La fin du monde

ÉPILOGUE – APRÈS LA FIN DU MONDETERRESTRE

Dissertation philosophique finale.

Alors l’ange jura, par Celui qui vit dans les siècles dessiècles, qu’il n’y aurait plus de temps désormais.

APOCALYPSE, X, 6.

 

La Terre était morte. Les autres planètesétaient mortes l’une après l’autre. Le Soleil était éteint. Maisles étoiles brillaient toujours : il y avait toujours dessoleils et des mondes.

Dans l’éternité sans mesure, le temps,essentiellement relatif, est déterminé par le mouvement de chacundes mondes, et même, en chaque monde il est apprécié diversement,selon les sensations personnelles des êtres. Chaque globe mesure sapropre durée. Les années de la Terre ne sont pas celles de Neptune.L’année de Neptune égale cent soixante-quatre des nôtres, et n’estpas plus longue dans l’absolu. Il n’y a pas de commune mesure entrele temps et l’éternité. Dans l’espace vide, il n’y a pas detemps : on n’est là en aucune année, en aucun siècle ;mais il y a cependant la possibilité d’une mesure qu’ydéterminerait l’arrivée d’un globe tournant.

Sans mouvement périodique, on ne peut avoiraucune notion d’un temps quelconque.

La Terre n’existait plus. Ni la Terre, ni savoisine céleste la petite île de Mars, ni le beau globe de Vénus,ni le monde colossal de Jupiter, ni l’univers étrange de Saturnequi avait perdu son auréole, ni les planètes lentes d’Uranus et deNeptune, ni même le sublime Soleil dont les feux avaient pendanttant de siècles fécondé les célestes patries gravitant dans salumière. Le Soleil était un boulet noir, les planètes étaientd’autres boulets noirs, et ce système invisible continuait decourir dans l’immensité étoilée, au sein du froid de l’espaceobscur. Au point de vue de la vie, tous ces mondes étaient morts,n’existaient plus. Ils survivaient à leur antique histoire commeles ruines des villes mortes de l’Assyrie que l’archéologuedécouvre dans le désert sauvage, et roulaient obscurs dansl’invisible et dans l’inconnu. Tout cela était ultra-glacé, à 273degrés au-dessous de zéro.

Nul génie, nul devin n’aurait pu reconstruirele temps évanoui, ressusciter les anciens jours où la Terreflottait ivre de lumière, avec ses belles plaines verdoyantess’éveillant au soleil du matin, ses rivières ondulant comme delongs serpents le long des prés verts, ses bois animés du chant desoiseaux, ses forêts profondes aux ombres mystérieuses, ses mers sesoulevant sous l’attraction des marées ou mugissant dans lestempêtes, ses montagnes dont les versants débordaient de sources etde cascades, ses sillons d’or, ses jardins émaillés de fleurs, sesnids d’oiseaux, ses berceaux d’enfants, ses populations humaineslaborieuses dont l’activité l’avait transformée et qui avaient vécusi joyeusement au soleil de la vie, perpétuées par les ravissementsd’un amour sans fin. Alors tout ce bonheur semblait éternel. Quesont devenus ces matins et ces soirs ? ces fleurs et cesamantes ? ces rayons et ces parfums ? ces harmonies etces joies ? ces beautés et ces rêves ? Tout adisparu.

La Terre morte. Toutes les planètes mortes. LeSoleil éteint. Tout le système solaire annulé. Le temps lui-mêmesuspendu !

Le temps s’écoule dans l’éternité. Maisl’éternité demeure et le temps ressuscite.

