lalande paraît. Suivant lui, des soixante comètesconnues, huit pourraient, en approchant trop près de la Terre,occasionner une pression telle que la mer sortirait de son lit etcouvrirait une partie du globe.

La panique s’éteignit avec le temps. La peurdes comètes changea de nature. On cessa d’y voir des signes de lacolère de Dieu, mais on discuta scientifiquement les cas derencontre possibles et l’on craignit ces rencontres. À la fin dusiècle dernier, Laplace formulait son opinion sur ce point dans lestermes assez dramatiques que l’on a vus rapportés plus haut (ch.II).

En notre siècle, la prédiction de la fin dumonde a été plusieurs fois associée encore aux apparitionscométaires. La comète de Biéla, par, exemple, devait croiserl’orbite terrestre le 29 octobre 1832. Grande rumeur ! Denouveau, la fin des temps était proche. Le genre humain étaitmenacé. Qu’allait-on devenir ?…

On avait confondu l’orbite, c’est-à-dire laroute de la Terre, avec la Terre elle-même. Notre globe ne devaitpas du tout passer en ce point de son orbite en même temps que lacomète, mais plus d’un mois après, le 30 novembre, et la comètedevait toujours rester à plus de 20 millions de lieues de nous. Onen fut encore quitte pour la peur.

Il en fut de même en 1857. Quelque prophète demauvais augure avait annoncé pour le 13 juin de cette année leretour de la fameuse comète de Charles-Quint, à laquelle on avaitattribué une révolution de trois siècles. Plus d’une âme apeurée ycrut encore, et à Paris même les confessionnaux reçurent plus depénitents qu’à l’ordinaire.

Nouvelle prédiction en 1872, sous le nom d’unastronome qui n’y était pour rien (M. Plantamour, directeur del’Observatoire de Genève).

De même que les comètes, les grands phénomènescélestes ou terrestres, tels que les éclipses totales de soleil,les étoiles mystérieuses qui ont paru subitement au ciel, lespluies d’étoiles filantes, les éruptions volcaniques formidablesqui répandent autour d’eux l’obscurité d’une nuit profonde etsemblent devoir ensevelir le monde sous un déluge de cendres, lestremblements de terre qui renversent les cités et engloutissent leshabitations humaines dans les entrailles de la terre, tous cesévénements grandioses ou terribles ont été associés à la crainte dela fin immédiate et universelle des êtres et des choses.

Les annales des éclipses suffiraient seules àformer un volume, non moins pittoresque que l’histoire des comètes.Pour ne parler un instant que des modernes, l’une des dernièreséclipses totales de soleil dont la zone ait traversé la France,celle du 12 août 1654, avait été annoncée par les astronomes, etcette annonce avait été suivie d’une immense terreur. Pour l’un,elle présageait un grand bouleversement des États et la ruine deRome ; pour l’autre, il s’agissait d’un nouveau délugeuniversel ; pour un troisième, il n’en devait résulter rienmoins qu’un embrasement du globe ; enfin, pour les moinsexagérés, elle devait empester l’air. La croyance en ces effetstragiques était si générale que, sur l’ordre exprès des médecins,une multitude de gens épouvantés se renfermèrent dans des cavesbien closes, chauffées et parfumées, pour se mettre à l’abri del’influence pernicieuse. C’est ce qu’on peut lire notamment dansles Mondes de Fontenelle, 2e soirée. « N’eûmes-nous pas bellepeur, écrit-il, à cette éclipse qui, à la vérité, fut totale ?Une infinité de gens ne se tinrent-ils pas renfermés dans descaves ? Et les philosophes, qui écrivirent pour nous rassurer,n’écrivirent-ils pas en vain ou à peu près ? Ceux quis’étaient réfugiés dans les caves en sortirent-ils ? » Unautre auteur du même siècle, P. Petit, dont nous parlions tout àl’heure, raconte dans sa « Dissertation sur la nature descomètes », que la consternation augmenta de jour en jourjusqu’à la date fatale, et qu’un curé de campagne, ne pouvant plussuffire à confesser tous ses paroissiens qui se croyaient à leurdernière heure, se vit obligé de leur dire au prône de ne pas tantse presser, que l’éclipse était remise à quinzaine… Ces bravesparoissiens ne firent pas plus de difficultés pour croire à laremise de l’éclipse qu’ils n’en avaient fait pour croire à soninfluence.

