La fin du monde

Chapitre 3L’APOGÉE

Des ailes ! des ailes !

Des ailes au-dessus de la vie !

Des ailes par delà la mort !

RUCKERT.

Le Progrès est la loi suprême imposée à tousles êtres par le Créateur. Chaque être cherche le meilleur. Nous nesavons ni d’où venons, ni où nous allons. Les systèmes solairesemportent les mondes à travers les espaces infinis. Nous ne voyonsni l’origine, ni la fin, et le but reste inconnu. Mais, dans notresphère de perception si bornée, si limitée, si incomplète, malgréla mort des individus, des espèces et des mondes, nous constatonsque le Progrès régit la nature et que tout être créé évolueconstamment vers un degré supérieur. Chacun veut monter. Nul neveut descendre.

À travers les métamorphoses séculaires de laplanète, l’humanité avait continué de grandir dans le progrès, dansce progrès qui est la loi suprême, et depuis les origines de la viesur la Terre jusqu’au jour où les conditions d’habitabilité duglobe commencèrent à décroître, tous les êtres vivants s’étaientdéveloppés en beauté, en richesse d’organes et en perfections.L’arbre de la vie terrestre, inauguré au temps des protozoairesrudimentaires, acéphales, aveugles, sourds, muets, presqueentièrement dépourvus de sensibilité, s’était élevé dans lalumière, avait acquis successivement les merveilleux organes dessens, et avait abouti à l’homme qui, perfectionné lui-même desiècle en siècle, s’était lentement transformé, depuis le sauvageprimitif, esclave de la nature, jusqu’au souverain intellectuel quiavait dominé le monde et avait fait de la Terre un paradis debonheur, d’esthétique jouissance, de science et de volupté.

La sensibilité nerveuse de l’homme avaitacquis un développement prodigieux. Les six sens anciens, la vue,l’ouïe, l’odorat, le toucher, le goût, le sens génésique s’étaientgraduellement élevés au-dessus des grossières sensations primitivespour atteindre une délicatesse exquise. Par l’étude des propriétésélectriques des êtres vivants, un septième sens, le sensélectrique, s’était pour ainsi dire créé de toutes pièces, et touthomme, toute femme, avait la faculté plus ou moins active, plus oumoins vive, selon les tempéraments, d’exercer une attraction ou unerépulsion sur les corps, soit vivants, soit inertes. Mais le sensqui dominait tous les autres et qui jouait le plus grand rôle dansles relations humaines, c’était assurément le huitième, le senspsychique, qui faisait communiquer entre elles les âmes àdistance.

Deux autres sens avaient été entrevus, maisavaient subi un arrêt fatal de développement dès leur naissancepour ainsi dire. Le premier avait eu pour objet la visibilité desrayons ultra-violets, si sensibles aux procédés chimiques, maiscomplètement obscurs pour la rétine humaine : les yeux quis’étaient exercés dans ce sens n’avaient presque rien acquis commefacultés nouvelles, et avaient beaucoup perdu comme facultésanciennes. Le second avait eu pour but l’orientation, mais n’avaitpas réussi davantage, même par les recherches d’adaptation dumagnétisme terrestre.

On n’était pas parvenu non plus à fermer sesoreilles à d’ennuyeux discours, comme on ferme ses yeux à volonté,faculté qui existe en certains mondes plus privilégiés que lenôtre. Notre organisation imparfaite s’était fatalement opposée àplus d’un progrès désirable.

La découverte de la périodicité sexuelle del’œuf féminin avait amené pendant quelque temps une perturbationmenaçante dans la proportion des naissances, car on put craindrequ’il n’y eût plus que des garçons. L’équilibre ne se rétablit quepar une véritable transformation sociale. Insensiblement, enplusieurs contrées, les femmes du monde cessèrent à peu près d’êtremères, et les charges de la maternité, dont les élégances fémininesne s’accommodèrent plus, furent abandonnées aux filles du peuple etdes campagnes.