Avant l’existence de la Terre, pendant touteune éternité, il y a eu des soleils et des mondes, des humanitésvivant et agissant comme la nôtre aujourd’hui. Elles vivaient ainsidans le ciel il y a des millions et des millions d’années, et alorsnotre Terre n’existait pas. L’univers antérieur n’était pas moinsbrillant que le nôtre. Après nous, ce sera comme avant nous :notre époque n’a pas d’importance. En examinant l’histoire passéede la Terre, nous pourrions remonter d’abord à l’époque primitiveoù notre planète brillait dans l’espace, véritable soleil ;nous la verrions ensuite à l’époque où, semblable à Jupiter et àSaturne, elle a été enveloppée d’une atmosphère dense et chargée devapeurs chaudes, et nous pourrions la suivre en ses transformationsjusqu’à la période humaine. Nous venons de voir aussi que, lorsquesa chaleur fut entièrement dissipée, lorsque ses eaux furentabsorbées, lorsque la vapeur d’eau de son atmosphère eut disparu etque cette atmosphère fut plus ou moins absorbée elle-même par laplanète, notre globe dut offrir l’image de ces grands désertslunaires révélés par le télescope, avec les différencesindividuelles de la nature terrestre régie par ses propreséléments, avec ses dernières configurations géographiques, sesderniers rivages et ses derniers cours d’eau desséchés. Cadavreplanétaire ! Terre morte et glacée, elle emporte toutefoisdans son sein une énergie non perdue, celle de son mouvement detranslation autour du Soleil, laquelle énergie, transformée enchaleur par l’arrêt de ce mouvement, suffirait pour fondre le globeentier, en réduire une partie en vapeur et recommencer pour notreplanète une nouvelle histoire, mais de bien courte durée ;car, si ce mouvement de translation venait à cesser, la Terretomberait dans le Soleil et perdrait son existence propre. Arrêtéetout d’un coup, elle tomberait en ligne droite vers le Soleil, avecune vitesse croissante qui la précipiterait sur lui ensoixante-cinq jours ; arrêtée graduellement, elle tomberait enspirale et viendrait après un temps plus long s’évanouir dansl’astre central.

L’histoire entière de la vie terrestre est làdevant nos yeux, elle a son commencement et sa fin : sa durée,quelque soit le nombre des siècles qui la composent, est précédéepar une éternité, suivie par une éternité, de telle sorte qu’ellene représente, en définitive, qu’un instant perdu dans l’infini,une vague imperceptible sur l’immense océan des âges.

Longtemps après que la Terre eut cessé d’êtrele séjour de la, vie, les mondes gigantesques de Jupiter et deSaturne, arrivés plus lentement de la phase solaire à la phaseplanétaire, régnèrent à leur tour au sein du système solaire, dansle rayonnement d’une vitalité incomparablement supérieure à toutel’histoire organique de notre globe. Mais pour eux aussi les joursde la vieillesse arrivèrent, et eux aussi descendirent dans la nuitdu tombeau.

Navigateurs lancés pour n’atteindre aucunport !

SULLY PRUDHOMME, Le Zénith.

Si la Terre avait conservé assez longtemps seséléments de vitalité, comme Jupiter, par exemple, elle ne seraitmorte que par l’extinction du Soleil mère. Mais la durée de la viedes mondes est en proportion de leur grandeur et de leurs élémentsde vitalité.

La chaleur solaire est due à deux sourcesprincipales : la condensation de la nébuleuse primitive et lachute des météores. La première cause a produit, d’après lescalculs les mieux établis de la thermodynamique, une chaleursurpassant de dix-huit millions de fois celle que le Soleil rayonnepar an, en supposant que la nébuleuse primitive ait été froide, cequi n’est pas probable. En continuant de se condenser, le Soleilpeut rayonner sans rien perdre pendant des siècles et dessiècles.

La chaleur émise à chaque seconde est égale àcelle qui résulterait, de la combustion de onze quatrillions sixcent mille milliards de tonnes de charbon de terre brûlantensemble ! La Terre n’arrête au passage que lademi-milliardième partie de ce rayonnement, et ce demi-milliardièmesuffit pour entretenir l’immense feu de la vie terrestre toutentière. Sur soixante-sept millions de rayons de lumière et dechaleur que le Soleil envoie dans l’espace, un seul est reçu etutilisé par les planètes.

Eh bien, pour conserver cette source dechaleur, il suffirait que le globe solaire continuât de secondenser de telle sorte que son diamètre ne diminuât que de 77mètres par an, soit de 1 kilomètre en treize ans. Cette contractionest si lente qu’elle serait tout à fait imperceptible àl’observation. Il faudrait neuf mille cinq cents ans pour réduirele diamètre d’une seule seconde d’arc.

Si même le Soleil était encore actuellementgazeux, sa chaleur, loin de diminuer ou même de resterstationnaire, s’accroîtrait encore par la contraction seule ;car, si un corps gazeux se condense, d’une part, en serefroidissant, d’autre part, la chaleur engendrée par lacontraction est plus que suffisante pour empêcher la température des’abaisser, et la chaleur augmente jusqu’à ce que la condensationcommence sous forme liquide. Le Soleil semble arrivé à cepoint.