Lors des dernières éclipses totales de soleilqui ont traversé la France, celles des 12 mai 1706, 22 mai 1724 et8 juillet 1842, et même lors des éclipses non totales, mais trèsfortes, des 9 octobre 1847, 28 juillet 1851, 15 mars 1858, 18juillet 1860 et 22 décembre 1870, il y eut encore en France desimpressions plus ou moins vives chez un certain nombre d’espritstimorés ; du moins nous savons de source certaine par desrelations concernant chacune de ces éclipses que les annoncesastronomiques de ces événements naturels ont encore étéinterprétées par une classe spéciale d’Européens comme pouvant êtreassociées à des signes de malédiction divine, et qu’à l’arrivée deces éclipses on vit dans plusieurs maisons d’éducation religieuseles élèves invités à se mettre en prière. Cette interprétationmystique tend à disparaître tout à fait chez les nationsinstruites, et sans doute la prochaine éclipse totale de soleil quipassera près de la France, sur l’Espagne, le 28 mai 1900,n’inspirera plus aucune crainte de ce coté-ci des Pyrénées ;mais peut-être ne pourrait-on émettre la même espérance pour sescontemplateurs espagnols.

Aujourd’hui encore, dans les pays noncivilisés, ces phénomènes excitent les mêmes terreurs qu’ilscausaient autrefois chez nous. C’est ce que les voyageurs ontconstaté, notamment en Afrique. Lors de l’éclipse du 18 juillet1860, on vit en Algérie les hommes et les femmes se mettre les unsà prier, les autres à s’enfuir vers leurs demeures. Pendantl’éclipse du 29 juillet 1878 qui fut totale aux États-Unis, unnègre, pris subitement d’un accès de terreur et convaincu del’arrivée de la fin du monde, égorgea subitement sa femme et sesenfants.

Il faut avouer, du reste, que de telsphénomènes sont bien faits pour frapper l’imagination. Le Soleil,le dieu du jour, l’astre aux rayons duquel notre vie est suspendue,perd sa lumière qui, avant de s’éteindre, devient d’une pâleureffrayante et lugubre. Le ciel transformé prend un ton blafard, lesanimaux sont désorientés, les chevaux refusent de marcher, lesbœufs au labour s’arrêtent comme des masses inertes, le chien seréfugie contre son maître, les poules rentrent précipitamment aupoulailler après y avoir réuni leurs poussins, les oiseaux cessentde chanter et l’on en a même vu tomber morts. Lors de l’éclipsetotale de soleil observée à Perpignan le 8 juillet 1842, Aragorapporte que vingt mille spectateurs formaient là un tableau bienexpressif. « Lorsque le Soleil réduit à un étroit filetcommença à ne plus jeter qu’une lumière très affaiblie, une sorted’inquiétude s’empara de tout le monde, chacun éprouvait le besoinde communiquer ses impressions. De là un mugissement sourd,semblable à celui d’une mer lointaine après la tempête. La rumeurdevenait de plus en plus forte, à mesure que le croissant solaires’amincissait. Le croissant disparut. Les ténèbres succédèrentsubitement à la clarté, et un silence absolu marqua cette phase del’éclipse, tout aussi nettement que l’avait fait le pendule denotre horloge astronomique. Le phénomène, dans sa magnificence,venait de triompher de la pétulance de la jeunesse, de la légèretéque certains hommes prennent pour un signe de supériorité, del’indifférence bruyante dont les soldats font ordinairementprofession. Un calme profond régna aussi dans l’air : lesoiseaux avaient cessé de chanter… Après une attente solennelled’environ deux minutes, des transports de joie, desapplaudissements frénétiques saluèrent avec le même accord, la mêmespontanéité, la réapparition des premiers rayons solaires. Aurecueillement mélancolique produit par des sentimentsindéfinissables, venait de succéder une satisfaction vive etfranche dont personne ne songeait à contenir, à modérer lesélans. »

Chacun sortait ému de l’un des plus grandiosesspectacles de la nature et en gardait l’impérissable souvenir.

Des paysans furent effrayés de l’obscurité,surtout parce qu’ils croyaient être devenus aveugles.

Un pauvre enfant gardait son troupeau.Ignorant, complètement l’événement qui se préparait, il vit avecinquiétude le soleil s’obscurcir par degrés, dans un ciel sansnuages. Lorsque la lumière disparut tout à coup, le pauvre enfant,au comble de la frayeur, se mit à pleurer et à appeler ausecours ! Ses larmes coulaient encore lorsque l’astre lançason premier rayon. Rassuré à cet aspect, l’enfant croisa les mainsen s’écriant : « O beou Souleou ! » (Ô beauSoleil !)