L’amour était devenu la loi suprême, portantson propre but en lui-même, laissant dans l’ombre et dans l’oublil’antique devoir de la perpétuité de l’espèce, enveloppant l’êtresensitif de caresses et de plaisirs. La beauté et le parfum desfleurs font parfois oublier les fruits. Depuis longtemps,d’ailleurs, c’était des rangs du peuple que sortaient lesgénérations solides ; car les couches aristocratiques énervéesn’avaient que de rares descendants chétifs et infirmes, et l’onavait vu dans les resplendissantes cités une nouvelle race defemmes ramener sur le monde le charme caressant et lascif desvoluptés orientales, raffinées encore par les progrès d’un luxeextravagant.

Les mœurs et les conventions sociales avaientsubi des transformations profondes. Les enfants étaient élevés auxfrais de l’État. Les héritages avaient été entièrement supprimés.Les liens du mariage légal avaient été rompus et aucune loi nepouvait plus enchaîner deux êtres l’un à l’autre. Les femmes,électrices et éligibles, qui avaient conquis une place importantedans la législation, avaient fait tous leurs efforts pour maintenirdans son intégrité l’antique et avantageuse institution dumariage ; mais elles n’avaient pu l’empêcher de tombergraduellement en désuétude, les unions inspirées par le sentimentd’amour, ardent et partagé, ayant remplacé toutes les anciennesassociations d’intérêts. Le libre choix des fiancés, la sélectionet l’hérédité produisirent une race d’hommes régénérés, comme sielle était sortie de la terre fécondée par un nouveau déluge, etqui, de nouveau, transforma la face du monde.

De nouvelles civilisations se succédèrent,flux et reflux de l’immense marée de l’histoire humaine. La matières’humilia peu à peu sous la domination ascendante de l’esprit.

Les travailleurs intellectuels, pour lesquelsles journées passent si vite, étaient parvenus à allonger de deuxheures, sans fatigue nouvelle, le temps qu’ils consacraient auxrecherches utiles à l’humanité, en prenant ces deux heures auxhommes sans valeur intellectuelle qui demandent à « tuer letemps ». D’un commun accord, les premiers s’étaient créé desjournées de vingt-six heures et, les seconds des journées devingt-deux, en ce sens que les premiers ne dormaient plus que sixheures au lieu de huit, tandis que les seconds dormaient dixheures, pendant lesquelles d’habiles praticiens leur soutiraient,en une imperceptible opération de quelques secondes, une certainedose de force virile qu’ils transfusaient dans les artères despremiers. C’est comme s’ils avaient tous dormi huit heures ;mais il y avait réellement deux heures de gagnées en faveur deshommes utiles.

Le huitième sens surtout, le sens psychique,jouait un grand rôle dans les relations humaines.

Le développement des facultés intellectuellesde l’homme, la culture des éludes psychiques avaient complètementtransfiguré notre race. On avait découvert dans l’âme despuissances latentes qui avaient sommeillé pendant la premièrepériode des instincts grossiers, pendant plus d’un milliond’années, et, à mesure que l’alimentation, de bestiale qu’elleétait restée pendant si longtemps, était devenue d’ordre chimique,les facultés de l’âme s’étaient élevées, avivées, agrandies dans unmagique essor. Dès lors on pensa tout autrement que l’humanité nepense actuellement. Les âmes communiquèrent facilement entre ellesà distance. Les vibrations éthérées qui résultent des mouvementscérébraux se transmettaient en vertu d’un magnétisme transcendantdont les enfants mêmes savaient se servir. Toute pensée excite dansle cerveau un mouvement vibratoire ; ce mouvement donnenaissance à des ondes éthérées et, lorsque ces ondes rencontrent uncerveau en harmonie avec le premier, elles peuvent lui communiquerla pensée initiale qui leur a donné naissance, de même qu’une cordevibrante reçoit à distance l’ondulation émanée d’un son lointain etque la plaque du téléphone reconstitue la voix silencieusementtransportée par un mouvement électrique. Ces facultés, longtempslatentes dans l’organisme humain, avaient été étudiées, analyséeset développées. Il n’était pas rare de voir une pensée en évoquerune autre à distance et faire apparaître devant elle l’image del’être désiré. L’être évoquait l’être. La femme continua d’exercersur l’homme une attraction plus vive que celle de l’homme sur lafemme. L’homme resta toujours esclave de l’amour. Aux heuresd’absence, de solitude, de rêverie, il lui suffisait, à elle, depenser, de désirer, d’appeler, pour voir apparaître la douce imagedu bien-aimé. Et parfois même la communication était si complèteque l’image devenait tangible et audigible, tant les vibrations desdeux cerveaux étaient unifiées. Toute sensation est dans lecerveau, non ailleurs.