La condensation du globe solaire, dont ladensité n’est encore que le quart de celle du globe terrestre, peutdonc à elle seule entretenir pendant bien des siècles (au moins dixmillions d’années) la chaleur et la lumière de l’astre radieux.Mais nous venons de parler d’une seconde source d’entretien decette température : la chute des météores. Il en tombeconstamment sur la Terre : cent quarante-six milliardsd’étoiles filantes par an. Il en tombe incomparablement plus sur leSoleil, à cause de son attraction prépondérante. S’il en recevaitpar an environ la centième partie de la masse de la Terre, cettechute suffirait pour entretenir son rayonnement, non point par lacombustion de ces météores, – car, si le Soleil se consumaitlui-même, il n’aurait pas duré plus de six mille ans, – mais par latransformation en chaleur du mouvement subitement arrêté, et égal à650 000 mètres dans la dernière seconde de chute, tantl’attraction solaire est intense.

La Terre tombant sur le Soleil entretiendraitpendant 95 ans la dépense actuelle d’énergie du Soleil ;

Vénus pendant 84 ans ;

Mercure pendant 7 ans ;

Mars pendant 13 ans ;

Jupiter pendant 32254 ans ;

Saturne pendant 9652 ans ;

Uranus pendant 1610 ans ;

Et Neptune pendant 1890 ans.

C’est-à-dire que la chute de toutes lesplanètes dans le Soleil produirait assez de chaleur pour entretenirsa production pendant près de quarante-six mille ans.

Il est donc certain que la chute des météoresajoute une longue durée à l’entretien de la chaleur solaire. Untrente-trois-millionième de la masse solaire ajouté chaque annéesuffirait pour compenser la perte, et la moitié seulement si l’onadmettait que la condensation ait une part égale à celle de lachute des météores dans l’entretien de la chaleur solaire ; ilfaudrait des siècles pour que les astronomes s’en aperçussent parl’accélération des révolutions planétaires.

Nous pouvons donc admettre, au minimum, vingtmillions d’années à l’avenir solaire par ces deux causes seules. Ilne serait point exagéré d’aller jusqu’à trente. Et cette durée peutencore être augmentée par la réserve des causes inconnues, sansmême songer à la rencontre d’un essaim météorique.

Le Soleil resta donc le dernier vivant de sonsystème, le dernier animé du feu vital.

Mais lui aussi s’éteignit. Après avoir silongtemps versé sur ses filles célestes les rayons vivificateurs desa lumière, il vit ses taches augmenter en nombre et en étendue, sabrillante photosphère se ternir, et sa surface jadis étincelantes’assombrir et se figer. Un énorme boulet rouge remplaça dansl’espace l’éblouissant foyer des mondes disparus.

Longtemps l’astre énorme conserva à sa surfaceune température élevée et une sorte d’atmosphèrephosphorescente ; son sol vierge donna naissance à des floresmerveilleuses, à des faunes inconnues, à des êtres absolumentdifférents en organisation de tous ceux qui s’étaient succédé surles mondes de son système, éclairés par la lumière stellaire et pardes effluves électriques formant une sorte d’atmosphère autour del’antique foyer.

Pour lui aussi, la dernière fin arriva, etl’heure sonna à l’horloge éternelle des destinées, où le systèmesolaire tout entier fut rayé du livre de vie. Et successivementtoutes les étoiles, dont chacune est un soleil, tous les systèmessolaires, tous les mondes eurent le même sort…

Et pourtant l’univers continua d’exister commeaujourd’hui.

Tout sera, tout semble être, et tout n’est quenéant.

BOUDDHA.

La science mathématique nous dit :« Le système solaire ne parait plus posséder actuellement quela quatre cent cinquante-quatrième partie de l’énergietransformable qu’il avait lorsqu’il était à l’état de nébuleuse.Bien que ce résidu constitue encore un approvisionnement dontl’énormité confond notre imagination, il sera un jour dépenséaussi. Plus tard, la transformation sera accomplie pour l’universentier, et il finira par s’établir un équilibre général detempérature comme de pression.

L’énergie ne sera plus alors susceptible detransformation. Ce sera non pas l’immobilité absolue, puisque lamême somme d’énergie existera toujours sous forme de mouvementsatomiques, mais l’absence de tout mouvement sensible, de toutedifférence et de toute tendance, c’est-à-dire la mortdéfinitive. »

Voilà, ce que dit notre science mathématiqueactuelle.