Le cri de cet enfant n’est-il pas celui del’humanité ?

On s’explique donc facilement que les éclipsesproduisent la plus vive impression et aient été associées à l’idéede la fin du monde tant que l’on n’a pas su qu’elles sont l’effettout naturel du mouvement de la Lune autour de la Terre et que lecalcul peut les prédire avec la précision la plus inattaquable. Ilen a été de même des grands phénomènes célestes, et notamment desapparitions subites d’étoiles inconnues, beaucoup plus raresd’ailleurs que les éclipses.

La plus célèbre de ces apparitions a, étécelle de 1572. Le 11 novembre de cette année-là, peu de mois aprèsle massacre de la Saint-Barthélemy, une étoile éclatante, depremière grandeur, apparut subitement dans la constellation deCassiopée. Stupéfaction générale, non seulement dans le public, quitous les soirs la voyait flamber au ciel, mais encore chez lessavants qui ne pouvaient s’expliquer cette apparition. Desastrologues s’avisèrent de trouver que cette énigme céleste étaitl’étoile des Mages, qui revenait annoncer le retour del’Homme-Dieu, le jugement dernier et la résurrection. De là, grandémoi parmi toutes les classes de la société… L’étoile diminuagraduellement d’éclat et finit par s’éteindre au bout de dix-huitmois – sans avoir amené aucune catastrophe autre que toutes cellesque la sottise humaine ajoute aux misères d’une planète assez malréussie.

L’histoire des sciences rapporte plusieursapparitions de ce genre, mais celle-ci a été la plus mémorable.

Des émotions du même ordre ont accompagné tousles grands phénomènes de la nature, surtout lorsqu’ils étaientimprévus. On peut lire dans les chroniques du moyen âge et, mêmedans les mémoires plus récents l’émoi que des aurores boréales, despluies d’étoiles filantes, des chutes de bolides ont produit surleurs spectateurs alarmés. Naguère encore, lors de la grande pluied’étoiles du 27 novembre 1872, qui jeta dans le ciel plus dequarante mille météores provenant de la dissolution de la comète deBiéla, on a vu, à Nice, notamment, aussi bien qu’à Rome, des femmesdu peuple se précipiter vers ceux qu’elles jugeaient en état de lesrenseigner pour s’enquérir de la cause de ce feu d’artificecéleste, qu’elles avaient immédiatement associé à l’idée de la findu monde et de la chute des étoiles annoncée comme devant précéderle dernier cataclysme.

Les tremblements de terre et les éruptionsvolcaniques atteignent parfois des proportions telles que l’effroide la fin du monde en est la conséquence toute naturelle. Que l’onse représente l’état d’esprit des habitants d’Herculanum et dePompéi lors de l’éruption du Vésuve qui vint les engloutir sous unepluie de cendres ! N’était-ce pas pour eux la fin dumonde ? Et, plus récemment, les témoins de l’éruption duKrakatoa qui purent y assister sans en être victimes n’eurent-ilspas absolument la même conviction ? Une nuit impénétrable, quidura dix-huit heures ; l’atmosphère transformée en un fourplein de cendres bouchant les yeux, le nez et les oreilles ;la canonnade sourde et incessante du volcan ; la chute despierres ponces tombant du ciel noir, la scène tragique n’étantéclairée par intermittences que par les éclairs blafards ou lesfeux follets allumés aux mâts et aux cordages du navire ; lafoudre se précipitant du ciel dans la mer avec une crépitationsatanique, puis la pluie de cendres se changeant en une pluie deboue, voilà ce que subirent pendant cette nuit de dix-huit heures,du 26 au 28 août 1883, les nombreux passagers d’un navire de Java,tandis qu’une partie de l’île de Krakatoa sautait en l’air, que lamer, après s’être reculée du rivage, arrivait sur les terres avecune hauteur de trente-cinq mètres jusqu’à une distance de un à dixkilomètres du rivage et sur une longueur de cinq cents kilomètres,et en se retirant emportait dans l’abîme quatre villes :Tjringin, Mérak, Telok-Hétong, Anjer, tout ce qui peuplait la côte,plus de quarante mille humains ! Les passagers d’un vaisseauqui croisa le détroit le lendemain virent avec effroi leur navireembarrassé dans sa marche par des grappes de cadavres entrelacés,et plusieurs semaines après on trouvait dans les poissons desdoigts avec leurs ongles, des morceaux de têtes avec leurschevelures. Ceux qui furent sauvés, ceux qui subirent lacatastrophe sur un navire et purent, le lendemain, revoir lalumière du jour qui semblait à jamais éteinte, ceux-là racontentavec terreur qu’ils attendaient avec résignation la fin du monde,convaincus d’un cataclysme universel et de l’effondrement de lacréation. Un témoin oculaire nous assurait que, pour tous les biensimaginables, il ne consentirait jamais à repasser par de tellesémotions. Le Soleil était éteint ; le deuil tombait sur lanature et la mort universelle allait régner en souveraine.