Les êtres terrestres qui vivaient ainsi dansla sphère spirituelle communiquaient même avec des êtres invisiblesqui existent autour de nous, dépourvus de corps matériel, etcommuniquaient aussi d’un monde à un autre. La premièrecommunication interastrale avait été faite avec la planète Mars, laseconde avec la planète Vénus, et elle dura jusqu’à la fin de laTerre ; mais celle de Mars s’arrêta par la mort de l’humanitémartienne, tandis que les communications avec Jupiter commencèrentseulement, et pour quelques rares initiés, vers la fin del’humanité terrestre.

Ces études ultramondaines et des sélectionsbien dirigées dans les unions avaient fini par créer une racevéritablement nouvelle, dont la forme organique ressemblaitassurément à la nôtre, mais dont les facultés intellectuellesétaient toutes différentes. La connaissance de l’hypnose, l’actionhypnotique, magnétique, psychique avait remplacé avantageusementles anciens procédés barbares et parfois si aveugles de lamédecine, de la pharmacie et même de la chirurgie. La télépathieétait devenue une science vaste et féconde.

L’humanité avait atteint un degré de raisonsuffisant pour vivre tranquillement et avec esprit. Les efforts del’intelligence et du travail avaient été appliqués à la conquête denouvelles forces de la nature et au perfectionnement constant de lacivilisation. Insensiblement, graduellement, la personne humaineavait été transformée, ou, pour mieux dire, transfigurée.

Les hommes étaient presque tous intelligents.Ils se souvenaient, en souriant, des ambitions enfantines de leursaïeux, à l’époque où, au lieu d’être « quelqu’un »,chacun cherchait à être « quelque chose » : député,sénateur, académicien, préfet, général, pontife, directeur de ceciou de cela, grand-croix d’un hochet national, etc., et combattaitsi fiévreusement dans la lutte des apparences. Ils avaient enfincompris que le bonheur est dans l’esprit, que l’étude est la plushaute satisfaction de l’âme, que l’amour est le soleil des cœurs,que la vie est courte et ne mérite pas qu’on s’attache à l’écorce,et tous étaient heureux dans l’indépendance de la pensée, sanssouci des fortunes que l’on n’emporte pas.

Les femmes avaient acquis une beauté parfaite,avec leurs tailles affinées, si différentes de l’ampleurhellénique, leur chair d’une translucide blancheur, leurs yeuxilluminés de la lumière du rêve, leurs longues chevelures soyeuses,où les brunes et les blondes d’autrefois s’étaient fondues en unchâtain roux, ensoleillé des tons fauves du soleil couchant ;modulé de reflets harmonieux ; l’antique mâchoire bestialeavait disparu, pour s’idéaliser en une bouche minuscule, et devantces gracieux sourires, à l’aspect de ces perles éclatantesenchâssées dans la tendre chair des roses, on ne comprenait pas queles amants primitifs eussent pu embrasser avec ferveur les bouchesdes premières femmes. Toujours, dans l’âme féminine, le sentimentavait dominé le jugement, toujours les nerfs avaient conservé leurauto-excitabilité si curieuse, toujours la femme avait continué depenser un peu autrement que l’homme, gardant son indomptableténacité d’impressions et d’idées ; mais l’être tout entierétait si exquis, les qualités du cœur enveloppaient l’homme d’uneatmosphère si douce et si pénétrante, il y avait tant d’abnégation,tant de dévouement et tant de bonté, que nul progrès n’était plusdésirable et que le bonheur semblait en son apogée pour l’éternité.Peut-être la jeune fille fut-elle une fleur trop viteouverte ; mais les sensations étaient si vives, décuplées,centuplées par les délicatesses de la transformation nerveusegraduellement opérée, que la journée de la vie n’avait plusd’aurore ni de crépuscule. D’ailleurs l’esprit, la pensée, le rêvedominaient l’antique matière. La beauté régnait : C’était uneère d’idéale volupté. Il semblait vraiment que ce fût là une toutautre race humaine, magnifiquement supérieure à celle des Aristote,des Kepler, des Hugo, des Phryné, des Diane de Poitiers, desPauline Borghèse. La transformation était si complète que l’onmontrait avec un étonnement voisin de l’incrédulité, dans lesmusées géologiques, les spécimens des hommes fossiles du vingtièmeau centième siècle, avec leurs dents brutales et leurs grossiersintestins : on admettait à peine que des organismes aussiépais eussent été vraiment les ancêtres de l’hommeintellectuel.