L’observation établit, en effet, que d’unepart la quantité de matière reste constante, que d’autre part laquantité de force ou d’énergie reste aussi constante, à traverstoutes les transformations des corps et des positions, mais quel’univers tend à un état d’équilibre, à l’état de la chaleuruniformément répartie. La chaleur du Soleil et de tous les astres,paraît due à la transformation des mouvements initiaux, aux chocsdes molécules, et la chaleur actuelle provenant de cettetransformation de mouvement rayonne constamment dans l’espace, cequi durera jusqu’à ce que tous les astres soient refroidis à latempérature de l’espace même. Si nous considérons nos sciencesactuelles, la mécanique, la physique et les mathématiques, commevalables, et si nous admettons la permanence des lois qui régissentaujourd’hui la nature et notre raisonnement humain, tel est le sortréservé à l’univers.

Loin d’être éternelle, la Terre où nous vivonsa commencé. Dans l’éternité, cent millions d’années, un milliardd’années ou de siècles sont comme un jour : il y a l’éternitéavant et l’éternité après, et la longueur apparente de la durées’évanouit pour se réduire à un point. L’étude scientifique de lanature et la connaissance de ses lois nous ramènent donc à laquestion autrefois posée par les théologiens, qu’ils s’appellentZoroastre, Platon, saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin, ou quece soit un naïf séminariste tonsuré de la veille :« Qu’est-ce que Dieu faisait avant la création du monde et quefera-t-il après sa fin ? » ou, sous une forme moinsanthropomorphique, puisque Dieu est inconnaissable :« Quel était l’état de l’univers antérieurement à l’ordreactuel des choses et que sera-t-il après ? »

La question est la même, soit que l’on admetteun Dieu personnel, raisonnant et agissant dans un certain but, soitque l’on n’admette l’existence d’aucun esprit dans la nature, maisseulement des atomes indestructibles et des forces représentant unequantité d’énergie invariable et non moins indestructible. Dans lepremier cas, pourquoi Dieu, puissance éternelle et non créée,serait-il resté d’abord inactif, ou, étant resté inactif, satisfaitde son immensité absolue que rien ne peut accroître, pourquoiaurait-il changé cet état et aurait-il créé la matière et lesforces ? Le théologien peut répondre : « Parce quecela lui a fait plaisir. » Mais le philosophe n’est passatisfait de cette variation dans l’idée divine. Dans la secondeconception du monde, puisque l’origine de l’ordre actuel des chosesne remonte qu’à une certaine date et qu’il n’y a pas d’effet sanscause, nous avons le droit de demander quel était l’état antérieurà la formation de l’univers actuel.

Il n’est pas contestable, certainement, que,quoique l’énergie soit indestructible, il y a une tendanceuniverselle à sa dissipation, qui doit amener un état de reposuniversel et de mort, et le raisonnement mathématique estimpeccable.

Cependant nous ne l’admettons pas.

Pourquoi ?

Parce que l’univers n’est pas une quantitéfinie.

Devant l’éternité tout siècle est du mêmeâge.

LAMARTINE, Harmonies.

Il est impossible de concevoir une limite àl’étendue de la matière. Nous avons devant nous, à travers unespace sans fin, la source intarissable de la transformation, del’énergie potentielle en mouvement sensible, et de là en chaleur eten autres forces, et non pas un simple mécanisme fini marchantcomme une horloge et s’arrêtant pour toujours.

L’avenir de l’univers, c’est son passé. Sil’univers devait un jour avoir une fin, il y a longtemps qu’elleserait arrivée, et nous ne serions pas ici pour étudier ceproblème.

C’est parce que nos conceptions sont finiesque nous voyons aux choses un commencement et une fin. Nous neconcevons pas qu’une série absolument sans fin de transformationspuisse exister dans l’avenir ou dans le passé, ni que des sérieségalement sans fin de combinaisons matérielles puissent se succéderde planètes en soleils, de soleils en systèmes de soleils, deceux-ci en voies lactées, en univers stellaires, etc., etc. Lespectacle actuel du ciel est pourtant là pour nous montrerl’infini. Nous ne comprenons pas davantage l’infinité de l’espaceni l’infinité du temps, et pourtant nous comprenons encore moinsune limite quelconque à l’espace ou au temps, car notre penséesaute au delà de cette limite et continue de voir. On marcheraittoujours dans une direction quelconque de l’espace sans en trouverla fin, et toujours aussi on peut imaginer un ordre de successiondans les choses futures.