Cette éruption fantastique a d’ailleurs étéd’une telle violence qu’on l’a entendue à son antipode à travers laTerre entière ; que le jet volcanique a atteint vingt millemètres de hauteur ; que l’ondulation atmosphérique produitepar ce jet s’est étendue sur toute la surface du globe dont elle afait le tour en trente-cinq heures (à Paris même, les baromètresont baissé de quatre millimètres), et que pendant plus d’un an lesfines poussières lancées dans les hauteurs de l’atmosphère par laforce de l’explosion ont produit, éclairées par le soleil, lesmagnifiques illuminations crépusculaires que tout le monde aadmirées.

Ce sont là des cataclysmes formidables, desfins de monde partielles. Certains tremblements de terre méritentd’être comparés à ces terribles éruptions volcaniques par latragique grandeur de leurs conséquences. Lors du tremblement deterre de Lisbonne, le 18 novembre 1755, trente mille personnespérirent ; la secousse s’étendit sur une surface égale àquatre fois la superficie de l’Europe. Lors de la destruction deLima, le 28 octobre 1724, la mer s’éleva à 27 mètres au-dessus deson niveau, se précipita sur la ville et l’enleva si radicalementqu’il n’en resta plus une seule maison. On trouva des vaisseauxcouchés dans les champs, à plusieurs kilomètres du rivage. Le 10décembre 1869, les habitants de la ville d’Onlah, en Asie Mineure,effrayés par des bruits souterrains et par une première secoussetrès violente, s’étaient sauvés sur une colline voisine : ilsvirent de leurs yeux stupéfaits plusieurs crevasses s’ouvrir àtravers la ville, et la ville entière disparaître en quelquesminutes sous ce sol mouvant ! Nous tenons de témoins directsqu’en des circonstances beaucoup moins dramatiques, par exemple autremblement de terre de Nice, du 23 février 1887, l’idée de la findu monde est la première qui frappa l’esprit de ces personnes.

L’histoire du globe terrestre pourrait nousoffrir un nombre remarquable de drames du même ordre, decataclysmes partiels et de menaces de destruction finale. C’étaitici le lieu de nous arrêter un instant à ces grands phénomènescomme aux souvenirs de cette croyance à la fin du monde, qui atraversé tous les âges en se modifiant avec le progrès desconnaissances humaines. La foi a disparu en partie ; l’aspectmystique et légendaire qui frappait l’imagination de nos pères etdont on retrouve encore tant de curieuses représentations auxportails de nos belles cathédrales comme dans les sculptures et lespeintures inspirées par la tradition chrétienne, cet aspectthéologique du dernier jour de la Terre a fait place à l’étudescientifique de la durée du système solaire auquel notre patrieappartient. La conception géocentrique et anthropocentrique del’univers, qui considérait l’homme terrestre comme le centre et lebut de la création, s’est graduellement transformée et a fini pardisparaître ; car nous savons maintenant que notre humbleplanète n’est qu’une île dans l’infini, que l’histoire humaine aété jusqu’ici faite d’illusions pures, et que la dignité de l’hommeréside dans sa valeur intellectuelle et morale : la destinéede l’esprit humain n’a-t-elle pas pour but souverain laconnaissance exacte des choses, la recherche de laVérité ?

Dans le cours du dix-neuvième siècle, desprophètes de malheur, plus ou moins sincères, ont annoncévingt-cinq fois la fin du monde, d’après des calculs cabalistiquesne reposant sur aucun principe sérieux. De pareilles prédictions serenouvelleront aussi longtemps que l’humanité durera.

Mais cet intermède historique, malgré sonopportunité, nous a un instant détachés de notre récit duvingt-cinquième siècle. Hâtons-nous d’y revenir, car nous voiciprécisément arrivés au dénouement.

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