Ainsi notre race était parvenue à un état decivilisation, de grandeur intellectuelle, de bonheur physique etmoral, de perfectionnement scientifique, artistique et industrielsans comparaison possible avec tout ce que nous connaissons. Nousavons dit que la chaleur centrale du globe avait été conquise etappliquée au chauffage général de la surface terrestre en hiver,villes, villages, usines, industries diverses, pendant plusieursmillions d’années. Lorsque cette chaleur, s’étant graduellementabaissée, avait fini par disparaître, les rayons solaires avaientété captés, emmagasinés, dirigés à la fantaisie humaine ;l’hydrogène avait été extrait de l’eau des mers ; la force deschutes d’eau d’abord, puis celle des marées, avait été transforméeen force calorifique et lumineuse ; la planète terrestre toutentière était devenue la chose de la science qui jouait à volontéde tous les éléments. Les anciens sens humains élevés à un degré deraffinement que l’on qualifierait actuellementd’extra-terrestre ; les nouveaux sens dont nous avons parlé,perfectionnés de générations en générations ; l’être humaindégagé de plus en plus de la lourde matière ; le moded’alimentation transformé ; l’intelligence gouvernant lescorps ; les appétits vulgaires des temps primitifsoubliés ; les facultés psychiques en exercice perpétuel,agissant à distance sur toute la surface du globe, communiquantmême, comme nous l’avons dit, avec les habitants des planètesvoisines ; des appareils inconcevables pour nous remplaçantpour la science les anciens instruments d’optique qui avaientcommencé les progrès de l’astronomie physique ; tout un mondeentièrement nouveau de perceptions et d’études, en un état socialéclairé d’où l’envie et la jalousie avaient disparu en même tempsque le vol, la misère et l’assassinat : c’était une humanitéréelle, en chair et en os, comme la nôtre, mais aussi supérieure engrandeur intellectuelle à celle de notre temps que nous le sommesaux singes de l’époque tertiaire. L’intérêt vénal, surtout, avaitcessé d’empoisonner les pensées et les actions humaines. Lesentiment guidait les cœurs ; l’intelligence dirigeait lesesprits.

Grâce aux progrès de la physiologie, àl’hygiène universelle, aux soins méticuleux de l’antisepsie, àl’assimilation des extraits orchitiques et vertébraux, aurenouvellement du sang dans les tissus, au développement dubien-être général et à l’exercice bien équilibré de toutes lesfacultés intellectuelles, la durée de la vie humaine avait été trèsprolongée, et il n’était pas rare de voir des vieillards de centcinquante ans. On n’avait pu supprimer la mort, mais on avaittrouvé le moyen de ne pas vieillir, et les facultés de la jeunessese perpétuaient au delà de la centième année. La plupart desmaladies avaient été vaincues par la science, depuis la phtisiejusqu’au mal de dents. Et les caractères étaient presque tousaimables – à part certaines nuances inévitables – parce qu’ilsdépendent beaucoup des tempéraments et de la santé, et que lesorganismes étaient presque tous bien équilibrés.

L’humanité avait tendu à l’unité : uneseule race, une seule langue, un seul gouvernement général, uneseule religion (la philosophie astronomique), plus de systèmesreligieux officiels, la seule voix des consciences éclairées, etdans cette unité les différences anthropologiques anciennes avaientfini par se fondre. On ne rencontrait plus de têtes en pains desucre et de fanatiques crédules, ni de têtes aplaties et desceptiques aveugles. Les religions d’autrefois, le christianisme,l’islamisme, le bouddhisme, le mosaïsme avaient rejoint leslégendes mythologiques. La Trinité chrétienne habitait le cielpaïen. Les holocaustes offerts pendant tant de siècles aux dieuxanthropomorphes et à leurs prophètes, à Bouddha, à Osiris, àJéhovah, à Baal, à Jupiter, à Jésus ou à Marie, à Moïse ou àMahomet, les cultes des temps anciens et modernes, toutes cesabstractions de la pensée pieuse s’étaient envolées avec l’encensdes prières, s’étaient perdues dans le ciel terrestre, dansl’atmosphère nuageuse, sans atteindre l’Être inattingible. L’esprithumain n’avait pu connaître l’incognoscible.