Absolument parlant, ce n’est ni l’espace ni letemps que nous devons dire, sans doute, mais l’infini etl’éternité, dans le sein desquels toute mesure, quelque longuequ’elle soit, n’est plus qu’un point.

Nous ne concevons pas, nous ne comprenons pasl’infini, dans l’espace ou dans la durée, parce que nous en sommesincapables, mais cette incapacité ne prouve rien contre l’absolu.Tout en avouant que nous ne comprenons pas, nous sentons quel’infini nous environne et qu’un espace limité par un mur, par unebarrière quelconque, est une idée absurde en soi, de même qu’à unmoment quelconque de l’éternité nous ne pouvons pas ne pas admettrela possibilité de l’existence d’un système de mondes dont lesmouvements mesureraient le temps sans le créer. Est-ce que noshorloges créent le temps ? Non. Elles ne font que le mesurer.Nos mesures de temps et d’espace s’évanouissent devant l’absolu.Mais l’absolu demeure.

Nous vivons dans l’infini sans nous en douter.La main qui tient cette plume est composée d’éléments éternels etindestructibles, et les atomes qui la constituent existaient déjàdans la nébuleuse solaire dont notre planète est sortie, et au delàdes siècles ils existeront toujours. Vos poitrines respirent, voscerveaux pensent, avec des matériaux et des forces qui agissaientdéjà il y a des millions d’années, et qui agiront sans fin. Et lepetit globule que nous habitons est au fond de l’infini, – nonpoint au centre d’un univers borné, – au fond de l’infini, aussibien que l’étoile la plus lointaine que le télescope puissedécouvrir.

La meilleure définition de l’univers qui aitété donnée est encore celle que Pascal a répétée et à laquelle iln’y avait et il n’y a rien à ajouter : « Une sphère dontle centre est partout, la circonférence nulle part »

C’est cet infini qui assure l’éternité del’univers.

Étoiles après étoiles, systèmes aprèssystèmes, myriades après myriades, milliards après milliards,univers après univers, se succèdent sans fin dans tous les sens.Nous n’habitons pas vers un centre qui n’existe point, et aussibien que l’étoile la plus lointaine dont nous venons de parler, laTerre gît au fond de l’infini.

Sans fin dans l’espace. Volons par la penséedans une direction quelconque du ciel, avec une vitesse quelconque,pendant des mois, des années, des siècles, toujours, toujours,jamais nous ne serons arrêtés par une limite, jamais nousn’approcherons d’une frontière : toujours nous resterons auvestibule de l’infini ouvert devant nous…

Sans fin dans le temps. Vivons par la penséeau delà des âges futurs, ajoutons les siècles aux siècles, lespériodes séculaires aux périodes séculaires, jamais nousn’atteindrons la fin : toujours nous resterons au vestibule del’éternité ouverte devant nous…

Dans notre petite sphère d’observationterrestre, nous constatons que, à travers tous les changementsd’aspects de matière et de mouvement, la même quantité de matièreet de mouvement demeure, sous d’autres formes. Matière et forces setransforment, mais la même quantité de masse et de puissancesubsiste. Les êtres vivants nous donnent cet exempleperpétuel : ils naissent, grandissent en s’agrégeant dessubstances puisées dans le monde extérieur et, lorsqu’ils meurent,se désagrègent et rendent à la nature tous les éléments dont leurcorps avait été formé. Une loi permanente reconstitueperpétuellement d’autres corps avec ces mêmes éléments. Tout astreest comparable à un être organisé, même au point de vue de sachaleur intérieure. Un corps reste vivant tant que les diversesénergies de ses organes fonctionnent par suite des mouvements de larespiration et de la circulation. Lorsque l’équilibre et le reposarrivent, la mort en est la conséquence ; mais, après la mort,toutes les substances dont le corps a été formé vont reconstituerd’autres êtres. La dissolution est le prélude d’un renouvellementet de la formation d’êtres nouveaux. L’analogie nous porte à croirequ’il en est de même dans le système cosmique. Rien ne peut êtredétruit. Ce qui subsiste, invariable en quantité, mais toujourschangeant de forme sous les apparences sensibles que l’univers nousprésente, c’est une Puissance incommensurable que nous sommesobligés de reconnaître comme sans limite dans l’espace et sanscommencement ni fin dans le temps.

Voilà pourquoi il y aura toujours des soleilset des mondes, qui ne seront ni nos soleils ni nos mondes actuels,qui seront autres, mais qui toujours se succéderont durantl’interminable éternité.

Et cet univers visible ne doit représenterpour notre esprit que les apparences variables et changeantes de laRÉALITÉ absolue et éternelle constituée par l’universinvisible.

Il mit l’Éternité par delà tous les Ages ;

Par delà tous les cieux il jeta l’infini.

V. Hugo. Jéhovah.

C’est en vertu de cette loi transcendante que,longtemps après la mort de la Terre, des planètes géantes et del’astre central lui-même, tandis que notre vieux soleil noirvoguait toujours dans l’immensité sans bornes, emportant avec luiles mondes défunts où les humanités terrestres et planétairesavaient autrefois lutté dans les futiles combats de la viequotidienne, un autre soleil éteint, venant aussi des profondeursde l’infini, le rencontra presque de face… et l’arrêta !

Alors, dans la nuit profonde de l’espace, cesdeux, boulets formidables créèrent tout d’un coup par ce chocprodigieux un feu céleste immense, une vaste nébuleuse gazeuse, quioscilla d’abord comme une flamme folle, et s’envola ensuite versdes cieux inconnus. Sa température était de plusieurs millions dedegrés. Tout ce qui avait été terre, eaux, air, minéraux, plantes,hommes ici-bas, tout ce qui avait été chair, regards, cœurspalpitants d’amour, beautés séductrices, cerveaux pensants, mainstenant le glaive, vainqueurs ou vaincus, bourreaux ou victimes,atomes et âmes inférieures non dégagées de la matière, tout étaitdevenu feu. Et ainsi des mondes de Mars, Vénus, Jupiter, Saturne etleurs frères. C’était la résurrection de la nature visible, tandisque les âmes supérieures qui avaient acquis l’immortalitécontinuaient de vivre sans fin dans les hiérarchies de l’universpsychique invisible. La conscience de tous les êtres humains quiavaient vécu sur la Terre s’était élevée dans l’idéal ; lesêtres avaient progressé par leurs transmigrations à travers lesmondes, et tous revivaient en Dieu, dégagés des lourdeurs de lamatière, planant dans la lumière éternelle, progressant toujours.L’univers apparent, le monde visible est le creuset dans lequels’élabore incessamment l’univers psychique, le seul réel etdéfinitif.

L’effroyable choc des deux soleils éteintscréa une immense nébuleuse gazeuse, qui absorba tous les anciensmondes, transformés en vapeur, et qui, superbe, gigantesque,planant dans l’espace infini, se mit à tourner sur elle-même.

Et dans les zones de condensation de cettenébuleuse primordiale, de nouveaux globes commencèrent à naître,comme autrefois à l’aurore de la Terre.

Et ce fut là un recommencement du monde, unegenèse que de futurs Moïse et de futurs Laplace racontèrent.

Et la création se continua, nouvelle, diverse,non terrestre, non martienne, non saturnienne, non solaire, autre,extra-terrestre, surhumaine, intarissable.

Et il y eut d’autres humanités, d’autrescivilisations, d’autres vanités ; d’autres Babylones, d’autresThèbes, d’autres Athènes, d’autres Romes, d’autres Paris ;d’autres palais, d’autres temples ; d’autres gloires, d’autresamours, d’autres lumières. Mais toutes ces choses n’eurent plusrien de la Terre, dont les effigies s’étaient effacées comme desombres spectrales.

Et ces univers passèrent à leur tour.

Et d’autres leur succédèrent. À une certaineépoque perdue dans l’éternité future, toutes les étoiles de la voielactée tombèrent vers un centre commun de gravité et constituèrentun immense et formidable soleil, centre d’un système dont lesmondes énormes furent peuplés d’êtres organisés en une températureincandescente pour nous, et dont les sens vibrant sous d’autresradiations, en une autre chimie, en une autre physique, leurmontrèrent l’univers sous des aspects absolument inconnaissablespour nos yeux terrestres… Autres créations, autres êtres, autrespensées.

Et toujours l’espace infini resta peuplé demondes et d’étoiles, d’âmes et de soleils ; et toujoursl’éternité dura.

CAR IL NE PEUT YAVOIR NI FIN, NI COMMENCEMENT.

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