L’astronomie avait atteint son but : laconnaissance de la nature des autres mondes.

Comme les langues, comme les idées, comme lesmœurs, comme les lois, la manière de supputer le temps avaitchangé. On comptait toujours par années et par siècles ; maisl’ère chrétienne avait disparu ainsi que les saints du calendrier,aussi bien que les ères musulmane, juive, chinoise, africaine etautres. Les anciennes religions d’État s’étaient éteintes avec lesbudgets des cultes, et progressivement elles avaient été remplacéesdans les cœurs par la philosophie astronomique.

Il n’y avait plus qu’un seul calendrier pourl’humanité entière, composé de douze mois partagés en quatretrimestres égaux formés de trois mois de 31, 30 et 30 jours, chaquetrimestre contenant treize semaines exactement. Le « jour del’an » était un jour de fête et ne comptait pas dans l’année.Aux années bissextiles, il y en avait deux. La semaine avait étéconservée. Toutes les années commençaient le même jour, le lundi,et les mêmes dates correspondaient indéfiniment aux mêmes jours dela semaine. L’année commençait pour tout le globe à l’ancienne datedu 20 mars. L’ère, purement astronomique, avait pour origine lacoïncidence du solstice de décembre avec le périhélie et serenouvelait tous les vingt-cinq mille sept cent soixante-cinq ans.La première ère, embrassant toute l’histoire ancienne et supprimantles dates négatives antérieures à la naissance de Jésus-Christ,avait été datée de l’année 24517 avant l’ère chrétienne. C’était làl’origine de l’histoire. La seconde ère avait été fixée à l’an 1248de notre ère ; la troisième avait commencé, par une fêteuniverselle, l’an 27013, et l’on avait continué ainsi, en tenantcompte, dans la suite, des variations astronomiques séculaires dela précession des équinoxes et de l’obliquité de l’écliptique. Lesprincipes rationnels avaient fini par avoir raison de toutes lesbizarreries fantaisistes des calendriers anciens.

La science avait su conquérir toutes lesénergies de la nature et diriger toutes les forces physiques etpsychiques au profit de l’humanité ; les seules limites de sesconquêtes avaient été celles des facultés humaines, qui,assurément, sont peu étendues, surtout lorsqu’on les compare auxfacultés de certains êtres extra-terrestres, mais qui surpassentconsidérablement celles que nous connaissons aujourd’hui.

Notre planète arriva ainsi à former une seulepatrie, illuminée d’une éclatante lumière intellectuelle, voguantdans ses hautes destinées comme un chœur qui se déroule à traversles accords d’une immense harmonie.

Toutefois chaque planète a sa sphère, et notreTerre comportait, elle aussi, un maximum qui ne pouvait êtredépassé.

Pendant les dix millions d’années del’histoire de l’humanité, l’espèce humaine, survivant à toutes lesgénérations, comme si elle eût été un être réel, avait subi toutesces grandes transformations. Au physique et au moral. Elle étaittoujours restée la souveraine de la Terre et n’avait été détrônéepar aucune race nouvelle, car nul être ne descend du ciel ni nemonte des enfers, nulle Minerve ne naît tout armée, nulle Vénus nes’éveille à l’âge nubile dans une coquille de nacre au bord desflots ; tout devient, et l’espèce humaine, issue de sesancêtres, avait été dès ses commencements le résultat naturel del’évolution vitale de la planète. La loi du progrès l’avaitautrefois fait sortir des limbes de l’animalité ; cette mêmeloi du progrès avait continué d’agir sur elle et l’avaitgraduellement perfectionnée, transformée, affinée.

Mais l’époque arriva où, les conditions de lavie terrestre commençant à décroître, l’humanité devait cesser deprogresser et entrer elle-même dans la voie de la décadence.

La chaleur intérieure du globe, encoreconsidérable au dix-neuvième siècle, mais déjà sans aucune actionsur la température de la surface, qui était uniquement entretenuepar le Soleil, avait lentement diminué, et la Terre avait fini parêtre entièrement refroidie. Ce refroidissement n’avait pasinfluencé directement les conditions physiques de la vie terrestre,qui était restée dépendante de la chaleur solaire et del’atmosphère. Le refroidissement interne de la planète ne peut pasamener la fin du monde.

Insensiblement, de siècle en siècle, le globes’était nivelé. Les pluies, les neiges, les gelées, la chaleursolaire, les vents avaient agi sur les montagnes ; les eauxdes torrents, des ruisseaux, des rivières, des fleuves avaientlentement transporté à la mer les débris de tous ces reliefscontinentaux ; le fond des mers s’était exhaussé et lesmontagnes avaient presque entièrement disparu… en neuf millionsd’années. En même temps, la planète avait vieilli plus vite que leSoleil. Elle avait perdu ses conditions de vitalité plus rapidementque l’astre du jour n’avait perdu ses facultés rayonnantes delumière et de chaleur.

Celte évolution planétaire est conforme ànotre connaissance actuelle de l’univers. Sans doute, notre logiqueest fatalement incomplète, puérile à côté de la grande Véritéuniverselle et éternelle, et elle vaut celle de deux fourmiscausant entre elles de l’histoire de France. Mais, malgré lamodestie infligée à notre sentiment par l’infinité des chosescréées, malgré l’humilité de notre être et son néant devantl’infini, nous ne pouvons pas nous soustraire à la nécessité denous paraître logiques à nous-mêmes ; nous ne pouvons pasprétendre qu’abdiquer notre raison soit une meilleure garantie dejugement que d’en faire usage. Nous croyons à une constitutionintelligente de l’univers, à une destinée des mondes et desêtres ; nous pensons que les globes importants du systèmesolaire doivent durer plus longtemps que les moindres et que, parconséquent, la vie des planètes n’est pas également suspendue auxrayons du Soleil et ne doit pas durer uniformément autant que cetastre. L’observation directe confirme d’ailleurs elle-même cettevue générale de l’univers. La Terre, soleil éteint, s’est refroidieplus vite que le Soleil ; Jupiter, immense, en est encore àson époque primordiale ; la Lune, plus petite que Mars, estplus avancée que lui dans les phases de sa vie astrale (peut-êtremême arrivée à sa fin) ; Mars, plus petit que la Terre, estplus avancé que nous et moins que la Lune. Notre planète, à sontour, doit précéder Jupiter dans sa destinée filiale et précéderégalement l’extinction du Soleil.

Considérons, en effet, la grandeur comparée dela Terre et des autres planètes : Jupiter est onze fois pluslarge que notre globe en diamètre et le Soleil environ dix foisplus large que Jupiter. Le diamètre de Saturne vaut neuf fois celuide la Terre. Il nous semble naturel de penser que Jupiter etSaturne vivront plus longtemps que notre planète, Vénus, Mars ouMercure, ces pygmées du ciel. Les événements confirmèrent cesdéductions de la science humaine. Des pièges nous étaient tendusdans l’immensité ; mille accidents pouvaient nous atteindre,comètes, corps célestes obscurs ou enflammés, nébuleuses,etc. ; mais notre planète ne mourut pas d’accident. Lavieillesse l’attendit, elle aussi, comme tous les êtres. Et ellevieillit plus vite que le Soleil ; elle perdit ses conditionsde vitalité plus vite que l’astre central ne perdit sa chaleur etsa lumière.

Pendant les périodes séculaires de sasplendeur vitale, lorsqu’elle trônait dans le chœur des mondes enportant à sa surface une humanité intellectuelle victorieuse desforces aveugles de la nature, alors une atmosphère vivifianteenveloppait ses empires d’une auréole protectrice, au sein delaquelle se jouaient tous les jeux de la vie et du bonheur. Unélément essentiel de la nature, l’eau, régissait la vieterrestre ; cette substance était entrée dès l’origine dans lacomposition de tous les corps, végétaux, animaux et humains ;elle formait la partie active de la circulation atmosphérique, elleconstituait l’organe principal des climats et des saisons ;elle était la souveraine de l’État terrestre.

De siècle en siècle, la quantité d’eau avaitdiminué dans les mers, les fleuves et l’atmosphère. Une partie deseaux de pluie avait d’abord été absorbée dans l’intérieur du sol etn’était pas revenue à la mer, parce que, au lieu d’y descendre englissant sur des couches imperméables et de former soit dessources, soit des cours d’eau souterrains et sous-marins, elles’était infiltrée profondément et avait insensiblement rempli tousles vides, toutes les fissures, saturant les roches jusqu’à unegrande profondeur. Tant que la chaleur intérieure du globe avaitété assez élevée pour s’opposer à la descente indéfinie de ces eauxet pour les convertir en vapeur, la quantité était restéeconsidérable à la surface du globe. Mais les siècles vinrent où lachaleur intérieure du globe fut entièrement dispersée dans l’espaceet cessa de s’opposer à l’infiltration des eaux dans cette masseporeuse. Elles diminuèrent graduellement de la surface ; elless’associèrent aux roches sous forme d’hydrates et sefixèrent ; elles disparurent en partie de la circulationatmosphérique.

En effet, que la diminution des eaux des merssoit seulement de quelques dixièmes de millimètre par an, et en dixmillions d’années il n’en reste plus.

L’infiltration graduelle des eaux dansl’intérieur du globe, à mesure que la chaleur primitive de ce globese perdit dans l’espace, la fixation lente des oxydes et deshydrates amenèrent, au bout de huit millions d’années environ, unediminution des trois quarts dans la quantité d’eau en circulation àla surface de la Terre. Par suite du nivellement des reliefscontinentaux, dû à l’œuvre séculaire des pluies, des neiges, desglaces, des vents, des ruisseaux, des torrents, des rivières, desfleuves, entraînant lentement tous les débris à la mer, enobéissance passive aux lois de la pesanteur, le globe terrestreapprochait d’une surface de niveau, et les mers n’avaient presqueplus de profondeur. Mais comme, dans l’évaporation et dans laformation de la vapeur d’eau atmosphérique, c’est la surface seuledes étendues d’eau qui agit, et non la profondeur, l’atmosphèreétait encore restée très riche en vapeur aqueuse. Notre planèteatteignit alors les conditions d’habitabilité que nous observonsactuellement sur le monde de Mars, où nous voyons les grands océansdisparus, les mers réduites à d’étroites méditerranées, peuprofondes, les continents aplanis, l’évaporation facile, la vapeurd’eau encore en quantité considérable dans l’atmosphère, les pluiesrares, les neiges abondantes dans les régions polaires decondensation, et leur fusion presque totale pendant les étés dechaque année, monde encore habitable par des êtres analogues à ceuxqui peuplent la Terre.

Cette époque marqua l’apogée de l’humanitéterrestre. À partir de là, les conditions de la vie s’appauvrirent.De générations en générations, les êtres subirent destransformations profondes. Espèces végétales, espèces animales,race humaine, tout changea encore. Mais, tandis que jusqu’ici lesmétamorphoses avaient enrichi, embelli, perfectionné les êtres, lejour vint où la décadence commença.

L’intelligence humaine avait si complètementconquis les forces de la nature qu’il semblait que jamais l’apogéesi glorieusement atteint ne pourrait finir. La diminution de l’eau,toutefois, commença à donner l’alarme aux plus optimistes. Lesgrands océans avaient disparu. Les pôles étaient restés gelés. Lescontinents qui occupaient les latitudes anciennes où Babylone,Ninive, Ecbatane, Thèbes, Memphis, Athènes, Rome, Paris, Londres,New York, Chicago, Liberty, Pax et tant d’autres foyers decivilisation avaient répandu un si vif éclat, étaient d’immensesdéserts sans un fleuve et sans une mer. Insensiblement, l’humanités’était rapprochée de la zone tropicale encore arrosée par descours d’eau, des lacs et des mers. Il n’y avait plus de montagnes,plus de condenseurs de neiges. La Terre était presque aplanie, etdes méditerranées peu profondes, des lacs et quelques cours d’eauconfinèrent la végétation et la vie à la zone étroite des régionséquatoriales.

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